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Roman - Page 112

  • Souterrains

    rufin,jean-christophe,la salamandre,roman,littérature française,brésil,sexe,passion,culture« Elle pensa que c’est une bien grande douleur que de ne pas aimer ses parents, qu’ainsi on ne peut espérer l’amour ni des autres ni de soi-même. Puis, en remontant parmi les tombes, elle eut l’idée que, malgré tout, l’amour qui reste doit survivre en se cachant dans des souterrains d’âme. A certains craquements que seul permet d’entendre le silence, on devine qu’il nourrit toujours, dans les caves de l’être, d’entêtés bourgeons livides qui pénètrent les moindres failles et cherchent la lumière. »

     

    Jean-Christophe Rufin, La salamandre           

     

  • Femme salamandre

    Au début de La Salamandre (2005), Jean-Christophe Rufin donne pour origine de son roman l’histoire d’une Française qu’on lui a racontée, puis cite un ouvrage d’héraldique sur le mythe de la salamandre, qu’on dit capable de vivre dans le feu. Un double avertissement à prendre au sérieux.

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    La plage de Recife (photo Raquel Laureano)

    Catherine, la quarantaine, lâche pour la première fois son travail depuis dix ans pour un voyage d’un mois au Brésil, où Aude, une amie d’enfance, l’a invitée. « Le voyage rêvé est image ; le voyage vécu est sensation. » Dès son arrivée à l’aéroport de Recife où Aude et son mari l’attendent, Catherine sent « ruisseler les gouttes sur sa peau » dans l’air moite du petit matin.

    Après un peu de repos, ils vont comme tout le monde à la plage, c’est dimanche. Une ambiance de « place publique » : des gens debout ou assis sur des pliants, des boutiques, des marcheurs au bord de l’eau, des cris, des rires, et « un tintamarre d’accessoires et de machines ». A peu près nues, « toutes les espèces d’humanité : Blancs au ventre blanc, Noirs de toutes nuances, métis, Indiens, cabocles… »

    Richard, le mari d’Aude, est attaché linguistique dans une ambassade. Ils vivent depuis douze ans « cette vie de luxe tropical ». Même s’il est cultivé, Catherine le trouve un peu vulgaire. Mais Aude est visiblement épanouie et quand celle-ci emmène son amie faire le tour de la ville dans sa voiture rouge décapotée, Catherine est frappée de son air satisfait et de sa totale indifférence à la misère des quartiers traversés à grande vitesse.

    « La plage était à la fois un repos et leur seule fatigue, un but et le moyen de tuer le temps, un achèvement et une préparation à la beauté, au bien-être. Catherine s’y abandonnait avec une facilité qui la surprit. » Aude aime regarder les gens, observer les couples qui se forment et vont se cacher dans les dunes, ou encore commenter le physique des hommes. Le jour où Catherine revient s’y installer seule, « un grand garçon sorti de nulle part » s’assied près d’elle.

    Quelques phrases de français pour entamer la conversation et un corps extrêmement musclé, Gilberto connaît l’art de séduire. Après qu’ils ont bu un verre ensemble sur la plage et que Catherine s’est retournée sur le ventre, le jeune homme lui étale la crème solaire sur le dos avec naturel et autorité. Rendez-vous est pris pour dîner le soir. Puis Gil – « Tout le monde utilisait ce diminutif » – lui propose d’aller dans un bar et l’entraîne dans la danse : « Ce qui les différenciait donnait sa force à leur assemblement : l’âge de l’un et de l’autre, le sexe de l’un et de l’autre, la force de l’un et l’abandon de l’autre, l’une blonde et l’autre moreau. »

    On comprend qu’on est au début d’un « amour de vacances », c’est ce que pensent aussi Aude et Richard quand Catherine leur présente le beau métis « bâti comme une panthère ». Aude, qui parle très librement du sexe, encourage son amie qui avoue s’être « trop compliqué la vie avec les hommes » : « il faut s’en servir, voilà tout » mais bien les choisir, conseille-t-elle. Le regard d’Aude sur Gil balaie les hésitations de Catherine : c’est sans nul doute un gigolo, « un professionnel », mais il ne lui demande pas d’argent, il se laisse « doucement entretenir » et ça lui convient.

