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impressionnisme - Page 2

  • Impressions privées

    Il vous reste jusqu’au 6 juillet pour visiter à Paris l’exposition « Les impressionnistes en privé » : le musée Marmottan fête ses 80 ans avec ces « Cent chefs-d’œuvre de collections particulières » qui attirent beaucoup de monde. Trop, sans doute, pour regarder à l’aise certaines toiles comme ce petit « Voilier dans le port de Honfleur » de Jongkind non loin de « Bénerville, la plage » de Boudin ou de « Ville d’Avray, le grand étang et ses villas » de Corot. Ces précurseurs de l’impressionnisme rendent les variations de l’air et de la lumière dans des paysages où une ligne d’horizon assez basse donne au ciel sa part essentielle.

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    Johan Barthold Jongkind, Voilier dans le port de Honfleur, 1863 - Collection particulière © Brame & Lorenceau, Paris 

    Les impressionnistes peignent aussi la ville, comme Caillebotte avec ses vues plongeantes sur une rue de Paris ou un refuge pour les piétons au milieu d’un carrefour. C’est depuis une fenêtre d’un appartement du boulevard Haussmann qu’il a peint « Intérieur, femme à la fenêtre » : une femme de dos, en robe bleu foncé, regarde par la fenêtre ; près d’elle, un homme lit le journal. Mais dans l’immeuble en face (quelques lettres dorées permettent d’identifier l’hôtel Canterbury, détruit pour la construction des Galeries Lafayette) – voilà qui titille l’imagination –, on distingue une petite silhouette à une fenêtre. Le contre-jour, les rideaux de dentelle et les volutes du fer forgé, l’harmonie du blanc, du bleu et de l’or pâle, tout cela forme un magnifique tableau d’atmosphère. 

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    Gustave Caillebotte, Intérieur, femme à la fenêtre, vers 1880 - Collection particulière

    « La petite danseuse de quatorze ans », la célèbre sculpture de Degas exposée ici est un bronze fondu après 1922 dit la notice, un des rares exemplaires encore en mains privées « sinon le seul, parmi les vingt-neuf recensés à ce jour » (catalogue). De belles peintures de Degas montrent son sens original du cadrage, qu’il évoque le mouvement des chevaux sur le champ de courses, une femme à sa toilette ou une danseuse au repos. Ou encore sa fameuse gravure au format vertical représentant « Mary Cassatt au Louvre ». 

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    Eva Gonzalès, Le moineau, vers 1865-1870 - Collection particulière

    J’ai admiré un ravissant portrait au pastel de sa jeune sœur par Eva Gonzalès, « Le moineau », mais je me suis arrêtée bien plus longuement devant les Berthe Morisot : « Portrait de jeune femme » (en robe de mousseline à fleurettes), « Les lilas à Maurecourt » (sa sœur Edma et ses deux enfants dans un parc) et « La Fable » où Julie Manet, la fille de Berthe et d’Eugène Manet, sur un pliant, fait face à sa nourrice qui se repose sur un banc. 

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    Berthe Morisot, Jeune fille à la potiche, vers 1889 - Collection particulière

    Le génie de Berthe Morisot, son art de capter la vie en touches légères, dans toute sa fraîcheur, apparaît aussi dans « Jeune femme remettant son patin » où une patineuse en robe sombre est entourée d’un tourbillon glacé, un décor presque abstrait. Autre découverte – rien que pour ces Morisot, l’exposition vaut le voyage, à mon avis – « Jeune fille à la potiche », où elle a peint sa nièce : une œuvre inachevée, mais un portrait plein de présence de la jeune fille au regard franc.  

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    Il y a d’autres figures à découvrir dans l’exposition : chez Renoir,  le « Portrait de Lucie Bérard au tablier blanc » par exemple, ou ces « Jeunes filles au bord de la mer » reprises en couverture du catalogue. Et cette charmante « Gardeuse d’oies au bord du Loing », un pastel de Sisley. Tous ces portraits et paysages portent les signatures les plus fameuses de l’impressionnisme.  

