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Jouer et aimer

Ketil Bjørnstad, auteur, compositeur et musicien, a conté l’histoire d’Aksel Vinding, le héros de La Société des jeunes pianistes, dans une trilogie à succès. L’appel de la rivière (Elven, 2007) en est le second tome traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud. Comme le premier, il débute par une catastrophe. Durant l’été 1970, un voilier fait naufrage non loin du chalet de Rebecca Frost, une amie du jeune pianiste. 

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Pochette de Remembrance (Ketil Bjørnstad, Tore Brunborg, Jon Christensen)  

Jusqu’à ce jour, quoique seuls, ils y vivent « comme un frère et une sœur », écoutent de la musique, discutent. Rebecca veut rendre à Aksel un peu de la « douceur de vivre », il a trop tendance à s’enterrer dans le passé. Vinding (c’est lui qui raconte tout cela, « tant et tant d’années après ») est hanté par la mort d’Anja Skoog, sa petite amie.

Quand Rebecca voit le mât du bateau se briser sous une rafale, l’équipage projeté à l’eau, elle décide immédiatement de prendre le bateau à moteur pour secourir les naufragés. La première personne qu’Aksel tire hors de l’eau, « hurlante et hystérique », il la reconnaît immédiatement : c’est Marianne Skoog, la mère d’Anja, en crise parce qu’il manque un des passagers à l’appel. Erik, un ami médecin, sera retrouvé des heures plus tard, mort.

Au retour dans le chalet, Aksel et Rebecca sont sous le coup de cette incroyable série de drames : l’accident de la mère d’Aksel, la mort d’Anja, anorexique, suivie de peu par le suicide de son père, le chirurgien Bror Skoog, dans la cave de leur maison. Et que Marianne Skoog perde à présent un autre proche, voilà trop de malheur. La mort hante décidément la vie d’Aksel, tout le lui rappelle, même le jeune visage de Dinu Lupatti sur une pochette, avant qu’il meure victime d’un cancer.

Cette nuit-là, Rebecca Frost ne trouve pas le sommeil et attire Aksel dans son lit, bien qu’elle soit fiancée avec un autre. Elle en rêvait depuis longtemps et lui fait promettre de ne jamais en parler à quiconque. C’est la fin des grandes vacances. Aksel va reprendre ses leçons avec l’exigeante Selma Lynge ; Rebecca, qui a abandonné le piano, suivre des études de médecine et préparer son mariage.

Après le spleen des derniers jours d’été, Aksel se ressaisit : « L’automne est un ami. La fraîcheur de l’air. La limpidité des pensées. » Quand il reprend le sentier près de la rivière où rôdent tant de souvenirs, il remarque un papier sur un poteau : Marianne Skoog propose un studio à louer, avec piano à disposition. Aksel n’en revient pas que la chambre d’Anja soit à louer, il saute sur l’occasion. Même si ce choix paraît insensé, il pourra ainsi mettre en location l’appartement trop grand dont il a hérité et se faire un peu d’argent, il en a besoin. Mais ce n’est pas la seule raison.

L’appel de la rivière décompose toutes les facettes d’une relation improbable entre un jeune pianiste mélancolique et une femme de trente-cinq ans (il en a dix-huit). Leur complicité est immédiate : tant de souvenirs les lient, tant de chagrin, et tous deux goûtent la consolation de pouvoir les évoquer ensemble. Marianne et sa fille se ressemblent beaucoup, Aksel en est troublé mais s’efforce de se concentrer sur les répétitions afin de retrouver son professeur de piano aussi bien préparé que possible – c’est leur pacte.

Dans l’imposante maison des Lynge vivent deux personnalités : Torfinn, philosophe réputé, accueille Aksel très gentiment. Selma, comme à son habitude, trône au salon, parée, maquillée, majestueuse. D’abord le thé et de la conversation, c’est son rituel. « N’aie pas peur d’être triste », dit-elle au jeune homme : de la tristesse peuvent sortir la clarté, de nouvelles forces. Aksel joue tout ce qu’elle lui avait demandé de préparer, très mal, il le sent ; il sait qu’il n’a pas assez travaillé. Impitoyable, furieuse, Selma Lynge l’accuse de lui faire perdre son temps, le traite de tous les noms et le frappe même, déchaînée, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse.

Ensuite vient le temps de la réconciliation. Selma veut savoir si elle peut vraiment croire en Aksel et lui dévoile ses plans : dans neuf mois, en juin, pour ses cinquante ans, elle a prévu un grand concert qui le révélera au public. Elle a déjà pris des contacts, conclu des arrangements. Est-il prêt à tout faire pour réussir ? Marché conclu.

