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jeunesse - Page 12

  • Légèrement rasants

    « Ils avaient vingt ans, un ardent désir de me charmer les portait, ils seraient physicien, ingénieur et historien d’art, pas médecin car la faculté de médecine avait été transportée en banlieue, mais ils ne m’amusaient pas. Allons ! je vivais ce dont toute femme rêve et que j’avais vu cent fois dans les films, j’étais, enfin ! la petite merveille qui ravage, me voir était me vouloir, ils tendaient vers moi des mains avides et des cœurs palpitants, le choix m’appartenait : je les trouvais légèrement rasants. Il est certain que, quatre-vingts ans plus tôt, je flambais : là, je bâillais. Je n’avais plus l’âme adolescente, il ne me suffisait pas de les trouver beaux ou de sentir l’élan qui les portait vers mes charmes.

    Ou bien…

    Je me souvins de moi. Jeune fille, j’avais souvent trouvé mes contemporains ennuyeux. Ils manquaient de culture, ils étaient obsédés par leurs études, ils n’y pensaient pas assez, ils parlaient football et me trouvaient bizarre quand je parlais Racine. En fait, j’avais écouté ceux-ci avec l’intérêt bienveillant d’une centenaire attentive. Je n’y pouvais rien, je l’étais. »

    Jacqueline Harpman, Le temps est un rêve

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  • Vingt ans à nouveau

    Avez-vous un moment pour rêver avec Jacqueline Harpman ? Quand j’ai aperçu Le temps est un rêve, à la bibliothèque, ce titre m’a d’abord rappelé Ghelderode (La Flandre est un songe) et puis j’ai emporté chez moi cette pochade publiée en 2002, la même année que La dormition des amants – on verrait bien. 

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    La psychanalyste a laissé libre cours à son imagination pour présenter ce texte sous un « avertissement de l’éditeur » : signé Stéphane Lambert, celui-ci cite une lettre où l’auteure prétend avoir trouvé « une pile de feuilles » qu’elle n’a pas écrites mais qui semblent bien d’elle – qu’il en fasse ce qu’il veut ! « L’histoire était invraisemblable, mais c’était peut-être la vérité. » Allons-y.

    A peine ses 104 ans célébrés dans la gériatrie (en 2033) où l’ont installée ses filles, « la fée » rend à Jacqueline Harpman le corps de ses vingt ans, amélioré selon ses désirs : une femme élancée, une somptueuse chevelure blond cendré, des yeux verts, « un teint d’ambre pâle, des mains à la Greco et des seins à la Botticelli ! »

    Jolie et en bonne santé, il n’est plus question pour elle de rester à l’hospice, et tant pis si elle n’a que du gris à porter pour se sauver en pleine nuit, se faisant passer pour la petite-fille de la centenaire qui se serait attardée pour veiller sur son sommeil. Après avoir marché un peu dans Bruxelles, elle trouve un taxi et se fait conduire au Hilton, où elle prétend s’être fait voler sac et valise à la gare. Sa bonne mine inspire confiance (elle réglera sa note le lendemain) et c’est devant le miroir d’un appartement au quinzième étage qu’elle fait le point.

    Comment vivre avec cette beauté parfaite dont elle a toujours rêvé, qui fait impression sur les autres, comme si elle était Oriane, la duchesse de Guermantes, ne fût-ce que sur le serveur du petit déjeuner qu’elle dévore avec appétit ? « Le premier repas d’une ressuscitée est admirable ». Très vite surgissent les questions pratiques : il lui faut du liquide pour ne pas se faire repérer, et au petit matin, elle file par l’escalier de service en quête d’un distributeur – heureusement, elle a emporté ses cartes de crédit.

    Elle a bientôt acheté un sac à bandoulière pour y ranger son argent. Il lui faut à présent une nouvelle identité et sans doute un gagne-pain : sa disparition a dû être signalée, ses filles (presque soixante-dix ans) averties. Et ensuite une nouvelle garde-robe. Boutiques, agences bancaires, la voilà pourvue du nécessaire pour quelque temps, un peu effrayée de se reconnaître aussi prévoyante et réfléchie qu’avant, alors que la jeunesse permet toutes les fantaisies !

