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  • Au musée Angladon

    La blouse rose de Modigliani, parmi les illustrations de l’album Rose de Michel Pastoureau, a éveillé ma curiosité pour un musée d’Avignon que je ne connaissais pas, le musée Angladon. Celui-ci abrite la collection d’œuvres d’art du grand couturier Jacques Doucet (1853-1929), collectionneur et mécène. A quelques minutes à pied de la place de l’Horloge, ce musée occupe un bel hôtel particulier du XVIIIe siècle.

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    Jean Angladon, Portrait de Paulettte Martin, musée Angladon
    (son épouse Paulette Angladon-Dubrujeaud)

    Dès le premier niveau, la littérature aussi y est présente avec ce portrait d’une lectrice par Jean Angladon (petit-neveu de Jacques Doucet) et André Gide et ses amis au Café maure de l’Exposition universelle de 1900 par Jacques-Emile Blanche. D’autres portraits d’écrivains nous attendent au dernier étage, où une très belle exposition de ses peintures est présentée sous le titre « J.-E. Blanche. Peindre le temps perdu » (jusqu’au 12 octobre).

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    Thomas Lawrence, Portrait de jeune fille, 1799, huile sur toile

    Près de nombreux tableaux sont affichés d’intéressants extraits de critiques d’art écrites par J.-E. Blanche, d’abord pour un Portrait de jeune fille signé Thomas Lawrence, puis près de grands noms de la peinture du XIXe siècle : Sisley, Daumier, Cézanne, Van Gogh, un autoportrait d’Odilon Redon… Des œuvres remarquables montrées sur le portail du musée.

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    Paul Cézanne, Nature morte au pot de grès, 1874, Huile sur toile, musée Angladon

    Le Modigliani est accroché près d’une grande vitrine où l’on expose des objets africains et de petites peintures du XXe siècle, notamment de Picasso. Sur un mur, une Rose dans un verre de Derain, près d’un amusant Hibou en bronze du même artiste. Sur un autre, côte à côte, deux œuvres de Foujita irrésistibles : son Autoportrait et Le portrait de Mme Foujita (1917, gouache et feuille d’or sur papier) – quelle finesse !

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    André Derain, Hibou, vers 1925, bronze

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    Tsuguharu Leonard Foujita, Mon portrait et Portrait de Mme Foujita, 1917,
    gouache et feuille d'or sur papier, musée Angladon

    A l’étage d’où j’ai admiré la vue depuis les fenêtres sont présentées des œuvres plus anciennes : une Vierge et un St Jean-Baptiste en bois du Moyen Age, deux volets d’un retable du Maître de la Légende de la Madeleine représentant Sainte Barbe et Sainte Catherine d’Alexandrie (XVe-XVIe), un Portrait de femme de 1566 par Nicolas Neufchâtel, un Portrait de gentilhomme attribué à Corneille de Lyon…

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    Maître de la Légende de la Madeleine, Sainte Barbe et Sainte Catherine d’Alexandrie,
    huiles sur bois, entre 1483 et 1527, volets d'un retable, musée Angladon

    Ce musée montre de belles choses ! Avant de monter à l’étage de l’exposition temporaire, nous traversons la bibliothèque aux reliures anciennes de Jacques Doucet, puis un élégant salon meublé dans l’esprit du lieu avec des bergères couvertes du même tissu que les murs, ainsi qu’un autre salon présentant ses porcelaines chinoises.

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    De la peinture de J.-E. Blanche, je l’avoue, je ne savais pas grand-chose en dehors de son fameux Portrait de Proust vu au musée d’Orsay et de celui, merveilleux, de la mère du peintre, choisi pour l’affiche. Blanche (1861-1942) était à la fois peintre, critique d’art et écrivain, ce qui le faisait passer pour un dilettante aux yeux de ses contemporains. L’exposition s’appuie sur le fonds qu’il a donné de son vivant au musée des Beaux-Arts de Rouen. Elle débute avec de beaux portraits de ses parents.

