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enfance - Page 21

  • Maison mère

    « La maison où je suis née je n’en ai pas voulu. Je pourrai encore y venir mais
    ce sera comme invitée. C’est moi qui en ai décidé ainsi.

    Aujourd’hui je suis revenue voir cette maison et je me demande pourquoi. Pourquoi cela me fait mal. Et j’essaie d’y voir clair.

    Je suis allée au village et suis revenue à pied avec ma fille et me suis assise sur
    le parapet du port, regardant la rivière couler. Je voulais refaire exactement la promenade que j’avais si souvent faite le dimanche matin. Mais les jours d’enfance à quoi bon courir après ? Ils ne reviendront jamais. Même si la maison était à moi je serais la maîtresse de maison et non l’enfant. Il n’est pas possible de vivre deux fois dans la maison de sa mère.

    Et encore : qui d’abord et toujours habite une maison, si ce n’est une femme, mais à quel prix ? Je ne voulais pas être une femme vouée à une maison et j’ai passé à une autre la maison où je suis née. Et je suis devant une feuille blanche, me demandant : fallait-il choisir entre cette maison mère et les mots sur le papier ? Pourquoi ? »

    Véronique Ingold, La maison où je suis née… in Sorcières, Espaces et lieux,  n° 11 (1978)

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    Dessin de Chantal Petit (Sorcières)

  • Visage

    « Maintenant, calcula le père Orduña, l’inspecteur devait avoir atteint la cinquantaine, mais ce qui lui était le plus difficile n’était pas de se rappeler comment il était dans son enfance, quand on l’avait amené au pensionnat, mais de porter une véritable attention à ses traits d’aujourd’hui, à son visage commun, énergique et marqué, à sa présence robuste et gauche d’adulte sur le déclin. Avec la nostalgie d’une paternité impossible, le prêtre pensait qu’on ne peut peut-être jamais voir tout à fait comme un adulte celui qu’on a vu enfant et dont on se souvient, et que la véritable mémoire des premières années de notre vie ne nous appartient jamais en propre, mais appartient plutôt à ceux qui nous ont connus, élevés et vus grandir. Sur le visage rude et rouge, dans les cheveux gris décoiffés et rares, dans le cou vieilli et assez mal rasé de l’inspecteur, il n’y avait pas trace de l’enfant aujourd’hui invraisemblable et qui pourtant avait existé ; le père Orduña sentit avec un orgueil mélancolique que c’était lui le dépositaire du passé intime d’un autre homme, d’un inconnu. »

    Antonio Muñoz Molina, Pleine lune

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    Juan Gris, Portrait de Maurice Raynal

  • Petits matins

    « Tôt le matin, la cuisine m’appartenait exclusivement. Je faisais le thé. Je disposais sur la table le nécessaire du petit déjeuner, sans cesser de parler tout seul. Avec moi-même, ou avec d’autres : mon père, ma mère, mes professeurs, ma tante ou ma grand-mère. Les personnages de mes petits matins étaient comme j’aimais qu’ils fussent : mon père courtois et affable, ma mère riant tout le temps, mes professeurs indulgents. Ma tante et ma grand-mère éprouvaient pour ma mère de l’affection. Moi, j’avais des réponses justes et raisonnables pour chacun. »

    Zoyâ Pirzâd, Un jour avant Pâques

    Maamoul de Pâques sur Paperblog.jpg

     

  • Pâques en Iran

    Traduit du persan (Iran), Un jour avant Pâques de Zoyâ Pirzâd (2008) raconte l’histoire d’une famille d’abord installée au bord de la mer Caspienne puis à Téhéran. Edmond Lazarian a grandi dans une maison mitoyenne avec l’église et l’école arméniennes. A douze ans, il est surtout l’ami de Tahereh, la fille du concierge de l’école – son père ne voit pas d’un bon œil qu’il fréquente une famille musulmane. Quelques jours avant Pâques, lorsque les orangers de la cour intérieure fleurissent,
    il capture une coccinelle : la légende dit qu’à la première coccinelle aperçue, on peut faire un vœu qui sera exaucé avant Pâques. Toute la journée, il se tracasse en classe,
    il a oublié de trouer la boîte d’allumettes et craint pour la vie de sa prisonnière. Et comme son père, à la sortie de l’école, l’oblige à l’accompagner chez le coiffeur, au retour, il est trop tard. La coccinelle est morte, et l’enfant en pleurs.
     

