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Société - Page 94

  • Utilité de l'inutile

    Voici un livre à offrir, à s’offrir, à faire lire : L’utilité de l’inutile (2013), le « Manifeste » de Nuccio Ordine, professeur d’université, réédité par Les Belles Lettres en 2014 (traduit de l’italien par Luc Hersant, nouvelle édition augmentée, 11 €). Pour expliciter son titre, l’essayiste définit le terme « utile » non comme on l’entend souvent à notre époque « utilitaire », mais dans son acception humaniste : « tout ce qui nous aide à devenir meilleurs ».

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    C’est en ce sens que les savoirs, en particulier certains savoirs qui sont « par nature gratuits, désintéressés », forment l’esprit et contribuent à la civilisation. « Mais la logique du profit mine, en leurs fondements mêmes, ces institutions (écoles, universités, centres de recherche, laboratoires, musées, bibliothèques, archives) et ces disciplines (humanistes et scientifiques) dont la valeur ne devrait résider que dans le savoir pour le savoir, indépendamment de toute capacité de produire des rendements immédiats et pratiques. »

    Pour Ordine, tout n’est pas permis même en temps de crise économique « où l’obsession budgétaire (…) constitue l’unique thème à l’ordre du jour. » Il souligne les effets pervers des mesures d’austérité qui affaiblissent les classes moyennes, sans s’attaquer à la corruption galopante ni aux rémunérations fabuleuses. Il serait stupide de ne pas s’attaquer aux déficits, mais on ne peut détruire systématiquement « toute forme d’humanité et de solidarité ». A force de ne plus voir le monde que comme un marché, on risque de voir disparaître progressivement « toute forme de respect envers les personnes. »

    Après cette introduction sur les principes, l’essai se décline en trois parties, auxquelles l’auteur a joint un petit essai qu’on lui a signalé après coup : De l’utilité du savoir inutile (1939) d’Abraham Flexner, un pédagogue américain. Je ne sais si je résisterai à l’envie de vous en recopier les premiers paragraphes qu’on croirait écrits exactement pour notre temps. J’y reviendrai.

    Notre besoin de l’inutile, Ionesco l’a exprimé ainsi : « La poésie, le besoin d’imaginer, de créer, est aussi fondamental que celui de respirer. Respirer, c’est vivre, et non pas s’évader de la vie. » (Notes et contre-notes) L’art est si indispensable que, paradoxalement, les barbares et les fanatiques s’acharnent « non pas seulement sur les êtres humains, mais aussi contre les bibliothèques et les œuvres d’art, contre les monuments et les chefs-d’œuvre. »

    La littérature se révèle comme un antidote à la « barbarie de l’utilité », en prenant appui sur la gratuité et le désintéressement, « ces deux valeurs aujourd’hui jugées intempestives et démodées ». Nuccio Ordine a eu la bonne idée de laisser démontrer « l’utile inutilité de la littérature » par les écrivains et les philosophes eux-mêmes, plus d’une vingtaine, de toutes les époques et dans toutes les langues, qu’il convoque tour à tour et cite abondamment. Déjà Aristote définissait la liberté de philosopher par  le « refus d’être l’esclave de l’utile ».

    Puis l’essai dénonce la situation actuelle de l’« université-entreprise » et de ses « étudiants-clients ». Il constate le désengagement des Etats européens par rapport aux universités – pour réduire les coûts, on abaisse le niveau d’exigence, on diplôme davantage « dans les délais ». Par ailleurs, la disparition des filières liées aux langues classiques se profile et « dans les quelques décennies à venir, quand on verra partir à la retraite les derniers philologues, les derniers paléographes et les derniers spécialistes des langues du passé, il faudra fermer les bibliothèques et les musées, et même renoncer aux fouilles archéologiques et à la reconstitution des textes et des documents. »

    La lecture d’extraits dans les anthologies et non des œuvres intégrales, l’enseignement sans passion pour la connaissance ni vocation pour la transmettre, réduit à des routines et des objectifs « simplement utilitaires », la fermeture de bibliothèques menacées par une logique marchande, ce sont d’autres exemples de cet abandon de l’inutile pourtant utile, contre lesquels l’auteur s’insurge.

