Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Belgique - Page 135

  • Première question

    « Pourquoi suis-je ici ? » demandait-elle
    chaque fois, quatre-vingt-dix ans, les yeux

     

    cernés de rouge depuis que les larmes
    n’y venaient plus. « Pourquoi suis-je ici ? »
    A peine capable de se mettre debout,

     

    l’appétit déclinant. « Pourquoi suis-je ici ? »
    J’avais beau lui expliquer patiemment
    trois fois, quatre fois, que cela faisait déjà

    des années qu’elle ne pouvait plus vivre seule,

     

    ne tenait plus sur ses jambes, elle savait encore

    parfaitement l’année de ma naissance, mais pas

    celle où nous étions, que « bleu outremer » était

    la couleur de la porte d’entrée chez ses

    grands-parents, mais pas le nom de l’infirmière

     

    qui venait la laver et l’habiller tous les jours.

    « Pourquoi suis-je ici ? » Puis avec un choc

    je compris : et si ce n’était pas une question

    d’aujourd’hui mais d’autrefois et là-bas, la première

     

    du catéchisme, celle avec la promesse

    d’un ciel, et je lui répondis : « Pour servir
    Dieu et être heureuse en ce monde

    et dans l’au-delà. » Elle ne me jeta même pas
    un regard : « Tu y crois encore, à ces bêtises ? »

     

    Huub Beurskens

     

    (Hôtel Eden, 2013, traduit du néerlandais par Hans Hoebeke) 

    beurskens,huub,poésie,belgique,littérature néerlandaise,septentrion,culture

    Eerste vraag
     

    « Waartoe ben ik eigenlijk hier ? » vroeg ze
    telkens weer, in haar negentigste, rood
     

    Omrande oogjes vanwege het gebrek aan
    traanvocht. « Waartoe ben ik eigenlijk hier ? »
    Amper nog in staat overeind te komen,
     

    weinig eetlust meer. « Waartoe ben ik eigenlijk
    hier ? » Hoe ik ook geduldig probeerde het
    haar uit te leggen, drie, vier keer, dat ze al
    jaar geleden niet meer zelfstandig wonen 
     

    kon, niet goed ter been, mijn geboortejaar
    wist ze feilloos, maar niet dat waarin we
    heden leefden, dat “diepblauw” de kleur
    van de deur van haar grootouderlijk huis

    was geweest, maar niet hoe de verpleegster
     

    heette die haar dagelijks waste en kleedde.
    « Waartoe ben ik eigenlijk hier ? » Tot ik met
    een schok dacht : wie weet is het geen vraag
    van nu, maar een van toen en daar, de eerste
     

    uit haar catechismus, die met de belofte
    van een hemel, en antwoordde: “Om God
    te dienen en daardoor hier en hiernamaals
     

    gelukkig te zijn.” Ze keek me er niet eens
    bij aan : “Dat jij nog gelooft in dat gezemel.”

     

    Huub Beurskens

     

    In Septentrion, n° 1, mars 2014,
    Le dernier cru : poèmes choisis par Jozef Deleu

     

     

     


     

  • Poétesse / Dichteres

    Cela fait bien longtemps qu’Euterpe, partie vers d’autres aventures, ne nous titille plus avec ses féminins féministes, je pense à elle en juxtaposant ces deux suffixes homonymes en français et en néerlandais. Au stand de Ons Erfdeel vzw à la Foire du Livre, j’ai retrouvé Septentrion que je lisais régulièrement à la bibliothèque de l’école. J’ai reçu avec plaisir un numéro de cette revue trimestrielle des « Arts, lettres et culture de Flandre et des Pays-Bas » qui a aussi un blog destiné à faire mieux connaître la culture des « Plats Pays » aux lecteurs francophones. 

    van hee,miriam,poésie,belgique,littérature néerlandaise,septentrion,bart stouten,culture

    Dans ce numéro 1 de 2014,  Bart Stouten (présentateur, producteur pour la chaîne de musique classique Klara (VRT) et poète, comme vous pouvez le lire sur son blog) présente la poésie de Miriam Van hee sous le titre « Tout commence chez soi… mais où ? » (traduit par Jean-Philippe Riby). Née en 1952, cette poétesse flamande le fascine avec ses vers « épurés, lumineux » et il nous parle de ses recueils publiés depuis 1978 (Le maigre repas / Het karige maal).

