Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

souvenirs - Page 4

  • Souvenir

    Flem Eliane de Meuse.jpg471

    « Je me souviens qu’un corps, c’est une manière de se mouvoir, d’exister dans l’espace. Nos habits nous habillent, mais c’est nous qui les habitons. »

    Lydia Flem, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans

     

    © Eliane de Meuse, Jeune femme en robe bleue

  • Flem au fil du temps

    Qu’il est gai à lire, ce petit livre rouge ! Dans Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, Lydia Flem emboîte le pas à Perec à qui elle dédie son texte en 479 fragments ; le premier lui a donné son titre. Elle se souvient « de Sami Frey en costume sur son vélo, jouant à l’Opéra-Comique, les quatre cent quatre-vingts « Je me souviens » de Georges Perec. »

    lydia flem,je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans,souvenirs,littérature française,perec,je me souviens,vêtements,couleurs,tissus,enfance,culture

    Le titre annonce la couleur, toutes les couleurs : les verts, les bleus, les jaunes, les noirs, les rouges, les gris, et ces noms délicieux qui en disent les nuances. Mais l’imperméable de ses vingt ans n’est pas moins distributif. Le fil rouge de Lydia Flem, ce sont ces « mots merveilleux » que sa mère couturière prononçait, comme « crêpe de Chine, fil d’Ecosse, ciel de lit, ceinture coulissante, gros-grain, pattemouille ». Certains mots sont des bonbons d’enfance.

    « Je préférais les textes aux textiles. » Si elle reprend au Dictionnaire de l’Académie française l’exemple d’une vie « tissue de chagrins et d’infortunes », à Proust celui d’une prairie « tissue seulement avec des pétales de poiriers en fleurs » – participe passé de l’ancien verbe tistre (tisser)– c’est qu’ils sont textiles, autant visuels que tactiles, ses souvenirs de vêtements portés ou remarqués au fil du temps, qu’il s’agisse des siens ou de ceux des autres. Derrière le texte et le tissu, un même mot latin, « textus ».

    Des personnes élégantes s’y invitent : Inès de la Fressange, Julie Andrews dans Victor Victoria, Diane Keaton avec sa garde-robe masculine dans Annie Hall, Jack Lang, et aussi ses parents, sa mère avec sa collection de chemisiers allant du blanc à l’ivoire, son père aux costumes sur mesure lui laissant choisir sa cravate, elle-même écoutant le conseil de Grisélidis Réal en 1974 : « Osez l’élégance. »

    Le plus souvent, Lydia Flem tire les fils de son passé personnel, mais comme cette Bruxelloise & Parisienne est notre contemporaine, ses souvenirs croisent parfois les nôtres. On tombe, par exemple, sur le nom d’une boutique où on est déjà allée, ou sur « une robe en lin vert pomme » achetée à Milan avec ses parents : « ras du cou, sans manches, de forme trapèze » – la description exacte de cette robe en laine vert pomme que je portais, parfois au-dessus d’un fin col roulé, du temps de mes premiers bas nylon.

    Vous aussi, peut-être, vous avez porté « Rive gauche » de YSL ou une de ces « vestes afghanes brodées en mouton retourné » des années hippies ? La mienne prenait trop de place dans la garde-robe, je l’ai donnée un jour aux Petits Riens. Et ces « longs rubans à chapeau qui flottent dans le dos nommés : « suivez-moi-jeune-homme »Vous qui brodez, cousez, taillez, vous trouverez votre bonheur dans ce livre qui égrène les mots justes, les expressions précises pour désigner les étoffes, les plis, la forme d’une manche. Pour ArtisAnne, voici le souvenir 461 : « Je me souviens que parfois coudre c’est méditer. »

    150 « Je me souviens qu’on s’habille un peu pour soi et beaucoup pour les autres. » 175 « Je me souviens qu’un vêtement lorsqu’il est choisi est une arme de séduction et de pouvoir ; imposé, il devient la marque de l’infériorité et d’une insupportable soumission. » 180 « […] A ces trois motifs de protection, de pudeur et de parure, Barthes en a ajouté un quatrième : le port du vêtement comme un acte de signification, un acte profondément social ». »

    Entre autres associations de la mémoire, voilà un tailleur gris perle et un baisemain, un chemisier rose pâle et Ménie Grégoire, Colette en spartiates tropéziennes pour prononcer son discours de réception à l’Académie royale de Belgique, une robe en tissu Liberty et la Provence. Entre autres oppositions : le chic et le neuf, le bouton français cousu en parallèle et le bouton anglais cousu en croix.

    Un « index subjectif » très détaillé (une trentaine de pages) – une coquetterie ? – permet de retrouver un sujet ou l’autre et d’observer des occurrences (et toute une page de titres de films). Enfin, la liste des livres de Lydia Flem traduits (en une vingtaine de langues), à retrouver sur son blog, montre l’énorme succès de Comment j’ai vidé la maison de mes parents et aussi des essais sur Freud et Casanova.