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    Alfred Sisley, Gardeuse d’oies au bord du Loing - Collection particulière

    Pour ce qui est de Monet, le musée Marmottan a de quoi combler ses visiteurs dans ses collections permanentes. En descendant au sous-sol, quel bonheur de retrouver tant de chefs-d’œuvre et cette fois dans des salles vastes et paisibles, des « Glycines », des « Nymphéas »… Michel Monet, le fils de Claude Monet, a légué sa collection personnelle au Musée Marmottan en 1966. Trente ans plus tard, les descendants de Berthe Morisot lui ont eux aussi légué de nombreuses œuvres qui forment à présent la collection Morisot la plus importante réunie dans un musée (salles au premier étage).

  • Musée Fin de siècle

    Un nouveau musée ? C’est le slogan des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique pour inviter à découvrir la nouvelle présentation des œuvres qui, dans leurs collections, montrent comment Bruxelles, de 1868 à 1914, « Fin de siècle » au sens large, fut le « carrefour culturel de l’Europe ». Des peintres et des sculpteurs belges et étrangers, mais aussi des photographes, des architectes, sans oublier les arts décoratifs, la littérature et la musique. 

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    Au bas des marches, la Diane de Zadkine (1937) est restée en place.

    Pour y accéder, les visiteurs empruntent le couloir qui menait naguère au Musée d’art moderne (je m’efforce de ne pas trop y penser en arpentant les espaces vides, l’air inachevé, qui précèdent le début du parcours, au bas de lescalier). Pour entrer dans le réalisme, courant qui a dominé les arts dans la seconde moitié du XIXe siècle, une grande toile de Charles Hermans, A l’aube, voisine avec L’attrapade de Rops, Prière, un grand marbre de Guillaume Charlier, et de petits groupes sculptés comme La famille de l’ivrogne de Léopold Harzé. Pour les familiers du musée, la présence d’artistes ou d’œuvres moins connus éveille bien sûr un intérêt particulier. 

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    Charles Hermans, A l’aube,1875 (248 x 317)

    Cà et là, on découvre des portraits d’artistes, comme celui d’Alfred Stevens en haut de forme par Gervex – on verra plus loin quelques-unes de ses mondaines aux belles robes – ou, plus tard, celui d’Anna Boch par Isidore Verheyden, accroché non loin de sa lumineuse Côte de Bretagne. Mais il y a beaucoup d’œuvres réalistes à découvrir avant d’arriver à cette fascination nouvelle pour la lumière des impressionnistes. Une longue vitrine expose de petits objets de la fin du XIXe siècle et en particulier des clichés illustrant les débuts de la photographie, des dessins de Mellery, de jolies études de Léon Frédéric et des petits bronzes (trop peu éclairés). 

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    Constantin Meunier, Femme du peuple, 1893

    La peinture de paysage est bien représentée : Daubigny (Bords de l’Oise) et Corot (les Hauts de Sèvres) voisinent avec Rops, Artan et des peintres de l’école de Tervueren comme Boulenger. Quelle force expressive dans Femme du peuple, un superbe bronze de Constantin Meunier, dont on expose aussi de grandes peintures comme le Triptyque de la mine. A côté du monde paysan (Les marchands de craie de Léon Frédéric,  un petit Portrait de paysan par Van Gogh) et de celui des ouvriers au travail ou en grève, des œuvres qui dénoncent la misère sociale, deux toiles sur la vie des artistes : Les collègues de Pierre Oyens, un homme au chevalet, une femme à la palette ; de Fantin-Latour, une très belle Leçon de dessin dans l'atelier. 

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    Ensor, Carnaval sur la plage, 1887

    Ensor et Evenepoel : voici des œuvres majeures. D’Ensor, par exemple, Les masques scandalisés (dans la palette sombre) et Les masques singuliers (dans la palette claire, dix ans plus tard) et encore ce magnifique Carnaval sur la plage aux couleurs nacrées (comme dans ses Fleurs, malheureusement invisibles). Le beau portrait du père d’Ensor lisant et de fascinantes figures féminines : Une coloriste, La dame sombre. Un très grand portrait d’un peintre en costume rouge domine la salle des Evenepoel, je lui préfère ces deux magnifiques portraits d’enfants que sont Henriette au grand chapeau et Les images. 