    Il faut donc combattre cette dérive utilitariste, qui n’épargne pas les sciences. Là aussi, Ordine le montre, la recherche apparemment « inutile » peut se révéler utile a posteriori, c’est pourquoi il appelle à préserver la recherche fondamentale. « Car saboter la culture et l’instruction, c’est saboter le futur de l’humanité ». Pour conclure la deuxième partie de son essai, l’auteur cite une phrase lue dans une bibliothèque de manuscrits au cœur d’une oasis saharienne : « La connaissance est une richesse qu’on peut donner sans s’appauvrir. »

    « Posséder tue : dignitas hominis, amour, vérité », c’est le troisième thème de L’utilité de l’inutile. Nuccio Ordine y donne la parole aux classiques qui, comme Montaigne (« C’est le jouir, non le posséder, qui nous rend heureux »), dénoncent l’illusion de la richesse et la prostitution de la sagesse pour définir la dignité humaine. L’amour ne se confond pas avec la possession, il se donne. La vérité ne se possède pas, elle se cherche. Au nom de la vérité absolue, que de violences, que de souffrances infligées aux autres ! « En effet, celui qui est sûr de détenir la vérité n’a plus besoin de la chercher, il ne ressent plus la nécessité de dialoguer, d’écouter l’autre, de se confronter authentiquement à la variété du multiple. Seul celui qui aime la vérité peut la rechercher constamment. »

    L’utilité de l’inutile est un livre qui donne envie de lire plus avant – sa bibliographie compte près de trente pages. Dans la foulée de son succès international (l’essai est traduit en dix-huit langues), Nuccio Ordine a publié en 2015 Une année avec les Classiques, « une petite bibliothèque idéale ». Je ne sais plus quel blog a attiré mon attention sur le Manifeste de Nuccio Ordine, merci en tout cas de me l’avoir fait connaître.

  • Modernité

    2050,une brève histoire de l'avenir,exposition,bruxelles,mrbab,attali,art contemporain,société,futur,culture« Ici, l’homme ne se bat pas avec Dieu, il ne veut pas monter jusqu’au ciel pour l’égaler, mais cherche à réduire la nature, arraisonnée par la technique, comme le dirait Heidegger. Des autoroutes, des rails, des immeubles accrochés à flanc de colline, une usine dominent les nuages. L’orgueil humain tient à la volonté de conquérir et de dominer la nature, ce que des auteurs comme Hannah Arendt tiennent pour l’essence même de la modernité. Mais l’infini que l’espèce humaine cherche à atteindre est moins vertical qu’horizontal. L’homme ne grimpe pas vers le ciel, mais il avance. Il ne construit pas une tour, mais il marche. Si la vidéo de Yang Yongliang prolonge Babel, elle offre une vision non monothéiste de ce mythe qui repose sur l’existence d’un ordre divin que les hommes contestent en érigeant une tour. La réponse divine, qui est presque celle d’un Dieu nihiliste, est alors de créer du désordre. Un désordre que l’on retrouve dans cette civilisation urbaine qui détruit, à coup de pelleteuses, le cadre naturel. On retrouve la dialectique de l’ordre et du désordre dans cette œuvre dont l’harmonie est absente, qui met en scène une folie, une fuite en avant. De sombres et gigantesques montagnes d’immeubles surplombent à l’infini des mégalopoles en proie à la démesure et à la déraison. L’artiste étant chinois, il faut toutefois se demander si sa critique porte sur la civilisation urbaine en général ou bien sur la manière dont la civilisation matérielle se développe dans le contexte spécifique de la Chine. »

    Pierre Bouretz, Babel nous joue des tours
    (Philosophie magazine, n° 60, juin 2012)  
      

    Photo :  © Yang Yongliang, Infinite Landscape, Galerie Paris-Beijing (extrait de la vidéo) 
    "2050 Une brève histoire de l'avenir", MRBAB, Bruxelles

    Source du texte : http://folieetespoirblog.eklablog.com/orgueil-et-folie-c25598794

     

  • 2050 Brève histoire

    « 2050 Une brève histoire de l’avenir » : l’exposition est ouverte depuis deux mois aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (avec un complément au Louvre, les MRBAB ayant pris le relais du Palais de Tokyo qui a dû renoncer au projet). Quelle est donc cette version du futur selon Jacques Attali, dont je n’ai pas lu le livre ? Au début du parcours, le visiteur est invité (en trois langues) à créer son propre guide : une plaquette, un lien passant, où superposer les feuilles d’explications à prélever dans chaque salle (source des citations ci-dessous). Allons-y.

