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Petit pays perdu

Prix Goncourt des lycéens (entre autres), Petit pays de Gaël Faye est un premier roman qui ne peut manquer de toucher : le récit d’une enfance au Burundi, celle de Gaby, « un enfant du monde emporté par la fureur du destin » (Maria Malagardis, Libération) à dix, onze ans.

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Un jour, son père lui avait expliqué qu’au Burundi comme au Rwanda, il y avait les Hutu, les Tutsi comme sa mère et les Twa, les pygmées. Gabriel trouvait étranges ces distinctions entre des gens qui habitent le même territoire, parlent la même langue, ont le même dieu – elles semblaient finalement tenir à une forme de nez, à la taille – tout le monde se mettait à employer ces mots et même les enfants jouaient à deviner qui était ceci ou cela.

A présent, le narrateur et sa sœur Ana vivent en région parisienne, mais « pas un jour sans que le pays ne se rappelle à (lui) ». Tant de choses lui ont échappé, notamment pourquoi ses parents – Yvonne, silhouette fuselée, peau ébène – et Michel, petit Français du Jura châtain clair – se sont séparés. « Mais au temps d’avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et tout le reste, c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer. »

Les choses s’étaient gâtées un jour de Saint-Nicolas, « sur la grande terrasse de Jacques, à Bukavu, au Zaïre », chez le vieil ami de son père à qui ils rendaient visite une fois par mois. Son jardin avec vue sur le lac dont l’autre rive était au Rwanda, le pays que sa mère avait dû quitter à quatre ans, une nuit de massacre, rendait toujours celle-ci mélancolique. Cette fois, ils s’étaient disputés à propos du Burundi, un pays qu’elle ne supportait plus, et de son rêve de vivre à Paris et d’y voir grandir ses enfants ; Jacques et Michel étaient attachés à l’Afrique, à une vie de luxe comparée à celle qu’ils auraient en Europe. Mais elle, privée de son pays natal, connaissait l’envers du décor et aspirait avant tout à la sécurité.

Après un dernier dimanche en famille, à eux quatre, un déjeuner au restaurant près du lac puis une visite de l’usine d’huile de palme dont son père avait supervisé la construction à son arrivée au Burundi, en 1972, il y avait eu une dispute terrible entre les parents. La nuit, sa mère était partie.

Avant Noël, elle avait emmené Ana chez tante Eusébie, à Kigali, au Rwanda, dont « la situation paraissait plus stable ». Gabriel était resté avec son père, il avait reçu le vélo rouge de ses rêves pour Noël. Puis ils s’étaient rendus « chez les pygmées du village de potiers » pour fêter l’arrivée de 1993, y avaient passé la nuit. Au retour, Calixte, leur employé, avait disparu avec quelques objets volés, le vélo de Gaby y compris.

Ana revenue du Rwanda, le garçon retrouve ses amis de l’impasse où ils habitent, puis l’école. Il a désormais une correspondante à Orléans, Laure, des échanges organisés par l’instituteur. Les jumeaux qui se sont fait circoncire chez leur grand-mère par leur tonton, ce qui a fâché leur père, ont vu rouler quelqu’un avec le vélo neuf de Gaby dans ce village ! S’ensuit une équipée pour retrouver le vélo volé, qui a déjà changé de propriétaire plusieurs fois. Barrages militaires, surveillance policière, ce n’est pas simple de circuler. Calixte est arrêté, mis au cachot. Une famille très pauvre a acheté le vélo de bonne foi, Gaby le reprend et reçoit alors une leçon de morale de Donatien, le contremaître, qui a pitié de ces gens.

Petit pays raconte la vie au quotidien sous le regard d’un enfant de dix ans et de sa bande de copains, leurs vadrouilles et leurs mauvais coups. Au cabaret où ils vont boire de la bière ensemble, « L’agora du peuple. La radio du trottoir. Le pouls de la nation », on discute de la démocratie, des partis, des blancs. Le jour des élections se déroule dans l’euphorie de mettre fin au parti unique et aux coups d’Etat.

Gaby fête ses onze ans dans une atmosphère alourdie par la présence de Francis, l’ennemi de leur bande, qui s’impose peu à peu de façon menaçante. Mais autour des enfants, « la paix n’est qu’un intervalle entre deux guerres. Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la surface. Nous ne le savions pas encore, mais l’heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons. »

Gaël Faye fait ressentir le climat de tension toujours palpable – c’est la guerre au Rwanda, beaucoup de Rwandais se sont réfugiés au Burundi juste à côté, certains y retournent pour défendre leur pays. Le Burundi va s’enflammer à son tour. Le 21 octobre 1993, la radio diffuse Le crépuscule des dieux de Wagner. « C’était une tradition de passer de la musique classique à la radio quand il y avait un coup d’Etat. » Leur père enferme Gaby et Ana dans la maison, met des matelas dans le couloir pour se protéger des balles perdues.

