Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

peinture - Page 2

  • Le Cercle des peintres & Kikie Crêvecoeur

    Le musée Rops de Namur récidive dans la mise en valeur des femmes artistes avec une exposition à ne pas manquer cet été : Le Cercle des femmes peintres & Kikie Crêvecoeur. Si la graveuse contemporaine m’avait déjà épatée à la Bibliotheca Wittockiana, j’ignorais l’existence de ce collectif « actif dans le monde de l’art belge à la fin du XIXe siècle ». Le Cercle des femmes peintres a organisé quatre expositions entre 1888 et 1893, au même endroit et dans la même période que les XX autrement présents dans l’histoire de l’art.

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Alix d’Anethan (1848-1921), Dans l’atelier de l’artiste ou Les Aquafortistes, s. d.,
    huile sur toile, 108,4 x 137,5 cm. Courtesy Galerie Ary Jan, Paris.

    « Le mérite d’avoir remis le Cercle des femmes peintres dans la boucle de la recherche en histoire de l’art revient entièrement à Alexia Creusen », peut-on lire dans l’avant-propos du catalogue (source des citations). Cette plasticienne et historienne de l’art liégeoise est l’autrice de Femmes artistes en Belgique. XIXe et début XXe siècle. Les 88 artistes qui ont participé aux quatre salons du Cercle sont presque toutes oubliées – Denis Laoureux les présente chacune dans une notice (de deux lignes à une page selon les cas) dans un « Dictionnaire » en dernière partie – et leurs œuvres, souvent perdues ou dans des réserves « malgré des tableaux d’excellente facture et des carrières exemplaires ». 

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Alice Ronner (1857-1906), La cruche d'étain (détail), 1887,
    huile sur toile, 80 x 64 cm, MRBAB, Bruxelles

    Des gravures de Kikie Crêvecoeur accompagnent de salle en salle ces peintures de l’époque de Félicien Rops. Je n’ai pas photographié, à l’entrée de l’exposition, le jeu de ses linogravures en réduction et aimantées (Bribes et échappées, 2006) que les visiteurs sont invités à déplacer à leur guise sur un panneau, mêlées à des pages de catalogues du Cercle des femmes peintres. 

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Page de catalogue, Cercle des femmes peintres, Bruxelles

    Dans l’atelier de l’artiste ou Les Aquafortistes d’Alix d’Anethan (ill. 1) « montre des artistes femmes rassemblées autour de la représentation du paysage à l’aquarelle sur papier alors que le tableau lui-même est peint à l’huile sur toile, en grand format, et montre non pas un coin de nature mais une pratique artistique ». A son époque, non admises dans les écoles d’art, les femmes se formaient dans des ateliers privés, souvent tenus par des peintres masculins. Alix d’Anethan a participé à de multiples salons, belges et parisiens.

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    © Kikie Crêvecoeur, Courriers Ping-Pong avec Anne Leloup, Jo Ann Lanneuille et Marine Domec,
    2022-2024, estampe. Collection de l'artiste

    Dans un angle figurent neuf petits portraits peints récemment sur carton par Kikie Crêvecoeur, Mes amies complices. La graveuse bruxelloise s’est liée dès ses années de formation avec d’autres artistes : « le travail en collectif apparaît comme un fil rouge » dans sa carrière. Elle fait partie de l’Atelier Razkas. Lors d’échanges avec des amies artistes par « courrier créatif », elle introduit aussi la couleur dans des estampes joliment japonisantes.

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Berthe Art (1857-1934), Les oeillets (détail), s. d.,
    pastel sur papier, 67 x 82 cm, Berko Fine Paintings, Knokke

    Un pastel signé Berthe Art, Les Œillets, témoigne de sa prédilection pour la peinture florale et de son art dans la composition comme dans le rendu des matières. Un triptyque panoramique, Les rochers en mer (collection privée), montre une autre facette de son art. En plus de la première exposition du Cercle, Berthe Art a exposé régulièrement dans les salons triennaux belges jusqu’au début du XXe siècle, et aussi à Cologne, à Londres – une carrière internationale. Une Nature morte avec fleurs (et pêches) de Marie de Bièvre est très belle aussi.