    Un retour dans le passé de Catherine sert de transition vers le récit d’une liaison qui semble d’abord combiner simplement les jeux du désir et la curiosité pour le mode de vie de Gil – où il vit, où il va, ses amis, sa famille… « Catherine mesura combien elle avait changé. Elle était devenue toute sensation ; jamais elle n’avait aussi peu réfléchi et calculé. Il n’y avait plus en elle ni analyse, ni inquiétude, ni méfiance : seulement une disposition permanente à l’étonnement. »

    Convaincue de rester maîtresse de la situation tout en s’abandonnant, elle passe outre les conseils de ses amis sur les limites à respecter et prend de plus en plus de risques. Elle qui se vantait toujours de garder son indépendance, pense à présent connaître une liberté véritable à « dépendre de la satisfaction de Gil », qui mène le jeu. Aux troubles de la sensualité se mêle chez Catherine le sentiment de pouvoir agir concrètement contre « l’injustice du monde » en se montrant généreuse envers des Brésiliens pauvres.

    On sent que l’histoire tournera bientôt au sordide, les amis de Catherine s’en inquiètent et la mettent en garde. Mais Catherine se sent vraiment amoureuse, au point de se demander si elle rentrera ou non en France à la fin du mois comme prévu. Et cela, malgré la découverte des mensonges de Gil et des voyous qu’il fréquente.

    Jean-Christophe Rufin raconte l’histoire de Catherine dans un style changeant : tantôt des phrases simples, descriptives (du beau comme de l’horrible), tantôt de belles réflexions ou des mots rares qui surprennent (« demander l’aman », « l’hoirie », …) On se demande jusqu’où ira l’héroïne, l’antihéroïne plutôt, dans l’abandon, dans l’excès, dans la déchéance, au risque de se perdre ou de se brûler. Et c’est pourquoi on lit le récit jusqu’au bout.

    La salamandre se présente comme un roman inspiré par une histoire vraie et par la « rencontre des civilisations ». Il m’a pourtant semblé stéréotypé (femme soumise et mauvais garçon), sans les qualités littéraires de Rouge Brésil ou du Grand Cœur. Loin de moi l’idée de nier ce côté sombre des rapports humains, mais si beaucoup de lecteurs se disent fascinés par cette passion hors du commun entre Catherine et Gil, j’en suis sortie plutôt agacée par l’image de la femme amoureuse forcément victime, et pire encore, victime consentante.

  • Jeune poète

    Baronne Blixen couverture.jpg« Jadis, à son retour d’Afrique, elle avait écrit un conte gothique, « Le poète ». Un homme d’influence, le conseiller Mathiesen, s’emparait de l’existence d’un jeune poète et la mettait en cage afin qu’il devienne le grand artiste que ses dons le destinaient à être. Voilà que, vingt ans plus tard, un jeune poète extrêmement doué, un véritable stradivarius, croisait son chemin. Tel le Mathiesen de son conte, Karen était décidée à extraire toute la richesse de l’instrument que le sort plaçait entre ses mains.

    Son conte s’achevait en tragédie, elle écrivit pourtant avec chaleur :

    « Cher Thorkild Bjørnvig,                       

    Votre lettre m’a apporté une grande joie. C’est si bon de savoir qu’il existe une personne en qui je puisse placer ma confiance comme je l’ai fait en Farah. Par conséquent, j’étendrai sur vous mon manteau comme Elijah le fit sur Elisha en présage qu’un jour les trois quarts de mon esprit reposeront en vous. »

    C’était un matin de neige de janvier 1950. Le premier matin d’un pacte impossible à briser. »

    Dominique de Saint Pern, Baronne Blixen

     

  • Blixen en personnage

    Baronne Blixen n’est pas une biographie mais un roman. Dominique de Saint Pern fait raconter la vie de la grande conteuse et amoureuse par Clara Selborn, engagée à son service au domaine familial de Rungstedlund, après son retour au Danemark. Celle-ci est deviendra sa complice au point de se voir confier la gestion posthume de l’œuvre littéraire d’Isak Dinesen, alias Karen Blixen.

