Avec La maison, un inédit de Julien Gracq publié cette année, on entre en même temps dans le texte et dans un paysage. Durant l’occupation allemande, le narrateur prenait régulièrement l’autocar pour aller de V… à A… et remarquait à chaque fois « une tache lépreuse au milieu du paysage bocager, une étendue de campagne remarquablement hostile et déserte ».
L’auteur cherche à décrire au plus juste cette sorte de « friche » où son regard était attiré par une « construction inattendue » à trois ou quatre cents mètres de la route, de loin pareille à une villa de plaisance de second ordre, à l’abandon. Une après-midi de novembre fraîche et pluvieuse, une panne de moteur avait immobilisé le car ; l’envie lui était venue d’aller jeter « un simple coup d’œil à la bâtisse » malgré la pluie et le soir qui tombait déjà.
Ce qui fascine, chez Gracq, c’est le style : le choix des mots, leur ordre dans la phrase, le rythme. (Le plan du récit d’abord intitulé « La maison du taillis », puis le premier et le second état du manuscrit reproduits après le texte montrent combien il retravaillait le texte.) Avec le narrateur, on perçoit la lumière qui baisse, les bruits qui rompent le silence, les sensations de la marche dans les taillis « gorgés d’eau » d’où il n’aperçoit plus la maison, la tristesse ressentie qui le transforme en « statue glaiseuse et enfondue de l’écœurement ».
« Sur le fond de mon humeur très sombre, bien plutôt et même avant qu’elle ensoleillât la lande, il se fit tout à coup dans le plein sens du mot une embellie. » Le voilà tout à coup dans « un autre monde », à quelques pas de la maison. L’impression de ruine s’éloigne, la façade paraît « éteinte plutôt que morte ». Malgré l’impression d’abandon, il y guette des signes de vie. A l’arrière, des traces de présence « immédiate et toute proche » le font reculer, par discrétion.
Je n’en dirai pas plus sur la manière dont le récit glisse de la description narrative du début vers autre chose qui se manifeste au visiteur curieux. Comme sous l’effet d’un charme, un « éveil » plutôt qu’un rêve, la maison devient une sorte de théâtre par la magie des choses vues et entendues.
Dans la postface, Maël Guesdon et Marie de Quatrebarbes (à la tête des éditions Corti) rappellent que quatre-vingt-cinq ans séparent la publication d’Au château d’Argol (que je n’ai pas lu) et celle de La maison. Ils voient le texte comme « un pont (…) jeté à travers l’œuvre publiée. » J’ai trop peu lu Gracq pour en juger, mais j’ai apprécié leur fine analyse de ce court récit littéraire, « un concentré lumineux de littérature » comme l’écrit Jean-Philippe Cazier (Diacritik). Merci à celle qui m’a fait la grâce de cette surprise amicale dans ma boîte aux lettres.
Commentaires
Merci pour ce partage qui offre le désir de retrouver Gracq , encore et encore.
Je l'ai trop peu lu, ce qui me laisse beaucoup à découvrir.
Un livre arrivé à la médiathèque, merci d'en parler; de lui j'ai lu Le rivage des syrtes , Lettrines (sans souvenir?) et bien sûr en lisant en écrivant. ^_^
Forcément... Je n'ai lu que "Le rivage des Syrtes", il y a longtemps, je vais me mettre à la recherche de ce titre éponyme :-).
Il y a très longtemps, j'ai ADORE Le rivage des Syrtes, puis un de mes oncles (qui était son dentiste) m'a raconté la vie à Saint- Florent- le- vieil de Julien Gracq qui fut (peu de temps un surréaliste),
Ceux que j'ai lu ensuite m'ont moins plu par exemple, un balcon en forêt) mais je ne pense pas que J.G. fut l'homme d'un seul livre; j'essaierai bien celui- ci.............
Le texte est court, bonne lecture si tu l'abordes.
Merci de satisfaire ma curiosité :-). J'ai longuement hésité pour ce titre, et puis, finalement, je suis partie avec une autre " maison ". Mais je crois que la visite de cette maison de Gracq viendra ( la lecture de " Au château d'Argol " m'attend également.
Ce texte est venu à ma rencontre, Marilyne, tant mieux si voilà ta curiosité satisfaite ;-).
Je n'ai pas lu grand chose de Julien Gracq ; celui-ci est à la bibliothèque ; reste à trouver le temps ...
Le temps des livres a ses chemins propres chez chacune, je le sais bien.
Un auteur que je n'ai pas lu depuis très très longtemps et ta chronique me donne envie de réparer cette erreur. J'en prends note car bien entendu ce ne sera pas pour tout de suite...Merci pour cette chronique
Avec plaisir, Manou. La publication d'un inédit réveille toujours la curiosité.
Bonjour Tania, je suis complètement d'accord avec ton analyse de l'écriture de Gracq. Et merci pour cette découverte, j'étais passée à côté de la parution de cet inédit. Bonne soirée, à bientôt.
Ravie de te retrouver, ici et sur ton blog, à bientôt !
Je l'ai commencé hier soir. Je m'y suis plongée, comme à chaque fois que je lis Julien Gracq qui m'a toujours beaucoup inspirée. C'est un immense écrivain, à découvrir.
Merci, Marie, de m'inciter à le découvrir plus avant. Bonne semaine.
Un petit livre à la couverture d'un vert printanier, des mots si bien choisis, un sens de la description développé... et une mystérieuse demeure : tu nous tiens en haleine ! Je me laisserai volontiers tenter, merci Tania, doux après midi. brigitte
Bonne lecture à venir, Brigitte.
Figure-toi que je n'ai jamais rien lu de Gracq, nada. C'est presque une honte quand je lis ton billet, le connais de réputation mais...comme disait señor Colo ce midi, on ne peut pas tout lire. Je le garde précieusement en mémoire celui-ci, merci beaucoup Tania.
Je relirai "Le rivage des Syrtes", lu trop jeune, il me semble. Je m''en souviens moins que du "Désert des Tartares" de Buzzati auquel je l'associe et qui a probablement recouvert ce souvenir. On ne peut tout lire, effectivement, il y a de la réserve pour toute une vie. Et même davantage ;-).
Le rivage des syrtes reste mon préféré avec Les eaux étroites que tu devrais aimer aussi.
Le rivage des syrtes reste mon préféré avec Les eaux étroites que tu devrais aimer aussi.
Merci pour cet autre titre, Claudialucia, j'en prends note.