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Culture - Page 133

  • Détours

    Yoshimura le-convoi-de-l-eau,M20409_1.jpg« Ce chemin qui serpentait, accroché à flanc de montagne, était entièrement exposé aux regards de la vallée, et une ombre y aurait-elle couru ramassée sur elle-même qu’il aurait été impossible de ne pas la remarquer. Ainsi, la route, ayant perdu tout espoir de descendre directement dans la vallée, faisait-elle pas mal de détours en suivant le chemin de la montagne. Qui plus est, cette route était terriblement sinueuse et étroite. Il va sans dire qu’elle était parfaitement adaptée pour affronter les intrus constituant une menace. »

    Akira Yoshimura, Le convoi de l’eau

  • Au-dessus du hameau

    Akira Yoshimura (1927-2006), considéré au Japon comme l’égal de Mishima, a vu ses récits et nouvelles traduits en français de son vivant. Je découvre ce grand écrivain avec Le Convoi de l’eau (1976, traduit en français par Yutaka Makino. Marine Landrot, qui a rencontré sa veuve, Setsuko Tsumura, également romancière, a fait son portrait dans Télérama.

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    Akira Yoshimura, Mizu no soretsu  水の葬列

    Ce roman court (moins de deux cents pages) débute sans préalable : « De l’avant de la file nous parvint un joyeux tumulte. Les voix qui s’élevaient dans la pénombre de la forêt déclenchèrent les cris aigus et les battements d’ailes d’oiseaux sauvages. Nous avions tous attendu cet instant avec impatience. » Au bout de cinq jours de marche au lieu des trois prévus, l’équipe du barrage K 4 découvre avec joie le ravin et le hameau au-dessus desquels ils vont devoir travailler.

    Ils observent les constructions « extraordinairement grandes » et leurs toits « fortement pentus » couverts de mousses vertes, les terres cultivées à proximité et « une étendue de pierres tombales absolument inimaginable », presque un tiers de la vallée, sur des terrains plats qu’on réserve d’ordinaire aux cultures. C’est vers la fin de la guerre que l’armée japonaise avait repéré ce hameau isolé en pleine montagne, vieux de plusieurs siècles, près de l’endroit où un bombardier américain s’était écrasé. La zone en amont de la rivière K avait été jugée intéressante pour une exploitation d’électricité.

    Le narrateur s’est fait embaucher dans l’équipe de treize ingénieurs et soixante ouvriers chargée « d’arpenter les lieux et de vérifier la nature du terrain ». Tous sont déçus de devoir monter les tentes à l’arrivée, ils espéraient dormir dans les maisons du hameau. Le narrateur se sent différent des autres parce que lui, il fuit. Il entend encore la voix du directeur de prison lui dire à sa sortie : « Puissiez-vous vivre des jours paisibles… ». Dans une petite boîte au fond de son sac, il transporte « cinq petits morceaux d’os des doigts du pied de [sa] femme ».

    Le fracas de trombes d’eau sur la toile de tente les réveille, les hommes en veulent au chef de chantier d’avoir cédé aux conditions du hameau : ne pénétrer « ni dans les maisons, ni dans le cimetière, ni sur les terres cultivées ». Ils sont considérés comme des intrus et souffrent du rejet des habitants tout en partageant leur angoisse, même s’ils seront indemnisés lors de l’expropriation, avant que le hameau soit enseveli sous l’eau.

    Dans Le convoi de l’eau, Akira Yoshimura suit plusieurs pistes en même temps : le déroulement de ce chantier hors du commun avec ses aléas divers, les relations dans l’équipe et les drames, le comportement des quelque deux cents personnes qui habitent le hameau, les tourments secrets du narrateur hanté par son crime. Les descriptions de la montagne, de la nature, du climat humide sont magistrales. La violence et la mort (et même les dépouilles humaines) ont leur place dans cet univers très sombre.

