Non, je ne vais pas vous parler de Barack Obama, qui porte tous les espoirs de la nouvelle majorité aux Etats-Unis. Pas de lui, mais de ceux à qui j’ai pensé en apprenant la bonne nouvelle de son élection, ce pas extraordinaire pour la démocratie. D’abord à Martin Luther King, comme beaucoup sans doute, et aussi à des livres qui m’ont marquée, Black boy de Richard Wright, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee, l’Autobiographie d’Angela Davis, entre autres.
On a souvent évoqué le fameux « I have a dream ». On connaît moins La Force d’aimer (1963), un recueil de sermons que Martin Luther King a prononcés durant
ou après le boycottage des autobus en Alabama. « En ces jours agités et incertains, les malheurs de la guerre et ceux de l’injustice économique et sociale menacent jusqu’à l’existence même de l’humanité. » Ainsi commence la préface. Réticent à publier des textes conçus pour être dits et entendus, le pasteur King n’en était pas totalement satisfait. Leur message reste fort : « Il y a peu d’espoir pour nous tant que nous ne devenons pas assez fermes d’esprit pour briser les chaînes des préjugés, des demi-vérités et de la simple ignorance. » (Un esprit ferme et un cœur tendre) « Vous ne devez pas attendre le jour de l’émancipation totale pour apporter à cette nation une contribution positive. » (Trois dimensions d’une vie achevée) Quelle serait sa joie aujourd’hui !
Dans Black boy (1945), Richard Wright, écrivain noir né au Mississippi il y a cent ans, raconte son enfance et sa jeunesse à une époque où la ségrégation et le racisme ne se cachaient pas. Enfant, il commettait de grosses bêtises comme l’incendie de la maison qu’il déclenche à quatre ans pour le plaisir de voir les flammes s’emparer des rideaux ou le petit chat qu’il a pendu en prenant au mot le « Tuez-moi cette maudite bête ! » de son père dérangé dans sa sieste par des miaulements. Mais cet impulsif est un garçon curieux de tout, spontané, désireux d’apprendre. Quand il découvre l’injustice à l’égard des Noirs, quand il en fait l’expérience lui-même, à l’école puis au travail, il se révolte sans perdre à aucun moment le sens de sa dignité. Aux humiliations continuelles, il refuse de répondre par la violence. Obstinément, il fait son chemin pour réaliser son rêve : aller dans le Nord, où une autre vie est possible.
Wright insiste sur les lectures qui l’ont aidé à s’émanciper, en particulier celle d’un Livre de préfaces de Mencken : « J’avais soif de livres, de nouvelles façons de voir et de concevoir. L’important n’était pas de croire ou de ne pas croire à mes lectures, mais de ressentir du neuf, d’être affecté par quelque chose qui transformât l’aspect du monde. » L’écrivain en reste éternellement redevable :
« Ce n’était que par les livres – ces transfusions de culture par procuration – en mettant les choses au mieux – que j’étais parvenu à rester en vie, d’une façon négativement vitale. » Le récit s’achève sur une belle envolée. « L’œil aux aguets, portant des cicatrices visibles et invisibles, je pris le chemin du Nord, imbu de la notion brumeuse que la vie pouvait être vécue avec dignité, qu’il ne fallait pas violer la personnalité d’autrui, que les hommes devraient pouvoir affronter d’autres hommes sans crainte ni honte et qu’avec de la chance – dans leur existence terrestre – ils pourraient peut-être trouver une sorte de compensation aux luttes et aux souffrances qu’ils endurent ici-bas sous les étoiles. »
L’unique roman de Nell Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, paraît en 1960 (prix Pulitzer 1961) en pleine période d’action pour la reconnaissance des droits civiques. Comme la narratrice du roman, la petite Scout qui relate son enfance sudiste avec son frère Jem, la romancière avait un père avocat. Il lui a inspiré le beau personnage d’Atticus, un homme intègre, commis d’office pour défendre un Noir accusé d’avoir violé une Blanche. Par les yeux de Scout, qui est loin de tout comprendre, on découvre le racisme sordide qui sévit dans une petite ville d’Alabama dans les années 1930. Autour de ce procès, l’évocation des jeux de l’enfance, des rêves, des premiers contacts avec la réalité du monde apporte poésie et intensité à ce roman plein de fraîcheur.
Quant à Angela Davis, la pasionaria à la coiffure afro, la dédicace de son Autobiographie (1974) se termine par ces mots : « Et particulièrement pour ceux qui vont lutter jusqu’à ce que le racisme et l’injustice de classe soient à jamais bannis de notre histoire. »
Commentaires
Après des dizaines d'années d'incarcération Nelson Mandela disait qu'il fallait avoir plus peur de la lumière que de l'ombre.
Mais la peur ne devrait pas nous empêcher d'agir, isnt'it?
Écrivons l'histoire.
Oui, Colo, écrivons l’histoire, mais en lettres d’angoisse à la pensée du sort qui fut réservé à Martin Luther King (qui aurait 80 ans dans deux mois) et à John Fitzgerald Kennedy qui le soutenait et l’avait rencontré moins de deux mois avant son assassinat. Quant à son frère Robert, bien parti pour reprendre son idéal, un doute subsistera toujours sur les motivations et l’acteur de ce crime.
Les « États Unis » (belle définition d’un monde solidaire) sont le « creuset » des confrontations entre toutes les races et toutes les tendances religieuses et politiques du monde. Quel bel espoir d’y voir l’avènement de celui qui n’est pas seulement le produit de l’union entre des extrêmes, mais en est le vivant symbole.
Je ne peux que m’associer avec chaleur à la magnifique étude, « Black boy », qui est l’objet de ce blog et qui cite les plus édifiants messages de ceux qui ont souffert du racisme et n’ont pas crié vengeance. Et quelle belle photo, admirablement reproduite de « La Libre », qui éclabousse de jeunesse et de beauté la page annonçant l’avènement de ce pur produit d'une humanité solidaire.
Bonjour,
Je découvre votre site par le biais du blog de Malice.
J'ai pensé à produire le même type de sujet la semaine dernière. Car, en écoutant le discours du président élu, des personnages de la littérature américaine ont submergé mon esprit. Black boy bien entendu, mais également Bigger Thomas du même Richard Wright dans Native son, Sethe la mère tourmentée par le fantôme du bébé qu'elle a tué de ses propres mains (Beloved/Toni Morrison), mais également les personnages noirs qui meublent les romans de William Faulkner...
Il s'avère que j'ai récemment lu le brillant essai de James Baldwin , La prochaine fois, le feu ou ce dernier en appelle à la modération malgré la violence de sa condition et je ne pouvais m'empêcher de dire en regardant Obama discourir"Mec, tu rêves!" tellement le fossé étant énorme entre la condition de ces hommes d'Amérique, blancs, noirs, rouges... Il l'a fait. Ils l'ont fait.
@+