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    Clara Selborn et Karen Blixen (source)

    Encouragée par le billet de Dominique qui avait placé La ferme africaine parmi ses dix meilleurs livres lus entre 1998 et 2008 (A sauts et à gambades), j’ai donc ouvert ce roman qui s’ouvre sur une invitation : Meryl Streep, choisie pour incarner Karen Blixen dans Out of Africa, souhaite rencontrer Clara qui « a vécu dans son intimité pendant vingt ans ».

    C’est avec ce tournage en Afrique (Nairobi, 1984) que commence le portrait : « J’adore l’idée d’incarner une femme profonde et frivole », déclare l’actrice, curieuse d’apprendre comment se comportait cette femme singulière à qui son mari a refilé la syphilis, qui a osé tenir tête aux lions mêmes, qui a étonné et intrigué Denys Finch Hatton, son futur amant magnifique.

    L’histoire de Karen Blixen en Afrique, on la connaît par ce film qui a gravé sur ces deux êtres les visages de deux acteurs formidables ou, mieux encore, par ce chef-d’œuvre qu’est La ferme africaine, un récit écrit des années plus tard, au Danemark. Pour ses intimes en Afrique, Karen que sa famille appelait « Tanne » était « Tania » (ce n’est pour rien dans le choix de mon pseudonyme de blogueuse, mais j’accueille, bien sûr, cette étoile tutélaire).

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    Isak Dinesen (Photo Rie Nissen)

    Dominique de Saint Pern raconte l’arrivée en Afrique de celle qui est devenue baronne par son mariage avec Bror Blixen, dont elle avait d’abord aimé le frère jumeau, indifférent. Et puis déroule l’histoire d’amour entre Denys et la conteuse hors du commun, un enchantement mutuel. Je connaissais peu du reste de sa vie en Europe, après la vente forcée de la ferme qui l’oblige à quitter le Kenya qu’elle aimait tant. D’où ma curiosité pour la suite, le passage à l’écriture littéraire, à près de cinquante ans.

    De retour à Rungstedlund, où sa mère lui attribue deux pièces à elle (« un lieu à soi » selon le titre proposé par Marie Darieussecq à l’essai de Virginia Woolf dans une nouvelle traduction), Karen Blixen est encouragée à écrire par son frère Thomas et commence par des contes – un exercice assez différent de l’improvisation orale. Pour sa première publication (Sept contes gothiques), elle veut un pseudonyme qui la masque, « un nom insolite » : Isak Dinesen, prénom d’homme ou de femme ? La photographie en quatrième de couverture, elle la veut « masquée » et fait contribuer la photographe Rie Nissen au mystère.

    En Afrique, elle était « Msabu » pour Kamante, l’enfant kikuyu. Après avoir rêvé de lui, elle se décide à ouvrir ses « caisses africaines » déposées au grenier. Les livres de Denys y tombent en miettes, elle retrouve le précieux livre de cuisine – « plus de mille recettes victoriennes » – qui lui a tant servi. Karen Blixen peut à présent se souvenir sans en être « dévastée ». Tant de morts parmi ses amis de là-bas.

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    Karen Blixen (source sans date)

    Elle décide d’écrire un livre où « chaque page frémirait de vie », pas des mémoires, mais un récit pour faire entendre toutes les voix de sa vie africaine. « La fréquentation de ses amis disparus lui apprenait une chose qui, elle l’espérait, l’aiderait à vivre : la ligne de démarcation que l’on trace pour séparer le passé du présent est totalement fausse. Les belles choses de la vie ne sont pas détruites. Jamais. » D’où La ferme africaine.

    Clara a vingt-sept ans quand elle entre dans la vie de Karen Blixen au Danemark, sous occupation allemande. Un réseau clandestin s’était formé pour sauver les Juifs d’une rafle annoncée, les cacher puis les faire passer en Suède. C’est lors d’une vente à leur profit qu’elle lui a été présentée, et puis Karen l’invite chez elle et l’engage pour traduire en français un livre qu’elle va signer « Pierre Andrézel » (Les voies de la vengeance). Clara remplira diverses fonctions, deviendra indispensable.