    Aussi sourit-elle à un bel homme qui déjeune non loin d’elle, qui a l’air « surpris, mais content » et elle se retrouve quelques heures plus tard, par une après-midi de juillet ensoleillée, à pouffer de rire « dans un lit défait ».  La fée lui a rendu sa virginité avec sa jeunesse, à sa propre surprise et à la stupéfaction de son amant, Vincent Lefébure, à qui elle dit s’appeler Garance (Les enfants du paradis).

    Le lendemain, elle se laisse enfermer dans les toilettes de l’Hôtel de Ville et s’y crée à l’ordinateur une nouvelle identité et même un permis de conduire. La voilà bientôt à la une du Soir, une photo datant de ses 75 ans, « le regard vif, l’air intelligent, étonnamment bien conservée – l’horreur ! » Bien sûr, Jacqueline Harpman lit avec intérêt ce qu’on écrit sur elle et sur son œuvre. Mais elle est désormais Clotilde Santivas (Les bons sauvages) et déclare à la police le vol de ses papiers d’identité.

    « J’ai toujours aimé rêver d’autres histoires que la mienne, me donner des aventures, des amants, des métiers. » Se faire passer pour une provinciale nouvellement arrivée qui dit « zut ! » – et non pas « merde » comme elle le disait pour être « dans le ton de (son) siècle » – et respecte la grammaire. Recommencerait-elle à écrire ? Un personnage lui trotte déjà dans la tête, Henriette de Hauterage, quand les déclarations de l’infirmière de nuit et de ses filles aux journalistes la ramènent à la réalité : on surveille à présent son compte en banque.

    Mais elle a de quoi tenir six mois au Hilton, où elle va se réinstaller après être passée dans les boutiques de luxe pour remplir sa valise neuve et réclamer sa suite, qui n’est plus libre, s’empressant de régler la semaine dans une autre chambre au dix-neuvième. Le garçon d’étage manie si joliment la langue qu’elle l’interroge sur ses auteurs préférés : « Balzac et Stendhal, Madame. »

    Quelle vie va-t-elle s’inventer ? Vincent Lefébure ne répond pas au téléphone et elle déteste manger seule. Un chauffeur de taxi lui conseille le quartier de l’université, où elle sera vite entourée et conseillée sur la faculté idéale : sciences ? langues ? communication ? A deux heures du matin, elle sonne chez Vincent qui, cette fois, exige de savoir qui elle est vraiment, pas un « roman feuilleton ». Il a lu toutes les œuvres de Jacqueline Harpman, qu’il apprécie, plus question de se faire passer pour Clotilde – alors, Henriette de Hauterage ?

    Changer d’identité à nouveau, comment faire ? Si les élucubrations de Jacqueline-Clotilde-Henriette vous amusent, lisez Le temps est un rêve et vous découvrirez le nouvel avenir de cette si jeune centenaire. Juste pour vous divertir. 

  • Jouer et aimer

    Ketil Bjørnstad, auteur, compositeur et musicien, a conté l’histoire d’Aksel Vinding, le héros de La Société des jeunes pianistes, dans une trilogie à succès. L’appel de la rivière (Elven, 2007) en est le second tome traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud. Comme le premier, il débute par une catastrophe. Durant l’été 1970, un voilier fait naufrage non loin du chalet de Rebecca Frost, une amie du jeune pianiste. 

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    Pochette de Remembrance (Ketil Bjørnstad, Tore Brunborg, Jon Christensen)  

    Jusqu’à ce jour, quoique seuls, ils y vivent « comme un frère et une sœur », écoutent de la musique, discutent. Rebecca veut rendre à Aksel un peu de la « douceur de vivre », il a trop tendance à s’enterrer dans le passé. Vinding (c’est lui qui raconte tout cela, « tant et tant d’années après ») est hanté par la mort d’Anja Skoog, sa petite amie.

    Quand Rebecca voit le mât du bateau se briser sous une rafale, l’équipage projeté à l’eau, elle décide immédiatement de prendre le bateau à moteur pour secourir les naufragés. La première personne qu’Aksel tire hors de l’eau, « hurlante et hystérique », il la reconnaît immédiatement : c’est Marianne Skoog, la mère d’Anja, en crise parce qu’il manque un des passagers à l’appel. Erik, un ami médecin, sera retrouvé des heures plus tard, mort.

