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Littérature

  • Quatre femmes

    claire huynen,les femmes de louxor,roman,littérature française,prix rossel,egypte,mariage,tourisme amoureux,polygamie,amour,culture,choix,extrait« Quatre femmes. Il m’a dit j’ai droit à quatre femmes. Puis il a ri. C’est toi que j’aime, tu le sais, je ne veux pas de quatre femmes, mais c’est comme ça ici, un homme peut avoir quatre femmes. Je ne savais rien de cela. Je me suis sentie idiote, bête de ne pas savoir, de n’avoir pas pensé à ça, de ne pas m’être renseignée, d’avoir épousé un homme qui pouvait avoir quatre femmes. Enfin trois autres. Je ne savais que mon amour, l’élan comme un impératif, le manque comme une charge lourde et ses promesses comme un appel. Un appel auquel je ne pouvais résister. »

    Claire Huynen, Les femmes de Louxor

  • Mariées à Louxor

    Un bref roman de Claire Huynen, Les femme de Louxor (2025), raconte de manière à la fois simple et saisissante le « tourisme amoureux » en Egypte : « Elles sont des centaines à Louxor. Des Occidentales qui se sont installées sur la rive ouest, après avoir tout quitté pour épouser un Egyptien qui les a séduites lors d’une croisière sur le Nil. » (4e de couverture) Pas du tout à la manière d’un reportage, mais de l’intérieur, à travers l’histoire d’une Française (la narratrice), mariée à Sayyed, et de la jeune Egyptienne, Hamsa, installée par celui-ci dans l’appartement au rez-de-chaussée de leur maison.

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    Quand trois mois plus tard, la jeune femme (moins de vingt ans) vient frapper pour la première fois à sa porte, avec un plat de légumes mijotés, « le regard dur déjà, au sol », elle repense à Sayyed, lui disant « dans son français chaotique auquel [elle avait] trouvé tant de charme » que « ça n’avait pas d’importance. Que cela ne voulait rien dire. Que le sexe avec elle était juste une obligation. Qu’elle ne savait pas y faire de toute façon. Que l’amour, le plaisir, c’était avec moi. Avec moi au premier étage. Que c’était là sa vraie maison. Et qu’il n’avait pas eu le choix. Que c’était comme ça. Et puis que j’avais accepté. » Elle l’avait accepté pour ne pas le perdre, et parce qu’il se disait sous la pression de ses parents voulant des petits-enfants.

    Elle se rappelait comme elle avait ri la première fois que Sayyed lui avait dit l’aimer, trois jours à peine après avoir fait connaissance. Trois ans plus tôt, un peu perdue dans Louxor où elle était venue chercher le dépaysement et le soleil, après un an sans vacances, elle s’était laissé approcher par cet homme qui lui avait adressé la parole dans sa langue et troubler par son regard, son sourire.

    Ce qui rend cette histoire intéressante, c’est le biais choisi par la romancière : la relation entre les deux femmes de Sayyed. Quand elle a vu Hamsa, le ventre rond, étendre son linge au jardin, elle l’a rejointe pour l’aider, puis l’a suivie pour prendre un thé au rez-de-chaussée où elle n’avait plus mis les pieds depuis son arrivée. Elle l’observe, voit pour la première fois ses cheveux, répète quelques mots d’arabe qu’Hamsa lui dit en désignant les objets. Elle avait voulu apprendre l’arabe avec Sayyed, mais très vite il repassait au français pour l’interroger sur sa vie en France. « Il me gardait pour lui. Pour lui seul. Privée de langage. »

    Parmi les « méthodes bien rodées » que les séducteurs de ce genre s’échangent comme des recettes pour rendre leur proie dépendante – elle en prendra conscience après coup –, outre les compliments, il y a « la disparition » : d’abord des coups de téléphone, des lettres, puis un long silence. Et enfin un message, le soulagement pour celle qui se pensait oubliée. Malgré les avertissements de son entourage, elle y a cru, à son amour, à la boutique qu’ils auraient près du Nil… Ses phrases toutes faites, bien apprises, l’ont persuadée de sauter le pas. « Je n’ai fait que deux voyages avant de venir m’installer, de tout larguer. Deux voyages d’amour, deux séjours de promesses. »

