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zurich

  • Une table marquetée

    Pas d’images de Zurich en tête avant de découvrir la ville, et pourtant j’avais lu il y a deux ans L’antiquaire de Zurich, le roman très prenant de Michael Pye (The Pieces from Berlin, 2003). Capricieuse mémoire (cf. Lire et relire) qui avait retenu l’histoire de l’antiquaire italo-suisse, Lucia Müller-Rossi, rentrée de Berlin en Suisse avec un convoi de belles choses « mises à l’abri », mais oublié le décor. Il faut dire que je n’avais alors jamais vu Zurich ni Berlin, les lieux marquants du récit. Le cas de Andreina Schwegler-Torré, dont l’auteur avait entendu parler dans un ouvrage sur le marché de l’art suisse durant la deuxième guerre mondiale, a inspiré cette fiction. 

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    Nicholas Müller, le fils unique de Lucia, professeur retraité, ne se soucie pas du ventre rond qu’il arbore maintenant, enveloppé dans son loden vert, dévalant vers la ville dans le brouillard pour se rendre à la gare. Sa fille Helen le suit, en se cachant. Nicholas a décidé de se rendre à l’enterrement de son père, même si on ne l’a pas prévenu de sa mort – « Il appartenait à la première famille, la source du scandale, celle qu’il ne fallait pas mentionner. » Ses parents avaient divorcé en 1945.
    Pour la seconde famille, sa mère et lui étaient supposés morts à Berlin sous les bombardements. Puis quand l’essai de Nicholas sur Shakespeare avait été publié, la version avait été modifiée : on l’avait considéré « comme mort » et sa mère avait disparu de la biographie de son père.

     

    Un simple bouquet d’asters blancs à la main, il veut apercevoir une dernière fois dans le cercueil le visage de celui sans qui il a grandi : « lui-même, usé jusqu’à la corde ». L’autre famille l’ignore, déchire son mot de condoléances. « Et Nicholas se rappela avoir pensé : ils ne sont pas de ce siècle. Ils n’ont pas connu les bombes, la faim, la torture, le feu. L’atroce épreuve de changer et même de devenir adulte leur a été épargnée. Si bien que, quand la guerre s’est achevée, ils ne se souciaient que de rester très, très immobiles, comme des animaux acculés. »

     

    Lucia Rossi « avait toujours vécu entourée de filigranes dorés, de sols en mosaïque imitant des tapis persans, de sculptures et de tableaux. » A dix-huit, ses parents milanais l’envoient à Monza faire du ski, et là elle rencontre Hans Peter Müller, qu’elle épouse. Ses parents sont plutôt rassurés de la voir quitter l’Italie de Mussolini : « Au moins, elle avait présenté un comptable, qui pouvait avoir de l’ambition, et un Suisse, qui pouvait la faire sortir des rues infestées de drapeaux et des campagnes pleines de voyous, et lui offrir la sécurité. » Mais en Bavière où ils s’installent, un mari « doux et généreux » ne suffit pas à la jeune femme qui se nourrit de la rubrique mondaine et, pour s’échapper, prend des cours d’histoire de l’art et le Herr Doktor Professor pour amant. Puis Nicholas naît, un Müller sans aucun doute. Quand la guerre éclate, Hans est enrôlé dans l’armée suisse, Lucia emmène alors Nicholas à Berlin. Il a six ans.

     

    Le garçon apprend à vivre sans père, et souvent sans sa mère, toujours sortie. De plus en plus occupée, de plus en plus entourée – dans ce Berlin de guerre, elle est de plus en plus radieuse. Elle travaille d’abord à l’ambassade, puis aux studios de cinéma de
    la Ufa. Nicholas est confié à Katya, la bonne. Lucia ramène parfois de jolies choses à l’appartement, un tapis rouge et or, des plats, des fauteuils. Les lettres du père n’arrivent plus. Au printemps 1943, les bombardements touchent le cœur de Berlin. Nicholas, neuf ans, est seul avec son chat Gattopardo adopté en cachette de sa mère. « Assis près d’une fenêtre, il regardait une ville mourir. » Lucia rentre très tard, à onze heures « et lui dit : « Je fais tout ça pour toi. » Il savait que ce ne pouvait être vrai. »

     

    Il est temps de rentrer en Suisse. Les valises sont faites. L’enfant n’en revient pas de voir sept camions se garer dans la rue, en convoi. « Nicholas ne savait pas que sa mère possédait tant de biens, ou qu’ils nécessitaient de telles protections. » – « Surtout, ne regarde pas, disait toujours sa mère. Surtout, ne pose pas de questions. » Voyage inénarrable dans un pays en guerre, conduit d’une main de fer par une femme munie de tous les papiers nécessaires et d’un culot monstre.

     

    Helen ne comprend pas que son père n’ait jamais vraiment interrogé sa mère sur cet enrichissement, sur la manière dont elle s’y est prise pour tenir une boutique d’antiquités à Zurich et s’y construire une grande réputation. Mais Nicholas « s’inventa lui-même, par nécessité ». Quand il était tombé amoureux de Nora, « elle devint le principe directeur de toute sa vie », « chacun fut le souffle de l’autre » et puis il y eut leur fille, Helen. Aujourd’hui, celle-ci a un bel enfant, Henry, de son Jeremy toujours en voyage d’affaires. Et Nicholas adore les voir, les recevoir à Sonnenberg.