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    J.-E. Blanche, Docteur Emile Blanche / Madame Emille Blanche, huiles sur toile, 1890 au musée Angladon

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    Jacques-Emile Blanche, Lucie Esnault, le dessin, 1892, pastel, musée des Beaux-Arts de Rouen

    Un pastel délicat m’a beaucoup plu : Lucie Esnault, le dessin. Le commentaire précise que ce n’est pas un portrait mais une scène de genre. Son modèle était la fille du serrurier à Auteuil, que le peintre aimait costumer et mettre en scène comme une petite fille modèle – pour lui « un délassement et un exutoire, exempts des conventions du portrait de commande ». Jean Helleu à quatre ans, le fils du peintre Paul-César Helleu, est d’une présence remarquable. Manon aux poupées a un regard touchant dans sa robe formidablement rendue – quelle tristesse de lire que son dossier se trouve au mémorial de la Shoah (Madeleine Sussmann, 1905-1943).

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    Jacques-Emile Blanche, Regent Street, 1912, huile sur toile

    Puis viennent des paysages, des vues de ville à Londres et à Venise (un extrait de Virginia Woolf, dont il a peint le portrait (non exposé), est cité près d’une vue de Regent Street), des courses de chevaux... On se rend compte que Jacques-Emile Blanche fréquentait le Tout-Paris, le Tout-Londres (il y a vécu enfant)… C’était « un personnage incontournable de la Belle Epoque et de l’après-guerre » (feuillet de présentation).

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    Jacques-Emile Blanche, Le vestibule du manoir de Tot, Offranville, huile sur toile, vers 1910

    J.-E. Blanche a peint beaucoup de portraits (femmes, enfants, groupes, hommes). En consultant le catalogue raisonné établi par Jane Roberts et mis en ligne, on peut y chercher ses œuvres par genre ou par catégorie. Il a peint aussi des fleurs, des intérieurs, comme Le vestibule du manoir de Tot, Offranville (où on peut visiter un petit musée Blanche). Il recevait le beau monde artistique et politique de son époque. Il a peint un jeune Cocteau longiligne s’y promenant dans le jardin avec Hilda Trevelyan, une actrice anglaise.

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    Jacques-Emile Blanche, Portrait de Marcel Proust, 1892, huile sur toile

    En plus de son célèbre portrait de Marcel Proust, que celui-ci a conservé jusqu’à sa mort, Blanche a représenté de nombreux écrivains français comme Valéry, Max Jacob, Montherlant, Claudel… L’exposition et le musée valent le détour.

  • Blason

    assouline,pierre,le dernier des camondo,récit,biographie,musée nissim de camondo,paris,juifs,rue de monceau,famille,histoire,société,collections,xviiie,art,culture« Les Camondo étaient fiers de leurs blason et armoiries, même s’ils savaient combien c’était dérisoire pour prouver l’ancienneté de leur famille. Finalement, qu’est-ce qui les distinguait des grands bourgeois fortunés ? Qu’est-ce qui leur permettait d’échapper au fameux jugement de La Bruyère, pour qui le bourgeois est noble par imitation et peuple par caractère ? Un titre, une particule, un mode de vie, la fréquentation d’une société, une haute idée de soi et des siens… Et l’impérieuse nécessité, l’irrépressible volonté, l’insondable désir de se différencier de leurs coreligionnaires. Comme si, en appartenant à « une grande famille », ils inventaient une autre manière d’être juifs. Car pour rien au monde ils n’auraient voulu être les égaux de leurs frères. »

    Blason de la famille Camondo © MAD, Paris

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    « Aussi exténué qu’exalté par l’atmosphère guerrière dans laquelle il survivait, il n’aimait rien tant que se rassembler à la campagne, soit du côté des Camondo, soit du côté des Cahen d’Anvers. Des photos prises au cours de l’été 2016 montrent Moïse et Nissim bavardant dans le jardin de la rue de Monceau enfoncés dans des fauteuils en osier, et le père si fier de son fils. »

    Pierre Assouline, Le dernier des Camondo

     

  • La saga des Camondo

    Le dernier des Camondo, de Pierre Assouline, accueille ses lecteurs en trois temps : une dédicace touchante – « A Maman, pour la remercier de m’avoir aidé dans mes premières rédactions » –, une épigraphe signée Marcel Proust – « Un peu d’éternel, ou tout au moins de durable, était entré dans la composition de cet éphémère… » et un arbre généalogique. D’Abraham Salomon Camondo (1781-1873) à Nissim de Camondo (1892-1917), le biographe raconte une saga familiale et bien davantage, l’histoire d’une famille entre Orient et Occident, entre fidélité aux racines et position sociale, entre prospérité financière et collection d’art.

