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amour - Page 7

  • Pas venue

    hoai huong nguyen,l'ombre douce,roman,littérature française,indochine,vietnam,guerre,amour,culture« Yann avait attendu Mai toute la journée précédente sans savoir ce qui avait pu l’empêcher de venir, il en fut assez contrarié, elle était venue tous les jours pendant presque deux mois, et il ne pensait pas qu’elle manquerait ce rendez-vous. En le quittant la veille, elle lui avait pourtant dit « à demain » et elle avait promis qu’elle viendrait passer une heure ou deux avec lui. Les Annamites croyaient que le premier de l’An déterminait l’année à venir, alors pourquoi n’avait-elle pas tenu parole ? Yann avait attendu ; il avait espéré la voir dans la matinée, puis l’après-midi, un après-midi qui avait été interminable, et elle n’était pas venue. »

    Hoai Huong Nguyen, L’ombre douce

  • Hanoi, 1954

    Le premier roman de Hoai Huong Nguyen (née en France en 1976), L’ombre douce, a reçu de nombreux prix en 2013. Il raconte l’histoire d’amour entre Mai, une jeune Vietnamienne qui aide les infirmières à l’hôpital Lanessan d’Hanoi, et Yann, un jeune soldat breton originaire d’une famille de paysans de Belle-île. « Mai, c’est pour Hoàng Mai, la fleur jaune de l’abricotier » lui a-t-elle répondu quand il lui a demandé ce que cela voulait dire. (Vous vous rappelez peut-être, même si c’est sans rapport, juste un souvenir, le beau personnage de May dans La condition humaine de Malraux.)

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    Le blessé ne l’a trouvée ni jolie ni laide au premier abord. « Le son de sa voix peut-être ou la forme de ses mains – pourquoi est-on pris par le charme de quelqu’un ? » Les branches fleuries de pruniers et d’abricotiers dans les vases lui rappellent les printemps de son enfance, « lorsque les prairies se couvrent de couleurs. » Le plus jeune des fils, il a perdu sa mère quelques mois après sa naissance et son père a fait peu de cas de l’enfant chétif qu’il était. Un précis de botanique qui avait appartenu à sa mère a été son « compagnon de solitude ». Il a passé beaucoup de temps à se promener sur l’île, à pied ou à bicyclette.

    A l’hôpital, un jésuite, lui aussi breton, le père Portier, rend visite aux soldats blessés et se prend d’affection pour Yann, dix-neuf ans, « un garçon au regard clair » entré à l’armée avec « l’espoir de voir autre chose, des pays et des gens inconnus ». « Etrangers tout d’abord », Yann et Mai se sont peu à peu « reconnus ». Mai a « la réserve ordinaire des filles annamites », Yann guette tous les jours le moment où elle prend son service dans la grande salle. Elle convainc le médecin de le garder une semaine de plus pour « gagner quelques jours de liberté au milieu de la guerre. »

    Le père de Mai, magistrat au tribunal de Hanoi, est un homme autoritaire. L’éducation reçue par Mai au couvent des Oiseaux, chez des religieuses qui lui ont appris le français, a créé au fil des ans une « barrière invisible » entre elle et sa famille. Quand son père décide de la marier à un riche marchand chinois devenu un ami, âgé d’à peine six ans de moins que lui, Mai se rebelle et refuse. Le juge, furieux, la frappe avec sa canne et la chasse de sa maison. Elle se réfugie au couvent.

    Hoai Huong Nguyen raconte avec beaucoup de sensibilité la relation amoureuse entre ces deux jeunes que la guerre va séparer quand Yann retournera au combat, et puis la terrible attente de se retrouver qu’ils supportent tous deux en se souvenant des moments forts passés ensemble. S’aimer dans un pays en guerre, c’est mêler la douceur et la terreur, la présence et l’absence. Quand Mai apprendra que Yann a été fait prisonnier par le Viêt-minh, elle sera prête à tout pour le sauver.

    L’ombre douce ne cache rien de la violence, des horreurs des combats ni des souffrances, et pourtant, ce roman tragique refermé, j’ai l’impression que la force des sentiments, la poésie qui le ponctue, la beauté reconnue là où elle se présente, sur la terre et dans le ciel, ont si bien imprégné le récit qu’elles y laissent une lumière ineffaçable.

  • Quête

    stefansson,lumière d'été,puis vient la nuit,roman,littérature islandaise,vie,mort,amour,culture« Nous parlons, nous écrivons, nous relatons une foule de menus et grands événements pour essayer de comprendre, pour tenter de mettre la main sur les mystères, voire d’en saisir le cœur, lequel se dérobe avec la constance de l’arc-en-ciel. D’antiques récits affirment que l’Homme ne saurait contempler Dieu sans mourir, il en va sans doute ainsi de ce que nous cherchons – c’est la quête elle-même qui est notre but, et si nous parvenons à une réponse, elle nous privera de notre objectif. Or, évidemment, c’est la quête qui nous enseigne les mots pour décrire le scintillement des étoiles, le silence des poissons, les sourires et les tristesses, les apocalypses et la lumière d’été. Avons-nous un rôle, autre que celui d’embrasser des lèvres ; savez-vous comment on dit Je te désire, en latin ? Et à propos, savez-vous comment le dire en islandais ? »

    Jón Kalman Stefánsson, Lumière d’été, puis vient la nuit

  • Lumière d'été

    L’édition originale de Lumière d’été, puis vient la nuit (Sumarljós og svo kemur nóttin, traduit de l’islandais par Eric Boury) date de 2005, ce roman de Jón Kalman Stefánsson a précédé sa fameuse trilogie Entre ciel et terre (I, II, III). Certains de ses premiers romans (non traduits en français) comportaient déjà dans leurs titres les mots « été », « lumière », « montagne », « étoiles »… indissociables de l’atmosphère qui baigne ses récits.

