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Balades - Page 60

  • Sentier du littoral

    La première impression, c’est chaque fois, en sortant de la voiture, ce parfum de liberté retrouvée après plus d’un millier de kilomètres de route : effluves de romarin,
    de pin, d’eucalyptus, l’enchantement méditerranéen des narines aux poumons. La promesse de jours sans pluie, ou presque, d’horizons dégagés, de fleurs vives.

     

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    Bien sûr, il y a le plaisir de longer la mer, là où le sable est le plus solide, au plus près des nappes d’écume ou carrément les pieds dans l’eau, rite de retrouvailles et d’au revoir. Mais je ne me lasse pas de parcourir les anciens chemins de douaniers rebaptisés « sentier du littoral », héritage, ai-je lu, de la Révolution française – il fallait surveiller les côtes, contrer les passeurs et contrebandiers.

     

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    De Mar Vivo (La Seyne sur Mer) à Fabregas, pour se mettre en jambes. Après la plage de galets de La Verne, un pittoresque chantier de « pointus » déclenche l’envie de prendre une photo ou deux, une fois de plus. Ensuite l’itinéraire est interrompu (depuis des années) à cause d’un éboulement, ce qui oblige à remonter entre des villas. Mais j’aime jeter un coup d’œil aux jardins, aux portails et aux terrasses, quand ils veulent bien se montrer. Puis on retrouve le chemin qui mène à Fabregas, à sa plage de sable noir. L’endroit est assez mélancolique, les abords peu entretenus donnent une impression d’abandon. Des galets forment joliment le nom d’une villa sur un mur de pierres.  

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    Le Brusc, un matin. Les rochers du Gaou ont un air de sauvagerie bretonne. Réserve naturelle, l’île est réservée aux piétons, et des clôtures en bois protègent la flore et la faune. Après la passerelle d’accès, on longe d’abord la lagune du Brusc où se développent les posidonies, dans une eau calme et peu profonde. Cette fois, j’y ai vu des bancs de petits poissons qui se déplaçaient tout près de la surface, on aurait dit des têtards. Mon coup de cœur, sur cette île, va aux arbres que le vent courbe de
    mille manières, danseurs de l’espace marin. Au nord, il vente presque toujours furieusement, spectacle de vagues garanti dans les criques abruptes. Le tour de l’île commencé dans le calme est alors rythmé par les éléments.

     

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    Le Brusc est aussi un bon point de départ pour gagner Sanary par le sentier du littoral, en deux heures environ. Tantôt le long d’une plage, tantôt par un chemin entre les rochers ou encore sur des murets, on y marche avec une vue magnifique sur le Gaou, les îles des Embiez, la baie. La végétation est très particulière aux abords de la batterie du Cap nègre : les figuiers de Barbarie attirent l’attention, de jolies gesses bicolores y épandent çà et là leurs volutes.

     

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    Et puis les plages, la promenade du bord de mer. Et enfin Sanary, son marché matinal dans l’allée de platanes et puis ses quais, ses beaux pointus face à la mairie, ses étals aux appellations variées (« Laisse dire » m’a laissée songeuse). Le port de Sanary est un merveilleux endroit pour se restaurer en terrasse tout en observant le va-et-vient,
    un mélange d’élégantes, de flâneurs, de couples plus ou moins assortis, de vendeurs, de chiens de toutes races, de paniers remplis de fleurs. 

     

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    Bien sûr, on ne résiste pas à l’appel de la corniche des Baux : au pied de la falaise, on prend l’escalier qui mène aux villas les plus chic – certaines ont abrité des écrivains allemands fuyant le nazisme – et à la chapelle de Notre-Dame de Pitié pour redescendre au port par la promenade bordée de plantes et d’arbres remarquables, jalonnée par les icônes d’un calvaire.

     

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    Pour terminer, la promenade des beaux jours : il faut un grand ciel bleu sur le sentier des calanques à Cassis, pour admirer le paysage dans toute sa gloire. Port-Miou est
    la plus longue des calanques, et c’est un spectacle éblouissant de voir tous les bateaux amarrés dans cette langue de mer entre les hautes parois blanches où poussent seuls les pins d’Alep. Le sentier du Petit Prince rend hommage à Saint-Exupéry, dont l’avion a été abattu au large en 1944.

     

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    « Qu’y a-t-il au départ ? Une tension musculaire. En appui sur le pilier d’une jambe, le corps se tient entre terre et ciel. » (Rebecca Solnit, L’art de marcher, Actes Sud, 2002). A qui aime marcher, le sentier du littoral donne beaucoup.
    Je ne me lasse pas de ses lumières.