    Au retour dans le chalet, Aksel et Rebecca sont sous le coup de cette incroyable série de drames : l’accident de la mère d’Aksel, la mort d’Anja, anorexique, suivie de peu par le suicide de son père, le chirurgien Bror Skoog, dans la cave de leur maison. Et que Marianne Skoog perde à présent un autre proche, voilà trop de malheur. La mort hante décidément la vie d’Aksel, tout le lui rappelle, même le jeune visage de Dinu Lupatti sur une pochette, avant qu’il meure victime d’un cancer.

    Cette nuit-là, Rebecca Frost ne trouve pas le sommeil et attire Aksel dans son lit, bien qu’elle soit fiancée avec un autre. Elle en rêvait depuis longtemps et lui fait promettre de ne jamais en parler à quiconque. C’est la fin des grandes vacances. Aksel va reprendre ses leçons avec l’exigeante Selma Lynge ; Rebecca, qui a abandonné le piano, suivre des études de médecine et préparer son mariage.

    Après le spleen des derniers jours d’été, Aksel se ressaisit : « L’automne est un ami. La fraîcheur de l’air. La limpidité des pensées. » Quand il reprend le sentier près de la rivière où rôdent tant de souvenirs, il remarque un papier sur un poteau : Marianne Skoog propose un studio à louer, avec piano à disposition. Aksel n’en revient pas que la chambre d’Anja soit à louer, il saute sur l’occasion. Même si ce choix paraît insensé, il pourra ainsi mettre en location l’appartement trop grand dont il a hérité et se faire un peu d’argent, il en a besoin. Mais ce n’est pas la seule raison.

    L’appel de la rivière décompose toutes les facettes d’une relation improbable entre un jeune pianiste mélancolique et une femme de trente-cinq ans (il en a dix-huit). Leur complicité est immédiate : tant de souvenirs les lient, tant de chagrin, et tous deux goûtent la consolation de pouvoir les évoquer ensemble. Marianne et sa fille se ressemblent beaucoup, Aksel en est troublé mais s’efforce de se concentrer sur les répétitions afin de retrouver son professeur de piano aussi bien préparé que possible – c’est leur pacte.

    Dans l’imposante maison des Lynge vivent deux personnalités : Torfinn, philosophe réputé, accueille Aksel très gentiment. Selma, comme à son habitude, trône au salon, parée, maquillée, majestueuse. D’abord le thé et de la conversation, c’est son rituel. « N’aie pas peur d’être triste », dit-elle au jeune homme : de la tristesse peuvent sortir la clarté, de nouvelles forces. Aksel joue tout ce qu’elle lui avait demandé de préparer, très mal, il le sent ; il sait qu’il n’a pas assez travaillé. Impitoyable, furieuse, Selma Lynge l’accuse de lui faire perdre son temps, le traite de tous les noms et le frappe même, déchaînée, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse.

    Ensuite vient le temps de la réconciliation. Selma veut savoir si elle peut vraiment croire en Aksel et lui dévoile ses plans : dans neuf mois, en juin, pour ses cinquante ans, elle a prévu un grand concert qui le révélera au public. Elle a déjà pris des contacts, conclu des arrangements. Est-il prêt à tout faire pour réussir ? Marché conclu.

    La vie d’Aksel va donc osciller entre la petite maison de Marianne Skoog dont il est devenu le locataire et la demeure bourgeoise de Selma Lynge où se prépare sa carrière. Il connaissait de loin les parents d’Anja, à présent il découvre les goûts personnels de Marianne, sa préférence pour la musique moderne – elle écoute Joni Mitchell jusqu’aux petites heures du matin. Gynécologue et militante au planning familial, Marianne Skoog lui laisse la maison pour la journée, il a tout le temps nécessaire pour répéter, et l’excellent piano d’Anja.

