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enfance - Page 19

  • L'âne de St Nicolas

    Les fêtes occupaient une place intangible dans le calendrier de mon enfance. La Saint-Nicolas à la maison, c’était le 6 décembre, pas avant, pas après, une longue attente que nous trompions en laissant des carottes le soir, pour l’âne de Saint Nicolas, et parfois nous trouvions en retour des pièces d’or en chocolat au petit matin. Bien sûr, on lui avait laissé une lettre et on rêvait de la visite du grand saint : auxquels de nos souhaits répondrait-il ? 

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    Tout le bonheur est dans l’attente, dit-on, en tout cas l’imagination traversait les murs, s’envolait au-dessus des toits jusqu’au ciel dont l’infini semblait ouvert à tous les possibles. Et, quel bonheur, nos parents étaient de merveilleux associés de Saint Nicolas : c’était la fête des enfants, la fête des cadeaux entre toutes. Quand nous descendions de nos chambres le matin du grand jour, la salle à manger était métamorphosée par les paquets et les bonnes choses à manger : mandarines, chocolats, spéculoos, massepains... Chaque année, le grand saint était au rendez-vous et inventait un décor nouveau, il y avait des surprises – nous avions de la chance.

    Deux Saint-Nicolas particulières surgissent de ma mémoire. D’abord cette année où, terriblement impatients de découvrir le spectacle, nous, les enfants, réveillés au milieu de la nuit, nous avions décidé ensemble, en chuchotant, de descendre l’escalier sans faire de bruit pour surprendre le grand saint à l’œuvre. Mais nos parents avaient l’ouïe fine et il n’était pas encore minuit, contrairement à ce que nous avions cru. Ils étaient encore en bas à disposer les présents, et nous ont interceptés – oups, au lit, vous attendrez demain ! Un autre soir de 5 décembre, je ne sais plus quand exactement, toute cette magie s’est écroulée : ma grande sœur, avec qui je partageais la chambre, peut-être fatiguée de mes questions, de mes bavardages, de ma naïveté, m’apprit des choses que j’ignorais. 

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    Pour Noël, c’était tout autre chose. Peu ou pas de cadeaux, parfois un vêtement utile, ce n’était pas l’essentiel. L’important, c’était d’abord, mais jamais avant le 20 décembre, l’installation de l’arbre de Noël – il fallait que les aiguilles tiennent jusqu’à l’Epiphanie. Le sapin, coupé ou en motte, était juché sur un tabouret, la grande « boîte de Noël » descendue du grenier d’où l’on sortait les boules, la flèche, les guirlandes, la crèche et ses personnages, sans oublier le boeuf et l’âne, naturellement. Ma mère avait l’art de disposer la grande feuille de papier kraft chiffonné, où persistaient des traces de neige carbonique, pour former les « rochers » au pied de l’arbre, avec un creux pour la crèche, un autre où marcheraient les rois mages, et de la place pour les petits moutons aux alentours.

    Et puis, bien sûr, pour une famille chrétienne, la veillée, les chants traditionnels, avant la messe de minuit. Nuit de lumière dans l’église parée pour la fête, remplie à craquer. Là aussi des sapins, l’éclairage des bougies, une grande crèche devant laquelle on nous invitait à déposer des cadeaux destinés aux enfants défavorisés. Certaines années, selon notre âge, une tenue d’ange pour accompagner la procession vers l’autel – d’autres figuraient Marie et Joseph, les bergers. L’arrivée de l’enfant Jésus, poupon ou vrai bébé quelquefois, en était le moment le plus marquant. Le retour à la maison concluait joyeusement cette nuit de fête : on mangeait le délicieux cougnou que mon père était allé chercher à Mesnil-Saint-Blaise, dans un village voisin de celui de sa mère, avant d’aller se coucher, des étoiles dans les yeux. 

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    J’aurais aimé vous raconter l’histoire des fresques qui ornent un pilier devant un magasin de vêtements à vocation sociale (Les Petits Riens), non loin de chez moi. Schaerbeek, vous le savez déjà, s’appelle la Cité des Ânes. Celui de Saint Nicolas y a des cousins. Je vous ai parlé de Camille et Gribouille, mascottes du parc Josaphat, mais peut-être pas de Colignou, sur la place de l’Hôtel communal. Certains habitants de la commune l’associent certainement à un autre âne célèbre, celui de Nasr Eddin Hodja (leur statue orne la rue Gallait depuis quelques années).

    Revenons aux mosaïques illustrant ce billet. Je ne sais ni de quand elles datent, ni qui les a créées. Elles ont dû être installées pour annoncer le « Bazar Saint Nicolas », grand magasin de jouets qui se trouvait autrefois à cet endroit, sur la chaussée de Helmet. A chaque passage, elles me réjouissent : l’âne et sa hotte, le grand saint avec sa crosse, et les trois enfants qui l’accueillent sous un soleil rouge. Un autre petit patrimoine bruxellois à préserver pour le plaisir des petits et des grands.