     
     
  • A la maison Autrique

    J’y allais pour Ghelderode, j’en suis revenue surtout avec des atmosphères. La Maison Autrique, construite par l’architecte phare de l’art nouveau en Belgique, Victor Horta, vaut assurément la visite. Ne la manquez pas, si par exemple il vous reste du temps après un repas de midi dans l’un des agréables restaurants de l’avenue Louis Bertrand à Schaerbeek. Remontez-la jusqu’à la chaussée de Haecht, au 266. Sonnez, on vous ouvrira.

     

    Derrière sa façade élégante et sobre, c’est une demeure bourgeoise typique de la Belle Epoque à Bruxelles. Du sous-sol jusqu’aux combles, elle est meublée dans l’esprit du temps, éclairée comme un théâtre, avec des surprises qui guettent les visiteurs dans ses recoins. L’hôtel de Ville de Schaerbeek n’est pas loin, où Adhémar Martens a travaillé en tant que commis d’administration communale tout en écrivant, caché derrière un mur d’archives. De son nom de plume Michel de Ghelderode, ce Schaerbeekois qui ne se reconnaissait qu’une seule patrie, la Flandre, habitait rue Lefrancq. 

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    A l’accueil, on m’avait gentiment prévenue : c’est l’homme qui fait ici l’objet d’une exposition – Le mystère Ghelderode, jusqu’à la fin du mois d’avril  – et non son œuvre. Dans la pièce qui donne sur le jardin à l’arrière, clos par une grille au « A » gracieux, une fantastique chauve-souris sculptée par un artiste serbe (Prédan, si j’ai bien entendu) donne le ton, près d’un piano noir. Il fait office de "Grand Macabre", en quelque sorte.

     

    Dès le hall d’entrée, l’association entre Ghelderode et Jean-Jacques Gailliard, son ami, saute aux yeux. Affiches, correspondance, portraits, tout indique entre eux une grande complicité. « Cher grand artiste… », « Cher Ami… », « Cher et Illustre, universellement… » : Gailliard y met beaucoup de majuscules et ses lettres sont comme ses peintures, un étonnant fouillis baroque et animé. Ses missives ostendaises sont surmontées d’un dessin de paquebot, d’un voilier ou d’un fiacre découpé en silhouette. Sur un palier, un sonnet intitulé Miroir : Ghelderode l’a écrit en rouge sur un dessin de Gaillard à l’encre de Chine. 

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    Dans le salon-bibliothèque, à l’étage, un film de Luc de Heusch et Jean Raine, en noir et blanc, passe en boucle. On y voit Ghelderode allumant sa pipe au long tuyau, marchant dans les rues de Bruxelles. On l’entend parler du « secret du grand art, la cruauté ». Bruges est sa ville fétiche, l’ancien port dont la mer s’est retirée et où l’on comprend sans peine, dit-il, que la mort est « le comparse obligé du poète dramatique ». L’écrivain est filmé chez Toone, le fameux marionnettiste bruxellois, qui anime ses figures de bois rien que pour lui. On peut lire par ailleurs une belle lettre d’hommage de Ghelderode à Toone, « le seul directeur de théâtre de Bruxelles à qui j’ose serrer la main ; le seul à qui j’ose confier mes pièces ; ses artistes sont parfaits. »

    C’est dans les chambres du haut que la vie personnelle de Ghelderode est surtout illustrée. Quelques portraits de lui sont présentés sur un chevalet. Un bureau couvert d’objets (main, crâne, machine à écrire, chandelier, buste de femme en bronze affublé d’un masque d’âne…) évoque le décor chargé dans lequel l’écrivain évoluait, lui, l’amoureux des objets « inactuels » pour qui les choses ont une âme, ne vous abandonnent jamais, « remèdes contre le vide, le néant, la solitude ». Un cheval de bois, des marionnettes, assurent cette présence. 

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    Des documents administratifs, près de quelques éditions anciennes et de coquillages, rappellent sa naissance à Schaerbeek, le 3 avril 1898, son engagement à la maison communale en 1923, des avertissements pour retards répétés en 1939, sa révocation en 1945. Plus étonnants, des extraits de délibérations sur les remous provoqués par Martens-Ghelderode : il avait répondu « Merde » à des collègues qui l’accusaient de faire jouer ses pièces par la Jeune Garde libérale, on l’avait traité de « calotin » dans les couloirs, etc.

