« Celui qui sait une chose ne vaut pas celui qui l’aime. Celui qui aime une chose ne vaut pas celui qui en fait sa joie. » (VI, 20)
Confucius, Entretiens
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« Celui qui sait une chose ne vaut pas celui qui l’aime. Celui qui aime une chose ne vaut pas celui qui en fait sa joie. » (VI, 20)
Confucius, Entretiens
« Sans cette clé fondamentale, on ne saurait avoir accès à la civilisation chinoise », écrit Pierre Ryckmans dans son introduction aux Entretiens de Confucius (551-479 avant J.-C.), traduits et annotés par lui. Il s’agit en fait d’une compilation posthume, « des bribes, voire des miettes, de la conversation du Maître Confucius (…), sauvegardées un peu par hasard, au petit bonheur la chance par des disciples directs, ou plus probablement indirects. » (Anne Cheng, « Si c’était à refaire... ou : de la difficulté de traduire ce que Confucius n’a pas dit ».)
Confucius, gouache sur papier (The Granger Collection, New York), vers 1770
Avec une concision rare, ces Entretiens proposent, en vingt chapitres, un idéal nouveau à son époque, une voie morale, Confucius « substituant à l’ancienne notion d’élite héréditaire celle d’une élite qui serait déterminée par la vertu, le mérite, les compétences, le talent, indépendamment de la naissance et de la fortune. » (Ryckmans)
« Ce n’est pas un malheur d’être méconnu des hommes, mais c’est un malheur de les méconnaître. » (I, 16) L’humanisme de Confucius apparaît d’emblée dans son éloge de l’étude, de l’amitié, de la dignité – qui implique de respecter ses parents et d’honorer les morts – et son incitation à un mode de vie sobre et harmonieux.
Analectes de Confucius, couverture de 1533
A notre époque souvent en perte de repères, certaines réflexions font mouche, sur l’art d’enseigner, sur le savoir (comment ne pas penser à la crise que traverse l’enseignement ?), sur les qualités nécessaires pour gouverner : « Promouvez les hommes intègres et placez-les au-dessus des gens retors – le peuple vous soutiendra. Mais si vous placez les gens retors au-dessus des hommes intègres, le peuple cessera de vous soutenir. » (II, 19)
Pour devenir un « homme de qualité » selon Confucius, il faut le plus souvent emprunter la voie du milieu. « Quand le naturel l’emporte sur la culture, cela donne un sauvage ; quand la culture l’emporte sur le naturel, cela donne un pédant. L’exact équilibre du naturel et de la culture produit l’honnête homme. » (VI, 18)
Le sel des commentaires du Maître sur des personnalités de son temps, ses allusions à la situation sociale et politique en Chine, même éclairés par les notes du traducteur, échappent au lecteur peu formé à l’histoire de la civilisation chinoise. Confucius n’est pourtant pas « une sorte de pédant formaliste et vétilleux », comme on pourrait l’imaginer d’après certains de ses jugements sur la vie de cour, note Pierre Ryckmans, c’est « un homme pour qui les valeurs de contemplation priment sur toutes les autres ».
Quasi chaque chapitre offre ainsi l’une ou l’autre réflexion de portée universelle. Confucius balise la voie d’un développement personnel. A Fan Chi qui l’interroge sur la vertu suprême, il répond : « Etre digne dans la vie privée ; diligent dans la vie publique ; loyal dans les relations humaines. Ne pas se départir de cette attitude, même parmi les Barbares. » (XIII, 19) Un peu plus loin : « L’honnête homme cultive l’harmonie, mais pas la conformité. L’homme de peu cultive la conformité, mais pas l’harmonie. » (XIII, 23)
Manuscrit des Entretiens de Confucius découvert à Dunhuang
La dernière section des Entretiens, « fragments archaïques mal raccordés » (Ryckmans), revient sur l’art de gouverner, qui suppose selon Confucius de cultiver « cinq trésors » (qualités humaines) et d’éliminer « quatre fléaux » : « la Terreur qui cultive l’ignorance et pratique le massacre. La Tyrannie qui exige des récoltes sans avoir semé. Le Pillage qui se perpètre à coups d’ordres incohérents. La Bureaucratie qui dénie à chacun son dû. »
Observations, réponses à ses disciples, questions, ces paroles d’un sage qui a vécu si loin de nous, il y a si longtemps, continuent à éclairer. « Zigong demanda : « Y a-t-il un seul mot qui puisse guider l’action d’une vie entière ? » Le Maître dit : « Ne serait-ce pas considération : ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. » (XV, 24)
(Pour A.)