     

    Voici deux poèmes de Miriam Van hee, tirés de Là où tombe la lumière / Ook daar valt het licht (2013).  Elle est la première femme à avoir reçu, en 1998, le prix triennal de poésie de la Communauté flamande. En 2007,  l’édition française de son recueil La cueillette des mûres / De bramenpluk a été récompensée par le prix européen Poesias, rebaptisé depuis prix Virgile.

     

    Bart Stouten conclut son article par ce bel éloge : « Miriam Van hee est à mes yeux la poétesse du mystère. La poétesse du contre-jour. La poétesse d’un paradoxe qui fait des mots un silence. A la vérité, là encore choit la lumière. Aussi étrange que cela puisse paraître, la lumière éclaire jusqu’à l’indicible. »

     

    Sur place

     

    en bas est le village, il paraît
    tout avoir, un clocher
    une place, un pont et des lointains

     

    un bois de chênes où le vent parfois
    se déchaîne, et des maisons
    les volets sont fermés, des taches

     

    de lumière bougent sur le chemin
    de terre et c’est miracle, un monde
    habitable à ce point, et que pousse

     

    le raisin dans un sol aussi dur
    et que la treille ombrage
    sans y penser, le pommier porte

     

    encore des pommes petites, rouges et qui
    sous l’œil de personne, tomberont
    quand leur heure sera venue

     

    Surplace

     

    Beneden ligt het dorp, het lijkt
    alsof het alles heeft, een toren
    een plein, een brug, een achtergrond

     

    een eikenwoud waarin de wind
    tekeer kan gaan, en huizen
    de luiken zijn gesloten, vlekken

     

    licht bewegen op de aarden weg
    het is een wonder, zo bewoonbaar
    als de wereld is, dat druiven

     

    kunnen groeien in zulke harde grond
    en de wingerd schaduw geeft
    zonder bedoeling, de appelboom

     

    draagt appels nog, kleine, rode, die
    voor niemands ogen zullen vallen a
    ls hun tijd gekomen is
     

    van hee,miriam,poésie,belgique,littérature néerlandaise,septentrion,bart stouten,culture 

     Le moment venu

     

    ce serait beau, le moment venu
    d’en avoir le désir, de sortir
    dans le matin et si jamais nous
    avions la force de nous risquer dans le bois

     

    pour chercher un endroit où nous étions
    jadis venus, couchés sur un rocher, nos regards
    dominant un coude de la rivière
    quelque chose allait survenir, un animal

     

    nous apparaîtrait, que nul ne nous dérange
    le moment venu, quand nous aurons enfin
    résolu nos problèmes et serons libérés,
    écoutons, entendons-nous déjà le murmure

     

    de l’eau, ne connaissions-nous pas un peu le monde
    nous avions attendu la neige, attendu le
    train, nous avions été en retenue, nous
    avions grimpé, nous nous étions perdus

     

    on nous avait trouvés, donc, le moment
    venu, prenons les sentiers battants
    plutôt que les battus, sans nous retourner, toujours
    il y aura quelque chose de connu, la terre meuble

     

    qui s’enfonce sous les pins, c’est ce que nous aimions

     

    Eens zover

     

    het ware mooi, als het eens zover is
    om ernaar te verlangen, naar buiten
    te gaan in de ochtend en mochten wij
    sterk genoeg zijn om het bos in te durven

     

    op zoek naar een plek waar wij vroeger
    al waren, wij lagen er toen op een rots
    uit te kijken over een bocht in de rivier
    iets stond te gebeuren, een dier zou zich

     

    aan ons vertonen, laat niemand ons storen
    als het een zover is en wij onze problemen
    dan eindelijk opgelost hebben en vrij zijn,
    laten wij luisteren of wij het water al horen

     

    ruisen, wij wisten toch iets van de wereld
    wij hadden gewacht op de sneeuw, op de
    trein, wij waren nagebleven op school, wij
    hadden geklommen, we waren verdwaald

     

    we werden gevonden, dus, als het eens
    zover is, laten wij de onzekere weg voor
    de zekere nemen, niet omzien, er zal altijd
    iets zijn dat we herkennen, de meegaande

     

    grond onder de dennen, daar hielden we van

     

    Miriam Van hee

     

    (Ook daar valt het licht, 2013, traduit du néerlandais par Philippe Noble)

  • Lumières du XIXe

    Logée entre le Sablon et le Palais de Justice, l’Association du patrimoine artistique ouvre régulièrement ses portes au public pour de petites expositions au 7, rue Charles Hanssens. « Autour de l’impressionnisme » propose une sélection de peintures du XIXe siècle, à voir jusqu’au dimanche 22 mars. Quatorze artistes parmi lesquels Guillaume Vogels et Henri Evenepoel sont les mieux représentés. L’affiche est un détail d’un beau pastel, Paysage, de Rodolphe De Saegher.