La vie d’Aksel va donc osciller entre la petite maison de Marianne Skoog dont il est devenu le locataire et la demeure bourgeoise de Selma Lynge où se prépare sa carrière. Il connaissait de loin les parents d’Anja, à présent il découvre les goûts personnels de Marianne, sa préférence pour la musique moderne – elle écoute Joni Mitchell jusqu’aux petites heures du matin. Gynécologue et militante au planning familial, Marianne Skoog lui laisse la maison pour la journée, il a tout le temps nécessaire pour répéter, et l’excellent piano d’Anja.

Jour et nuit, Aksel Vinding vit dans la musique, dialogue avec les compositeurs, approfondit les partitions. Schubert lui rend souvent visite dans ses rêves. Mais il est obsédé par Marianne, qui ressemble tant à sa fille et qui est « tellement plus » qu’Anja après tout ce qu’elle a vécu. Il sait qu’elle pourrait être sa mère, s’en moque : il est amoureux d’elle. Il veut devenir un grand pianiste, mais aussi vivre pleinement et devant les femmes, il est très vulnérable.

Pourra-t-il mener de front les promesses faites à son professeur de piano d’abord, à Marianne ensuite, dont la personnalité présente des failles qu’Aksel découvre peu à peu ? L’appel de la rivière, roman à suspense, mêle aux interrogations sur le deuil et l’amour de nombreuses réflexions sur la musique, l’instrument, l’interprétation, la voix, le travail au piano. Bjørnstad y parle de Woodstock et des grands compositeurs, de la sensualité et de l’engagement, de la jeunesse et de la maturité, sous le regard d’un jeune pianiste qui ne craint pas de marcher « au bord du gouffre ».

Commentaires

  • Auteur et roman totalement inconnus, je suis immédiatement titillée par l'envie de connaitre, peut être dans la médiathèque de lyon

  • Dans un monde qui fait semblant d'être béat devant tant de futilités , j'ai beaucoup aimé cette phrase "N'aie pas peur d'être triste"..."de la tristesse peut sortir la clarté, de nouvelles forces." C'est tellement vrai ( et c'est du vécu).
    Comme d'habitude Tania , vous êtes très douée pour -en un résumé- nous donner l'eau à la bouche! Je m'en vais de ce pas essayer de trouver L'Appel de la rivière surtout si Bjornstad y parle de Woodstock et de l'infini talent de ses génies d'alors ( pour certain(e)s disparu(e)s.

    "L'amour le plus fort est celui qui peut démontrer sa fragilité."
    Paulo Coelho

  • @ Dominique : Parler de la musique et raconter une histoire, voilà ce que réussit le pianiste-romancier (commencer par le premier tome, "La Société des jeunes pianistes" s'impose).

    @ Gérard : Vous avez raison, Gérard, la tristesse a sa place dans notre vie et droit de cité. Elle semble parfois tabou aujourd'hui. (Je vois que la correction d'un accord n'est pas passée, je vais la reprendre). Merci pour la citation, bonne journée.

  • Je ne savais pas qu'il s'agissait d'une trilogie. Je n'ai toujours pas lu "la société des jeunes pianistes", je le mets donc à mon programme d'abord, tu me donnes envie de découvrir toute l'histoire.

  • Bonne lecture, Aifelle. Le troisième roman de la série n'est pas encore disponible en français, mais cela viendra certainement.

  • une oeuvre qui mêle le piano et les méditations sur la vie, je suis preneuse ;-)
    j'ai énormément aimé Novecento (Alessandro Barrico) mais n'ai pas réussi à entrer dans Contrapunt (Anna Enquist)
    je me demande, pour ce livre dont tu parles ici... ;-)
    merci pour cette découverte!

  • Comme toi, j'ai aimé le monologue du pianiste dans "Novecento", un chef-d'oeuvre. Bjørnstad est très accessible, à toi de voir si tu embarques dans cette trilogie romanesque au sujet peu courant en littérature.

  • Comme Adrienne, très tentée par ce duo musique-réflexions; amour, tristesse et audace.
    J'espère les trouver ici.
    Merci de nous le faire connaître!

  • Quelle photo ! Sublime.

    L'histoire m'évoque peut-être à tort le Kalevala http://fr.wikipedia.org/wiki/Kalevala à moins que ce ne soient les tableaux autour de cette épopée avec les bateaux, l'eau, la lumière nordique qui me viennent à l'esprit.
    J'adore l'atmosphère des romans scandinaves. Que tu rends d'ailleurs très très bien dans cette présentation. Lire ce livre sur fond de couchers de soleil bruxellois doit être un vrai bonheur !

  • Ah, cette merveilleuse pochette te plaît aussi ! Je ne connais pas cette épopée finlandaise et j'étais dans le sud de la France quand j'ai lu ce roman, mais merci pour ton commentaire chaleureux, Euterpe. (Temps divin cette après-midi comme hier à Bruxelles, j'espère que tu en profites aussi à Berlin.)

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