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    Henri Evenepoel, Les images et Henriette au grand chapeau (photos prises sans flash)

    Pour ceux qui ne le connaissent pas, ce sera l’occasion de découvrir Vogels, spécialiste des impressions atmosphériques (voyez Ixelles, matinée pluvieuse ou le ciel nocturne dans La rue des chanteurs). J’ai été frappée par le voisinage de deux tableaux : un verger encore réaliste à côté d’un paysage de Sisley (A la lisière du bois), ce qui permet de comparer ces deux manières très différentes de peindre la nature et d’apprécier la vibration de la touche. Quelle clarté, chez les impressionnistes ! Van Rysselberghe, Emile Claus (trop peu d’œuvres exposées à mon avis), Anna Boch, Signac, Seurat – cette fois, on respire le plein air, la lumière inonde les jardins, les bords de mer, on se régale. Plus loin, arrêt devant le Nu à contre-jour de Bonnard, seul sur un mur, splendide. 

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    Emile Claus, L'inondation (à l'ombre du cadre)

    Un beau bleu profond a été choisi pour présenter le symbolisme. Fernand Khnopff y est à l’honneur, on expose une maquette de sa maison-atelier. Quel dommage de constater qu’ici aussi, comme dans les salles précédentes, un éclairage maladroit laisse le haut du tableau barré par l’ombre du cadre, même sur les visages du fameux Des caresses ! J’avais déjà signalé ce problème lors de la rétrospective Stevens. Dans un « nouveau » musée, c’est sidérant. Sans compter que là où la pénombre met en valeur le contenu de vitrines bien éclairées, en particulier de beaux décors pour des opéras de Wagner, on ne peut pas déchiffrer les étiquettes en dessous – fâcheux. 

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    Jean Delesclusze, Maquette de décor pour Parsifal de Richard Wagner (détail)

    A cette étape du parcours Fin de siècle, on découvre une émouvante Figure tombale de Dillens, de magnifiques illustrations de Redon pour Verhaeren en plus de son terrible Christ, Une Morte (Ophélie) de Schlobach dans un cadre spectaculaire, des Constant Montald de premier plan. 

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    Montald, Le nid, 1893 

    La belle salle des Spilliaert, dont je pourrais vous parler longuement, contient plusieurs grandes sculptures de Minne (La solidaritéLe maçon). Mais j’arrête d’énumérer : vous l’avez compris, ce ne sont là que quelques noms, quelques repères dans la traversée de cette époque fertile pour la culture belge et européenne – il faudra y retourner pour en détailler tous les trésors, s’attarder partout et découvrir la section sur l’architecture art nouveau que je n’ai pas eu le temps de voir, même en y passant toute l’après-midi.  

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    George Minne, La solidarité (salle Spilliaert)

    La grande nouveauté, au dernier niveau (-8), c’est la très attendue collection Gillion Crowet dédiée à l’art nouveau, présentée avec soin dans un écrin violet qui convient parfaitement à ces pièces d’orfèvrerie signées Wolfers, au mobilier de Victor Horta et de Majorelle (ensemble Nénuphar), aux verreries de Witwe, Gallé, Daum, et autres Lalique, aux luminaires et objets de bronze. 

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    http://www.fin-de-siecle-museum.be/fr/musee-fin-de-siecle-museum/la-collection-gillion-crowet

    D’étonnantes peintures et sculptures y sont exposées, de belles surprises pour terminer le parcours. Par exemple, ce tableau de Xavier Mellery, dont le titre fera le mot de la fin : « L’Art touche au Ciel et à la Terre. » Dans le grand ascenseur où l’on peut s’asseoir pour rejoindre en douceur le niveau de départ, un visiteur étranger que j’interrogeais sur ses impressions me répondit « very, very interesting », d’un air rêveur.

  • C'est un Monet !

    Vincent Noce, critique d’art à Libération, se demande si l’obsession de Monet, qui « a passé sa vie à la recherche de la lumière », n’était pas aussi ou plutôt l’obsession de l’eau : le peintre a vécu près de la Seine, il a planté son chevalet devant la mer, les canaux ou les glaciers et, même ailleurs, « revenait toujours au fleuve, à la brume, à la vapeur. » La couverture bleue de Monet, l’eau et la lumière (publié en 2010, année de la rétrospective au Grand Palais) présente un détail de Marée basse devant Pourville. 