  • Tout faire

    « J’ai envie de tout faire dans ma vie. Je veux être acteur de cinéma pour embrasser les actrices des films indiens, je veux être Président de la République pour faire de longs discours au stade de la Révolution et écrire un livre qui parle de mon courage contre les ennemis de la Nation, je veux être chauffeur de taxi pour ne pas trop marcher sur le goudron qui chauffe à midi, je veux être directeur du port maritime de Pointe-Noire pour prendre gratuitement les choses qui viennent de l’Europe, je veux être un docteur vétérinaire, mais je ne veux pas être un agriculteur à cause de tonton René qui veut que je sois agriculteur. Je veux aussi écrire des poèmes pour Caroline. Je lui dis ça, elle sourit, me rappelle que la vie est trop courte pour que quelqu’un fasse toutes ces choses. Il faut en faire certaines, et surtout bien les faire. »

    Alain Mabanckou, Demain j’aurai vingt ans

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    Photo L’Express

     

     

     

  • Michel, Pointe-Noire

    Dédié à sa mère, à son père et à Dany Laferrière, Demain j’aurai vingt ans (2010) d’Alain Mabanckou donne la parole à Michel, un gamin de Pointe-Noire, la ville où l’écrivain est né en 1966 (il vit actuellement en Californie). C’est le récit à la première personne d’une enfance, d’une famille, d’une culture : « Dans notre pays, un chef doit être chauve et avoir un gros ventre. »

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    Il y a d’abord maman Pauline et tonton René, son frère, « un vrai chef » à la CFAO qui vend des voitures, même s’il n’est ni chauve ni ventru : « Il a un téléphone et une télévision chez lui. » L’oncle est riche mais se prétend communiste. Années septante, dix ans après l'indépendance. Michel est, comme tous les enfants, membre du Mouvement national des pionniers et futur membre du Parti congolais du travail, le PCT. Chez son oncle, il mange sous la photo de Lénine, non loin de celle de Marx et d’Engels, « de notre Immortel, le camarade président Marien Ngouabi » et enfin, pour quelque temps encore, de Victor Hugo. Michel n’a pas tout compris de ses idées politiques mais en a tiré une insulte : « Opium du peuple ! »

    Le garçon qui transpire la nuit sous la moustiquaire est amoureux de Caroline – « une fille évoluée » d’après maman Pauline – leurs parents sont amis. Elle a quitté l’école qu’il fréquente encore pour une autre « au quartier Chic ». C’est la sœur de Lounès, son meilleur ami, déjà au Collège des grands. Monsieur Mutombo, leur père, est « le meilleur tailleur de la ville » ; leur mère, grosse « comme une femelle d’hippopotame ». Caroline et Michel se sont mariés un dimanche après-midi et ont partagé leurs projets : économiser pour quand leurs deux enfants seront grands, acheter une belle voiture rouge à cinq places, avoir un petit chien tout blanc.

    Michel n’aime pas trop quand sa mère se fait belle et met « des pantalons orange qui brillent » et attirent tous les regards sur elle, surtout quand elle ne dit pas où elle va. Il voudrait être Superman, Hulk, Astérix ou Obélix pour la défendre. Si elle va chez son frère, c’est pour des affaires d’héritage. Et quand ils se disputent, René lui rappelle que Roger n’est pas le vrai père de Michel mais un « père nourricier » qui vit avec sa première femme, maman Martine, et leurs sept enfants.

    Employé d’hôtel, papa Roger ramène un jour une radiocassette qu’il a reçue d’un client blanc, un habitué dont il s’occupe toujours. Ce sera un secret, personne dans le quartier ne doit être mis au courant, « on doit rester très modestes ». La cassette introduite, une grosse voix se met à chanter : « Auprès de mon arbre, je vivais heureux… » Le blanc à moustache, Brassens, emploie deux mots qui lintriguent, « saligaud » et « alter ego ». Mais il faudra du temps pour que Michel comprenne qu’on puisse pleurer un arbre. C’est un garçon qui écoute bien : son oncle sur les communistes et les capitalistes ; Monsieur Mutombo sur les blancs, les noirs, les arabes ; papa Roger sur le président et les militaires.

    Alain Mabanckou, comme l’écrit Le Clézio dans la préface, « nous fait pénétrer à l’intérieur de l’âme d’un jeune enfant » du Congo-Brazzaville, nous montre le monde vu par des yeux « naïfs et attentifs » ; son jeune héros découvre « la vie, les chagrins, les émotions et les ruses qui préparent au métier d’homme. » La chanson de Brassens est un leitmotiv parmi d’autres, avec « La Voix de l’Amérique » que son père aime écouter, celle du journaliste Roger Guy Folli ; le destin du chah d’Iran après la Révolution ; Idi Amin Dada, le monstrueux chef d’Etat analphabète ; et surtout, surtout, Arthur, « le jeune homme au visage d’ange » sur la couverture d’Une saison en enfer, trouvé dans la bibliothèque paternelle et feuilleté en secret.