Quand l’école rouvre une semaine plus tard, la vie semble reprendre comme avant, malgré le couvre-feu à dix-huit heures, les échos des combats dans les campagnes. Les relations entre les élèves se modifient, ils finissent par se séparer en deux groupes qui se traitent de « sales Hutu » ou « sales Tutsi ». « Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. »

Au Rwanda, où Gaby et sa sœur retrouvent leur mère pour le mariage de leur oncle Pacifique, ils découvrent plus de violence encore, présente et à venir. Pacifique implore sa sœur de repartir avec eux – « ici, ce sera bien pire qu’une guerre ». Le lendemain de la mort des présidents du Burundi et du Rwanda dans leur avion, leur mère arrive à la maison, pour vérifier qu’ils vont bien et demander à leur père de l’aider à évacuer la famille de tante Eusébie. Impossible. Tous les contacts avec les ambassades sont vains, on n’évacue que les Occidentaux. La mère de Gaby n’en dort plus. Le pire est à venir. 

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Gaël Faye et un enfant (source non identifiée)

Raconté de l’intérieur d’une famille, du point de vue d’un enfant, la vie « d’avant » et le génocide rwandais sont au cœur de Petit pays, un roman « déchirant et incandescent » (Yann Perreau, Les inrockuptibles). Gaël Faye, rappeur franco-rwandais qui a chanté une chanson du même titre, s’est inspiré de son enfance mais ce n’est pas son histoire : « Et c’est le paradis perdu qui m’intéressait avant tout, cette impasse, ce petit cocon dans lequel je me suis senti bien en tant qu’enfant et dans lequel tout adulte peut se remémorer son enfance aussi de cette manière-là. C’est surtout un roman qui aborde la question du paradis perdu. »

Commentaires

  • terrible histoire, celle avec un grand H et l'histoire privée de tant de gens. Je pense qu'on ne s'en remet jamais vraiment.

  • C'est la force de ce roman court de raconter une enfance, une famille, un voisinage, et d'y laisser venir les événements peu à peu.

  • Je ne l'ai pas encore lu ; par contre, j'ai assisté à un concert de Gaël Faye et j'ai été beaucoup plus emballée que je ne le pensais. Ce garçon a une énergie inépuisable et une belle personnalité.

  • La notion de paradis perdu de l'enfance, nous l'avons peut-être tous ressentie. Que cela se passe dans ces pays en guerre, en ébullition, est encore plus dramatique, plus terrible..

  • J'ai acheté le livre, il est sur la pile depuis quelques mois. J'ai vécu quelque temps au Rwanda, avant les massacres et une de mes amis tutsi a perdu toute sa famille au cours du génocide. Je ne parvenais pas à imaginer ce très beau pays peuplé de gens si dignes livré au massacre. Hélas, aucun endroit sur cette planète n'échappe à l'horreur. Merci Tania pour ce bel article.

  • J'ai été très touchée par ce livre, quelle puissance ! Et je comprends quand il dit "j'étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais" La pression est telle dans ces tragédies qu'il est difficile de rester de marbre et de ne pas prendre parti, c'est une question de survie. Doux week end Tania, courage. brigitte

  • @ Aifelle : A part la chanson éponyme, je ne l'ai pas encore écouté - je le ferai.

    @ Bonheur du Jour : Bonne lecture un jour ou l'autre, rien ne presse.

    @ Claudialucia : Gaël Faye mêle parfaitement ces deux thèmes.

    @ Zoë Lucider : Je me souviens d'une élève, seule rescapée de sa famille, dont le traumatisme était tel qu'elle n'est pas parvenue à terminer l'année scolaire. Massacre en Egypte - la barbarie n'a pas de fin.

    @ Plumes d'Anges : Merci beaucoup, Brigitte, bon week-end à toi aussi - pluvieux comme ici, si j'ai bien vu les prévisions météo.

  • Mon père aurait adoré cette lecture, lui qui a connu Kigali, "Buja" et tous ces lieux, et tous ces gens aimés par lui, que j'ai parfois rencontrés aussi...

  • Un livre que je n'ai pas encore lu, mais dont j'ai entendu l'auteur, qui m'avait beaucoup touché. il est urgent de reconnaître tous nos paradis avant de les avoir perdus. Bonne soirée, Tania.

  • @ Margotte : "Le bon moment", voilà quelque chose que je comprends très bien et que je ressens moi aussi.

    @ Edmée De Xhavée : Certainement. Si tu le lis, ce sera une lecture nourrie de souvenirs.

    @ Annie : Ta remarque sur les paradis à "reconnaître" avant de les perdre me touche beaucoup, Annie, c'est si important.

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