    Jour et nuit, Aksel Vinding vit dans la musique, dialogue avec les compositeurs, approfondit les partitions. Schubert lui rend souvent visite dans ses rêves. Mais il est obsédé par Marianne, qui ressemble tant à sa fille et qui est « tellement plus » qu’Anja après tout ce qu’elle a vécu. Il sait qu’elle pourrait être sa mère, s’en moque : il est amoureux d’elle. Il veut devenir un grand pianiste, mais aussi vivre pleinement et devant les femmes, il est très vulnérable.

    Pourra-t-il mener de front les promesses faites à son professeur de piano d’abord, à Marianne ensuite, dont la personnalité présente des failles qu’Aksel découvre peu à peu ? L’appel de la rivière, roman à suspense, mêle aux interrogations sur le deuil et l’amour de nombreuses réflexions sur la musique, l’instrument, l’interprétation, la voix, le travail au piano. Bjørnstad y parle de Woodstock et des grands compositeurs, de la sensualité et de l’engagement, de la jeunesse et de la maturité, sous le regard d’un jeune pianiste qui ne craint pas de marcher « au bord du gouffre ».

  • La douleur

    « Pendant un long moment,  je restai assis entre les deux tombes et je pleurai. Quand mes larmes se furent taries,  je sentis le calme prendre possession de moi. Je sentis le cercle de famille se refermer enfin. Je compris que ce que j’étais, ce qui m’importait, n’était plus une simple question d’intellect ou de devoir moral, n’était plus une construction verbale. Je vis que ma vie en Amérique – la vie chez les Noirs, la vie chez les Blancs, le sentiment d’abandon que j’avais ressenti quand j’étais enfant, la frustration et l’espoir dont j’avais été témoin à Chicago –, tout cela était relié à ce petit morceau de terre, au-delà de l’océan, mais par une chose plus importante que le hasard qui m’avait donné mon nom ou la couleur de ma peau. La douleur que je ressentais était celle de mon père. Mes questions étaient celles de mes frères. Leur lutte, mon droit acquis à la naissance. »

     

    Barack Obama, Les rêves de mon père

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  • Obama, le fils

    Barack Obama porte le nom et le prénom de son père. Il a publié en 1995 Les rêves de mon père. Son élection à la tête de la Harvard Law Review lui avait valu l’avance d’un éditeur pour l’écrire. Des ventes décevantes, mais l’investiture démocratique pour un siège au Sénat en 2004 en a entraîné une réédition , sous-titrée L’histoire d’un héritage en noir et blanc. Obama s’est alors relu – « afin de voir si ma voix avait beaucoup changé au cours du temps ». Convaincu d’avoir « quelque chose d’original à dire sur les relations entre les races », il a finalement opté pour le genre autobiographique, un « voyage personnel, intérieur, la quête d’un garçon à la recherche de son père et, à travers cette quête, le désir de donner un sens utile à sa vie de Noir américain. » 

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    La première partie, «  Les origines », commence par un coup de téléphone : à 21 ans, il apprend la mort de son père, qui était alors pour lui « un mythe ». Celui-ci avait quitté Hawaii quand son fils avait deux ans, Barack ne le connaît que par les récits de sa mère et de ses grands-parents maternels. Ce Kényan était le fils d’un fermier important, un ancien, un homme-médecine. Doué, Obama père avait obtenu une bourse pour étudier à Nairobi, puis dans une université américaine. Le premier étudiant africain de l’université de Hawaii y a rencontré une étudiante blanche qu’il a épousée, dont il a eu un fils. Mais ensuite il est parti seul pour Harvard, puis est retourné au Kenya afin de tenir sa promesse par rapport à son continent d’origine. Ce récit, Obama le fils le découvrira un jour, est un conte.

     

    Lui-même a mis du temps pour  prendre conscience des réalités du métissage. Quand, à six ans (1987),  il apprend qu’en Virginie, interdire des mariages interraciaux viole désormais la Constitution des Etats-Unis, il se demande comment ses grands-parents ont autorisé le mariage de leur fille avec un Africain. Il reprend alors l’histoire de son grand-père, un garçon assez difficile que Pearl Harbor amène à s’engager. La mère de Barack Obama est née dans une base militaire où sa grand-mère, Toot, travaillait dans une usine d’assemblage. Puis le virus du voyage a repris son grand-père – Californie, Kansas, Texas – Gramps a travaillé dans la vente et accepté de s’installer avec sa famille à Honolulu où s’ouvrait un nouveau magasin de meubles.