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    © Kikie Crêvecoeur, Des Milliers (I à XXV...), 2013-2017, ensemble de linogravures,
    25 x (60 x 14,5 cm), work in progress. Collection de l'artiste

    Avant de monter l’escalier, je suis retenue par Des Milliers (I à XXV…), un ensemble de linogravures où figurent, alignés, des troncs d’arbres élagués. Kikie Crêvecoeur a commencé en 2013 cette série en hommage aux victimes des camps nazis. Le titre fait référence à la chanson de Jean Ferrat (« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers... ») et au film d’Alain Resnais Nuit et brouillard

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Henriette Calais (1863-1951), Vers la lumière, vers 1895,
    aquarelle sur papier, 46,5 x 90 cm. Courtesy Galerie Drylewicz, Paris

    D’Henriette Calais, revoici l’Allégorie féminine vue à Tournai. Je m’attarde devant deux aquarelles de cette peintre symboliste, Vers la lumière et Ames solitaires, de 1895. Sur le site de la galerie Drylewicz (Paris), vous pouvez lire une présentation très intéressante de cette artiste. J’y ai découvert son travail de sculptrice, « un vaste et ambitieux projet de monument destiné au parc Josaphat, à Schaerbeek » sur le thème de La Fontaine d’amour, dont on montre une maquette en plâtre. 

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Louise De Hem (1866-1922), Intimité, 1901,
    pastel sur papier, 100 x 84,2 cm. Yper Museum, Ypres

    Les œuvres marquantes ne manquent pas, je reviendrai sur celles de Kikie Crêvecoeur. J’admire longuement Intimité de Louise de Hem, un pastel aux couleurs délicieuses. Il contraste si fort avec Femme au jasmin d’Alix d’Anethan, mais ces deux portraits sont des œuvres silencieuses et introspectives d’une grande beauté. Je retiens la Mer phosphorescente de Marguerite Verboeckhoven et le Paysage de forêt de Clémence Jonnaert. 

    le cercle des femmes peintres,kikie crêvecoeur,exposition,musée rops,namur,femmes artistes,peinture,histoire de l'art,culture
    Alix d’Anethan (1848-1921), Femme au jasmin, s. d.,
    huile sur toile, 74 x 96 cm. Collection privée

    Après avoir revu les salles consacrées à Félicien Rops, c’était agréable de sortir dans le jardin du musée, où des extraits de sa correspondance sont présentés parmi les fleurs qu’il aimait : « les fleurs m’ont consolé de bien des peines » (Lettre à Rassenfosse). Les arbres, la nature, la poésie du quotidien, Kikie Crêvecoeur n’a pas fini de nous les montrer, à sa manière. Avec Le Cercle des Femmes peintres, elle vous attend à Namur jusqu’au 8 septembre.

  • Métamorphoses

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographieLe mouvement surréaliste était d’avant-garde, mais non « exempt de misogynie ». Au début de l’exposition « Imagine ! », une grande reproduction d’un montage publié dans La révolution surréaliste du 15 décembre 1929 montre  les photos d’identité de seize (hommes) surréalistes aux yeux baissés encadrant Je ne vois pas la [femme] cachée dans la forêt de Magritte.
    Heureusement les artistes femmes ont bien leur place ici, on en est redevable à l’exposition « Surréalisme au féminin ? » du musée de Montmartre, où on pouvait voir ce Couple d’oiseaux anthropomorphes de Suzanne van Damme, du temps où la peintre belge fréquentait les surréalistes à Paris.

    © Suzanne Van Damme, Couple d’oiseaux anthropomorphes, 1946, Rediscovering Art by Women (RAW)

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographieJe repense à ce drôle de couple devant une œuvre de Meret Oppenheim, Daphné et Apollon. Dans les Métamorphoses d’Ovide, la nymphe se transforme en laurier pour échapper à l’étreinte d’Apollon.
    Sur cette petite toile, celui-ci est également transformé en arbuste, au corps difforme comme « une pomme de terre germée » (audioguide) : la surréaliste suisse a privé le dieu de sa beauté, alors que Daphné, « lumineuse et belle », est « perchée sur ses racines comme sur des escarpins ».

