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Culture - Page 82

  • Rapidité des nuages

    Bonnefoy recueil.jpgLe lit, la vitre auprès, la vallée, le ciel,
    La magnifique rapidité de ces nuages.
    La griffe de la pluie sur la vitre, soudain,
    Comme si le néant paraphait le monde.

    Dans mon rêve d’hier
    Le grain d’autres années brûlait par flammes courtes
    Sur le sol carrelé, mais sans chaleur.
    Nos pieds nus l’écartaient comme une eau limpide.

    O mon amie,
    Comme était faible la distance entre nos corps !
    La lame de l’épée du temps qui rôde
    Y eût cherché en vain le lieu pour vaincre.


    Yves Bonnefoy, La rapidité des nuages (Ce qui fut sans lumière)

  • Impressions, Bonnefoy

    Le peintre qu’on nomme l’orage a bien travaillé, ce soir,
    Des figures de grande beauté sont assemblées
    Sous un porche à gauche du ciel, là où se perdent
    Ces marches phosphorescentes dans la mer.
    Et il y a de l’agitation dans cette foule,
    C’est comme si un dieu avait paru,
    Visage d’or parmi nombre d’autres sombres.

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         © Linda Van der Meeren, Cooper’s Moon (détail), Expo Kleur (Asse, 2022)

    Mais ces cris de surprise, presque ces chants,
    Ces musiques de fifres et ces rires
    Ne nous viennent pas de ces êtres mais de leur forme.
    Les bras qui s’ouvrent se rompent, se multiplient,
    Les gestes se dilatent, se diluent,
    Sans cesse la couleur devient autre couleur
    Et autre chose que la couleur, ainsi des îles,
    Des bribes de grandes orgues dans la nuée.
    Si c’est là la résurrection des morts, celle-ci ressemble
    A la crête des vagues à l’instant où elles se brisent,
    Et maintenant le ciel est presque vide,
    Rien qu’une masse rouge qui se déplace
    Vers un drap d’oiseaux noirs, au nord, piaillant, la nuit.

    Ici ou là
    Une flaque encore, trouée
    Par un brandon de la beauté en cendres.


    Yves Bonnefoy, Impressions, soleil couchant (La vie errante)

  • Congrégation d'âmes

    Troisième volet de la trilogie signée Jon Kalman Stefansson, après Entre ciel et terre puis La tristesse des anges, Le cœur de l’homme est peut-être le plus attachant des trois romans (traduits de l’islandais par Eric Boury). Comme dans les précédents, les histoires racontées par des défunts errants naviguent entre vie et mort, lumière et ténèbres.

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    Le gamin islandais a donc survécu au long et périlleux voyage raconté dans La tristesse des anges. Quand il émerge d’une zone floue entre rêve et réel, sans parvenir à ouvrir les yeux, une jeune fille rousse est à son chevet et l’embrasse pour voir s’il est vivant ou mort – « Où est la vie, si ce n’est dans un baiser ? » Jens et lui sont donc bien arrivés à destination, le médecin de Sléttuery les a recueillis après leur chute accidentelle. Alfheidur (les cheveux roux) lui sert à manger. Le gamin doit reprendre des forces et raconter leur fameux voyage.

    Jens, plus mal en point, est décidé à démissionner. Le gamin se souvient qu’il a des livres à acheter – « Où résident le bonheur et la plénitude si ce n’est dans les livres, la poésie et la connaissance ? ». L’Espoir le ramènera chez lui, dans la maison de Geirbrudur, où il recevra l’éducation qu’elle lui a promise. Au mois de mai, hanté par le souvenir des cheveux roux, il court dix kilomètres tous les jours, souvent le soir avant la lecture au salon.

    A cette saison, presque tous sont à la besogne avec le poisson. Mais quelque chose d’inattendu s’est produit en leur absence : Andréa l’attend, elle a quitté Pétur, comme le gamin le lui avait conseillé par écrit. Une lettre a donc ce pouvoir ! « Je m’appartiens », a-t-elle répliqué quand son mari lui a interdit de partir. Elle travaille à la buvette de Geirbrudur, qui l’a prise sous sa protection.

    Gisli, le directeur d’école, enseigne le gamin, comme prévu, et l’interroge. Les réponses de son élève font souvent mouche. Quand il lui demande ce que signifie « se trahir soi-même », le gamin répond : « Ne pas oser. » D’autres questions lui arrivent dans une lettre écrite par Ragnheidur, la fille de Fridrik : « Ton cœur bat-il encore ? Et si oui, comment ? » Elle pense parfois à lui !