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    Deux petites sculptures sous verre font signe, sans légende sur le socle ni même le nom de l’artiste, seulement un numéro et un logo « smartphone » à lire comme un code QR – si vous en avez un, vous chargez l’application au départ, vous donnez votre adresse électronique et… Et rien, cela ne fonctionne pas : encore faut-il que votre téléphone soit d’un certain type, ce n’est pas le cas du mien. Et dire qu’un peu plus loin, le microprocesseur devenu « emblème de la révolution technologique contemporaine » prend place dans la « contestation du leadership américain dans le monde ».

    Voilà qui frustre et interpelle : ni étiquetage des œuvres, ni audioguide. Heureusement il reste les textes d’accompagnement à détacher de leur pile (n’oubliez pas vos lunettes). Au verso de l’introduction, voici les légendes 1 et 2 (ci-dessous) : « Vénus de Galgenberg » (36.000 avant J.C.) et « Fragile Goddess » de Louise Bourgeois (2002). La figurine en serpentine a longtemps été considérée comme la plus ancienne représentation d’une divinité féminine (la « Vénus de Hohle Fels » a pris cette place). Avec la déesse en textile dotée d’attributs féminins et masculins, elle renvoie « au rêve ancestral d’immortalité ».

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    Vénus de Galgenberg / Fragile Goddess © Louise Bourgeois 

    Du passé au présent, en route pour le futur. « Peintures, sculptures, photographies, vidéos, installations et arts numériques : plus de 70 œuvres d’art contemporain interrogent notre avenir, à l’horizon 2050 », annonce le site de l’exposition. Jacques Attali voit l’avenir du monde en cinq vagues : « 1. Un déclin relatif de l’Empire américain, 2. Un monde polycentrique, 3. L’hyper empire, 4. L’hyper conflit, 5. L’hyper démocratie » (si l’humanité survit à la quatrième vague !) Ce seront les étapes du parcours.

    Los Angeles, « 9e cœur » de l’Ordre marchand né au Moyen Age en Europe (après Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New York), est le thème de la première salle. Un court-métrage présente « Metropolis II » de Chris Burden, « grande sculpture cinétique » d’une ville dense et compacte où circulent « 1100 voitures électriques miniatures » entre les buildings – « la frénésie étourdissante d’une capitale du XXIe siècle ». La maquette « Mexicalichina » de Tracey Snelling (ci-dessous) montre un déglingué par contraste très humain, plus en tout cas que les champs de pétrole où s’alignent des puits de forage (photographies d’Edward Burtynsky). « Random war » (1967) de Charles Csuri & James Shaffer, une des premières œuvres générées par ordinateur, montre la guerre entre soldats de plomb, les rouges contre les noirs, positionnés de manière aléatoire.

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    © Tracey Snelling, Mexicalichina, 2011

    Une grande photo noir et blanc de Hiroshi Sugimoto, « World Trade Center » (1997), où les silhouettes des tours jumelles sont floues, incarne ici le début du déclin de la puissance américaine. Plusieurs artistes questionnent l’état du monde à partir d’un planisphère ou des drapeaux nationaux (Alighiero Boetti, Mona Hatoum, Jennifer Brial, Sara Rahbar, entre autres).

    Maarten Vanden Eynde s’est procuré un échantillon du « continent de plastique » formé par les déchets dans l’océan : « Plastic Reef » gît sur le sol, sous une œuvre numérique d’Olga Kisseleva, « Artic Conquistadors », où la carte de l’Arctique se couvre de logos des compagnies multinationales. « Fleur de Lys » (2009), une installation signée HeHe (Helen Evans & Heiko Hansen) attire le regard un peu plus loin (ci-dessous) : de la fumée s’échappe d’une tour de réfrigération, illustration de notre planète polluée, menacée par le risque nucléaire, en jaune et vert fluo. « Le titre renvoie à la France et à sa forte dépendance énergétique vis-à-vis du nucléaire. »

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    ©
    HeHe, Fleur de Lys (détail tiré du catalogue)

    Une vidéo de Yang Yongliang montre une vision asiatique du monde produit par l’hyperconsommation. Une autre, de Michal Rovner, réduit le mouvement humain filmé de très haut à une sorte de grouillement bactériologique vu sous un microscope. Aux trois sanctuaires réalisés à partir d’armes et de munitions (Al Farrow) et autres œuvres sur « l’hyper conflit » répond (peut-être) un triptyque photographique, trois portraits d’un enfant noir tenant une arme, en prière, devant un globe terrestre. Marie-Jo Lafontaine lui a donné pour titre « La guerre, la religion, le rêve ».