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    Le salon bleu  
    http://madparis.fr/en/museums/musee-nissim-de-camondo/views

    Son point de départ est aussi son point d’arrivée : le musée Nissim de Camondo au 63, rue de Monceau, dans le VIIIe arrondissement de Paris. (Ne l’ayant jamais visité, je me réjouis d’y prolonger cette lecture un jour.) Assouline y est entré pour la première fois en 1981, quand il enquêtait sur Marcel Dassault : « Depuis, cette maison m’habite. » Le premier chapitre décrit la rue de « toutes les grandes familles » – dix hôtels particuliers sur 95 numéros. En 1910, Moïse de Camondo y a fait raser l’Hôtel Violet et commandé à son architecte « non un musée mais une maison » pour ses collections du XVIIIe siècle, des meubles surtout, du « bon goût » sans ostentation. La description est impressionnante, enrichie d’un vocabulaire d’antiquaire : « chaises voyeuses », « marbre sérancolin », « gourgouran »…

    « On les appelait les Rothschild de l’Orient ». Dès l’évocation des ancêtres commerçants en Espagne, il est question de la situation des Juifs en Europe, d’abord tolérés puis rejetés, même les marranes – qui se convertit au catholicisme reste soupçonné d’être « juif dedans, chrétien dehors ». Certains se rendent au Portugal, en Italie, en Afrique du nord. Les Camondo, après Venise, choisissent « l’empire de la Sublime Porte » et y développent leurs talents de négociants.

    « Ils savent d’expérience qu’ils ne font que passer, que c’est leur destin, même si, chaque fois qu’ils s’installent, c’est pour toujours. » Abraham Salomon Camondo, né à Istanbul, devient « au milieu du XIXe siècle le plus riche des 200 000 juifs que comptait alors l’empire ottoman ». A 52 ans, il est l’héritier « et le seul maître de la banque Isaac Camondo et Cie » et règne sur un empire immobilier à Galata. Philanthrope généreux, il a son clan, les « Francos », qui « demeurent des Européens dans l’âme ».

    Abraham Camondo prend en charge une école juive et encourage la maîtrise des langues (le turc, le français, en plus de l’hébreu et du judéo-espagnol) pour « rendre les juifs compétitifs sur l’échiquier économique ». Au service de l’esprit des « Lumières », il se heurte aux mentalités archaïques : des rabbins conservateurs l’accusent de vouloir convertir les jeunes juifs au christianisme, on le juge « trop réformateur, trop moderne ». Après la mort de sa femme puis de son fils unique, à qui il offre des funérailles grandioses, Camondo retourne en Italie où Victor-Emmanuel II devient roi. En 1867, celui-ci l’anoblit, il portera le titre de « comte de Camondo », accordé trois ans plus tard également à son petit-fils Nissim de Camondo. Celui-ci, avec son frère Abraham, décide de transférer la banque familiale à Paris.

    Dans ce récit biographique très documenté, Pierre Assouline prend soin de situer chaque épisode de la saga familiale dans son contexte historique, économique et social. Il explique comment, dans la France de 1870, se répartissent les askhénases et les séfarades, les juifs « du pape » et ceux du Marais. Rotschild, premier des banquiers, rivalise avec Pereire. A la tête du Crédit mobilier, celui-ci vend aux Camondo le terrain de la rue de Monceau. Quand Abraham, le patriarche, meurt en 1873, il aura des doubles funérailles, à Paris puis à Constantinople, avec tous les honneurs.