    Plus que d’une véritable exposition, il s’agit donc bien, comme stipulé sur le document donné à l’accueil, d’un Itinéraire pour une visite de la Maison Autrique. Le visiteur qui connaît déjà l’œuvre ghelderodienne y verra davantage que le non initié. Pour ceux qui n’ont jamais franchi le seuil de la maison Autrique, ce parcours original dans l’univers du grand écrivain belge (dont il faut lire, au moins, les somptueuses nouvelles du recueil Sortilèges) constitue en tout cas une excellente occasion de la découvrir.

  • Au jardin des Alpes

    Elles sont la récompense des marcheurs, au-dessus de deux mille mètres d’altitude, les fleurs des Alpes aux coloris éclatants. Si de loin, les prés paraissent verts, dans l’herbe poussent tous les mauves, les bleus, les roses, les jaunes et les blancs imaginables.

    Dans le second récit de la création, Dieu confie à l’homme la tâche de donner un nom aux animaux et aux plantes. J’y repense à chaque fois que je retrouve les sentiers de montagne et, en même temps, ce jeu dont je ne me lasse pas : celui de donner à chaque fleur son nom. Ne soyons pas présomptueuse : s’il est facile de repérer les plus grandes, comme la gentiane jaune ponctuée ou le lys martagon impérial, le Guide des fleurs sauvages de Richard et Alastair Fitter, (illustré par Marjorie Blamey, Delachaux et Nestlé, Neuchâtel - Paris, 1984) m’est très précieux pour les identifier, avec ses clefs basées sur la taille, la forme et la couleur des fleurs, individuelles ou groupées, le nombre de leurs pétales ou lèvres, rassemblées par famille.

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    C’est en lisant qu’on devient liseron, ai-je envie d’écrire - bien que ce dernier ne pousse pas si haut. Le joli Guide des fleurs de montagne de Silvio Stefenelli (Duculot, 1979), où les couleurs apparaissent sur la tranche du livre, accompagne chaque photo d’un tableau facile à déchiffrer à l’aide d’un carton mobile explicatif, c’est un premier outil bien pratique pour s’y retrouver. Les deux tomes des Fleurs des alpages de Helmut Gams (avec les photos superbes prises par Paula Kohlhaupt, Hatier, 1966) les complètent utilement.

    Mais je reviens à mon sujet, le jeu de nommer. A ceux que la montée en montagne rebute ou que la longueur du chemin décourage, l’attention aux touches vives, aux formes des fleurs et des feuilles, fournit un dérivatif amusant qui distrait de l’effort. Cela n’empêche pas de regarder d’abord où l’on pose le pied (de plus en plus d’accidents de randonnée pédestre en moyenne montagne, relate Le Temps, l’excellent journal suisse) et de lever les yeux vers le paysage. Pour ceux dont le jardin se réduit aux quelques mètres carrés d’une terrasse d’appartement en ville, où les plantes en pot offrent un îlot de verdure, la promenade dans le paradis alpin offre une vraie cure de jouvence.

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    Mes préférées ? La joubarbe des montagnes, cette belle étoile rose dont j’ai appris récemment qu’elle était la première à s’installer là où un glacier s’est retiré ; la gentiane délicate et la printanière – avant d’en avoir vu, je n’imaginais pas qu’un tel bleu existât dans la nature ; la nigritelle ou orchis vanille, petite pyramide rouge foncé qu’il faut absolument sentir de près pour découvrir son incroyable parfum ; l’anémone de montagne, aux pétales mauves et au cœur jaune d’or, parfois encore visible au tout début de l’été. Délicates avec leurs tons pastel, la rose primevère farineuse, la clochette bleu clair finement découpée de la soldanelle des Alpes. Le pied de chat, lui, appelle la caresse du doigt sur son velours blanc crème parfois rosé.

    La plus improbable, je l’ai cherchée toute une après-midi, en vain, sur un plateau au milieu des bois, lors d'un séjour dans le Val de Cogne, où persiste une fleur rare découverte par Linné. N’y pensant plus, un autre jour, sur un sentier qui grimpait fort dans la forêt, d’un tout autre côté, je me suis soudain immobilisée, avec un cri de triomphe : « linnaea borealis ! » Solitaire, la linnée boréale avait poussé au bord du chemin étroit où un pied ignorant pouvait à tout instant l’écraser, une petite clochette blanc rose, discrète, et croyez-moi, émouvante de candeur.

    N.B. Amateurs de balades curieuses, vous pouvez aussi vous promener sur le blog de la famille Marcassin d’Arlon, au joli titre de « Prenez l’air avec vos jambes » sur http://marcassin.blog4ever.com/blog/index-211516.html