à Sophie Lemaître
Je suis toujours l’enfant rieur, cet enfant que la guerre
A empêché de vivre en riant son enfance.
Jeunesse, encore en moi, je vais, je cours, je nage
J’adore les chevaux et skier dans la neige
Mon corps est amoureux, il aime, il est aimé
Mon corps est très patient, il est à mon service.
L’instant, couleur du temps, vient à moi promptement
Sur vos balcons, glaciers, travaillés de lumière
De toute ma chaleur je t’écoute, Soleil !
Un jour, je suis tombé, je tombe dans mon corps
Il m’a serré de près, je tombe à la renverse.
Je ne suis plus mon corps, je suis dans ses limites
Je suis un apprenti de mon corps de grand âge
Ignorante espérance, tu vois, je m’abandonne
A la pensée d’amour de ma fragilité.
Henry Bauchau, Tentatives de louange
Photo : Giuseppe Penone, L’arbre des voyelles, 1999 (Installation au Jardin des Tuileries, Paris, 2000)
Tentatives de louange (2011) est le dernier recueil poétique d’Henry Bauchau, le premier que j’ouvre : une cinquantaine de pages, vingt-quatre textes, dans le petit format de la collection « Le souffle de l’esprit ». Actes Sud l’a conçue comme « le reflet d’une ouverture des uns aux autres, à travers la prière, la réflexion, la méditation » – croyants, athées ou agnostiques y font part de leurs invocations à Dieu ou de leurs réflexions sur l’humain.
Bauchau a composé ces « prières » entre 2009 et 2011. Certaines sont dédiées à une personne ou composées « pour » quelqu’un, d’autres sont des méditations, des instants ouverts sur l’infini. Son premier texte, « Louange au Déliant », est le seul à nommer Dieu.
Seigneur, Seigneur Dieu, au-delà de tous les noms et de toute pensée
Délivre-nous ainsi que l’a souhaité Maître Eckhart
Délivre-nous non de l’amour mais des images de toi
Comme tu as délivré mes oreilles du bruit du monde
En me rendant presque sourd
Comme tu m’as libéré du délire de puissance et de possession
En me rendant presque aveugle
Séparé, enfermé en moi-même, ne m’emprisonne pas avec toi
Accorde-moi la liberté
Où parfois, en m’éveillant, je te sens si proche (…)
Pour vous, quelques premières lignes :
Les parachutistes savent pourquoi les oiseaux chantent (« Pourquoi les oiseaux chantent »)
Je m’éveille, je fais le salut au soleil. Le mince soleil à l’est qui filtre entre deux maisons. Je me prosterne de tout mon corps, ne le pouvant en esprit. » (« Le salut au soleil »)
Sur le grand escalier nous nous sommes assis
Que la pierre était douce, d’une chaleur humaine. (« Architectures de louange »)
Je suis nu comme un poteau de téléphone (« Céleste insuffisance »)
Et quelques derniers mots :
Heureux qui sait faire face au gel et trouver sa place abondante au soleil. (« Arbre pour la belle verrière »)
Louange à l’art des cavernes
Louange à l’artisan
Je ne connais pas d’art profane
Tout est sacré (« Exercice de louange »)
Le chant des syllabes muettes (« Les hirondelles boivent en vol »)
Henry Bauchau est ce vieil homme qui écrit, se tait, attend. A l’écoute des vibrations du monde, il regarde un jardin sous la neige comme une enfance, le printemps comme une métamorphose – « Il n’est pas permis d’être vieux ». Il devient arbre, oiseau, ciel.
Le doute l’habite : « Si le temps d’écrire revient, je doute. Je doute aussi après. Tu n’es que le locataire de la maison de l’écriture, quand tu es chevauché par le roman ou disloqué par le poème. » (« Le salut au soleil ») Le doute est un allié : « Je ne connais pas, je ne crois pas, j’espère » (« Eloge du doute »)
Photos : Louise Bourgeois, The Welcoming hands, 1996 (Installation au Jardin des Tuileries, Paris, 2000)
« Connaître, c’est discerner ce que l’on comprend et ce que l’on ne comprend pas. » (Confucius)
Kwong Kuen Shan, Le chat zen