    © Meret Oppenheim, Daphné et Apollon, 1943, huile sur toile, Collection privée

    « Imagine ! » 100 ans de surréalisme international, MRBAB,
    Bruxelles
    > 21.07.2024

     

  • 1924-2024, Imagine !

    Le 21 juillet, l’exposition Imagine ! 100 ans de surréalisme international fermera ses portes aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Organisée pour le centième anniversaire du Manifeste d’André Breton, en collaboration avec le Centre Pompidou (exposition à Paris à partir du 4 septembre), elle ira ensuite à Madrid, à Hambourg et à Philadelphie.

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie

    A l’entrée de l’exposition, Chien aboyant à la lune, de Miro, voisine avec La mélancolie d’une belle journée, signée Giorgio De Chirico. Un grand bronze de Max Ernst, Capricorne trône devant la ligne du temps, qui débute ici dans les années 1880. En effet, Imagine ! « se concentre sur les liens, les similitudes, mais aussi les lignes de fracture, entre le surréalisme et un de ses précurseurs, le symbolisme. » (MRBAB) L’exposition regroupe des œuvres de différentes époques autour de dix thèmes (le labyrinthe, la nuit, la forêt...). En voici quelques bribes.

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    Fernand Khnopff, La Méduse endormie, [1896],
    pastel sur papier, Collection privée

    « La nuit » nous mène des Yeux clos d’Odilon Redon à L’Empire des lumières de Magritte (photo 1), devant une Impasse de Vogels, puis à la Méduse endormie (1896) de Khnopff. Cette juxtaposition d’univers si différents me laisse d’abord songeuse. Certaines œuvres se répondent. Ainsi, Extrême nuit de Léonor Fini (1977) reprend à Khnopff la Méduse aux superbes ailes repliées, mais ici l’œil ouvert de la Gorgone pétrifie la jeune fille qui lui fait face.

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    © Leonor Fini, Extrême nuit, 1977, huile sur toile, Paris, Galerie Minsky

    Dans l’œuvre de Max Ernst, l’oiseau est un leitmotiv. Son Armée céleste intrigue par les effets de matière. Dès 1925, Ernst a pratiqué le « frottage » et puis le « grattage » du pigment, directement sur la toile. On voit se multiplier sur cette peinture des têtes rondes d’oiseaux et des roues, dans des couleurs subtiles à la fresque.

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    © René Magritte, Les grands voyages, 1926, huile sur toile, Collection privée

    Parmi les Magritte de l’exposition, voici Les grands voyages (collection privée), au format panoramique inhabituel. Au-dessus des montagnes flottent une silhouette féminine (sans tête, aux jambes peintes de divers bâtiments) et une créature tentaculaire. Autre énigme, Le sentiment de vitesse de Dali : les ombres de deux cyprès s’étirent, la plus longue marque l’heure sur le cadran incrusté dans une chaussure. Le paysage surréaliste ouvre à l’imaginaire.

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    Picasso, L'acrobate bleu / Arp, "Mirr" / Magritte, Les idées de l'acrobate

    Picasso, Arp et Magritte : des formes « acrobatiques » se répondent. Je m’attarde devant Un tableau très heureux signé de l’Américaine Dorothea Tanning (qui exposait déjà avant d’épouser Max Ernst). Je n’avais jamais vu cette peinture qui « caricature le cliché du voyage de noces » (commentaire de l’exposition Surréalisme au féminin du musée de Montmartre où elle était exposée l’an dernier). Le tourbillon d’une grande toile blanche attire l’œil avant de laisser voir des éléments qu’elle relie « comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » (Lautréamont).