    La France juive d’Edouard Drumont, en 1886, qui considère le « cosmopolitisme » juif contraire aux intérêts français (l’auteur fondera ensuite la Ligue nationale antisémite), reflète le changement de mentalité à la fin du XIXe siècle. Affaires et scandales vont se répercuter sur la réputation des Camondo, considérés comme des « Orientaux », « à la manière des Grecs qui considéraient comme barbares tous ceux qui n’étaient pas grecs ». Mais ils se tiennent à leur devise, « Fides et charitas », on ne fait pas appel en vain à leur générosité. En 1889, les deux petits-fils, Nissim et Abraham, meurent tous deux de maladie. Il ne reste alors que deux cousins Camondo : « Deux, c’est peu. Surtout quand l’un n’avait pas l’intention de fonder une famille, et que l’autre ne se voyait pas mourir banquier. »

    Isaac, 39 ans, et Moïse, 30 ans, sont célibataires. Isaac est collectionneur d’art et accumule acquisitions et appartements pour les y installer. « Comme une réponse de seigneur à l’antisémitisme ». Il souffre d’être considéré comme un amateur fortuné, compose de la musique. Moïse finit par reprendre le flambeau familial en épousant Irène Cahen d’Anvers en 1891, « une juive du meilleur monde », une femme ravissante. Renoir a peint son portrait à huit ans (La petite fille au ruban bleu), un tableau dont Assouline racontera l’histoire plus loin.

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    Renoir, Portrait d'Irène Cahen d'Anvers

    L’adresse est d’importance dans le grand monde, où trois quartiers de Paris sont considérés comme « habitables » : le Faubourg Saint-Germain pour l’aristocratie française, le Faubourg Saint-Honoré où vivent les Rothschild et la plaine Monceau. Irène organise de belles réceptions dans son château de Champs-sur-Marne magnifiquement restauré. Moïse, comte de Camondo, tient son rang en devenant consul général de Serbie à Paris, en chassant à cheval, en fréquentant l’Opéra, les stations balnéaires, les clubs.

    Mais Irène, infidèle, finit par demander le divorce pour épouser le comte Sampieri, malgré le scandale. Moïse reporte alors toute son ambition sur ses enfants, Nissim et Béatrice, neuf et sept ans. Il se console en collectionnant puis en faisant construire son nouvel hôtel dans la rue de Monceau. Il gère aussi les donations de son cousin au Louvre après son décès : 130 peintures, pastels, aquarelles et dessins, 400 estampes japonaises.

    En 1914, le « petit Trianon » du comte de Camondo est achevé rue de Monceau. La guerre éclate. Son fils Nissim, 22 ans, engagé volontaire pour la France, meurt le 3 septembre 1917. Parmi les nombreux messages de sympathie, une lettre de Proust. Pierre Assouline suit pas à pas les dernières années de Moïse de Camondo, qui n’a pas fini de soutenir les arts ni d’entreprendre. Le dernier des Camondo a pris soin, dix ans avant sa mort en 1935, de léguer à l’Etat français cette « reconstitution d’une demeure artistique du XVIIIe siècle » pour le musée des Arts décoratifs, à condition de la conserver dans son intégralité.

  • Je plie, replie

    picasso Femme aux bras écartés.jpg« D’abord, je commence avec des feuilles de papier que je plie, replie, recoupe et replie, et une fois faites en papier, comme c’est fragile et qu’[elles] se déforment au moindre contact des autres, je les fais en tôle un peu plus solide [...]. C’est, au fond, du laboratoire, des choses de laboratoire [...]. »

    Pablo Picasso 

    Cité dans le Guide du visiteur, Picasso. Sculptures, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 2016-2017.

     

     

    Pablo Picasso, Femme aux bras écartés, 1961. Tôle découpée, pliée et grillage peints,
    183 x 177.5 x 72.5 cm Musée national Picasso-Paris © Succession Picasso – SABAM Belgium 2016
    Photo © RMN-Grand Palais (musée Picasso de Paris) / Mathieu Rabeau

  • Picasso sculpteur

    Le renouvellement perpétuel de Pablo Picasso impressionne : toute une vie à réinventer sa peinture. Ses sculptures, excepté les plus célèbres comme la tête de taureau née d’une selle de vélo et d’un guidon, La chèvre ou La petite fille sautant à la corde, sont moins connues. L’exposition Picasso. Sculptures qui vient de fermer ses portes au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, après les rétrospectives du Moma à New York et du musée national Picasso Paris, a permis de mesurer à quel point Picasso, sculpteur autodidacte, est un formidable explorateur.