    Au début, c’est elle qui tenait l’épicerie, puis il lui avait dit de se reposer, de profiter de la maison qu’elle avait achetée pour eux après avoir vendu son appartement en France – « les touristes préféraient avoir affaire aux Egyptiens ». « C’est toujours chez elle qu’il rentre le soir. C’est par elle qu’il commence. C’est chez elle qu’il mange. Plus tard, après, il monte chez moi. » Elle s’est habituée à ce qu’il s’en aille pendant la nuit, à ne plus pleurer.

    Le récit va et vient entre la cour que lui a faite Sayyed et la situation présente : un mari de plus en plus brutal qui réussit toujours à se faire pardonner ; le rapprochement avec Hamsa qui va peu à peu lui faire confiance. Elle se souvient du bonheur d’être aimée, préférée, et de son refus obstiné de croire aux histoires qu’on raconte de « femmes dépouillées, battues parfois, des amours de papier, des mariages en toc, l’arnaque grimée en bel amour » – « Mais toutes, nous étions convaincues, certaines, d’être l’exception. Que cela ne nous concernait pas. Que pour nous c’était différent. »

    Ses phrases souvent simples et courtes, un rythme syncopé, des chapitres de quelques pages, Claire Huynen réussit dans Les femmes de Louxor à donner une grande intensité aux situations décrites, au ressenti de la narratrice. Je découvre la romancière belge (°1970) qui vit à Paris avec ce septième roman qui a remporté le prix Victor Rossel cette année, le prix littéraire le plus important en Belgique francophone, et aussi le Rossel des lecteurs. Je vous recommande l’entretien publié dans Le Carnet et les Instants, où elle répond aux questions de Michel Zumkir, et dans la revue de presse sur le site de l’éditeur, la critique du Soir où elle évoque son propre séjour de six mois en Egypte.

  • Langue étrangère

    akira mizubayashi,reine de coeur,roman,littérature française,japon,france,guerre,musique,amour,rencontres,culture« Dès les premiers jours de la rentrée, il s’était mis à étudier, avant même le début de l’enseignement à la fac, la langue étrangère de son grand-père, qui s’élevait devant lui comme une montagne à escalader, à l’aide d’un gros manuel muni de trois CD. Ceux-ci ne satisfaisaient guère son appétit dévorant pour la musique de la langue. Comme il était avide de documents sonores, d’images cinématographiques où les sons français s’offraient à profusion dans la sensualité frémissante des voix d’homme et de femme les plus diverses ! Combien de fois il avait écouté l’enregistrement  du Petit Prince lu par Gérard Philipe ! Combien de fois il avait prêté une oreille attentive à des pages célèbres de Balzac ou de Flaubert magistralement lues par Michel Bouquet, Michel Piccolo ou Fanny Ardant ! Le français était comme un royaume invisible, habité par des voix à timbres multiples, qu’il découvrait peu à peu, en l’arpentant de long en large, en l’explorant jusque dans les parcelles les plus obscures. »

    Akira Mizubayashi, Reine de cœur

  • En cinq mouvements

    Dans le prolongement du magnifique Ame brisée, Akira Mizubayashi a écrit deux autres romans sur le thème de la musique et de la guerre. Reine de cœur (2022), le deuxième de la trilogie, s’ouvre sur trois épigraphes autour d’un terrible épisode guerrier durant la guerre « d’agression coloniale en Chine » menée par l’armée impériale japonaise. L’écrivain tokyoïte (qui écrit en français) a des mots très durs pour ce passé impérialiste.