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    © Dorothea Tanning, Un tableau très heureux (détail), 1947, huile sur toile, Paris, Centre Pompidou

    De gauche à droite : dans un espace voûté, des caisses, des malles sur lesquelles un personnage assis tient un parapluie noir ; un kiosque rond surmonté d’une horloge ; une silhouette bleue, une bouche souriante ; un nu, derrière un bouquet de roses rouges ; des volutes de fumée grise s’échappant de cheminées, sur un panneau peint posé au sol. Tanning peint l’énigme humaine, la magie de l’hallucination, les pouvoirs de l’œil, la folie et ses visions. Elle ne voulait pas être réduite à l’étiquette « surréaliste » : « But I have no label except artist. » (Fondation D. T.)

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    © Valentine Hugo, Le rêve du 21 décembre 1929, 1929,
    mine de plomb sur papier, Collection Mony Vibescu

    Dans « Rêves et cauchemars », un des thèmes de l’exposition, je découvre une autre œuvre également présentée à Montmartre : Le rêve du 21 décembre 1929, de Valentine Hugo, dans un cadre d’époque orné de deux dragons. Ce beau visage est déjà blessé par de terribles griffes, et la partie inférieure du rêve n’a rien de rassurant !

    imagine,100 ans de surréalisme international,exposition,bruxelles,mrbab,symbolisme,surréalisme,peinture,sculpture,dessin,photographie
    Francis Picabia, L'éclipse, vers 1922-1923, huile sur toile, Bruxelles, MRBAB

    En résumé, malgré l’accrochage thématique assez disparate, l’exposition offre  à découvrir. L’audioguide y est plus pratique que la transcription téléchargée sur un petit écran. Pour terminer, je vous montre encore L’éclipse de Picabia, seule œuvre de cet artiste dans les collections des MRBAB. Ce détournement de la Vierge au serpent n’est pas plus politiquement correct aujourd’hui qu’à l’époque ! L’étoile d’or qu’elle porte sur l’épaule l’intègre dans « Le cosmos », la dernière section d’Imagine !, près des Corps célestes de Tamayo et de Naissance d’une galaxie de Max Ernst.

  • La Lande

    « Et puis tout à coup, au détour d’un bosquet, elle surgit  dans un déferlement d’océan : la Lande. Elle est maintenant là sous mes yeux, immense et princière, étirant à perte de vue ses longues vagues de terres mauves, jetant contre le train son ressac de bruyères.

    jérôme magnier-moreno,highlands,roman,littérature française,récit de voyage,couple,rorcha,peinture,ecosse,paysages,culture
    © Rorcha, Les quatre lacs, 2020,
    acrylique sur bois, 33 x 46 cm. Collection privée, Paris.

    C’est pour elle que je suis revenu jusqu’ici, pour sa dureté, son humidité, sa sauvagerie et les innombrables lochs qu’elle recèle – turquoise, noirs ou azur –, les plus belles choses qu’il m’ait été donné d’admirer et dont ma mémoire n’a fait qu’amplifier le sublime au cours des années.  Il y en a un, surtout, que j’ai à cœur d’aller retrouver au plus vite. Un parmi les centaines de lacs semés à travers ce paysage comme une poignée de pierres précieuses par un petit dieu facétieux. »

    Jérôme Magnier-Moreno, Highlands

  • Fuir en couleurs

    Highlands de Jérôme Magnier-Moreno (°1976) me fait découvrir la collection « Le sentiment géographique » chez Gallimard, dédiée à un écrivain qui recompose, « en vagabond attentif, un monde à la première personne ». Des échos lus ici et m’ont attirée en premier vers les couleurs de Rorcha, nom dont l’auteur-artiste signe ses peintures. Un détail de Plein ciel, en couverture, et une dizaine de paysages accompagnent son roman.

    jérôme magnier-moreno,highlands,roman,littérature française,récit de voyage,couple,rorcha,peinture,ecosse,paysages,culture
    © Rorcha, Plein ciel (détail), 2022, acrylique sur bois, 60 x 92 cm. Collection privée, Paris.