     

    Et cette table ? me direz-vous. J’y viens. Un jour, Helen remarque une femme en pleurs devant la vitrine du magasin de sa grand-mère. « La vieille dame dit : « C’était une table. Une petite table, avec des fleurs en marqueterie. Comme un jardin, d’encoignure. » » Helen lui propose d’aller prendre une tasse de thé. Sarah Freeman accepte. Quand elle connaissait Lucia, Sarah s’appelait Frau Lindemann. Avec l’aide d’Helen, qui veut savoir, et celle de Peter Clarke, un vieil Anglais qui s’intéresse à elle, Sarah Freeman va pouvoir raconter l’histoire de sa vie et forcer Lucia à retrouver la sienne derrière ce vernis de femme intouchable dont elle se pare encore, à quatre-vingt-douze ans.

    La Limmat, le Lac, le Lindenhof, les tramways bleus… Oui, nous sommes à Zurich, mais surtout au cœur de terribles affrontements, colères, souffrances dont chacun aura sa part. Dans L’antiquaire de Zurich, d’une structure assez lâche, Michael Pye ménage le suspense jusqu’au bout et pose à travers ses personnages singuliers de redoutables mais nécessaires questions.

  • Images de Zurich

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    Allez savoir pourquoi, de Zurich je n’avais pas la moindre image en tête. Après le beau Val de Conches, un arrêt au glacier du Rhône, le col de la Furka, le défilé des Schöllenen et quelques lacs de montagne, l’abord de la ville par la route n’est pas encourageant – embouteillages garantis. Mieux vaut aller à Zurich en train : la gare est en plein centre de la ville la plus peuplée de Suisse.

     

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    L’hôtel « City West » s’avère un bon choix (à part le bruit, mieux vaut dormir les fenêtres fermées). En pleine zone industrielle devenue quartier branché, sur la Turbinenplatz, il est à quelques pas de la rivière Limmat. Une fois le pont franchi (Ampèresteg), il n’y a qu’à longer l’eau pour se diriger vers le quai de la gare (on y arrive en vingt minutes à pied) et entreprendre la visite de la ville.

     

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    Et surprise, ici on pêche, là on se baigne dans la rivière. Les rives de la Limmat, très vertes, aux murs généreusement coloriés à la bombe par endroits, sont aménagées pour les promeneurs, les cyclistes, et aussi pour les nageurs. Ils se laissent porter par le courant puis montent aux échelles placées tout au long des berges pour revenir à leur point de départ.

     

     
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    Cette atmosphère estivale décontractée fait bientôt place à la vieille ville. D’abord on découvre le parc à proximité du fameux Musée national suisse et puis les petites rues marchandes.

     

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    Il suffit de quitter l’itinéraire touristique pour découvrir des quartiers calmes et pittoresques. Monter par exemple les escaliers qui mènent à l’université, sur la colline, et découvrir d’en haut les fins clochers et les toitures anciennes qui donnent à Zurich tout son cachet.

     

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    Aux alentours, la vie culturelle s’affiche : belles devantures de librairies (Calligramme, dans le quartier du Niederdorf), papeteries et ateliers d’art, Cabaret Voltaire où naquit le dadaïsme, maison où a vécu Lénine ou Büchner ou encore Goethe.

     

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    Difficile de passer devant les vitrines des artisans sans s’arrêter pour admirer des bijoux, une collection d’orchidées, un garnisseur au travail sur un canapé. Le joyeux fouillis des cours intérieures (plantes en pots, vélos, chaises), les enseignes en fer forgé, tout fait signe au flâneur qui a le temps.

     

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    Et voici les quais près de la cathédrale aux grandes portes de bronze – il faudra y entrer, le jour où je retournerai à Zurich, ainsi qu’à la Fraumünster qui abrite des vitraux de Chagall. Et visiter le Musée des Beaux-arts, fermé le lundi.

     

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    Enfin le Lac de Zurich, ses rives arborées, sa vue sur les Alpes dans le lointain. Ganymède lui fait face, près de Zeus transformé en aigle. Grands hôtels et promenades d’un côté, bateaux et passerelles de l’autre, d’où l’on s’élance aussi pour nager jusqu’aux fontaines jaillissantes. 

     

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    Des lecteurs près de l'imposant lion de pierre. D’autres se reposent au parc où beaucoup prennent le soleil dans l’herbe, à côté de leur bicyclette.

     

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    Il fait de plus en plus chaud pour découvrir l’autre rive de la Limmat : immeubles cossus, façades décoratives, « rive droite ». Grande avenue commerciale très fréquentée, mais sur le côté, des passages, des galeries, de l’ombre.

     

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    Près d’un square à la jolie fontaine aux chimères, une cliente signale gentiment que le salon de thé est un self service – mais on sert dans une petite théière en fonte noire de bonnes feuilles, désaltérantes.

     

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    Dans une rue d’antiquaires, l’inscription « James Joyce Corner » (non élucidée) : l’Irlandais a vécu à Zurich pendant la guerre, y est retourné à la fin de sa vie. Une photo de la gracieuse fontaine devant la réputée rôtisserie Der Storchen sur la Weinplatz avant de remonter au Lindenhof qui offre une magnifique vue panoramique.

     

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    Et puis revoici la Limmat où en fin d’après-midi, il y a foule sur les berges, dans l’eau, aux terrasses. Le courant est fort – les costauds qui s’entraînent à pousser leur barque comme des gondoliers en vue d’une joute traditionnelle ont fort à faire pour tourner et remonter la rivière. Aux abords de la Turbinenplatz, la soirée se prépare, on se donne rendez-vous, on se restaure. Lumineuse journée à Zurich.

     

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