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture

    Au rez-de-chaussée de cette maison bruxelloise, quelques pièces en enfilade prêtent leurs murs aux couleurs de ces peintres belges, connus ou méconnus, des œuvres issues exclusivement de collections privées. Vogels est ici à l’honneur. Les paysages de ce peintre bruxellois, que j’aime depuis la première toile que j’ai vue, sont avant tout des atmosphères. Au soleil éclatant, il préfère les ambiances de pluie, d’orage, les crépuscules, la neige, on en montre ici de magnifiques exemples : Hiver et Chemin sous la neige, dans la première salle, puis le grand Neige, exposé au Cercle des XX en 1988 ; en face, dans des tons plus chauds, Un coin des étangs de la distillerie (dernière illustration).

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture
    Guillaume Vogels, Hiver, 1886

    Il paraît que les cadres dorés surprennent ou gênent certains, plus habitués aux pages blanches des livres d’art ou aux toiles contemporaines sans cadres : un joli texte de Pierre Loze prend leur défense, contre « le goût dominant des graphistes, grands créateurs, metteurs en forme de notre goût ». Il rappelle que tous les cadres ont leur caractère, leur époque. « Et si ces cadres apparemment envahissants avaient bel et bien une fonction ? Celle de nous faire entrer dans une longue contemplation qui éloigne la contamination du contexte, d’organiser une sorte d’effort de concentration  pour se vouer exclusivement à l’œuvre ? » 

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture
    Guillaume Vogels, Neige, 1887

    Près des Bords de la Lys d’Emile Claus (au centre de la vue d’ensemble ci-dessous), une petite toile d’Anna Boch sur un chevalet : Maison de campagne, avec la silhouette d’une femme dans l’ombre sur la route. La lumière, c’est le grand sujet de tous ces peintres de plein air et en particulier des luministes. Juliette Wytsman s’installe dans un jardin, Anna De Weert au milieu d’un verger ou près de son atelier, Jenny Montigny devant une allée d’arbres. 

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture

    Le titre de l’exposition – Autour de l’impressionnisme – ouvre à la diversité des approches. Voici Constantin Meunier avec une Hierscheuse, et surtout Henri Evenepoel, avec des dessins, peintures, affiches, près desquels sont repris des extraits de sa correspondance – ces observations terribles qu’il écrit à son père, de Paris, où il tombe très malade et meurt du typhus en 1899, à l’âge de vingt-sept ans ! 

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture
    Evenepoel, Au square, lithographie

    Evenepoel a l’art de camper des silhouettes vivantes d’un coup de crayon, il croque des enfants de dos, assis à jouer. On retrouve « le petit Charles » dessiné près d’une chromolithographie, « Au square » (sous verre, impossible à photographier sans reflets) : une élégante à l’ombrelle rouge retient par le poignet une fillette en robe jaune tenant un petit seau rouge, le regard attiré par quelque chose au sol que nous ne voyons pas – une scène toute en mouvement, très gaie. 

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture

    Les lavandières, un pastel aux figures stylisées et aux aplats à la manière nabi, est accroché un peu haut pour être bien regardé. Un grand dessin aquarellé d’Evenepoel est exposé dans le hall d’entrée, projet d’affiche pour le parfumeur Blaise. On peut voir aussi cette affiche pour le Salon des Cent, un projet pour une couverture de magazine, « La Vie à Paris ». Et des peintures à l’huile, comme Bateaux sur le canal de Willebroeck, Portrait d’un sculpteur. D’un séjour en Algérie, une lumineuse Vue d’Alger, la ville blanche, la mer et le ciel, un mendiant, des joueurs de tambour… 

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture
    Henri Evenepoel, Vue d’Alger

    L’APA prépare un hommage à Evenepoel d’ici un an. La dernière monographie le concernant (1994) répertorie quelque trois cents œuvres parmi lesquelles une centaine n’était pas localisée. L’Association en a retrouvé à ce jour une vingtaine et fait appel à ceux qui peuvent l’aider à en redécouvrir dans des collections privées.