    Ce récit de voyage s’ouvre sur une carte : le dessin de son itinéraire depuis Paris vers Inchnadamph, au nord de l’Ecosse, dans les Highlands, les 24 et 25 mai 2013. De « Bleu pétrole » à « Turquoise de banquise », toutes les séquences ont pour titre une indication de couleur, en commençant par le train pris à Londres un vendredi soir, le Caledonian Sleeper. Sous l’effet d’un tranquillisant, le narrateur s’apprête « à passer une nuit régressive dans le ventre du train, loin de Paris et de l’Himalaya d’emmerdes » qu’il y laisse.

    Londres 21h15, Inverness 8h41 : il se souvient de cet horaire, le même que quand il avait treize ans, et du même coup de sa mère, de « la douce expression » de son visage auquel celui de la Jeune Fille à la perle de Vermeer ressemble tellement. Il emporte avec lui le vieux sac à dos jadis « d’un vif rouge corail », décoloré en « vieux rose », témoin de deux années de suite passées en famille dans les Highlands écossais, « des jours qui comptaient parmi les plus beaux de [sa] vie. »

    Cette nuit rythmée par le train le trouve « écartelé entre l’impatience d’atteindre la destination de ce voyage et la tristesse d’avoir dû abandonner [son] propre foyer. » Il pense à son fils Thomas qui doit être surpris. Avec Claire, sa femme, ils ont eu des mots et des regards « si durs et si tristes » qu’il s’est décidé d’un coup : « Je pars ». Sur un post-it dans l’entrée, il a laissé un mot : « Je reviens dans une semaine. »

    « Jamais je n’ai été aussi loin de dormir. » Trop de cafés, de cachets, des ronflements dans la cabine voisine, une couette trop chaude… « Je ne connais que trop cette sensation de m’enfoncer sans retour dans l’insomnie […] ». Autant rejoindre le wagon-bar. Le goût du whisky ramène d’autres souvenirs, une autre tristesse. Passé la frontière écossaise, les ténèbres à l’extérieur, à l’intérieur le sourire d’une « ginger girl » bientôt emmenée par son « boyfriend », le passage des heures…

    Le lendemain matin, après qu’aux « étincellements jaunes » des genêts le long des talus succède la Lande, le paysage offre un spectacle « merveilleusement ensoleillé ». Voilà le train arrivé à destination, en gare d’Inverness. Un car emmène le voyageur plus au nord, le dépose devant l’auberge d’Inchnadamph, devenue « un repaire de naturalistes, ornithologues, pêcheurs et randonneurs de tout poil ».  Pas encore 14 heures, du ciel bleu : il part se promener sur-le-champ.

    Jérôme Magnier-Moreno nous prête ses yeux pour contempler la beauté du paysage écossais, la transparence de la rivière, tout ce qu’il reconnaît là, entre ses souvenirs de marche ou de pêche, des « nuées d’insectes », un microcosme « miraculeusement préservé ». Ses souvenirs de famille sont au rendez-vous, des moments rares de complicité avec son père, qu’il s’est attaché à développer avec son fils en l’entraînant dans les musées parisiens le samedi matin, pour dessiner.

    Mais pas de lumière sans ombres. Trouvera-t-il le lac sans nom qu’il est venu retrouver ? Comment faire quand la pluie et le brouillard s’en mêlent ? Dans ce récit éminemment visuel, les sensations, la confusion s’emparent du promeneur imprévoyant, terriblement obstiné. Happé par sa quête, le lecteur l’est aussi dans ses peintures aux couleurs fortes – turquoise, ocre, vert, rouge, noir. Plus que des paysages, des visions, captivantes.

    Dans Highlands, la crise de couple qui a déclenché la fuite du narrateur reste à l’arrière-plan, tant importe à l’auteur de raconter et surtout montrer ces « terres hautes » d’Ecosse où il nous invite, comme Rorcha, à nous perdre avec lui entre terre et ciel, entre lacs et nuages. Merci, Jérôme Magnier-Moreno, pour cet envoi qui nourrit l’imaginaire et le regard.