    En plus des tenues et des tissus, Lydia Flem se souvient bien sûr des accessoires – chaussures, turbans,  ceintures – auxquels elle attribue certaines vertus toutes personnelles : « Je me souviens que nous accordons de la magie à certains vêtements, foulards, bijoux. Avec le secret espoir que ces talismans puissent infléchir le destin. » Cela vous arrive-t-il ?

  • Dis-moi ce que tu vois

    patti-smith-m-train-gallimard.jpg« J’ai abandonné tout ça sur mon lit et suis allée au Caffè Dante. J’ai laissé mon café refroidir et songé aux enquêteurs de police. Au sein d’un binôme, chacun dépend du regard de l’autre. Le premier dit : dis-moi ce que tu vois. Son associé doit parler d’une voix assurée, sans rien omettre. Mais un écrivain n’a pas de partenaire. Il est obligé de se demander : dis-moi ce que tu vois. Mais comme il se parle à lui-même, il n’est pas obligé d’être parfaitement intelligible, car quelque chose en lui se remémore toute partie manquante – ce qui n’est pas clair ou n’est que partiellement explicité. Je me suis demandé si j’aurais été une bonne enquêtrice. J’enrage de devoir l’avouer, mais je pense que non. Je ne suis pas très observatrice. Mes yeux semblent se tourner vers l’intérieur. J’ai réglé l’addition, émerveillée de constater que les mêmes décorations de Dante et Béatrice tapissent les murs du café depuis ma première visite, en 1963. Je suis sortie pour aller faire des courses. J’ai acheté la nouvelle traduction de La Divine Comédie et des lacets pour mes bottes. J’ai remarqué que je me sentais optimiste. »

    Patti Smith, M Train

  • Au café avec Patti S.

    Quelle excellente compagnie pour une fin d’année morose que M Train de Patti Smith (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard). La première phrase est parfaite : « Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien. » C’est ce que dit le cow-boy qui apparaît régulièrement dans ses rêves. « En ouvrant les yeux, je me suis levée, suis allée d’un pas chancelant dans la salle de bains où je me suis vivement aspergé le visage d’eau froide. J’ai enfilé mes bottes, nourri les chats, j’ai attrapé mon bonnet et mon vieux manteau noir, et j’ai pris le chemin si souvent emprunté, traversant la large avenue jusqu’au petit café de Bedford Street, dans Greenwich Village. »

    patti smith,m train,récit,littérature anglaise,etats-unis,café,new york,lecture,souvenirs,rites,rencontres,voyages,vie,musique,culture

    Elle racontera, beaucoup plus loin, comment a été prise la photo de la jaquette du livre, la première et la dernière d’elle au Café ’Ino. « Ma table, flanquée de la machine à café et de la baie vitrée qui donne sur la rue, m’offre un sentiment d’intimité, je peux me retirer dans mon monde. » A neuf heures du matin, fin novembre, il est vide ; la phrase du rêve tourne dans sa tête et elle lui répond : « Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire. »

    Zak, le gamin qui la sert, lui annonce que c’est son dernier jour. Il va ouvrir « un café de plage sur la promenade de Rockaway Beach ». Il ignore qu’elle avait rêvé de faire pareil (elle ignore encore ce qui va se passer un jour à cet endroit). Quand elle est arrivée à New York en 1965, « pour vagabonder », elle fréquentait le Caffè Dante – elle avait les moyens de boire du café, pas de se payer à manger – et puis s’était installée pas loin. C’est là qu’elle avait lu Le café de la plage de Mrabet et avait rêvé d’en ouvrir un, « le Café Nerval, un petit havre où poètes et voyageurs auraient trouvé la simplicité d’un refuge. »

    Si ce début vous plaît, M Train est fait pour vous. Patti Smith nous embarque dans ses rêves, ses rites et ses souvenirs. Son projet était tombé à l’eau après sa rencontre avec Fred « Sonic » Smith à Detroit, elle était partie vivre avec lui. Contre la promesse d’un enfant, il lui avait offert de l’emmener où elle voulait : ce fut Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane française, pour voir les vestiges de la colonie pénitentiaire et cette « terre sacrée » dont parle Genet dans Journal du voleur. Elle raconte leur voyage, l’illustre de quelques polaroïds (une cinquantaine dans M Train), avant de proposer à Zak d’investir dans son affaire – « Vous aurez du café gratuit pour le restant de vos jours. »

    Sa façon de faire l’impasse sur Thanksgiving, de passer Noël avec ses chats et une petite crèche flamande, puis la Saint-Sylvestre « sans résolution particulière », m’a plu, sereine et détachée. Elle termine un poème en hommage à Roberto Bolaño, reconnaissante qu’il ait passé la fin de sa courte vie à écrire 2666, « son chef-d’œuvre ». Patti S. parle avec ses objets familiers, aussi bien avec la télécommande qu’avec une photo, un bol, une chaise (celle de son père).