    Un peu d’optimisme, à la fin du parcours, avec « Utopies » : « un ordre démocratique, harmonieux et durable, fondé sur l’altruisme ». Image du ciel étoilé (Thomas Ruff), slogans de Mark Titchner  voisinent avec une maquette monumentale (plus de trois mètres) de Bodys Isek Kingelez, « Kimbembele Ihunga » (1994). Ses architectures fantaisistes et colorées illustrent une « vision futuriste et utopique de la métropole africaine tentaculaire et anarchique » (ci-dessous).

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    © Mark Titchner, Let the future… / © Bodys Isek Kingelez, Kimbembele Ihunga (détail)

    Vous l’avez compris, cette exposition qui nous interroge sur nos responsabilités quant à l’avenir du monde ne se donne pas immédiatement. « 2050 Une brève histoire de l’avenir » exige beaucoup du visiteur et je regrette le manque d’indications explicites, même si « l’absence de cartels à côté des œuvres (qui souvent parlent d’elles-mêmes) est un choix assumé pour laisser le visiteur les regarder et les interpréter librement. » (L’agora des arts). En lisant les textes chez moi, plus à mon aise (il faut aussi trouver un spot bien orienté pour pouvoir les lire sur place), je me suis davantage intéressée à certaines œuvres. A mes yeux, la présentation générale est ambivalente : montrées sans commentaire, ces réalisations laissent les visiteurs en tête à tête avec les artistes, oui, mais leur regroupement les réduit au rôle d’illustrations, au service du discours qui leur sert de fil conducteur, et limite ainsi leur portée.

    L’art contemporain déplace le cœur de l’art : ici reflet de nos inquiétudes, il dénonce, questionne, bouleverse les codes de l’esthétique. A la fin du parcours, des reproductions colorées de la figurine de Stratzing imprimées en 3D évoquent de nouvelles possibilités dans le domaine de la santé et des « objets muséaux ». Par exemple, « Anke », une sculpture de Hans Op de Beeck a été partiellement réalisée grâce à cette technique – une figure féminine classique, avec une prothèse à la place du bras gauche.

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    © Yinka Shonibare MBE, Space Walk, 2002 / Forum des MRBAB / Photo La Libre Belgique

    Enfin, si vous n’avez pas levé les yeux en entrant dans le forum du musée, faites-le en sortant : deux astronautes s’y promènent dans l’air : Yinka Shonibare MBE les a habillés de tissus inspirés des batiks javanais vendus en Afrique subsaharienne. « Il laisse ainsi lui aussi entrevoir un autre monde possible. Un monde où le continent africain serait suffisamment puissant pour partir à la conquête de la lune. »

  • Largeur de vue

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    © http://www.largeur.com/

    « Edité par l’agence de presse LargeNetwork, le magazine en ligne Largeur.com est diffusé uniquement sur internet. Il est publié chaque jour depuis 1999, ce qui fait de lui l’un des plus anciens titres de la presse en ligne.

    Sa devise : « Largeur de vue, largeur d’esprit ». Ses articles sont écrits par des journalistes professionnels et couvrent tous les aspects de l’actualité, avec une préférence pour les sujets inédits et les regards originaux. »

     

  • Traduit de Flandre

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    Tandis que Mina et Marilyne continuent leur fidèle chronique mensuelle « d’un blog à l’autre », j’ai choisi de vous présenter, durant mes deux semaines de vacances, quelques sites que j’aime consulter. J’espère que l’un ou l’autre sera pour vous une découverte. La description est le plus souvent issue de leur rubrique « A propos ».
    Bonne quinzaine, d’un site à l’autre. Et si vous en avez envie, écrivez ici ce que vous en pensez, j’aurai le plaisir de vous lire à mon retour.

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    © http://daardaar.be/

    « En novembre 2014, notre équipe, constituée de Vincent Laborderie, Joyce Azar et David Charlier, décide de lancer DaarDaar. Nous sommes partis d’un constat étonnant mais réel : il n’existe en Belgique aucun canal d’information permettant d’avoir accès, en français, à ce qui fait débat dans les médias du Nord du pays. L’idée était lancée. L’objectif est de permettre au public francophone de mieux comprendre ce qui occupe les Flamands en lui offrant des traductions quotidiennes des meilleurs articles et éditoriaux de Flandre. »

    (Je précise qu’en néerlandais, « daar » signifie « là, là-bas », ici joliment fusionné avec « dare-dare ».)