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    C’est dans ce contexte que nous découvrons une première scène de guerre : le jeune soldat Jun Mizukami, à qui le sergent-major tend son sabre après lui avoir montré comment couper la tête d’un ouvrier chinois, ne se sent pas « le droit de faire une chose pareille », malgré les menaces d’être accusé de « haute trahison », et finit par s’évanouir. En mai 1940, lors de l’exode vers le sud de la France,  Anna (la vingtaine, enceinte) et son oncle Fernand, courent se réfugier dans un bois pour échapper aux tirs des avions et y découvrent un corps sans tête. Le 25 mai 1945, la jeune infirmière Ayako cherche un abri dans Tokyo contre un raid aérien imminent.

    Après ce « premier mouvement », l’horreur cède le pas à de belles rencontres humaines : Jun, altiste, et Anna, serveuse dans le bistrot de son oncle et future institutrice, ont fait connaissance à Paris en 1937. Etudiant étranger au Conservatoire, Jun parlait déjà bien le français, appris à Tokyo. Monsieur Jean, un vieil homme qui l’avait vu plongé dans la lecture de Jean-Christophe, s’était pris d’amitié pour le jeune « musicien-philosophe », comme l’appelait Fernand. Jean était lui-même altiste. Deux ans et demi plus tard, Jun et Anna se séparent à Marseille, où Jun doit embarquer pour le Japon et y servir l’armée. Ils y passent la nuit ensemble pour la première fois avant son départ.

    Le troisième mouvement se déroule en novembre 2007. Marie-Mizuné Clément vient de donner son premier concert en tant que premier alto solo au Théâtre des Champs-Elysées. Dans le bus qui la ramène chez elle, un sexagénaire remarque son instrument puis reconnaît l’altiste, il était au concert et la félicite pour son jeu dans le Don Quichotte de Strauss et la 11e symphonie de Chostakovitch. Il lui donne son journal où il a lu un article intéressant du Monde des Livres sur « La Musique à l’épreuve de l’Histoire ».

    Le libraire confirme à Mizuné l’intérêt du livre présenté dans Le Monde et elle lui achète L’oreille voit, l’œil écoute. Un musicien japonais y raconte les dernières années de la guerre sino-japonaise en évoquant souvent la musique classique et Chostakovitch en particulier. Très émue par sa lecture, Mizuné se rendra chez sa mère, Agnès, pour l’interroger à propos de sa grand-mère Nanou. Son histoire et celle du livre semblent très proches. Au grenier, elle va trouver un cahier d’Anna et sept lettres de Jun.

    Comme dans Ame brisée, Mizubayashi mêle dans Reine de cœur le thème amoureux à celui de la musique et de la guerre, ici en cinq mouvements, entre France et Japon. Lettres, journaux et courriels s’insèrent dans le récit. Certaines pages donnent envie d’écouter et de lire en même temps les œuvres musicales en quelque sorte décrites. Un violon japonais appelé « Reine » va changer de main – « Reine » est en fait la transcription phonétique de deux idéogrammes qui se prononcent « ré-i-né », c’est-à-dire « Merveilleuse sonorité ».

  • Rosiers

    « L’été 1904, Klimt peignit Rosiers sous les arbres, tableau réalisé en cadrage serré, sans horizon, déferlement pointilliste dans lequel les rosiers prennent un aspect anthropomorphe. Les paysages composent un chapitre relativement confidentiel de l’œuvre de Klimt. Ce n’est pas à eux qu’on pense en premier lieu lorsqu’on évoque le peintre, sans doute parce qu’ils sont moins spectaculaires que ses grandes réalisations agrémentées de feuilles d’or. »

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    Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, vers 1905 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

    « Mais pour Klimt, les paysages ne sont pas uniquement des formes, ce sont aussi des sentiments ou des idées. Ainsi, peut-on dire que le rosier est pour la végétation ce que l’or est pour la matière, ou l’âme pour le corps ; un mystère qui se tient hors du temps, le signe d’un au-delà éternel ou le vecteur d’une mélancolie (car le rosier ne dure guère) qui n’exclut pas la sérénité. En tournant son regard vers la terre, Klimt contemplait le ciel. Et ses paysages constituaient des étapes non sur le chemin de la simple représentation (qu’importe le beau !), mais sur celui, primordial, qui consiste à voir. »

    Serge Sanchez, Klimt