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    Ainsi commence l’évocation d’une enfance marquée par la culture arménienne – Madame Grigorian, une amie de sa grand-mère, en est la dépositaire respectée, « la seule Arménienne de la ville à avoir vu l’Arménie ». Au cimetière de l’église, où il est interdit de jouer, mais dont Tahereh qui est un peu sorcière aime faire un terrain de cache-cache, Edmond est particulièrement impressionné par la tombe « de la femme du marchand ». A la mort de son mari, celle-ci s’est fait sculpter en train de lire, grandeur nature, pour lui tenir compagnie – avant de partir avec le sculpteur. Mais
    « la plus belle femme du monde », pour le garçon, c’est la mère de Tahereh, grande et mince, discrète, malheureuse victime des mauvais traitements de son époux. Edmond l’aperçoit un jour, en larmes, qui se confie au directeur de l’école dans sa pièce « pleine de livres ».

     

    Dans la deuxième partie du roman, un jour avant Pâques, Alenouche, la fille d’Edmond, annonce à ses parents qu’elle va se marier avec Bezhad, ce qui laisse sa mère Marta sans réaction. Heureusement, se dit le père, que sa grand-mère est morte : épouser un non-arménien ! Depuis l’enfance, sa fille se montre rebelle à la religion. Edmond est maintenant le directeur de l’école, mais se laisse remplacer de plus en plus souvent par Danik, la surveillante-générale, devenue la meilleure amie de Marta. A la naissance d’Alenouche, sa femme qui s’entendait particulièrement bien avec la grand-mère d’Edmond avait reçu d’elle sa bague de fiançailles en diamant.

     

    Si le récit, de chapitre en chapitre, change de génération, Zoyâ Persâd intègre dans chacun d’eux de multiples flash-backs. Par exemple, Edmond se souvient des disputes entre ses propres parents et du jour où sa mère avait récupéré une armoire et un lit pour les installer dans un débarras non loin de sa chambre de garçon : ce serait dorénavant la chambre de sa mère, ornée avec soin, une pièce très agréable où il aimait à se tenir près d’elle. Quant à Bezhad, l’étudiant dont Alenouche ne cesse de faire l’éloge, à sa première invitation chez eux, il déclare : « Il n’y a qu’une seule chose que je ne tolère pas, c’est l’intolérance. » Pas étonnant qu’il s’entende avec sa fille qui, du haut de ses six ans, avait un jour répliqué à sa mère : « Maman, je n’ai pas la patience d’écouter tes sermons ! » Les souvenirs d’Edmond envahissent de plus en plus le récit, concernant sa mère, son enfance, son mariage, les déménagements.

    Au dernier chapitre, c’est à nouveau la veille de Pâques – le moment le plus fort de la religion arménienne. Sa femme Marta n’est plus, ni sa mère qui lui avait offert, le jour de sa réussite au baccalauréat, un stylo-plume avec un flacon d’encre verte parce qu’elle aimait « tout et tous ceux qui se distinguent ». Alenouche s’est éloignée, mais Danik est toujours là pour fêter Pâques avec lui et lui donner un cadeau, un geste que Marta faisait si bien, elle qui avait toujours le cadeau approprié pour chacun, alors qu’Edmond ne sait jamais quoi offrir. Il y a beaucoup de délicatesse et de sensibilité dans Un jour avant Pâques, une délicieuse incursion dans les rituels et dans l’intimité d’une famille arménienne qui évolue avec son temps, mais garde ses traditions les plus précieuses.

  • Illunés

    « Tout en faisant chauffer l’eau du thé, en mettant les tasses sur un plateau, tandis qu’elle continue à massacrer la petite chanson d’autrefois, tu penses au poème de Baudelaire, à ces illunés dont il parle avec fascination, ces êtres marqués par la lune et par la folie. Une folie bienheureuse. Une folie magnifique. C’est toi qui avais choisi Les Bienfaits de la lune, sans même y réfléchir, inconsciemment, sans voir que, si cet texte te touchait tant, c’est qu’il t’évoquait la Fanny de ton enfance. Pas cette démente. »

    Marie Sizun, La Femme de l’Allemand

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    Chers visiteurs de Textes & Prétextes, je pars pour deux semaines, mais
    je vous ai préparé un florilège varié que vous découvrirez aux jours habituels.
    N'hésitez pas à y réagir en mon absence. Bonne lecture !

    Tania