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féminisme - Page 5

  • Au verger

    woolf,virginia,rêves de femmes,nouvelles,littérature anglaise,femmes,féminisme,culture« Et puis, au-dessus du pommier et du poirier deux cents pieds au-dessus de Miranda endormie dans le verger le sinistre tintement de cloches à la voix sourde, entrecoupée, édifiante sonna les relevailles de six pauvresses de la paroisse ; et le pasteur rendit grâce au ciel.

    Et puis plus haut encore avec un grincement perçant la penne d’or au sommet du clocher tourna du sud à l’est. Le vent avait changé. Il rugit très haut sur tout cela, au-dessus des bois, des prés, des monts, des miles au-dessus de Miranda endormie dans le verger. Il ratissa le ciel, sans voir, sans penser, sans rencontrer aucune résistance, puis faisant volte-face il souffla de nouveau en direction du sud. Des miles en dessous, dans un espace étroit comme le chas d’une aiguille, Miranda se redressa en s’écriant : « Oh, je vais être en retard pour le thé. »

    Virginia Woolf, Au verger (Rêves de femmes)

    Vanessa Bell, Virginia Woolf dans une chaise-longue, 1912

  • Nouvelles de Virginia

    Des nouvelles de Virginia Woolf ? Cela tombe bien pour ma 1000e note sur ce blog (soit une note pour deux billets par sujet en général). Rêves de femmes comporte six nouvelles (traduites et éditées par Michèle Rivoire) précédées d’un essai, « Les femmes et le roman » et suivies d’un petit dossier sur ce génie de la littérature anglaise.

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    « Edition dérivée de la Bibliothèque de la Pléiade », indique l’éditeur. J’hésite souvent devant ces nouveaux petits recueils, qui reprennent des textes déjà publiés par ailleurs. Et c’est bien le cas pour ce Folio classique : quatre de ces nouvelles figuraient déjà dans La mort de la phalène et dans La fascination de l’étang (édités au Seuil). Lisons, relisons. Ces textes datent de 1920 à 1940.

    « Les femmes et le roman » reprend deux conférences données à Cambridge, avec des arguments que Virginia Woolf développera dans Une chambre à soi. « L’histoire de l’Angleterre est l’histoire de la branche masculine, non de la branche féminine. » Comment écrire l’histoire des femmes et parmi elles, des femmes créatives ? Pourquoi faut-il attendre la fin du XVIIIe siècle et le tournant du XIXe pour croiser en Angleterre des femmes qui « s’adonnent à l’écriture » avec succès ? Voilà à quoi elle entreprend de répondre, en espérant un âge d’or où les femmes auront « un peu de temps libre, un peu d’argent et un lieu à elles. »

    Ce thème se prolonge dans « Une société » : six ou sept amies se retrouvent « un soir après le thé » et se penchent sur le cas de l’une d’elles, Poll, à qui son père a légué sa fortune « à condition qu’elle lise tous les livres de la London Library ». Quelle déception devant tant de livres médiocres à côté des Shakespeare, Milton ou Shelley ! Jane, la plus âgée, s’interroge : « Voyons, si les hommes écrivent de telles sornettes, pourquoi faudrait-il que nos mères aient gâché leur jeunesse à les mettre au monde ? »

    Ainsi naît leur « société de questionneuses ». Elles font le serment de ne pas avoir d’enfant « avant d’en avoir le cœur net ». Ecrite en réaction aux opinions misogynes d’Arnold Bennettt, cette nouvelle satirique est très drôle, davantage que « Le legs » où un veuf hérite du journal intime de sa femme… et des surprises qu’il contient.

    Dans « Un collège de jeunes filles vu de l’extérieur », c’est la lune qui jette un coup d’œil par les fenêtres, en particulier dans la chambre d’Angela où, sans souci du règlement, se trouvent aussi Sally, Helena, Bertha. Une nuit entre sommeil et rires où l’on entre dans les pensées d’Angela, où l’on épouse les songes de la lune observant « cette vapeur » qui s’exhale des chambres des dormeuses, « qui s’accrochait aux arbustes, comme la brume, et puis, libérée, s’envolait dans les airs. » Une vision impressionniste à rapprocher de « Au verger » où Miranda dort et rêve dans une chaise longue sous un pommier.

    « Moments d’être : « Les épingles de chez Slater ne piquent pas » » est riche en sous-conversation. Fanny s’interroge sur cette remarque inattendue de Miss Craye (Julia), son professeur de piano, célibataire, qui lui semble bizarrement heureuse. « C’est dans le champ, sur la vitre, dans le ciel – la beauté ; et je ne peux l’étreindre, ni l’atteindre, moi (…), moi qui l’aime passionnément, et qui donnerais tout au monde pour la posséder ! »

    Si plusieurs de ces nouvelles contiennent des allusions saphiques, comme Virginia Woolf l’a confié à Vita Sackville-West, « Lappin et Lapinova » se veut une comédie sur le mariage, à partir de petits noms secrets entre les époux. Ce jeu de langage permet un certain temps à Rosalind de se sentir heureuse, complice avec son mari Ernest, même en dehors de leur « territoire privé », par exemple quand elle s’ennuie au milieu de sa belle-famille. Mais le jeu durera-t-il ?