    Une invitation tombe à point pour la sortir de sa « léthargie apparemment incurable » : le Continental Drift Club (CDC) se réunira mi-janvier à Berlin. Un peu par hasard, elle est devenue membre de cette petite société formée dans les années 80 à la mémoire d’Alfred Wegener, « pionnier de la théorie de la dérive des continents ». Elle avait écrit à l’Institut A. Wegener pour obtenir l’autorisation de photographier les bottes de l’explorateur et, invitée à la conférence du Club à Brême, en 2005, avait été admise, vu son enthousiasme, parmi ce groupe de scientifiques. Lors de leur réunion à Reykjavík, deux ans plus tard, elle avait photographié la table de la fameuse partie d’échecs disputée en 1972 et même – une séquence loufoque – rencontré Bobby Fisscher en personne.

    Patti Smith adore les séries policières et en particulier The Killing, avec Sarah Linden, son enquêtrice préférée : « elle n’a beau être qu’un personnage dans une série télévisée, c’est un des êtres qui m’est le plus cher. Je l’attends chaque semaine, redoutant en silence le moment où The Killing s’achèvera et où je ne la reverrai plus jamais. » A Berlin, son hôtel n’est pas loin du Café Pasternak où elle a aussi sa table préférée, sous la photo de Boulgakov.

    Le titre de sa conférence a été mal traduit – « Les Moments perdus d’Alfred Wegener » au lieu de ses « derniers » moments –, par confusion entre « last » et « lost ». Son évocation de la mort de l’explorateur au Groenland – « Chemin blanc, ciel blanc, mer blanche » – et de ses dernières visions (discours griffonné sur des serviettes à l’hôtel) suscite des protestations, on ne sait rien de sa mort (il a été retrouvé gelé dans son sac de couchage) : « Ce n’est pas de la science, c’est de la poésie ! » Un désastre. Inspirée, elle trouve la formule magique pour conclure et dit d’une voix mesurée : « J’imagine que nous pourrions nous entendre sur le fait que les derniers moments d’Alfred Wegener ont été perdus. – Leur rire franc dépassait de beaucoup tout espoir que j’avais pu nourrir vis-à-vis de sympathique groupe un peu austère. »

    Patti Smith parle de ses rencontres, des écrivains qu’elle lit, qu’elle aime, de son chez-soi : « Ici règnent la joie et le laisser-aller. Un peu de mescal. Un peu de glandouille. Mais pour l’essentiel du travail. – Voici comment je vis, me dis-je. » A sa table au Café ’Ino, elle lit Murakami, titre après titre ; Chroniques de l'oiseau à ressort fait partie de ce qu’elle appelle « des livres dévastateurs ». On ne veut pas les quitter, à peine terminés on veut les relire. Combien de sortes de chefs-d’œuvre existe-t-il ? Deux, trois sortes ? Une seule ?

    Et ainsi de suite, régalez-vous. Pourquoi « M Train » ? J’ai d’abord pensé à son évocation de ce « jeu ancien, inventé depuis longtemps contre l’insomnie », entre autres usages, « une marelle intérieure qui se joue mentalement et non pas sur un pied » : « prononcer un flux ininterrompu de mots commençant par la lettre choisie, disons la lettre M. Madrigal menuet maître mère montre magnétophone maestro mirliton merci marshmallow meringue méfait marais mental etc., sans s’arrêter, en avançant mot par mot, case par case. »

    Mais au milieu de son récit, Patti Smith nous emmène à la Casa Azul, dernière demeure de Frida Kahlo, où elle va prononcer une conférence et chanter. Elle ne sent pas bien, la directrice insiste pour qu’elle se repose dans la chambre de Diego Rivera. La voilà allongée sur le lit de Diego, pensant à Frida. Elle pourra tout de même tenir son rôle le soir, devant deux cents personnes, dans le jardin. Ensuite elle ira au bar, boira une tequila « légère » : « J’ai fermé les yeux et vu un train vert avec un M à l’intérieur d’un cercle ; le même vert décoloré que le dos d’une mante religieuse. » Un train mental.

  • Rêves

    lesbre,michèle,chemins,roman,littérature française,souvenirs,culture

     

    « Je ne pensais pas qu’il mentait, ce qu’il inventait de sa vie me touchait parce qu’il me le donnait, c’était peut-être ce qu’il y avait de plus intime en lui, et j’aimais qu’il me le confie. J’ai ajouté que les rêves sont aussi ce que nous sommes, même si cela ne se voit pas. Il a posé sa main sur la mienne et m’a demandé si je voulais faire un tour en barque après le passage attendu de deux autres péniches. Bien sûr que je le voulais. Je pensais à mon père vantant l’art de vivre de Murger, auquel il avait sans doute renoncé mais qui pourtant l’avait habité toute sa vie, comme un rêve impossible et nécessaire. »

     

    Michèle Lesbre, Chemins