    Alors que le riche Fridrik surveille tout et tous (cinq cents personnes travaillent pour lui), Geirbrudur reçoit un capitaine étranger très amoureux d’elle, tout en veillant à ce que le gamin traduise Shakespeare au mieux pour Kolbeinn, le vieux capitaine aveugle qui vit chez elle. « Il y a beaucoup de force dans ce texte » déclare-t-elle quand il leur lit les cinq pages traduites. Le gamin est tout heureux de ce compliment, il a le sentiment d’avoir enfin « accompli quelque chose ».

    Des drames ne manqueront pas de survenir. En outre, les calomnies vont bon train à l’égard de Geirbrudur. Elle monte à présent son cheval à califourchon, on l’accuse de forniquer avec le diable, avec ses longs cheveux noirs comme des ailes de corbeau. Cette maîtresse femme est trop libre pour la plupart des villageois et surtout pour Fridrik, qui veut acquérir son bateau et exige qu’elle se range.

    Le gamin est du côté de sa protectrice et pense avec elle que « nous avons le devoir de vivre debout, on ne saurait vivre autrement ». Fridrik l’a pris en grippe depuis que sa fille a prononcé son nom, il lui interdit d’approcher Ragnheidur avant qu’elle s’en aille à Copenhague. Arrivera-t-il à leur imposer sa loi, comme il le fait avec tous ? Vers laquelle des deux jeunes filles qui le troublent ira ce gamin islandais passionné des mots, d’écriture et de littérature ?

    A rebours du personnage de femme fatale, Geirbrudur est bien la figure phare de la trilogie, « une femme dans un univers d’hommes ». Comme l’écrit Stefansson, c’est elle, cette femme indépendante et généreuse, « qui conduit ces âmes, cette étrange congrégation d’âmes ». A la différence de ceux pour qui « la vie n’est que malheur », elle considère que la vie est difficile, mais qu’il existe des personnes courageuses qui résistent.

    Entre ciel et terre – La tristesse des anges – Le cœur de l’homme : Jon Kalman Stefansson nous fait découvrir l’Islande, son climat, des villages où tout tourne autour de la pêche et du commerce, à travers des personnages bien campés et bien plus nombreux que ceux cités ici. Les hommes y ont plus de pouvoir que les femmes, les enfants y apprennent trop tôt la proximité entre vie et mort. Le cœur bat là aussi pour ce qui dépasse les humains et donne du sens à leur passage sur terre : l’amour de l’autre, le pouvoir des mots, des histoires qui relient les êtres, la beauté qui peut surgir même là où on ne l’attendait pas.

  • Traductions

    Pour Colo   

    Stefansson Le coeur de l'homme.jpg« Les traductions, lui a confié Gisli, il est difficile de dire à quel point elles sont importantes. Elles enrichissent et grandissent l’homme, l’aident à mieux comprendre le monde, à mieux se comprendre lui-même. Une nation qui traduit peu et ne puise sa richesse que dans ses propres pensées a l’esprit étroit, et si elle est nombreuse, elle devient de plus en plus un danger pour les autres car tant de choses lui demeurent étrangères en dehors de ses propres valeurs et coutumes. Les traductions élargissent l’horizon de l’homme et, en même temps, le monde. Elles t’aident à comprendre les peuples lointains. L’homme est moins enclin à la haine, ou à la peur, lorsqu’il comprend l’autre. La compréhension a le pouvoir de sauver l’être humain de lui-même. »

    Jón Kalman Stefánsson, Le cœur de l’homme

    (Une traduction dont je vous parlerai bientôt.)

  • Vieux pommier

    marie gillet,aussitôt que la vie,listes de la colline et au-delà,journal,provence,marche,promenade,nature,observation,réflexion,mémoire,résilience,culture,littérature française,récit« J’avais devant moi une image parfaite du printemps : un magnifique vieux pommier en fleurs au milieu d’un pré d’un vert éclatant. J’étais heureuse de pouvoir éprouver cette joie de le voir et de n’en être point blasée. Cette beauté était là avant que j’arrive et si je n’étais pas venue, elle aurait quand même existé parce qu’elle est une vie en elle-même : les fleurs qui deviendront des fruits, les abeilles butinant pour nourrir leur reine féconde, emportant du pollen ailleurs et tout ce qui va avec, les saisons qui s’écoulent, la pluie, le vent, le soleil, les oiseaux, cette vie à laquelle je n’ai pas d’autre part que la contemplation. J’ai repris la marche mais sans me presser pour l’aller voir de près. Je me suis arrêtée à quelques pas pour le saluer encore, de loin encore, comme on le faisait à la Cour pour le Roi. »

    Marie Gillet, Aussitôt que la vie