    C’est une noble tâche de mettre le patrimoine artistique de Belgique en valeur, et de travailler à sa connaissance, sa conservation et sa restauration, les « trois mots-clés » de  cette association. Quelques livres sur les peintres exposés sont proposés à la vente, comme cette monographie consacrée à Guillaume Vogels bien illustrée et à prix modique (textes de Constantin Ekonomidès, un des collaborateurs de l’APA). Un beau peintre dont je vous reparlerai sans doute un jour. 

    autour de l'impressionnisme,exposition,bruxelles,peintres belges,xixe,association du patrimoine artistique,impressionnisme,peinture,culture 

    Attention à l’horaire des visites, si ce parcours impressionniste belge vous tente : jeudi, vendredi et samedi de 14 à 18h et dimanche 22 mars de 14 à 18h. D'où ce billet dès aujourd’hui.

  • Le poète allongé

    « Quel beau, charmant et singulier tableau que Le poète allongé de 1915 (peint donc en Russie, tout de suite après le départ de Paris) ! Le cheval et le porc, devant l’isba, évoquent Rousseau (que Chagall aime beaucoup), oui, mais le poète aux mains réunies comme celles des gisants des anciens sépulcres, sa tête sur son veston posé dans l’herbe, près de son chapeau, ses pieds en de fastueux souliers, tout cela, d’où est-ce venu, comment ?  

    Chagall Le poète allongé gd format.jpg
    Marc Chagall Le poète allongé Huile sur toile © Collection particulière

    Chagall s’est-il peint là en « poète » comme il fut dit ? Je ne sais. Mais le visage, où il n’y a rien qui me propose une ressemblance, et la silhouette, me font songer à des photographies de Paul Eluard, …, que Chagall ne devait rencontrer que dix ans plus tard, et qui, bien plus tard encore, allait trouver dans sa peinture une inspiration radieuse. »

    André Pieyre de Mandiargues, Chagall, Maeght éditeur, Paris, 1974.


     

     

  • Chagall issime

    Très attendue, la grande exposition Chagall des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles tient ses promesses : une superbe rétrospective, de nombreuses toiles de musées étrangers et de collections particulières, de quoi découvrir, même si on se souvient d’autres expositions. 

    chagall,exposition,bruxelles,mrbab,peinture,art,culture
    Marc Chagall L'anniversaire 1915 Huile sur carton © Museum of Modern Art, New York

    Je ne me rappelle pas avoir admiré ce Nu avec des fleurs, par exemple, aquarelle et gouache ; cette Tentation, belle comme un vitrail, avec de petits animaux autour d’Adam et Eve ; ce Portrait du poète Mazin, son voisin russe à La Ruche ; un splendide Nu rouge... Bientôt c’est Vitebsk, sa ville natale, et les éléments qui reviendront si souvent dans sa peinture, sans que l’artiste donne pourtant l’impression de se répéter : une fenêtre, un bouquet, un cheval…  

    L’anniversaire, toile prêtée par le Moma (ci-dessus), est une merveille : dans une atmosphère chaude (sol rouge, tissus à ramages) qui contraste avec leurs vêtements sombres, Bella, épousée en 1915, tient un bouquet de fleurs et semble décoller du sol pour recevoir le baiser de Chagall en flottaison dans l’air, la tête renversée pour l’embrasser. C’est la première peinture où il représente un personnage « en lévitation ».  

    chagall,exposition,bruxelles,mrbab,peinture,art,culture
    Marc Chagall La naissance 1911 Huile sur toile originale collée sur bois contreplaqué Collection privée

    Une petite salle rassemble des tableaux familiaux : David jouant de la mandoline (deux beaux portraits très différents de son frère mort jeune à la guerre), sa mère, son père et sa grand-mère (avec un chat), ses sœurs, des amoureux... La naissance (ci-dessus) montre une jeune mère allongée, un bébé nu dans les bras de son père ; plein de détails comme la lampe en haut, un chat bleu en bas, animent cette scène structurée franchement par des lignes et une grande diagonale, ce qui est assez rare chez Chagall (1887-1985).   