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    Monet, Le bateau-atelier (1876)

    La correspondance du peintre vient souvent à l’appui de cette intuition. L’auteur ne cherche pas à « poser un dogme », mais propose un fil conducteur éclairant pour suivre l’évolution du plus célèbre des impressionnistes. Son premier dessin (à quinze ans) représente un bord de rivière. « Son premier tableau connu, deux ans plus tard, est un paysage traversé par un ruisseau. »

    Les études du physicien David Quéré aident à montrer combien l’artiste s’éloigne de l’exactitude physique pour rendre les effets d’une surface aquatique, défi permanent pour un peintre soumis aux variations de l’air et de la lumière tout au long du jour. Monet a reconnu sa dette envers Jongkind : « C’est à lui que je dus l’éducation définitive de mon œil. » En compagnie du Hollandais et aussi de Boudin, il ne peut résister à l’appel du large dès qu’il est, « libéré des obligations militaires » et, en 1864, reste à Honfleur quand Bazille, qui a descendu la Seine en bateau avec lui, décide de rentrer à Paris.

    L’essai de Vincent Noce suit la chronologie d’une vie et d’une œuvre, les amours, les déplacements, les saisons. Confrontés à la photographie, les peintres de la seconde moitié du XIXe siècle donnent à voir autre chose. « Monet, dès qu’il pouvait s’émanciper, distinguait ainsi deux parties dans ses paysages : le haut, généralement d’une grande exactitude topographique, dont attestent les photographies de l’époque ; et le bas, réservé au fleuve ou à la mer, qui souvent s’écarte d’une reproduction fidèle de la réalité. »

    Les débuts du peintre, très longtemps « dans un dénuement matériel dramatique » (ce qui l’a même conduit, un jour de juin 1868 où il est mis à la porte d’une auberge pour n’avoir pas payé son loyer, à se jeter de désespoir dans la Seine), ont été difficiles. « Déceptions, affronts, espérances, redéceptions » : Monet exprime son découragement dans ses lettres. « Voilà deux mois que je ne peux plus travailler, j’ai pris ma profession en dégoût ; la peinture me fait horreur, comme l’eau à un chien enragé. » 

    Peindre à bord du navire de Caillebotte va donner envie à Monet, plus tard, de disposer de sa propre embarcation, comme Daubigny qui avant lui peignait déjà des nénuphars. La barque de Monet, qu’il emportera jusqu’à Giverny, où il pouvait manger ou piquer un petit somme, est représentée sur quelques œuvres : « Ce n’est pas le bateau-atelier, écrit Vincent Noce, c’est un autoportrait. »

    D’Impression, soleil levant aux grandes « Décorations » des Nymphéas, l’essai rapporte les préoccupations du peintre, examine son choix des motifs, des cadrages, des formats, et surtout sa manière d’interposer l’eau sous toutes ses formes « entre lui et cette industrialisation à laquelle il ne voulait dire mot » : fleuve saisi par les glaces, crues, inondations, bords de mer, brouillard… Monet peignait par tous les temps, il ne craignait pas le froid. Lors d’un voyage en Norvège, il étonna ses hôtes en supportant aussi bien qu’eux les quelque moins trente degrés de l’hiver.

    On prend conscience en lisant Monet, l’œil et l’eau, de la complexité des problèmes rencontrés par le peintre devant l’eau-miroir et les reflets, et de l’originalité de sa touche rythmée grâce à laquelle il donne vie aux surfaces même les plus étales. On suit bien sûr les péripéties de l’agrandissement du bassin aux nénuphars à Giverny et les problèmes de la cataracte dont Monet a longtemps évité l’opération par peur d’y perdre la vue – son appréhension des couleurs en sera terriblement chamboulée.

    Vincent Noce donne des titres évocateurs à ses séquences de quelques pages : « Vagues », « Amour », « La vapeur, enfin », « Vague à l’âme », « Eaux semblantes », « La verticale du peuplier »… Ou encore « C’est un Monet ! », des mots qui auraient été prononcés par Rodin en découvrant l’océan sur la côte bretonne, d’après Mirbeau (chargé du catalogue d’une exposition commune du sculpteur et du peintre).

    Cette biographie thématique très accessible, agréable à lire, donne envie de se rendre à Paris, à Giverny, entre autres, et de replonger sans attendre dans les livres d’art et les catalogues pour y observer un clapotis, un courant, des vaguelettes dans les paysages de Monet, y compris même dans des prairies, des champs de fleurs et jusque dans les nuages.

