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2018

  • Mystère

    marina znamensky,midi pile,littérature française,aphorismes,une lecture.com,blog,les inédits de znamensky,2018,culture,belgique« Je suis invitée à des vernissages où aucune œuvre n’est exposée. Je visite des cathédrales qui n’existent que dans la tête de leurs concepteurs. Je converse avec des gens qui ne me répondent qu’en pensées. J’écris des mots qu’on ne définit dans aucun dictionnaire. Qui est Elyot Vadko ? me demande Elyot Vadko. Un mystère me précède et me suit. »

    Marina Znamensky, Midi pile (25 août 2017)

     

    Spilliaert, Console avec livres et boîtes, personnage vu de dos (1907)

  • A midi pile

    Midi pile de Marina Znamensky, publié en 2018, est un livre original : et le contenu et l’objet sont inattendus. Commençons par celui-ci, pour une fois. Une couverture noire, un élastique pour le tenir fermé, à la manière des carnets moleskine, deux rubans signets rouges. L’image sur le bandeau blanc porte à confusion, et c’est heureux. J’y ai vu le pictogramme d’un bouton d’allumage avant de découvrir le titre, c’est aussi la position de l’aiguille d’une horloge à midi. A l’intérieur, la mise en page est particulière, je ne vous dis pas tout (une réalisation dans le cadre d’études graphiques, signale le colophon final).

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    « Reflets de l’âme et joutes de neurones ». En janvier 2015, Marina Znamensky a donné rendez-vous à midi pile tous les jours sur son blog www.unelecture.com et ce « livre papier » en résulte, né du passage « de la page virtuelle au feuillet tactile ». Semaine après semaine, du lundi au vendredi, une note brève. La première : « Je veux écrire de la matière vivante, me dicte mon corps. Du coup, je me fais un sang d’encre. » Une réflexion, une sensation – à chaque jour suffisent quelques mots, trois lignes ou moins, ou un peu plus. Une femme écrit ce qui lui passe par la tête, le cœur, le corps. Les mots sont à la fête, elle aime en jouer.

    « Qui dit tout ne dit rien. Qui ne dit rien dit tout. C’est vraiment difficile de faire la part des choses. » En lisant Midi pile, j’ai parfois pensé aux aphorismes de Scutenaire dans Mes inscriptions (un livre que je ne retrouve pas, hélas, dans ma bibliothèque). Certains de ces aphorismes font mouche, d’autres pas. C’est à lire en prenant son temps – une page par jour suffit quand elle nous parle ; on s’y arrête, on médite.

    Dans la même semaine (février 2015), deux façons de parler du matin illustrent la variété de l’exercice. Le mercredi : « J’en ai assez de me lever tôt, s’est exclamé le matin. » Le vendredi : « Je tente chaque matin de saisir une chose abstraite. Sans succès, bien entendu. J’ai beau mettre des gants et leur proposer un café, les choses abstraites refusent de parlotter. »

    Marina Znamensky prend certains jours de la hauteur, à d’autres elle est plus terre à terre. Ceci m’a fait penser à Sagesse de l’herbe d’Anne Le Maître (qui vient de publier Tous les jours l’été) : « Il existe plusieurs façons d’observer le monde. L’une d’elles se niche en bordure des champs cultivés. Dans les prairies fleuries et les jardins sauvages. Quand les coquelicots dansent, c’est la terre qui rougit. » Et aussi celui-ci, peut-être : « Le chat s’endort et avec lui, la pluie. »

    Les jeux de mots fertiles abondent : « J’ai oublié les mots pour décrire l’inoubliable. » Ou des pirouettes : « Nuit d’insomnie : impossible de digérer le croissant – de lune. » Des images pleines d’humour : « Ils se promenaient dans la ville avec de charmantes automobiles qui les tenaient en laisse. » Et des questions-réponses en tous genres :
    « La liberté ? Le jour est venu et le rêve est passé. »
    « Une maison ? C’est plein de tuiles sur la tête ! »
    « Vous dites ? Je médite. »

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    Photos WAW

    Des conseils sont à la première personne du pluriel : « De toutes les humeurs croisées en chemin, choisissons la bonne. » Ou encore « Cessons d’exister, on vivrait enfin ! » Le ton passe du léger au grave, de l’inquiétude au rire, comme dans la vie. J’ai acquiescé à une définition : « Chaque promenade est un voyage minuscule, une odyssée de l’instant. » Je me suis arrêtée longuement sur cette réflexion magnifique : « Tout ce qu’on perd s’est en réalité écarté de nous. »

    Qu’est-ce qu’une note ? me suis-je demandé en préparant celle-ci : une marque, un texte, une appréciation, un signe de musique, un message, un souvenir… Midi pile est le blog-notes d’une passagère du temps qui donne des ailes, elle, à l’instant. On y croise toutes sortes d’animaux, le zèbre assez souvent, graphique à souhait avec ses lignes en noir et blanc. Les rêves y ont une bonne part.