    Le récit offre un véritable suspens psychologique. Chaque camp guette les réactions de l’autre. Que les gens du hameau poursuivent tranquillement leurs activités sidère l’équipe du barrage, jusqu’au jour où des événements imprévus se produisent et que le destin des uns et des autres soit scellé. Dans une atmosphère de plus en plus tendue, le lecteur se retrouve du côté des travailleurs qui observent jour après jour les étranges préparatifs du grand départ. Fascinant.

  • Varia d'été

    L’été s’est déclaré à Bruxelles bien avant le solstice, cette année, et ce mois de juin largement ensoleillé a fait oublier le triste mai, gris et trop frais. Les floraisons abondent dans les jardinets de ville, je m’en émerveille à chaque promenade. Les roses trémières déploient leur palette de couleurs, les rosiers ne sont pas en reste.

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    J’aime quand, échappée naturellement d’un jardin ou d’un parterre ou semée par quelque fantaisiste, une plante surgit à l’imprévu, comme cette mauve au pied d’un réverbère.

     

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    Quand une fleur jamais vue attire l’attention, telles ces boules de belle allure – ail d’ornement ? – au-dessus de pivoines encore en boutons. Reflets dans une fenêtre parée de géraniums de balcon...

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    Quand une alliance de tons inattendue retient le regard
    ou le bord effrangé d’une passerose
    ou son cœur de fleur plus foncé…

     

     

     

    Les travaux de réaménagement du rond-point entre l’avenue Demolder et le square Riga s’achèvent et tout le monde est content de voir disparaître les barrières du chantier, en particulier les clients qui ont retrouvé la terrasse du café Riga depuis sa réouverture. J’attends avec impatience le retour de l’olivier du rond-point où un supporter des Diables Rouges a planté un drapeau belge à sa place (un petit drapeau suisse a suivi ; avec l’Euro foot, les drapeaux nationaux flottent en nombre dans le quartier). Et les nouvelles plantations dans les parterres aménagés dans les trottoirs élargis (pas visibles sur la photo).

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    21, 22, 23 juin 2021, ciel de pluie. Les autres photos datent de jours précédents.

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    De l’autre côté du square, l’avenue Georges Eekhoud, où les travaux d’égouttage ne sont pas encore tout à fait terminés, ne manque pas de charme ; j’y reviendrai peut-être ici un jour, quand il sera plus aisé de prendre des photos.

     

     

     

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    Georges Eekhoud (1854-1927), un écrivain belge dont je n’ai lu que des extraits, avait fondé une revue littéraire, Le Coq Rouge (1895-1897), où Eugène Demolder, Maurice Maeterlinck et Emile Verhaeren figuraient dans le comité de rédaction. Les avenues à leur nom les rapprochent encore aujourd’hui dans ce quartier schaerbeekois. Si cette revue vous intéresse, je vous recommande la lecture du texte fondateur, « Le Coq rouge » (en pdf, source de l’illustration).

    De mes balades sur la Toile, je vous rapporte enfin deux liens vers Mu in the City : le premier à propos de l’autre exposition d’Elise Peroi déjà évoquée ici, le second sur l’exposition actuelle de Chiharu Shiota à la galerie Templon qui la représente en France et en Belgique depuis des années. A sa manière très personnelle, la Japonaise s’y exprime sur des mois de confinement.  Le site de la galerie propose une vidéo sous-titrée où elle explique son travail pour « Living inside ». 
    Bel été à toutes & à tous !

  • Mon plaisir

    Tenaerts Jaurès.jpgC’est mon plaisir, je ne m’en lasse pas, de me promener dans le quartier Huart Hamoir. Je vous ai déjà vanté les charmes de cette belle avenue qui porte le nom d’un ancien bourgmestre de la commune, côté pair et côté impair.

    Dans l’une des avenues qui s’étirent de part et d'autre du petit parc ovale à mi-hauteur entre la gare de Schaerbeek et le square Riga, j’avais déjà remarqué la façade pimpante de cette jolie maison qui porte la plaque bleue de l’avenue Jean Jaurès – sans savoir qu’elle était signée Louis Tenaerts et que je la retrouverais à l’exposition du Centre culturel.