    Rêves de femmes offre un aperçu de la condition féminine et des questions qu’elle soulève chez Virginia Woolf. Il me semble que pour apprécier ces nouvelles et en goûter les allusions, il vaut mieux déjà connaître un peu sa vie et son œuvre ou, en tout cas, lire les notes finales du recueil. A travers ces figures de femmes dans leur intimité, elle montre leur désir d’autonomie, tout en explorant l’art du récit et de la suggestion.

  • Pas de nom

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    « Les femmes n’ont pas de nom. Elles ont un prénom. Leur nom est un prêt transitoire, un signe instable, leur éphémère. Elles trouvent d’autres repères. Leur affirmation au monde, leur « être là », leur création, leur signature, en sont déterminés. Elles s’inventent dans un monde d’hommes, par effraction. »

    Marie Darrieussecq, Etre ici est une splendeur. Vie de Paula M. Becker

    Paula Modersohn-Becker, Autoportrait au sixième jour de mariage, 1906,
    Musée Paula Modersohn-Becker, Brême

  • Araignée

    Fe spider-louise-bourgeois.jpg« L’araignée, synonyme d’épouvante, de malignité. Et pourtant nous nous aimions, dit l’artiste, facétieuse et grave à la fois, comme à son habitude, semblant tendre un miroir où contempler nos peurs, manquements, hideurs en même temps que nous inviter à partir d’un rire aux éclats de verre. Coupant, sanglant. Dangereux. Plein d’une menace sous-jacente. Ne pas se fier à l’évidence. A qui voudrait voir dans la représentation de la mère une projection des angoisses, de la sensation d’étouffement que celle-ci pouvait susciter en elle, enfant, Louise Bourgeois répond, dans son portefeuille de neuf gravures : « L’ami (l’araignée – pourquoi l’araignée ?) parce que mon meilleur ami c’était ma mère et elle était réfléchie, intelligente, patiente, apaisante, raisonnable, délicate, subtile, indispensable, propre, et utile comme une araignée. Elle savait aussi se défendre, et me défendre moi, en refusant de répondre à de « stupides » embarrassantes et indiscrètes questions personnelles. Je ne me fatiguerai jamais de la représenter. Je veux : manger, dormir, discuter, blesser, détruire… - Pourquoi ? – Mes raisons n’appartiennent qu’à moi. Le traitement de la Peur. » (Louise Bourgeois, Ode à ma mère. Neuf pointes sèches originales, Paris, Ed. du Solstice, 1995.)

    Amie, donc, cette gigantesque araignée osseuse, y compris quand, avec Spider (1997), elle enserre-protège une cellule domestique, à l’abri de laquelle quelques vestiges de tapisserie – du métier de la mère de Louise – défendent encore leur lustre ?

    Audrey Pulvar, La femme

    Louise Bourgeois, Spider, 1997, collection The Easton Foundation, photo M. Geuter
    © The Easton Foundation / Vegap Madrid

    Source : http://mu-inthecity.com/2016/06/louise-bourgeois-cellules-sensibles/

  • La Femme de Pulvar

    A la bibliothèque, j’ai emprunté un album de peinture portant le nom de Audrey Pulvar sur la couverture et ce titre ambitieux, La Femme, qu’elle dédie ainsi : « A ma fille, à ma mère, à mes sœurs, à nous autres », avant de citer Baudelaire et Marylin Monroe en épigraphe.

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    De quoi s’agit-il ? Un avant-propos sur les Guerrilla Girls annonce une approche rebelle : ces artistes et activistes américaines « militent pour la reconnaissance de l’apport des femmes à l’art en général, pictural et plastique en particulier. »

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    Oeuvres des Guerrilla Girls exposées au Museum of Modern Art (MoMA), 2010, Wikimédia Commons

    Pourquoi l’histoire de l’art leur accorde-t-elle si peu de place, et même notre époque ? Qu’il semble interminable, « ce combat pour un – utopique ? – demain plus serein, égalitaire, respectueux de chaque entité, plus instruit de l’universalité des prérogatives de chaque être humain sur lui-même. »

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    Frédéric Bazille, Portraits de famille, 1867 (détail)

    Abondamment illustré, souvent en pleine page, l’album montre la façon dont les artistes, hommes et femmes, ont regardé, dessiné, peint ou sculpté « la femme ». Audrey Pulvar commente ces représentations qui témoignent de la place et du rôle des femmes dans la société et dans l’art, jusqu’à nos jours. Elle interprète les œuvres d’un point de vue féministe.

    L’art reflète une époque : la journaliste observe comment la peinture, conservatrice voire machiste, utilise la femme comme « matière organique », puis évolue vers plus de réalisme, ce qui fait souvent scandale, et enfin se fait plus respectueuse des femmes telles qu’elles sont, de leurs corps réels et non plus sublimés ou fantasmatiques.

    Souvent, quand un essai sur l’art éveille ma curiosité sur une œuvre qu’il ne montre pas, je cherche à la visualiser. Ici, les nombreuses illustrations relèguent au second plan le texte qui interroge leur signification, bien qu’il propose de nombreux rapprochements et des citations intéressantes.

    « Un corps, des hommes », « Un corps, des peurs », « Un corps, une matière », « Un corps, une mère, une femme », « Un corps, l’autre » : sous cette structure assez lâche, Audrey Pulvar, en cherchant à aborder son sujet sous tous les angles, a peut-être desservi son objectif. Les œuvres de femmes artistes restent minoritaires dans ce beau livre, agréable à feuilleter.