    On navigue ici entre bonheur de vivre et désespoir du peintre : « Les bleus du ciel et ceux de l’océan se mélangeaient. Le peintre s’acharnait sur la toile. Il voulait les retenir, il n’y parvenait pas. Les bleus le traversaient comme seul, un air de musique peut le faire et puis ils s’enfuyaient en rougissant. »

    Le site de Marina Znamensky, actuellement en transformation, renseigne d’autres titres, textes et haïkus, ainsi que des publications numériques. Je n’y ai pas trouvé d’information biographique. La Toile renseigne un autre titre à la tonalité fort différente. Le WAW, ou « White Art Walk » de Rixensart, Genval et Rosières, mentionne sa participation à ce parcours d’artistes dans le Brabant wallon, mais son site semble également indisponible en ce moment.

    « Les inédits de Znamensky » se sont fixé un cap, clairement indiqué au début du livre et sur le blog : « Un texte court pour un interlude de lecture ».

    * * *

    P.-S. Marina Znamensky m’apprend par courriel que la deuxième édition de Midi Pile est presque épuisée. Comme le blog « une lecture » va disparaître de la Toile dans quelques jours, pour se procurer ce livre, le mieux est de me contacter via T&P pour obtenir son adresse personnelle.
    (31/7/2018)

  • Vision

    werk ohne autor,film,florian henckel von donnersmarck,2018,allemagne,histoire,nazisme,art,création,peinture,apprentissage,amour,cinéma,culture« Ne détourne pas le regard, tout ce qui est vrai est beau. »

    [Elisabeth au petit Kurt Barnert] 

    « Le cinéma de Florian Henckel von Donnersmarck a quelque chose de sensible, de beau, de vrai. Onze ans après son Oscar pour La vie des autres, le réalisateur allemand prouve une fois encore son talent et sa vision avec Werk ohne Autor, qui parle tant de la société que de l’art et de la vie. »

    Gaëlle Moury, Werk ohne Autor Un grand film beau, fort et émouvant (Le Soir)

  • Werk ohne Autor

    D’emblée, je l’écris : Werk ohne Autor de Florian Henckel Von Donnersmarck (2018) est un film à ne pas manquer. Long (trois heures) mais sans longueurs, intense de bout en bout, rythmé, avec des acteurs admirables et Tom Schilling en premier, d’une présence si forte dans le rôle d’un jeune artiste peintre pris malgré lui dans la trame de l’histoire allemande, de la fin des années 1930 aux années 50.

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    Kurt (Tom Schilling) au chevalet (Cinebel)

    1937. Le petit Kurt tient la main de sa tante Elisabeth (Saskia Rosendahl) pour visiter l’exposition d’art « dégénéré » à Berlin, où le guide tient des propos édifiants (cela m’a rappelé l’exposition 21 rue La Boétie). En disant au gamin, devant un Kandinsky, qu’il pourrait bien en faire autant et que personne ne lui donnerait d’argent en échange, il ne se doute pas qu’une vocation est en train de naître chez le petit garçon à qui Elisabeth apprend à « regarder » vraiment (la peinture moderne lui plaît, mais il ne faut pas le dire).

    Cette séquence initiale ouvre tous les axes du film : l’art, la liberté de créer, la lourdeur de l’idéologie, l’amour entre Kurt et sa jeune tante, les pensées à garder secrètes quand l’absence de liberté d’expression enjoint au silence. Aux mots qu’il ne faut pas dire en public va répondre un concert de klaxons grandiose déclenché par Elisabeth, avec la complicité des chauffeurs d’autobus.

    La fantasque Elisabeth initie Kurt à la beauté, lui apprend à ne pas détourner les yeux de ce qui est vrai, jusqu’à se mettre toute nue pour jouer au piano. Choquée, sa mère l’emmène chez le médecin, un gynécologue renommé. Mal lui en a pris, elle le comprend trop tard. Le professeur Seeband (Sebastian Koch) est aussi un officier SS responsable d’une campagne de stérilisation ; on tremble pour Elisabeth quand on le voit saisir le formulaire où inscrire « - » pour l’internement, « + » pour l’élimination.