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    Le titre complet en islandais mentionne aussi « sögur og útúrdúrar » (« Histoires et explications »). Décrire, raconter la vie d’un village qui n’a rien de particulier, à part qu’il ne s’y trouve ni église ni cimetière, voilà ce qu’entreprend ici le narrateur. A peine a-t-il promené son regard sur le fjord et signalé l’arrivée au printemps d’« oiseaux des tourbières joyeux et optimistes » qu’il termine sa phrase, après un tiret : « – et le soir, le soleil répand son sang à la surface de l’océan, alors, nous méditons sur la mort. » Le préambule entre crochets se termine ainsi : « voilà, nous commençons, qu’arrivent maintenant gaieté et solitude, retenue et déraison, que viennent la vie et les rêves – ah oui, les rêves. »

    Parmi les habitants du village qu’il a décidé de présenter, voici d’abord l’excellent jeune directeur de l’Atelier de tricot à la Coopérative, l’image de la réussite, qui se met une nuit à rêver en latin : « Tu igitur nihil vidis ? » N’ayant aucune notion de latin, il se rend à Reykjavik pour suivre des cours accélérés et en revient complètement transformé. Dans Le messager des étoiles de Galilée, une édition originale en latin qu’il s’est fait livrer après avoir vendu ses voitures, une phrase résume la métamorphose du directeur devenu « l’Astronome » : « Délaissant toutes contingences terrestres, je me suis tourné vers le ciel. »

    Un achat suivi de l’acquisition d’autres ouvrages anciens pour lesquels il délaisse tout le reste, perdant sa femme et sa fille parties vivre à la capitale. Seul son fils David reste avec lui dans la vieille maison en bois où il s’installe alors, qu’il fait peindre en noir avec « quelques gouttes de blanc » pour former les constellations qu’il affectionne : « Dans la journée, on a l’impression qu’un morceau du ciel nocturne est tombé sur la terre, en surplomb du village. »

    Les changements font partie de la vie. Finie la grande époque où l’Atelier de tricot comptait vingt employés. Un jour, toutes les machines ont été envoyées dans l’Est, mettant les uns au chômage, les autres dans des emplois divers. Helga répond au téléphone, désormais chargée d’écouter « les angoisses qui affligent l’Homme Moderne ». Agusta tient le bureau de poste et se tient au courant en ouvrant les enveloppes. L’Astronome se met à donner des conférences mensuelles à la salle des fêtes. Elisabet, dont les formes sous sa robe de velours noir troublent tout le public masculin et font enrager le public féminin, organise ces réunions et introduit l’orateur.

    Le récit de Stefansson est truffé de réflexions sur l’existence, la vie moderne si différente du passé, la vie et la mort, bien sûr, si proches l’une de l’autre, tandis qu’il raconte ce qui arrive à ses personnages : rencontres et séparations, suicides et renaissances, bals et infidélités… A l’Entrepôt de la Coopérative, des faits étranges – pannes électriques, mouvements inexpliqués  – finissent par inquiéter les employés, d’autant plus que l’Entrepôt a été construit sur les ruines d’une ferme où « se sont produits de dramatiques événements ».

    Lumière d’été, puis vient la nuit empile les portraits, les histoires, sous le regard affectueux du narrateur toujours curieux de ce que les jours et les nuits contiennent. C’est la vie ordinaire d’un village peuplé de gens ordinaires, c’est-à-dire de nous tous, les vivants, aux prises avec les petits et les grands événements de notre passage sur terre. Ce qui paraît du dehors, ce qui bouleverse au-dedans. Le narrateur nous englobe dans sa chronique à travers les « nous » et les « vous » du récit.

    Sur Wikipedia en islandais, un lien renvoie à un article de Magnus Gudmundsson sur le roman de Stefansson Asta. Dans ce texte intitulé « C’est pourquoi tous les artistes se retrouvent en enfer » (d’après la traduction en ligne), l’auteur souligne à quel point, les années passant, il prend de plus en plus conscience de la difficulté d’être un être humain. De notre tendance à figer la personnalité de quelqu’un, alors qu’une personne ne cesse d’évoluer : « Nous oublions que nous ne sommes que des sentiments. » Sans doute est-ce la mort de sa mère quand il avait cinq ans qui peut expliquer que pour lui, l’écriture soit un « combat contre la mort ». Et un hommage à la vie ? à l’urgence d’aimer ?

  • Flou

    ahmet altan,madame hayat,roman,littérature turque,études,littérature,amour,société,turquie,initiation,culture« Avec Madame Hayat, on se voyait le soir au studio de télé, puis on allait chez elle, le lendemain matin on se séparait. De savoir si on se reverrait à la prochaine émission, il n’était jamais question. Parfois elle ne venait pas, sans explication. Je ne lui en demandais aucune. Elle semblait avoir choisi en toute conscience de laisser les choses dans le vague, refusant obstinément que notre relation, comme l’existence en général d’ailleurs, prît un tour plus formel, ou au moins descriptible. Aucune ligne claire, nette, délimitée, ne venait circonscrire notre relation, elle pouvait changer à tout moment, devenir autre chose, voire disparaître purement et simplement. Si ce flou permanent me rendait inquiet, il avait aussi quelque chose d’étrangement excitant. Je voulais les tenir, les avoir bien en main, elle et notre relation, mais elles m’échappaient. »

    Ahmet Altan, Madame Hayat