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le temps est un rêve

  • Légèrement rasants

    « Ils avaient vingt ans, un ardent désir de me charmer les portait, ils seraient physicien, ingénieur et historien d’art, pas médecin car la faculté de médecine avait été transportée en banlieue, mais ils ne m’amusaient pas. Allons ! je vivais ce dont toute femme rêve et que j’avais vu cent fois dans les films, j’étais, enfin ! la petite merveille qui ravage, me voir était me vouloir, ils tendaient vers moi des mains avides et des cœurs palpitants, le choix m’appartenait : je les trouvais légèrement rasants. Il est certain que, quatre-vingts ans plus tôt, je flambais : là, je bâillais. Je n’avais plus l’âme adolescente, il ne me suffisait pas de les trouver beaux ou de sentir l’élan qui les portait vers mes charmes.

    Ou bien…

    Je me souvins de moi. Jeune fille, j’avais souvent trouvé mes contemporains ennuyeux. Ils manquaient de culture, ils étaient obsédés par leurs études, ils n’y pensaient pas assez, ils parlaient football et me trouvaient bizarre quand je parlais Racine. En fait, j’avais écouté ceux-ci avec l’intérêt bienveillant d’une centenaire attentive. Je n’y pouvais rien, je l’étais. »

    Jacqueline Harpman, Le temps est un rêve

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  • Vingt ans à nouveau

    Avez-vous un moment pour rêver avec Jacqueline Harpman ? Quand j’ai aperçu Le temps est un rêve, à la bibliothèque, ce titre m’a d’abord rappelé Ghelderode (La Flandre est un songe) et puis j’ai emporté chez moi cette pochade publiée en 2002, la même année que La dormition des amants – on verrait bien. 

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    La psychanalyste a laissé libre cours à son imagination pour présenter ce texte sous un « avertissement de l’éditeur » : signé Stéphane Lambert, celui-ci cite une lettre où l’auteure prétend avoir trouvé « une pile de feuilles » qu’elle n’a pas écrites mais qui semblent bien d’elle – qu’il en fasse ce qu’il veut ! « L’histoire était invraisemblable, mais c’était peut-être la vérité. » Allons-y.

    A peine ses 104 ans célébrés dans la gériatrie (en 2033) où l’ont installée ses filles, « la fée » rend à Jacqueline Harpman le corps de ses vingt ans, amélioré selon ses désirs : une femme élancée, une somptueuse chevelure blond cendré, des yeux verts, « un teint d’ambre pâle, des mains à la Greco et des seins à la Botticelli ! »

    Jolie et en bonne santé, il n’est plus question pour elle de rester à l’hospice, et tant pis si elle n’a que du gris à porter pour se sauver en pleine nuit, se faisant passer pour la petite-fille de la centenaire qui se serait attardée pour veiller sur son sommeil. Après avoir marché un peu dans Bruxelles, elle trouve un taxi et se fait conduire au Hilton, où elle prétend s’être fait voler sac et valise à la gare. Sa bonne mine inspire confiance (elle réglera sa note le lendemain) et c’est devant le miroir d’un appartement au quinzième étage qu’elle fait le point.

    Comment vivre avec cette beauté parfaite dont elle a toujours rêvé, qui fait impression sur les autres, comme si elle était Oriane, la duchesse de Guermantes, ne fût-ce que sur le serveur du petit déjeuner qu’elle dévore avec appétit ? « Le premier repas d’une ressuscitée est admirable ». Très vite surgissent les questions pratiques : il lui faut du liquide pour ne pas se faire repérer, et au petit matin, elle file par l’escalier de service en quête d’un distributeur – heureusement, elle a emporté ses cartes de crédit.

    Elle a bientôt acheté un sac à bandoulière pour y ranger son argent. Il lui faut à présent une nouvelle identité et sans doute un gagne-pain : sa disparition a dû être signalée, ses filles (presque soixante-dix ans) averties. Et ensuite une nouvelle garde-robe. Boutiques, agences bancaires, la voilà pourvue du nécessaire pour quelque temps, un peu effrayée de se reconnaître aussi prévoyante et réfléchie qu’avant, alors que la jeunesse permet toutes les fantaisies !

    Aussi sourit-elle à un bel homme qui déjeune non loin d’elle, qui a l’air « surpris, mais content » et elle se retrouve quelques heures plus tard, par une après-midi de juillet ensoleillée, à pouffer de rire « dans un lit défait ».  La fée lui a rendu sa virginité avec sa jeunesse, à sa propre surprise et à la stupéfaction de son amant, Vincent Lefébure, à qui elle dit s’appeler Garance (Les enfants du paradis).

    Le lendemain, elle se laisse enfermer dans les toilettes de l’Hôtel de Ville et s’y crée à l’ordinateur une nouvelle identité et même un permis de conduire. La voilà bientôt à la une du Soir, une photo datant de ses 75 ans, « le regard vif, l’air intelligent, étonnamment bien conservée – l’horreur ! » Bien sûr, Jacqueline Harpman lit avec intérêt ce qu’on écrit sur elle et sur son œuvre. Mais elle est désormais Clotilde Santivas (Les bons sauvages) et déclare à la police le vol de ses papiers d’identité.

    « J’ai toujours aimé rêver d’autres histoires que la mienne, me donner des aventures, des amants, des métiers. » Se faire passer pour une provinciale nouvellement arrivée qui dit « zut ! » – et non pas « merde » comme elle le disait pour être « dans le ton de (son) siècle » – et respecte la grammaire. Recommencerait-elle à écrire ? Un personnage lui trotte déjà dans la tête, Henriette de Hauterage, quand les déclarations de l’infirmière de nuit et de ses filles aux journalistes la ramènent à la réalité : on surveille à présent son compte en banque.

    Mais elle a de quoi tenir six mois au Hilton, où elle va se réinstaller après être passée dans les boutiques de luxe pour remplir sa valise neuve et réclamer sa suite, qui n’est plus libre, s’empressant de régler la semaine dans une autre chambre au dix-neuvième. Le garçon d’étage manie si joliment la langue qu’elle l’interroge sur ses auteurs préférés : « Balzac et Stendhal, Madame. »

    Quelle vie va-t-elle s’inventer ? Vincent Lefébure ne répond pas au téléphone et elle déteste manger seule. Un chauffeur de taxi lui conseille le quartier de l’université, où elle sera vite entourée et conseillée sur la faculté idéale : sciences ? langues ? communication ? A deux heures du matin, elle sonne chez Vincent qui, cette fois, exige de savoir qui elle est vraiment, pas un « roman feuilleton ». Il a lu toutes les œuvres de Jacqueline Harpman, qu’il apprécie, plus question de se faire passer pour Clotilde – alors, Henriette de Hauterage ?

    Changer d’identité à nouveau, comment faire ? Si les élucubrations de Jacqueline-Clotilde-Henriette vous amusent, lisez Le temps est un rêve et vous découvrirez le nouvel avenir de cette si jeune centenaire. Juste pour vous divertir.