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    Sa mère, la fille de ce couple plutôt libre-penseur, vaguement libéral, vit une enfance assez solitaire mais joyeuse. A douze ans, les moqueries des autres parce qu’elle joue avec une petite Noire de son âge la choquent : ses parents protestent à l’école, où on leur répète que « les petites filles blanches ne jouent pas avec des filles de couleur dans cette ville ».

     

    Hawaii était un cadre paradisiaque pour Barack enfant, mais son père en était absent. Sa mère se remarie avec Lolo, un Indonésien rencontré à l’université, qu’ils suivent à Djakarta pour y vivre dans une maison neuve en périphérie. Barack y apprend à observer les animaux, à se battre pour se défendre. Son beau-père, plein de bon sens, le pousse à développer sa force et son intelligence. La mère de Barack souffre de solitude. Dans son pays, Lolo est différent, ne lui parle plus. Il travaille comme géologue pour l’armée, elle enseigne l’anglais à des hommes d’affaires. Elle se sent mal à l’aise avec la corruption du régime, et de plus en plus avec son mari qui s’est « mis bien avec le pouvoir ». La naissance de Maya, la petite sœur de Barack, n’empêchera pas la séparation du couple et le divorce.

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    Sa mère veut faire de lui un Américain, pas un Indonésien, et complète sa scolarité avec des cours par correspondance, lui fait travailler son anglais pendant trois heures avant l’école, cinq fois par semaine. Un jour où son garçon rentre avec une entaille au bras, elle lui fait la leçon : « Si tu veux devenir un être humain, il te faudra avoir certaines valeurs ». Honnêteté, justice, franchise, indépendance de jugement – elle lui donne son père en exemple. En lisant des livres sur le mouvement des droits civiques, il prend conscience, dans l’anxiété, qu’être noir est un destin à part.

     

    Barack est alors envoyé chez ses grands-parents à Hawaii : Gramps et Toot habitent maintenant un petit appartement trois pièces. Gramps peine à vendre des assurances-vie tandis que Toot est vice-présidente d’une banque régionale. Admis dans un lycée prestigieux, l’adolescent y subit, à l’appel de son nom, gloussements moqueurs et même cris de singe quand on l’interroge sur la tribu de son père, un luo. « Je passai le reste de ma journée dans le brouillard. » Il n’est pas du même milieu que les autres, ne se sent pas à sa place.  

    obama,barack,les rêves de mon père,récit,autobiographie,hawaii,indonésie,états-unis,chicago,kenya,enfance,jeunesse,race,racisme,formation,action,famille,cultureSon père, remarié, annonce son arrivée pour Noël. Ils vont vivre un mois à cinq, avec sa mère venue les rejoindre. Mais le garçon reste muet devant son père, ressent son pouvoir quand il parle, se révolte quand il l’empêche de suivre son dessin animé préféré. Quelle angoisse quand son père est invité à parler devant sa classe ! Il a prétendu un jour que c’était « un prince » et il craint un désastre. Mais tout se passe merveilleusement, son père est passionnant quand il leur décrit le Kenya. Avant de repartir, il danse devant lui et l’invite à danser avec lui, un moment inoubliable. C’est la première et la dernière visite de son père.

     

    « J’essayais de m’élever pour devenir un homme noir en Amérique, et, au-delà du fait acquis de mon apparence, personne autour de moi ne semblait exactement savoir ce que cela signifiait. » Arrogance des Blancs, radicalisme excessif de son copain Ray en « nègre pur et dur », Barack Obama zigzague entre deux mondes, conscient des règles imposées par l’homme blanc. Il lit Malcolm X, mais ne peut renier la part de sang blanc en lui. Il se sent « absolument seul ». Drogue, alcool, le jeune homme perçoit les risques et écoute sa mère qui l’accuse de traiter son avenir à la légère.