  • La dernière mode

    « La mode n’avait rien de futile pour une dame du XIXe siècle. Elle faisait partie intégrante de son identité, et les peintres aussi bien que la presse l’envisageaient sous cet angle. C’est ainsi qu’il faut comprendre cette remarque de Manet : « La dernière mode, voyez-vous, la dernière mode, pour une peinture, c’est tout à fait nécessaire, c’est le principal. » »

    Justine De Young, La mode des impressionnistes face à la presse (L’Impressionnisme et la Mode, Musée d’Orsay, Paris, 2012) 

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    Claude Monet, Camille sur un banc (The Metropolitan Museum of Art)

  • La mode à Orsay

    L’impressionnisme et la mode, a priori le sujet semble léger, choisi pour attirer les foules et en effet, il y a du monde au musée d’Orsay pour visiter cette exposition. Mais la pertinence du thème s’impose. A l’entrée, deux petites toiles, une Liseuse de Manet et une Jeune femme lisant de Renoir, un illustré à la main, amorcent ce rapprochement de l’élégance et des peintres dans les années 1860-1880, à l’époque des nouveaux grands magasins évoqués par Zola dans Au bonheur des dames. 

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    Manet, Liseuse ou La lecture de l’illustré (Chicago, The Art Institute) 

    J’ai tenté d’abord de vous rendre compte du parcours, salle par salle, puis je me suis ravisée. Mieux vaut laisser intact le plaisir de la découverte – l’exposition dure jusqu’au 20 janvier 2013. Si vous voulez en savoir davantage, le site du Musée vous en dira plus long, il vaut lui aussi la visite. La scénographie renouvelle sans cesse le dialogue entre peintures et parures. Les écrivains y ont leur part – saviez-vous que Mallarmé signait ses articles de mode Mademoiselle Satin ? 

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    La Dernière Mode. Gazette du Monde et de la Famille,
    dirigée et rédigée par Stéphane Mallarmé

    Le catalogue s’ouvre sur des photos de robes en pleine page, cela rend bien le point de vue original de cette exposition : la présentation des vêtements et des accessoires de lépoque, et la diffusion de la mode grâce aux illustrés, sujets dinspiration pour les peintres. Les objets prêtés par le Musée Galliera et le Musée des Arts décoratifs sont d’une qualité exemplaire, comme ces escarpins roses en peau et satin qu’on retrouve plus loin sur deux étonnantes natures mortes de souliers par Eva Gonzalès.

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    Eva Gonzalès, Les Chaussons blancs (The Metropolitan Museum of Art)

    Ces magnifiques robes d’époque, on les reconnaît avant même de voir les tableaux – on les a déjà vues chez Manet, Monet, Morisot, Renoir et Cie. Les impressionnistes se voulaient résolument modernes, et comment mieux dire son temps que par le vêtement ? La société du Second Empire obéit à des codes précis pour le jour ou le soir, l’été et l’hiver, la ville ou la campagne, l’opéra, le bal... Les impressionnistes vont les montrer et sen distancer. 

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     Albert Bartholomé, Dans la serre ou Mme Bartholomé

    Revues de mode et catalogues des grands magasins donnent le ton. Inattendues, ces deux toiles de Cézanne, La Conversation ou Les deux sœurs et La Promenade, présentées à côté des gravures qu’il a littéralement transposées ! Surprise aussi, un grand tableau d’Albert Bartholomé intitulé Dans la serre : la robe que porte Mme Bartholomé est présentée juste à côté, c’est étonnant de passer de l’une à l’autre. 

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    André Adolphe Eugène Disdéri, Carte de visite

    Pour leurs cartes de visite, les membres de la bonne société posaient chez le photographe dans leurs plus beaux vêtements. Tout un mur de planches photographiques de Disdéri, par séries de huit, montre des femmes, des hommes, parfois des couples, offrant leur meilleure apparence sur ces portraits destinés à véhiculer leur image. 

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    Auguste Renoir, Madame Georges Charpentier et ses enfants (The Metropolitan Museum of Art)

    De nombreux musées français, européens et étrangers ont prêté des œuvres de premier plan. Beaucoup viennent des Etats-Unis ; l’Art Institute de Chicago et le Metropolitan Museum of Art de New York collaborent à l’exposition du musée d'Orsay. Du MET, par exemple, Madame Charpentier et ses enfants de Renoir, magnifique portrait de femme et scène d’intérieur (le terre-neuve n’est pas en reste). De Chicago, Rue de Paris ; temps de pluie, signé Gustave Caillebotte, moderne à tout point de vue. 