    Le père de Kurt, un enseignant, a refusé d’adhérer au parti national-socialiste, ce qui lui a valu d’être écarté ; il ne trouve plus qu’un emploi de nettoyeur. Avec la guerre, les conditions de vie deviennent de plus en plus précaires pour les civils. Le jeune Kurt et sa famille assistent de loin aux bombardements qui détruisent la ville de Dresde. Comme Elisabeth le lui a appris, Kurt ne détourne pas les yeux.

    Après la guerre, l’URSS victorieuse impose une nouvelle idéologie en Allemagne de l’Est. Le garçon qui aime dessiner s’inscrit à l’académie, où on respecte à présent un nouveau code esthétique : le réalisme soviétique. Les qualités de Kurt le font remarquer, le maître l’apprécie tout en enseignant la méfiance totale à l’égard des nouveaux courants artistiques occidentaux où règne, selon lui, le détestable moi : « Ich, Ich, Ich ». (L’acteur Tom Schilling, qui a grandi en Allemagne de l’Est, voulait d’abord devenir peintre.)

    A l’atelier de couture, Kurt fait la connaissance d’une belle jeune femme, elle s’appelle Elisabeth comme sa tante qu’il aimait. Quand elle accepte de se promener avec lui, Kurt lui demande s’il peut l’appeler autrement – ce sera « Ellie », le petit nom que lui donne son père. En tombant amoureux d’elle, Kurt ignore de qui Ellie (Paula Beer) est la fille. Dans la grande maison de ses parents, la seule de la rue épargnée par les bombes, le passé, la guerre vont leur retomber dessus.

    Aussi le jeune couple saisit l’occasion de passer à l’Ouest, juste avant la construction du Mur de Berlin. Kurt choisit d’aller à Düsseldorf, réputée pour son avant-gardisme. Il y obtient une chambre d’étudiant et un atelier. Là, peindre est une pratique dépassée aux yeux des jeunes créateurs qu’il fréquente. Ce qui compte, c’est « l’idée », le choc de la nouveauté, la rupture avec les conventions. Le directeur de l’Institut (Oliver Masucci) en donne l’exemple, un beau personnage inspiré par Joseph Beuys, comme Kurt Barnert l’est, très librement, par Gerhard Richter.

    Ne manquez pas Werk ohne Autor, film d’une richesse peu commune, drame familial, fresque sur l’Allemagne de ces années terribles, histoire d’amour. Je m’en voudrais de dévoiler davantage l’intrigue, plus dure et plus tendre que vous ne l’imaginez. Sebastian Koch y joue un personnage-clé, le père d’Ellie, à l’opposé de son rôle de dramaturge surveillé par la Stasi dans La vie des autres (Film européen de l’année en 2006, Oscar du meilleur film étranger en 2007).

    Florian Henckel von Donnersmarck sait raconter, émouvoir, inquiéter, faire réfléchir. J’ai beaucoup aimé ce film captivant sur les débuts, les désirs et les doutes d’un artiste qui peint sans se considérer comme l’auteur de son œuvre. Le flou utilisé par moments invite à regarder mieux. Il est rare que le cinéma interroge ainsi la création artistique.

     

  • Un air frais

    de renoir à picasso,regard sur une donation,boncompain et les grands maîtres,expo,montélimar,2018,peinture,céramiques,tapisseries,mac,château des adhémar,culture,estampes japonaises,utagawa kunisada« Il y a dans les estampes japonaises un art des cadrages, de la distribution de la tache dans l’espace de la feuille, une absence de perspective, une vision frontale qui est le propre de l’art moderne, une synthèse colorée, décorative, qui lie figures et paysages, un sens de l’arabesque, qui apportèrent un air frais et nouveau dans la peinture, dont l’influence s’étend des impressionnistes jusqu’à Rodin, Matisse, Klimt ou même Viallat, et qui rejoignent en partie l’objet de mes préoccupations. »

    Pierre Boncompain

    Catalogue De Renoir à Picasso, Regard sur une donation, MAC Saint-Martin, Château des Adhémar, Montélimar, 2018.

    Utagawa Kunisada, Sawamura Tosshô I (gauche) et Iwai Tojaku I (droite)
    dans la pièce "Sono mukashi koi no edozome" 
    au théâtre Kawarazaki (1839),
    Xylographie en couleurs - diptyque.