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femmes - Page 2

  • Au verger

    woolf,virginia,rêves de femmes,nouvelles,littérature anglaise,femmes,féminisme,culture« Et puis, au-dessus du pommier et du poirier deux cents pieds au-dessus de Miranda endormie dans le verger le sinistre tintement de cloches à la voix sourde, entrecoupée, édifiante sonna les relevailles de six pauvresses de la paroisse ; et le pasteur rendit grâce au ciel.

    Et puis plus haut encore avec un grincement perçant la penne d’or au sommet du clocher tourna du sud à l’est. Le vent avait changé. Il rugit très haut sur tout cela, au-dessus des bois, des prés, des monts, des miles au-dessus de Miranda endormie dans le verger. Il ratissa le ciel, sans voir, sans penser, sans rencontrer aucune résistance, puis faisant volte-face il souffla de nouveau en direction du sud. Des miles en dessous, dans un espace étroit comme le chas d’une aiguille, Miranda se redressa en s’écriant : « Oh, je vais être en retard pour le thé. »

    Virginia Woolf, Au verger (Rêves de femmes)

    Vanessa Bell, Virginia Woolf dans une chaise-longue, 1912

  • Nouvelles de Virginia

    Des nouvelles de Virginia Woolf ? Cela tombe bien pour ma 1000e note sur ce blog (soit une note pour deux billets par sujet en général). Rêves de femmes comporte six nouvelles (traduites et éditées par Michèle Rivoire) précédées d’un essai, « Les femmes et le roman » et suivies d’un petit dossier sur ce génie de la littérature anglaise.

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    « Edition dérivée de la Bibliothèque de la Pléiade », indique l’éditeur. J’hésite souvent devant ces nouveaux petits recueils, qui reprennent des textes déjà publiés par ailleurs. Et c’est bien le cas pour ce Folio classique : quatre de ces nouvelles figuraient déjà dans La mort de la phalène et dans La fascination de l’étang (édités au Seuil). Lisons, relisons. Ces textes datent de 1920 à 1940.

    « Les femmes et le roman » reprend deux conférences données à Cambridge, avec des arguments que Virginia Woolf développera dans Une chambre à soi. « L’histoire de l’Angleterre est l’histoire de la branche masculine, non de la branche féminine. » Comment écrire l’histoire des femmes et parmi elles, des femmes créatives ? Pourquoi faut-il attendre la fin du XVIIIe siècle et le tournant du XIXe pour croiser en Angleterre des femmes qui « s’adonnent à l’écriture » avec succès ? Voilà à quoi elle entreprend de répondre, en espérant un âge d’or où les femmes auront « un peu de temps libre, un peu d’argent et un lieu à elles. »

    Ce thème se prolonge dans « Une société » : six ou sept amies se retrouvent « un soir après le thé » et se penchent sur le cas de l’une d’elles, Poll, à qui son père a légué sa fortune « à condition qu’elle lise tous les livres de la London Library ». Quelle déception devant tant de livres médiocres à côté des Shakespeare, Milton ou Shelley ! Jane, la plus âgée, s’interroge : « Voyons, si les hommes écrivent de telles sornettes, pourquoi faudrait-il que nos mères aient gâché leur jeunesse à les mettre au monde ? »

    Ainsi naît leur « société de questionneuses ». Elles font le serment de ne pas avoir d’enfant « avant d’en avoir le cœur net ». Ecrite en réaction aux opinions misogynes d’Arnold Bennettt, cette nouvelle satirique est très drôle, davantage que « Le legs » où un veuf hérite du journal intime de sa femme… et des surprises qu’il contient.

    Dans « Un collège de jeunes filles vu de l’extérieur », c’est la lune qui jette un coup d’œil par les fenêtres, en particulier dans la chambre d’Angela où, sans souci du règlement, se trouvent aussi Sally, Helena, Bertha. Une nuit entre sommeil et rires où l’on entre dans les pensées d’Angela, où l’on épouse les songes de la lune observant « cette vapeur » qui s’exhale des chambres des dormeuses, « qui s’accrochait aux arbustes, comme la brume, et puis, libérée, s’envolait dans les airs. » Une vision impressionniste à rapprocher de « Au verger » où Miranda dort et rêve dans une chaise longue sous un pommier.

    « Moments d’être : « Les épingles de chez Slater ne piquent pas » » est riche en sous-conversation. Fanny s’interroge sur cette remarque inattendue de Miss Craye (Julia), son professeur de piano, célibataire, qui lui semble bizarrement heureuse. « C’est dans le champ, sur la vitre, dans le ciel – la beauté ; et je ne peux l’étreindre, ni l’atteindre, moi (…), moi qui l’aime passionnément, et qui donnerais tout au monde pour la posséder ! »

    Si plusieurs de ces nouvelles contiennent des allusions saphiques, comme Virginia Woolf l’a confié à Vita Sackville-West, « Lappin et Lapinova » se veut une comédie sur le mariage, à partir de petits noms secrets entre les époux. Ce jeu de langage permet un certain temps à Rosalind de se sentir heureuse, complice avec son mari Ernest, même en dehors de leur « territoire privé », par exemple quand elle s’ennuie au milieu de sa belle-famille. Mais le jeu durera-t-il ?