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    Inscrit à l’Occidental College de Los Angeles, il partage là les mêmes préoccupations que les autres : « Survivre aux cours. Trouver un job bien payé après les études. Essayer de coucher. » Il tourne en rond pendant un an, mais en deuxième, il s’investit dans une campagne pour inviter des représentants de l’ANC sur le campus, prépare un meeting, prend la parole. Il lui faut se sentir utile, actif.

     

    « Chicago », la deuxième partie, raconte comment Barack Obama devient un « organisateur de communautés ». Pour changer la société, il faut d’abord mobiliser la base, c’est sa conviction. Après quelques essais professionnels, il est engagé comme stagiaire à Chicago. La ville est fière de son maire noir, mais la situation économique est désastreuse. Il faut reconstruire des usines, recréer des emplois. Barack travaille à la création d’une nouvelle agence pour l’emploi dans le sud de la ville, interroge les gens, découvre la vie des familles noires qui ont réussi à s’acheter une petite maison avec jardin, mais craignent le déclin, l’insécurité pour leurs enfants. Les églises protestantes et catholiques sont les principaux lieux de rencontre entre les différentes couches sociales.

     

    A la Cité d’Altgeld Gardens (deux mille appartements pour Noirs pauvres non loin des décharges d’usines), il voit le délabrement, les besoins, travaille avec des femmes débrouillardes à obtenir de l’aide, à organiser des comités. Tout est lent, difficile. Lui-même ne sait pas exactement ce qu’il est, ce qu’il veut. « Lutter sans cesse pour faire converger la parole et l’action, nos désirs les plus chers avec un projet réalisable… et si, en définitive, ce n’était pas tout simplement de cela que dépendait l’estime de soi. » 

    La visite d’Auma, sa sœur kenyane, réveille sa curiosité pour son père, qu’elle appelle « le Vieil Homme ». Auma l’a vu partir pour Hawaii où il allait épouser Stanley Ann, en revenir avec Ruth, une autre femme blanche, avant de se remettre à fréquenter Kezia, sa propre mère. Le monde de Barack s’écroule, l’image de son père est brouillée : celui-ci était déjà marié en Afrique avant d’épouser sa mère, avait eu deux enfants, et il a eu d’autres femmes ensuite, d’autres enfants. Le voilà libéré du héros paternel – « Réveille-toi, homme noir ! » – mais de plus en plus curieux de ses racines africaines. Après avoir travaillé sur le terrain, pris la mesure des difficultés, Barack Obama décide de s’inscrire à l’université pour y acquérir davantage de compétences utiles à l’action. Il va bientôt partir pour Harvard.

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    Les rêves de mon père, récit d’une évolution personnelle et d’une prise de conscience, se termine par un voyage au Kenya. Dès son arrivée à l’aéroport de Nairobi, Barack Obama se sent chez lui : une jeune femme reconnaît son nom, son père était un ami proche de sa famille. Il loge chez Auma, dans un petit appartement confortable de professeur. Ensemble, ils vont en ville, au marché, ils rencontrent sa famille africaine, tantes et oncles, demi-frères, tous heureux de le voir au pays, curieux de sa vie américaine, envieux de son statut d’homme qui a étudié et réussi.

    Malgré la résistance de sa sœur, ils participent à un safari dans la « grande vallée du Rift », le plus beau paysage du monde. En famille, ils vont sur les terres du grand-père « La Terreur », réputé sévère et méchant, mais bon cultivateur. Barack rencontre sa grand-mère, s’incline sur la tombe de Hussein Onyango Obama dont la personnalité se révèle moins exemplaire qu’il ne l’imaginait. Cet homme soucieux avant tout d’autorité et de respect des anciens a choisi l’islam par amour de l’ordre. Au bout du voyage, Barack Obama sait mieux que ce qui importe vraiment, c’est d’avoir « foi dans les autres ».

     

    Si la figure paternelle est centrale dans son récit, les femmes jouent aussi un rôle de premier plan dans l’histoire d’Obama. Après six ans de droit à Harvard, entré dans un cabinet d’avocats, il se dit devenu plus « patient », grâce à sa femme Michelle et à son sens pratique qui compense son côté « doux rêveur ». On le sait, cette patience lui a permis de dépasser les rêves de son père, dont il a inscrit le nom et le prénom dans l’histoire.