    Mais le plus grave de ce qui arrive à Michel, c’est la trahison de Caroline, qui le quitte pour Mabélé, un joueur de foot. Comment la reconquérir ? Scènes d’école, vie du quartier, ambiances familiales, rêves et douleurs d’enfant, voilà le sujet d’un roman de style oral qui s’intéresse aux rapports entre les personnes, aux discours, à la diversité des valeurs proposées à un garçon d’une dizaine d’années. Un jour, Michel devra choisir. « Moi, je cherche une autre route, ma route du bonheur, celle que je prendrai pieds nus, en plein soleil, même si le goudron me brûle. »

    Vous découvrirez chez Gangoueus le dernier ouvrage de Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire (2013), qui revient de manière très différente sur la ville de son enfance et les personnages de Demain j’aurai vingt ans.

  • Fantaisies d'une fée

    Qu’y a-t-il qui rende plus optimiste que de rencontrer de jeunes talents ? Le monde dessiné par Valentine Iokem pétille et sourit de telle manière qu’il nous met de bonne humeur, une vraie cure de jeunesse. Cette illustratrice wallonne expose avec d'autres jeunes créateurs à la galerie-boutique « Il était une fois », près de la place Dumon à Stockel, bien connue pour son marché, ses commerces et sa foire, au bout de la ligne 1 du métro bruxellois.

     

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    iI était une fois © Valentine Iokem

    Valentine se présente comme une « croqueuse de fantaisies à pois, de petites fleurs etcetera…». Quelle fantaisie, en effet, chez cette fée espiègle de vingt-trois ans, pleine d’imagination et de joie de vivre ! Depuis l’enfance, elle se passionne pour la littérature enfantine et l’art de l’illustration. Elle donne vie sur le papier à un petit monde follement gai, plein d’amour et d’humour. Des cœurs s’envolent d’une page à l’autre, comme des papillons. Des fillettes s’élancent sur des balançoires. Des guirlandes de lettres se balancent. Il pleut des pétales de fleurs.

    Vous savez comme j’aime quand les mots se font images, quand les images s’ouvrent au texte. Valentine Iokem joue avec les lettres, avec les mots, mêle à ses papiers lumineux des calligraphies légères et dansantes. Ici tout le monde s’amuse, l’alphabet aussi. Les mots doux font son bonheur, et le nôtre.

     

    Voyez son logo-nuage, un flocon de neige. Les joies enfantines riment avec Valentine. Rien de mièvre, des tons vifs et frais. Les couleurs sont à la fête, le rose et le vert, et tout ce qui va du rose au rouge et du vert au bleu... Ses cartes illustrées déploient l'arc-en-ciel de son imaginaire dans un jardin peuplé de fleurs et de papillons, d'arbres et de « pioux-pioux », et même des « hibouchoux » – pour tous les goûts.

     

    Si vous n’en pouvez plus d’attendre le printemps, poussez la porte de « il était une fois ». Vous y trouverez en exposition-vente les créations d’une vingtaine de jeunes talents « 100% made in Belgium » dans des registres divers – céramique, tissus, bijoux, cuirs… – et quelques nouveaux noms du monde de l’illustration belge. Une sélection de Chantal Couture, « illustratrice et sculptrice de papier », qui a pris l’initiative du mouvement Il était une fois « dédicacé à l'enfant, l'ado mais aussi à l'adulte qui n'a pas oublié qu'un jour il était lui-même un enfant... » Au fond de la galerie-boutique, Valentine Iokem présente ses cartes d’inspirations diverses et un lumineux « bric à brac » : carnets, badges, tasses et boîtes à thé – comment résister ?

     

     

     

     

  • La douleur

    « Pendant un long moment,  je restai assis entre les deux tombes et je pleurai. Quand mes larmes se furent taries,  je sentis le calme prendre possession de moi. Je sentis le cercle de famille se refermer enfin. Je compris que ce que j’étais, ce qui m’importait, n’était plus une simple question d’intellect ou de devoir moral, n’était plus une construction verbale. Je vis que ma vie en Amérique – la vie chez les Noirs, la vie chez les Blancs, le sentiment d’abandon que j’avais ressenti quand j’étais enfant, la frustration et l’espoir dont j’avais été témoin à Chicago –, tout cela était relié à ce petit morceau de terre, au-delà de l’océan, mais par une chose plus importante que le hasard qui m’avait donné mon nom ou la couleur de ma peau. La douleur que je ressentais était celle de mon père. Mes questions étaient celles de mes frères. Leur lutte, mon droit acquis à la naissance. »

     

    Barack Obama, Les rêves de mon père

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