    Les succès littéraires, notamment en Amérique où plusieurs de ses livres sont primés au Club du Livre du mois, ce qui assure sa notoriété, sont gagnés contre les récidives de la maladie, les opérations. Cela ne l’empêche pas de répondre aux invitations, de rencontrer des écrivains, des éditeurs, des poètes. Avec Thorkild Bjørnvig, rédacteur en chef de la revue Heretica, c’est d’emblée une complicité totale, une « intimité intellectuelle rare ».

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    Elle devient son mentor, l’encourage quand il doute de son génie poétique, de ses choix personnels (il a une épouse, un enfant) et finit par lui proposer de s’installer chez elle (sa femme décline l’invitation et s’installe dans les environs). Il y sera bien pour guérir (après une contusion cérébrale à Paris) et surtout pour écrire : solitude garantie dans le salon vert où elle ne lui rend visite qu’une seule heure par jour, le soir, pour parler, écouter de la musique ensemble.

    Pour Thorkild, de trente ans son cadet, elle déploie comme elle le faisait avec Denys tous ses talents de « magicienne », jusqu’à passer avec lui un pacte que lui seul pourra rompre. Un pacte avec le diable ? Karen Blixen croit aux esprits, et parfois les convoque.

    Baronne Blixen relate dans sa seconde moitié cette vie singulière, axée sur l’écriture et l’échange, sur la prise de risques personnels. L’ambiguïté du récit, entre romanesque et biographique, m’a un peu gênée. Dominique de Saint Pern assure que « les faits sont avérés » et qu’elle a « choisi de les exprimer librement à travers le prisme de la fiction ». Ce « roman vrai » illustre en tout cas le statut hors norme de l’écrivaine, une personnalité entière, au charisme indubitable.

  • Meur & Mendelssohn

    Vous vous souvenez peut-être de cette maison polonaise qui raconte son histoire dans Les Vivants et les Ombres ? Diane Meur, toujours curieuse des histoires de famille, se penche dans La carte des Mendelssohn sur la personnalité d’Abraham Mendelssohn. Qui était-il ? Son père, Moses Mendelssohn, est un illustre philosophe des Lumières – le « Socrate allemand » a servi de modèle à G. E. Lessing pour sa fameuse pièce Nathan le sage – et son fils, Felix Mendelssohn, est un non moins illustre compositeur. Aussi Abraham, à l’identité flottante, connu surtout comme le fils de son père et le père de son fils, pouvait-il devenir un « merveilleux sujet de roman ».

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    Ce n’est ni une biographie ni un essai : La carte des Mendelssohn est un roman dont cette famille est le thème conducteur, ou plus exactement les recherches de Diane Meur sur les descendants de Moses Mendelssohn. L’idée en est venue à la romancière, que la relation père-fils intéresse beaucoup, après un séjour à Berlin, ville où Abraham Mendelssohn est né et décédé.

    « Seules les vies ont un commencement, et encore. » L’embryon d’arbre généalogique inséré au début du livre (emprunté à Sébastian Hensel, auteur de Die Familie Mendelssohn en 1879) aligne sous les prénoms des enfants de Moses Mendelssohn & Fromet Gugenheim ceux de leurs petits-enfants et de leurs arrière-petits-enfants à la ligne suivante. Diane Meur ira jusqu’à la huitième génération, mais sans résumer pour autant la vie des uns et des autres, pas du tout.

    « Seules les histoires ont un commencement, et encore. » Avec un bagout déconcertant (un peu contaminée par ma lecture, je souris de l’adjectif qui me vient sous les doigts), la romancière et narratrice nous plonge dans le déroulement de ses investigations, y mêle des éléments de sa propre existence, note une discordance de dates, observe une carte postale, parle de ses activités en cours – Diane Meur est aussi traductrice (de l’allemand) –, remonte au siècle des Lumières, caresse le projet d’écrire un roman « sur le vide et les filiations ».

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    Un détail de la carte (courtoisie Sabine Wiespieser Editeur)

    « Seules les idées ont un commencement, et encore. » A Berlin, elle fréquente évidemment la StaBi, comme on appelle familièrement la Staatsbibliothek, qui détient l’essentiel des archives Mendelssohn. Alors qu’elle s’est déjà rendue plusieurs fois à l’ambassade de Belgique, Jägerstrasse 52-53, elle y va un jour par l’autre côté et découvre une plaque au 51 : « Mendelssohn-Remise ».