    Rêves de femmes offre un aperçu de la condition féminine et des questions qu’elle soulève chez Virginia Woolf. Il me semble que pour apprécier ces nouvelles et en goûter les allusions, il vaut mieux déjà connaître un peu sa vie et son œuvre ou, en tout cas, lire les notes finales du recueil. A travers ces figures de femmes dans leur intimité, elle montre leur désir d’autonomie, tout en explorant l’art du récit et de la suggestion.

  • Comment c'est

    Abdourazzoqov huit-monologues-de-femmes.jpg« Excusez-moi, vous ne pourriez pas fermer les fenêtres et ne laisser entrer personne, le temps que je suis là ? J’ai demandé à mon chauffeur de me déposer dans une autre rue, pour qu’il ne devine pas où j’allais. Je lui ai dit que je visitais une parente malade. Bon, la porte est bien fermée ? Dieu soit loué ! Vous savez bien comment c’est, dans ce pays : les gens normaux, ils peuvent bien aller et venir comme bon leur semble, mais nous, les officiels, on a même peur d’un mot de travers au téléphone. Si, si, ne faites pas les étonnées, s’il vous plaît, vous me comprenez très bien. Ca y est, vous avez prévenu qu’on ne laisse entrer personne ? Oui ? Merci. »

    Barzou Abdourazzoqov, Huit monologues de femmes

  • Huit monologues

    Sous une jolie couverture bleu piscine assez trompeuse, Huit monologues de femmes de Barzou Abdourazzoqov (Ispoved’, traduit du russe (Tadjikistan) par Stéphane A. Dudoignon) sont de très réalistes confessions de femmes que la vie a désillusionnées. D’un écrivain et dramaturge né en 1959, ces monologues « ont rencontré un franc succès au Tadjikistan – et ailleurs » (note de l’éditeur).

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    Huit monologues de femmes de Barzou Abdourazzoqov par La Compagnie La Petite Grenade

    « Qui aurait dit que j’en arriverais là ? » Une femme mariée proche de la quarantaine, un fils, une fille – elle s’imagine bientôt grand-mère – se réjouit de ne pas avoir encore un seul cheveu blanc ; elle se souvient de ses grossesses qui la rendaient insupportable pour son mari. Devenu papa, celui-ci était « aux anges ». Une famille heureuse. « Le malheur arrive toujours quand on s’y attend le moins. » Une toute jeune fille a fait perdre la tête à son mari, détruit sa vie, ne leur laissant que la misère et la honte.

    Une épouse dont le mari parti en voyage d’affaires rentre à l’improviste, alors qu’elle a invité un autre homme chez elle, une mère indigne, une fille abusée et enceinte, une prof de fac, une conseillère officielle toujours en réunion, une prostituée, une mère à la recherche de sa fille disparue : toutes ces femmes interpellent le lecteur, prennent le monde à témoin de leur situation, de leur destin.

    J’ai pensé parfois, en lisant ces monologues, à La Chute de Camus. Abdourazzoqov condense en quelques pages ces tranches de vie contemporaine. « Beaucoup de verve et d’humour » dans ces récits de femmes, peut-on lire en quatrième de couverture. C’est plutôt brutal, sans rien d’enjolivé. L’alcool, la violence, l’infidélité… Le tableau n’est pas réjouissant.

    Huit monologues de femmes, autant de prises de conscience : on ne peut compter que sur soi-même. Certaines de ces femmes se reconstruisent, toutes s’acharnent, bon gré mal gré. « Le secret, il est là : quoi qu’il t’arrive, même si le destin s’est joué de toi, et quoi qu’en pensent les gens – crois en toi, et tout ira bien. »

  • La source du son

    adler,laure,immortelles,roman,littérature française,amitié,femmes,jeunesse,france,culture« Je me souviens qu’une fois franchie la porte du palais, alors que nous étions très en avance, nous avons réalisé que le spectacle avait déjà commencé. Sur la scène, des danseurs s’échauffaient sans prendre garde au public qui s’installait. Un battement de tambour répétitif nous plongeait dans une temporalité inhabituelle. Nous cherchions la source du son. Ce sont nos voisins qui nous ont montré, accroché sur la façade sud du palais, un musicien sur une petite nacelle, le torse nu, les cheveux longs qui s’envolaient, puis se rabattaient sur son visage, pendant qu’il continuait, imperturbable, à jouer de son instrument. »

    Laure Adler, Immortelles