    Louis & moi / ik Tenaerts, Centre culturel de Schaerbeek > 11.07.2021

  • Louis Tenaerts, arch.

    A côté du patrimoine architectural remarquable, des maisons plus modestes du siècle dernier charment encore par leur style. L’exposition sur Louis Tenaerts (1898-1994) au Centre culturel de Schaerbeek permet de faire connaissance avec un architecte-constructeur des années Art déco méconnu, quoique « extrêmement prolifique ». Cécile Dubois, qui guide souvent les amoureux du patrimoine bruxellois, et Massimo Minneci, propriétaire d’une maison Tenaerts moderniste, ont déjà repéré 200 immeubles« du logement, rien que du logement » – construits par lui entre 1922 et 1939.

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    Réalisée par ARCHIstory qui l’a présentée l’an dernier aux Halles Saint-Géry, l’expo Louis & moi / ik Tenaerts montre et raconte sur deux niveaux son parcours d’architecte. Il a travaillé avec le Comptoir immobilier belge (C.I.B.) dans les années 1930 et plus tard dans l’entreprise de construction Cobeltra. En 1964, il a pris sa retraite et s’est consacré à la musique, au dessin et à la peinture.

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    Classique ou moderne ? Des photos de Willy Kessels (conservées au CIVA) permettent d’observer que Tenaerts pouvait être tantôt l’un, tantôt l’autre. Spécialisé dans les maisons à petit budget, il dessinait aussi des « habitations plus cossues » pour la bourgeoisie. Durant l’entre-deux-guerres, de nouveaux quartiers ont été créés dans les communes bruxelloises de la « seconde couronne » et on retrouve la signature de L. Tenaerts sur de nombreuses façades d’Anderlecht à Uccle, de Laeken aux deux Woluwe, en passant par Schaerbeek, entre autres.

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    Quand la commune de Jette lui confie une série de terrains dans la rue des Augustines, il y construit dix-sept maisons en quatre ans ! L’exposition, très didactique, explique et illustre la « méthode Tenaerts » pour construire autant en si peu de temps, notamment en pratiquant le « copier-coller » des compositions de façade et des plans.

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    Entre l’Art nouveau et le modernisme, l’Art Déco « développe un riche répertoire formel ». On peut en observer les motifs et les variations sur une « enfilade imaginaire » de façades, reprise sur le feuillet de l’exposition, qui résume la production de Tenaerts de 1922 à 1939. Il excellait dans le style paquebot (hublot, bastingage, mât ou cheminée inspirés des navires transatlantiques).

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    A l’étage, on a multiplié les angles d’approche pour faire découvrir les maisons de Louis Tenaerts. Des familles qui y vivent actuellement ont accepté de poser devant avec le dessin de la façade ou une photo ancienne, et le sourire. C’est une façon très sympathique de relier ces archives architecturales au présent : l’art de l’architecte qui conçoit une habitation ne se résume pas à sa signature, il est au service des êtres humains qui vont l’occuper.

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    Plusieurs plans exposés – maison bourgeoise, atelier de sculpture, unifamiliale… – permettent de visualiser la distribution des espaces et aussi de jolies maquettes colorées. J’ai aimé découvrir, dans de petites niches, des photos de famille qui témoignent des aménagements intérieurs en même temps que d’un style de vie, d’une époque.

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    On est très bien accueilli au Centre culturel de Schaerbeek, où vous pouvez visiter cette exposition jusqu’au 11 juillet prochain. L’entrée est gratuite, la réservation souhaitée. L’adresse de contact : louis.tenaerts@hotmail.com peut aussi servir à signaler une construction signée Tenaerts, C.I.B. ou Cobeltra et à en envoyer une photo, comme nous y invitent les exposants. Dans un article du Soir sur ses cinquante ans de carrière en tant qu’architecte et promoteur, paru en 1991, il affirmait avoir 1635 constructions à son actif ! Ouvrons l’œil.