    Dans ce petit musée, « l’ancienne remise à attelages de l’hôtel particulier où avait vécu et travaillé le banquier Joseph, frère d’Abraham », on vend un gros livre sur la famille Mendelssohn, un autre, de T. Lackmann, sur Abraham Mendelssohn – et Diane Meur de s’interroger sur la pertinence de son projet. Néanmoins, de retour à Paris, elle commence à s’occuper vraiment des Mendelssohn et « ce fragile projet auquel (elle n’était) même pas sûre de tenir, ce petit filet d’eau qui se refusait à grossir depuis cinq ou six ans, s’est soudain élargi en rivière. »

    « Et j’ai compris que ce fleuve en train de se répandre en un immense delta était gros de toute ma nostalgie de Berlin où j’avais voulu vivre une autre vie, sans jamais réussir à être vraiment là ; de toutes mes occasions manquées, de toutes mes affections perdues, de tout ce qu’il m’était jamais arrivé de laisser derrière moi ou d’échouer à retenir. De tout ce qui passe, s’enfuit, se dilue ou se disperse sur la face du monde – et cela fait beaucoup. » (C’est le dernier paragraphe du premier chapitre, page 25 d’un roman qui en compte 461, et 7 pages d’index des personnes).

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    L'entrée de la Maison Mendelssohn à la Jagerstrasse (Berlin) Source : Johannes Glintschert (2009)

    N’ayez pas peur de la quantité de noms et de pages, le « Mendelssohn-Komplex » de Diane Meur a sans doute quelque chose à voir avec La Vie mode d’emploi de Georges Perec, un écrivain qu’elle cite à plusieurs reprises et avec qui elle a des affinités certaines. Ce n’est pas un inventaire, ce serait plutôt un immense éventail avec des secrets dans ses plis qu’elle débusque ici ou là.

    En chemin, que de thèmes abordés : le judaïsme et le christianisme – de nombreuses conversions ; l’histoire des juifs en Europe, en Allemagne, et de l’antisémitisme ; des unions et des désunions ; des lectures diverses ; le choix d’un patronyme ou d’un prénom – Mendelssohn, Bartholdy, Enole… ; des lieux visités ; des correspondances ; des rencontres.

    Et pourquoi ce titre, La carte des Mendelssohn ? A mi-parcours, le chapitre 14 (sur 28) raconte l’émergence, au fil des recherches sur internet et en bibliothèque, d’un relevé des noms, des dates, des liens, sur de grands cartons de bristol où elle place des étiquettes repositionnables en fonction de l’avancement de ses travaux : « le monstre », « le tableau de chasse », comme l’appelleront ses enfants, va prendre de plus en plus de place sur la table de la salle à manger d’où il finira par déborder.

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    © Diane Meur pour la carte © Henri Desbois pour les photographies (Courtoisie Sabine Wespieser Editeur)

    Comment l’organiser ? Bien sûr par génération, mais Diane Meur instaure aussi des codes couleurs en fonction de la religion, du métier, et voit émerger des zones, des blocs, ce n’est pas du temps perdu. Elle organisera même une « fête de la carte » où elle s’entendra dire, à sa grande surprise, que « cette carte (lui) ressemble ». La manière dont elle agence la carte en pratique et construit du même coup La carte des Mendelssohn est un « tour de force », comme l’écrit l’éditrice. La narration est fluide, le style de connivence avec le lecteur (la lectrice en l’occurrence) tout au long du texte.

    Si vous acceptez de vous perdre en route, si vous êtes curieux de ce qui se présente à vous par hasard ou parce que vous l’avez bien cherché, si l’histoire, la philosophie, la musique vous intéressent (saviez-vous que Fanny, la sœur de Felix Mendelssohn était aussi compositrice et excellente pianiste ?), en bref, si vous aimez la littérature, alors « ce roman en spirale qui raconte sa propre histoire » est pour vous et vous vous réjouirez avec Diane Meur quand elle constate ceci : « L’histoire d’une famille ne m’intéresse que si elle devient l’histoire du monde, et c’est de plus en plus le cas. »