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     James Tissot, Juillet (Seaside)

    Une découverte pour moi, l’œuvre de James Tissot, très présent bien qu’il ne soit pas impressionniste (onze oeuvres, moins tout de même que Degas, Renoir, Manet et Monet). Le prénom anglais de ce peintre français révèle son goût pour le chic mondain. Ses peintures, hommage à l’élégance, valent par le réalisme du rendu, le raffinement des détails, le soin du décor. C’est parfois figé, comme cette réunion d’hommes où l’on observe les variantes du costume masculin (Le Cercle de la rue Royale), c’est plus vivant dans La Demoiselle de magasin (La Femme à Paris, Toronto) ou ce Bal sur un bateau (Tate, Londres). C’est étourdissant dans Octobre ou Juillet (Seaside), exemple de portrait, un superbe contre-jour ! 

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    Edouard Manet, Nana (Hamburger Kunsthalle)

    Près d’une vitrine consacrée aux dessous, presque tous blancs à l’exception d’un corset de satin bleu (qu’on verra sur la mutine Nana de Manet), une grande toile de Henri Gervex, Rolla, qui a fait scandale moins par la jeune femme nue sur le lit et son amant, déjà rhabillé devant une fenêtre ouverte, que par le désordre de ses vêtements et de sa lingerie répandus sur le sol dans un joyeux abandon. 

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     Gustave Caillebotte, Portrait d’un homme (The Cleveland Museum of Art)

    Très peu de costumes masculins ont été conservés, une vitrine leur est consacrée dans la salle des dandys et des portraits d’hommes : de beaux tableaux signés Caillebotte, en particulier, ou le Portrait de Manet par Fantin-Latour (Chicago). 

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    Edouard Manet, Jeune dame en 1866 ou La femme au perroquet (The Metropolitan Museum of Art)

    C’est une des leçons de L’impressionnisme et la mode : au fur et à mesure qu’on avance, la différence entre les impressionnistes et les autres, les peintres traditionnels voire académiques, se fait de plus en plus claire, même si leurs modèles portent les mêmes atours. La femme au perroquet de Manet (MET, New York), en peignoir lâche, humant une violette, évoque les cinq sens ; le personnage s’y détache sur un fond sombre, au lieu du riche décor bourgeois. Berthe Morisot, dans ses toiles d’une lumière et d’une légèreté sidérantes, évoque l’intimité d’un intérieur avec un naturel éblouissant. L’air circule dans ses toiles avec une qualité rare, ses blancs sont magiques.

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     Berthe Morisot, L’Intérieur (Collection Diane B. Wilsey)

    A l’opéra, les bras sont obligatoirement nus, le décolleté large, la robe, de soie. Chez Mary Cassatt, Eva Gonzalès, Renoir, les femmes dans leur loge ont une véritable présence, de l’expression, alors que dans Une soirée de Jean Béraud, les couleurs des toilettes féminines en contraste avec les habits noirs de leurs cavaliers ne sont que le reflet brillant d’une parade sociale. La nouvelle peinture explore la lumière, la matière et les couleurs pour elles-mêmes. 

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    Mary Cassatt, Femme au collier de perles dans une loge (Philadelphia Museum of Art)

    Les artistes de la seconde moitié du dix-neuvième siècle ont réinventé le portrait, la scène de genre pour en faire des peintures modernes. Amateurs du chic parisien ou non, allez voir L’impressionnisme et la modequoi quen dise la presse française qui dénonce une entreprise grand public et une approche trop superficielle, à cause du côté parfois kitsch de la présentation, pourtant secondaire. J’y ai pris conscience, pour ma part, dun aspect de l'impressionnisme qui ne métait jamais apparu si clairement : la volonté de représenter la société de leur temps, un mode de vie, la modernité, comme lindique le titre prévu pour Chicago : « Impressionism, Fashion, and Modernity » Jy ai vu beaucoup de choses et de tableaux que je navais jamais eu loccasion dobserver. Cest gai, cest instructif, cest beau. Pourquoi bouder son plaisir ?