« 2050 Une brève histoire de l’avenir » : l’exposition est ouverte depuis deux mois aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (avec un complément au Louvre, les MRBAB ayant pris le relais du Palais de Tokyo qui a dû renoncer au projet). Quelle est donc cette version du futur selon Jacques Attali, dont je n’ai pas lu le livre ? Au début du parcours, le visiteur est invité (en trois langues) à créer son propre guide : une plaquette, un lien passant, où superposer les feuilles d’explications à prélever dans chaque salle (source des citations ci-dessous). Allons-y.
Deux petites sculptures sous verre font signe, sans légende sur le socle ni même le nom de l’artiste, seulement un numéro et un logo « smartphone » à lire comme un code QR – si vous en avez un, vous chargez l’application au départ, vous donnez votre adresse électronique et… Et rien, cela ne fonctionne pas : encore faut-il que votre téléphone soit d’un certain type, ce n’est pas le cas du mien. Et dire qu’un peu plus loin, le microprocesseur devenu « emblème de la révolution technologique contemporaine » prend place dans la « contestation du leadership américain dans le monde ».
Voilà qui frustre et interpelle : ni étiquetage des œuvres, ni audioguide. Heureusement il reste les textes d’accompagnement à détacher de leur pile (n’oubliez pas vos lunettes). Au verso de l’introduction, voici les légendes 1 et 2 (ci-dessous) : « Vénus de Galgenberg » (36.000 avant J.C.) et « Fragile Goddess » de Louise Bourgeois (2002). La figurine en serpentine a longtemps été considérée comme la plus ancienne représentation d’une divinité féminine (la « Vénus de Hohle Fels » a pris cette place). Avec la déesse en textile dotée d’attributs féminins et masculins, elle renvoie « au rêve ancestral d’immortalité ».
Vénus de Galgenberg / Fragile Goddess © Louise Bourgeois
Du passé au présent, en route pour le futur. « Peintures, sculptures, photographies, vidéos, installations et arts numériques : plus de 70 œuvres d’art contemporain interrogent notre avenir, à l’horizon 2050 », annonce le site de l’exposition. Jacques Attali voit l’avenir du monde en cinq vagues : « 1. Un déclin relatif de l’Empire américain, 2. Un monde polycentrique, 3. L’hyper empire, 4. L’hyper conflit, 5. L’hyper démocratie » (si l’humanité survit à la quatrième vague !) Ce seront les étapes du parcours.
Los Angeles, « 9e cœur » de l’Ordre marchand né au Moyen Age en Europe (après Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New York), est le thème de la première salle. Un court-métrage présente « Metropolis II » de Chris Burden, « grande sculpture cinétique » d’une ville dense et compacte où circulent « 1100 voitures électriques miniatures » entre les buildings – « la frénésie étourdissante d’une capitale du XXIe siècle ». La maquette « Mexicalichina » de Tracey Snelling (ci-dessous) montre un déglingué par contraste très humain, plus en tout cas que les champs de pétrole où s’alignent des puits de forage (photographies d’Edward Burtynsky). « Random war » (1967) de Charles Csuri & James Shaffer, une des premières œuvres générées par ordinateur, montre la guerre entre soldats de plomb, les rouges contre les noirs, positionnés de manière aléatoire.
© Tracey Snelling, Mexicalichina, 2011
Une grande photo noir et blanc de Hiroshi Sugimoto, « World Trade Center » (1997), où les silhouettes des tours jumelles sont floues, incarne ici le début du déclin de la puissance américaine. Plusieurs artistes questionnent l’état du monde à partir d’un planisphère ou des drapeaux nationaux (Alighiero Boetti, Mona Hatoum, Jennifer Brial, Sara Rahbar, entre autres).
Maarten Vanden Eynde s’est procuré un échantillon du « continent de plastique » formé par les déchets dans l’océan : « Plastic Reef » gît sur le sol, sous une œuvre numérique d’Olga Kisseleva, « Artic Conquistadors », où la carte de l’Arctique se couvre de logos des compagnies multinationales. « Fleur de Lys » (2009), une installation signée HeHe (Helen Evans & Heiko Hansen) attire le regard un peu plus loin (ci-dessous) : de la fumée s’échappe d’une tour de réfrigération, illustration de notre planète polluée, menacée par le risque nucléaire, en jaune et vert fluo. « Le titre renvoie à la France et à sa forte dépendance énergétique vis-à-vis du nucléaire. »
© HeHe, Fleur de Lys (détail tiré du catalogue)
Une vidéo de Yang Yongliang montre une vision asiatique du monde produit par l’hyperconsommation. Une autre, de Michal Rovner, réduit le mouvement humain filmé de très haut à une sorte de grouillement bactériologique vu sous un microscope. Aux trois sanctuaires réalisés à partir d’armes et de munitions (Al Farrow) et autres œuvres sur « l’hyper conflit » répond (peut-être) un triptyque photographique, trois portraits d’un enfant noir tenant une arme, en prière, devant un globe terrestre. Marie-Jo Lafontaine lui a donné pour titre « La guerre, la religion, le rêve ».
Un peu d’optimisme, à la fin du parcours, avec « Utopies » : « un ordre démocratique, harmonieux et durable, fondé sur l’altruisme ». Image du ciel étoilé (Thomas Ruff), slogans de Mark Titchner voisinent avec une maquette monumentale (plus de trois mètres) de Bodys Isek Kingelez, « Kimbembele Ihunga » (1994). Ses architectures fantaisistes et colorées illustrent une « vision futuriste et utopique de la métropole africaine tentaculaire et anarchique » (ci-dessous).
© Mark Titchner, Let the future… / © Bodys Isek Kingelez, Kimbembele Ihunga (détail)
Vous l’avez compris, cette exposition qui nous interroge sur nos responsabilités quant à l’avenir du monde ne se donne pas immédiatement. « 2050 Une brève histoire de l’avenir » exige beaucoup du visiteur et je regrette le manque d’indications explicites, même si « l’absence de cartels à côté des œuvres (qui souvent parlent d’elles-mêmes) est un choix assumé pour laisser le visiteur les regarder et les interpréter librement. » (L’agora des arts). En lisant les textes chez moi, plus à mon aise (il faut aussi trouver un spot bien orienté pour pouvoir les lire sur place), je me suis davantage intéressée à certaines œuvres. A mes yeux, la présentation générale est ambivalente : montrées sans commentaire, ces réalisations laissent les visiteurs en tête à tête avec les artistes, oui, mais leur regroupement les réduit au rôle d’illustrations, au service du discours qui leur sert de fil conducteur, et limite ainsi leur portée.
L’art contemporain déplace le cœur de l’art : ici reflet de nos inquiétudes, il dénonce, questionne, bouleverse les codes de l’esthétique. A la fin du parcours, des reproductions colorées de la figurine de Stratzing imprimées en 3D évoquent de nouvelles possibilités dans le domaine de la santé et des « objets muséaux ». Par exemple, « Anke », une sculpture de Hans Op de Beeck a été partiellement réalisée grâce à cette technique – une figure féminine classique, avec une prothèse à la place du bras gauche.
© Yinka Shonibare MBE, Space Walk, 2002 / Forum des MRBAB / Photo La Libre Belgique
Enfin, si vous n’avez pas levé les yeux en entrant dans le forum du musée, faites-le en sortant : deux astronautes s’y promènent dans l’air : Yinka Shonibare MBE les a habillés de tissus inspirés des batiks javanais vendus en Afrique subsaharienne. « Il laisse ainsi lui aussi entrevoir un autre monde possible. Un monde où le continent africain serait suffisamment puissant pour partir à la conquête de la lune. »