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    Picasso, Buste de Femme. 1931. Ciment © Succession Picasso SABAM 2016
    Photo © musée Picasso-Paris, Adrien Didierjean

    Le parcours, chronologique et thématique, montre environ 80 sculptures prêtées par le Musée national Picasso de Paris dans leur contexte d’origine : des tableaux, des objets collectionnés par l’artiste (art africain, art ibérique) permettent de situer ces œuvres et de les y confronter. A l’entrée trône un grand Buste de femme au nez fort et saillant (ci-dessus), comme sur la toile de 1931 accrochée sur le côté, Le sculpteur (assis face au buste) – on en verra plus loin une des sources d’inspiration.

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    Pablo Picasso, Le Sculpteur, 1931. Huile sur contreplaqué, 128.5 x 96 cm Dation Pablo Picasso, 1979. Musée national Picasso-Paris
    © Succession Picasso – SABAM Belgium 2016 Photo © RMN-Grand Palais (musée Picasso de Paris) / Béatrice Hatala

    Les premières sculptures de Picasso sont plus classiques. La toute première, Femme assise (1902), est un petit sujet en terre « qui s’apparente à un santon » (Guide du visiteur). En bronze, Le fou est au départ un portrait de Max Jacob, coiffé d’un chapeau d’Arlequin, et Femme se coiffant, une figure inspirée par Fernande Olivier, sa compagne.

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    Pablo Picasso, Femme se coiffant, 1906 Bronze, fonderie C. Valsuani, 1968, 42.2 x 26 x 31.8 cm Musée national Picasso-Paris
    Don MM. Georges Pellequer et Colas, 1980 © Succession Picasso – SABAM Belgium 2016 Photo
    © RMN-Grand Palais (musée Picasso de Paris) / Mathieu Rabeau

    Bientôt, les bois sculptés le sollicitent, lors d’un séjour à Gósol (Pyrénées orientales) et sous l’influence de Gauguin. J’ai particulièrement aimé Buste de femme (Fernande) de 1906 (ci-dessous) : le bois, qui porte des traces de peinture rouge, présente des courbes délicates au-dessus desquelles Picasso a sculpté un visage aux traits fins et doux. On y voit l’influence de la culture catalane et du primitivisme. Sur la toile Paysage aux deux figures, accrochée à proximité, on cherche du regard les personnages, tant ils s’intègrent aux arbres stylisés.

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    Pablo Picasso, Buste de femme (Fernande), 1906 © Succession Picasso - Musée Picasso Paris

    De salle en salle, changement d’inspiration, de technique, de manière. Diverses « expérimentations cubistes » sur le vide et le plein aboutissent aux surprenants Verre d’absinthe (avec véritable cuillère en métal fondue en bronze puis peinte) et Violon : comme dans les masques africains que Picasso collectionne, la sculpture ne représente plus, elle devient « un système de signes où reliefs et creux s’inversent » !

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    Picasso, Violon, 1915. Fer-blanc découpé, plié, peint et fil de fer © Succession Picasso, SABAM 2016;
    Photo © musée Picasso de Paris, Béatrice Hatala

    La salle d’angle offre un bel espace au monument à Apollinaire. La Société des Amis du poète voulait lui rendre hommage par un monument sur sa tombe, mais aucun des projets de Picasso ne sera retenu : ni les Métamorphoses, ni la grande sculpture en fer soudé montrée ici avec deux maquettes, « nées d’une série d’études graphiques de points reliés par des lignes ». Plus tard, Picasso offrira à sa veuve une tête de Dora Maar, installée à Saint-Germain-des-Prés sur un socle en pierre portant la mention « A Guillaume Apollinaire ».