    Chacune de ses peintures raconte une histoire. On expose aussi dans cette salle de beaux intérieurs, animés par un bouquet, éclairés par une baie vitrée – on aperçoit la petite Ida, sa fille née en 1916, en robe rouge dans un fauteuil, et la tête de Bella, dehors, à la fenêtre. Une toile m’a fait penser à Bonnard : Les fraises ou Bella et Ida à table, avec le joyeux contraste des fruits rouges sur la nappe blanche. 

    chagall,exposition,bruxelles,mrbab,peinture,art,culture
    Marc Chagall La promenade 1917-1918 Huile sur toile © Musée russe, Saint-Pétersbourg

    La promenade, grande toile choisie pour l’affiche, vous la connaissez certainement : le couple se tient par la main, lui les pieds à terre, elle en robe mauve volant dans un ciel blanc à la Malévitch au-dessus de la ville tout en vert, à l’exception de la cathédrale. Dans l’angle inférieur gauche, leur pique-nique en rouge, sous un peu de feuillage bleu – Chagall associe les couleurs comme personne. 

    La religion tient une place constante dans son œuvre : on peut voir côte à côte une esquisse sur papier et l’huile sur toile du Rabbin au citron vert (ci-dessous) – un cédrat dans une main, une branche de palmier dans l’autre, deux des quatre végétaux associés à la fête de Souccot. Pourquoi ce petit rabbin inversé sur sa tête ? D’après l’audioguide (compris dans le prix d’entrée), ce serait une manière d’évoquer la succession, la chaîne des rabbins. Plus loin, on verra Chagall traiter des thèmes bibliques et peindre de nombreuses crucifixions pour symboliser la tristesse, la souffrance, le malheur – le peintre ira jusqu’à se peindre lui- même en croix. 

    chagall,exposition,bruxelles,mrbab,peinture,art,culture
    Marc Chagall Le Rabbin au citron 1924 Huile sur Toile © Collection Particulière

    La figure du juif errant, avec son baluchon sur le dos et sa canne, est un autre motif récurrent, même si la toile intitulée En route ou le juif errant, à la pâte épaisse, s’appelait au départ « Chemin faisant », allusion au voyage du peintre vers Paris. Ce n’est que des années plus tard que Chagall ajoutera le second titre. 

    Rentré en Russie, Chagall a beaucoup travaillé pour le Théâtre juif de Moscou. On présente ici des maquettes de costumes, de décors, et en projections, les grandes fresques réalisées pour ce théâtre (montrées à la Fondation Gianadda en 2007). En revanche, je ne connaissais pas toutes ces illustrations pour les fables de La Fontaine, une idée de Vollard : Le renard et les raisins, La grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf (collection des MRBAB), Deux pigeons, entre autres. 

    chagall,exposition,bruxelles,mrbab,peinture,art,culture
    Marc Chagall Le renard et les raisins 1926-27 Aquarelle et gouache © Collection Particulière

    On retrouve des autoportraits et des portraits de couple tout au long du parcours, comme le magnifique Double portrait (Nagoya) datant de 1924 où le peintre vêtu de noir, debout à son chevalet, tient contre lui Bella en robe blanche, leurs deux profils tournés vers la toile. Ou encore Le gant noir (ci-dessous).  

    Des animaux, des anges, des amoureux, des fleurs, des violons... La peinture de Chagall célèbre la vie. Elle s’assombrit pendant la guerre, à la mort de Bella, retrouve des couleurs enchantées quand il se remarie avec Vava. Mais Bella reviendra encore souvent sous ses pinceaux. A Saint-Paul de Vence, il peint sur un énorme bouquet au milieu de son atelier, une grande toile verticale, très claire, aérée, qui tranche avec l’effervescence habituelle. 

    chagall,exposition,bruxelles,mrbab,peinture,art,culture
    Marc Chagall Le gant noir 1923-48 Huile sur toile © Collection Particulière

    La dernière salle montre des études pour le Metropolitan Opéra – Le triomphe de la musique – et pour l’Opéra Garnier, et aussi des costumes pour Stravinsky. Impossible de vous parler de tout, plus de deux cents œuvres, aussi je vous renvoie au site de l’exposition. Vous avez quatre mois pour vous y rendre, jusqu’au 28 juin. 

    Cette rétrospective bruxelloise, d’abord montrée à Milan, montre très bien que Chagall, tout en restant fidèle à son univers original, évolue constamment dans sa manière de peindre. J’ai aimé son Don Quichotte, peint à 86 ans, entouré de gens qui dansent, d’autres qui font la guerre, avec Chagall au chevalet entouré des siens, et dans le bas, de petits arbres. « On ne sait jamais avec Chagall, lorsqu’il peint, s’il dort ou s’il est réveillé. Quelque part, dans sa tête sans doute, il doit y avoir un ange. » (Picasso) Tantôt joyeux, tantôt inquiet, l’art de Chagall touche au cœur.