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    Pablo Picasso, 
    Figures (Projets pour un monument à Guillaume Apollinaire), 1928 © Succession Picasso - Musée Picasso Paris

    Voici une sculpture étonnante, « La femme au jardin », autre proposition pour Apollinaire, un assemblage de tôles peintes en blanc. Picasso a appris à souder avec Julio González, peintre et sculpteur catalan qu’il avait fréquenté à Barcelone. Quelle fantaisie dans cette figure dressée sur une base triangulaire, cheveux au vent ! La soudure permet à l’artiste d’intégrer à ses sculptures des objets du quotidien, comme les deux passoires dans Tête de femme.

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    Pablo Picasso, La Femme au jardin, 1929, fer soudé et peint,  206 x 117 x 85 cm
    Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso, MP267 © Succession Picasso

    Dans la salle consacrée aux « baigneuses », une animatrice guidait une bande d’enfants qui ne se sont pas fait prier quand elle les a invités à se coucher dans la même position qu’un Nu couché aux couleurs lumineuses, accroché près des sculptures. A l’autre extrémité de cette pièce, un masque Nimba superbe près d’un buste de femme : le voilà, ce nez saillant, proéminent, dont Picasso s’est inspiré tant de fois !

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    Masque d’épaule Nimba, XIXe siècle, bois dur et fer, Musée  national Picasso-Paris

    Baigneuse allongée, Femme au feuillage, Tête de taureau, Femme à la pomme… Chaque sculpture de Picasso montre une autre approche, des profils très différents, des éléments inattendus. Côté à côte, deux versions de Crâne de chèvre, bouteille et bougie : une peinture où les couleurs réussissent à harmoniser la composition, et la sculpture correspondante, plus âpre. En vitrine, une extraordinaire Tête d’Oba originaire du Bénin, en bronze (ci-dessous). Sous le large collier montant qui enserre le bas du visage, de petits animaux, de petites mains – on aimerait comprendre le sens de chaque élément dans cette œuvre composite et anonyme.

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    Tête d'Oba en bronze, Ancien Royaume du Bénin, s.d.,
    collection du Musée national Picasso-Paris        

    L’homme au mouton, sculpté pendant la guerre, a parfois été rapproché du Bon Pasteur, mais Picasso a écarté cette interprétation : « j’ai exprimé simplement un sentiment humain, un sentiment qui existe aujourd’hui comme il a toujours existé. » Cette sculpture est visible à Vallauris, face au musée de la céramique. Picasso s’y installe en 1946 et y réalise de nombreux assemblages, comme La Grue (qui intègre pelle, fourchette et robinet de gaz !), tout en s’initiant à la céramique. 

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    Pablo Picasso, La grue, Vallauris, 1951-1953, Musée national Picasso-Paris © Succession Picasso

    Toutes sortes de pièces illustrent son activité avec l’atelier Madoura et Jules Agard, maître-tourneur. Celui-ci « donne vie aux formes en volume d’après les dessins et les indications de l’artiste », Picasso peint l’argile une fois sèche, sur tous les supports : briques, tomettes, fragments… Des visages de femmes y prennent un relief inattendu, mystérieux. J’ai aimé aussi deux belles petites sculptures en terre blanche, Faune et Musicien assis (décor aux engobes).

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    Pablo Picasso, Petit cheval, tôle, Musée national Picasso-Paris © Succession Picasso

    « Dessiner aux ciseaux », la dernière section, présente des sculptures en tôle pliée et peinte, « synthèse entre dessin, peinture et sculpture ». Craquant, ce petit cheval sur roulettes, non ? Tout au long de sa vie, Picasso aborde la sculpture en chercheur et ce qui m’a frappée aussi, ce sont ses collaborations avec d’autres artistes qui l’ont aidé, grâce à leur savoir-faire, à passer du projet à la réalisation. « Il est bien ce bricoleur de génie, ce géant de l’art, qui a tout réinventé dans la sculpture du XXe siècle, utilisant tous les matériaux et rebuts, toutes les techniques. Et cela en s’amusant comme un enfant. » (Guy Duplat)