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Littérature française - Page 2

  • Claude Lévi-Strauss

    Maalouf en poche.jpeg« Lors de sa réception sous la Coupole, le 27 juin 1974, il consacrera les dix premières minutes de son discours à une comparaison soigneuse entre le cérémonial de l’Académie française et les rites d’initiation pratiqués par les populations amérindiennes de la côte pacifique du Canada. Une manière à la fois provocatrice et plaisante d’informer ses nouveaux confrères de ce qui a toujours été son credo : la mission de l’anthropologue, ce n’est pas d’étudier les sociétés « sauvages », « primitives » ou « exotiques » ; sa mission, c’est d’étudier l’homme, tout simplement ; dans sa diversité, bien sûr, mais également et avant tout dans son unité profonde, qui va au-delà de toutes les dissemblances ; parce qu’il y a en l’Autre quelque chose de nous, et en nous quelque chose de l’Autre, et qu’il est important que nous en prenions conscience afin de mieux nous connaître nous-mêmes. »

    Amin Maalouf, Un fauteuil sur la Seine

  • Au fauteuil 29

    C’est en 2016, bien avant qu’il soit élu secrétaire perpétuel de l’Académie française, que paraît Un fauteuil sur la Seine d’Amin Maalouf, livre « né d’un remords » écrit-il au début de son Avant-propos. En 2011, il y succédait à Claude Lévi-Strauss. Devoir faire l’éloge de son prédécesseur, « selon le rituel de la Compagnie », lui a donné l’occasion de lire ou relire les ouvrages de l’anthropologue qu’il admirait beaucoup.

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    Jean Dufy, Paris, la Seine et Notre-Dame

    Ce même fauteuil avait été occupé par Renan « qui avait élu domicile dans un village du Mont Liban » pour y écrire sa Vie de Jésus, il voulait le mentionner dans son discours. Il ne lui restait plus de temps pour honorer aussi l’historien Joseph Michaud dont l’Histoire des croisades lui avait fourni des informations essentielles. En s’intéressant à ses « ancêtres » au fauteuil 29, connus ou inconnus de nos jours, il a décidé de consacrer son travail « à toute une lignée ».

    Dix-huit prédécesseurs ou « Quatre siècles d’histoire de France », comme indiqué en sous-titre. Pour chacun, un titre qui le dépeint. « Celui qui s’est noyé en voulant sauver son pupille », c’est le premier, Pierre Bardin, oublié comme presque tous les écrivains de sa génération. Des quarante premiers académiciens, on n’édite plus aucun livre. Ce premier chapitre a le mérite de raconter les débuts de l’Académie française, issue d’un cercle littéraire créé par Valentin Conrart, « écrivain sans relief mais fin lecteur et grammairien hors pair » qui réunissait régulièrement des amis.

    C’était en 1629. Pendant quelques années, ils étaient restés discrets, puis un jour, l’un d’eux en avait parlé à quelqu’un qui tenait à assister à une de leurs réunions. Une autre indiscrétion auprès de l’abbé de Boisrobert, familier du cardinal de Richelieu, amena celui-ci à leur offrir sa protection. De prime abord, le petit groupe n’y tenait pas, mais les rassemblements sans « agrément du prince » étant interdits, il valait mieux accepter, d’autant plus qu’ils pourraient librement fixer la forme et les règles de leur compagnie.

    L’Académie française est née en 1634. Sa première mission était de « généraliser l’usage du français dans tous les domaines du savoir », à une époque où certains préféraient encore écrire en latin, comme Richelieu lui-même. Il fut vexé qu’un excellent latiniste de l’Académie, le deuxième de la lignée 29, ait décrété à la lecture d’un de ses textes que c’était « du latin de bréviaire ! » Le troisième fut « préféré à Corneille ». Celui-ci « avait le tort d’être meilleur poète que le cardinal » (Corneille sera élu en 1647).

    « Celui qui allait renaître après deux siècles », le cinquième titulaire, devait son élection, « de l’avis général » à un Panégyrique encenseur dédié à Louis XIV. Mais Saint-Simon jugeait François de Callières « honnête homme » sous ses habits de courtisan. Son ouvrage De la manière de négocier avec les souverains, publié en 1716 avec un court succès, est sorti de l’oubli en 1917, des diplomates y ayant lu des passages éclairants. Traduit en différentes langues, ce livre contient des recommandations dont la portée est universelle et sert encore de référence dans de grandes universités et écoles de commerce.

    Plus connus aujourd’hui que Joseph Michaud dont Maalouf n’avait pu parler lors de sa réception à l’Académie, on trouvera dans la liste des dix-huit qui ont précédé l’auteur au fauteuil 29 les noms du physiologiste Claude Bernard, du célèbre Ernest Renan, d’Henry de Montherlant. Claude Bernard fut le premier savant à être honoré par des funérailles nationales, salué comme le « fondateur de la médecine moderne ». Renan, critiqué pour avoir écrit que Jésus était un « homme incomparable », souffre encore de sa réputation d’« ennemi juré du christianisme ».

    Ces Quatre siècles d’histoire de France traversés avec Amin Maalouf pour guide n’ont rien d’ennuyeux ni d’académique (au sens péjoratif). Un fauteuil sur la Seine est d’une lecture très agréable. Sans vouloir ni « réhabiliter » ses prédécesseurs les moins intéressants ni parler d’eux de manière impersonnelle, l’auteur se montre plein d’empathie pour chacun. En mettant l’accent sur les circonstances de leur élection ou sur leurs travaux ou sur « les péripéties de leur existence », Maalouf rend à la fois « la texture si particulière et à jamais perdue de chaque époque » (Vanessa Moley sur Herodote.net) et chaque personnalité, tout en montrant l’évolution de l’Académie française. 

  • Homme des plages

    Modiano coffret.jpg« Drôles de gens. De ceux qui ne laissent sur leur passage qu’une buée vite dissipée. Nous nous entretenions souvent, Hutte et moi, de ces êtres dont les traces se perdent. Ils surgissent un beau jour du néant et y retournent après avoir brillé de quelques paillettes. Reines de beauté. Gigolos. Papillons. La plupart d’entre eux, même de leur vivant, n’avaient pas plus de consistance qu’une vapeur qui ne se condensera jamais. Ainsi, Hutte me citait-il en exemple un individu qu’il appelait l’« homme des plages ». Cet homme avait passé quarante ans de sa vie sur des plages ou au bord des piscines, à deviser aimablement avec des estivants et de riches oisifs. Dans les coins et à l’arrière-plan de milliers de photos de vacances, il figure en maillot de bain au milieu de groupes joyeux mais personne ne pourrait dire son nom et pourquoi il se trouve là. Et personne ne remarqua qu’un jour, il avait disparu des photographies. Je n’osais pas le dire à Hutte mais j’ai cru que l’« homme des plages » c’était moi. D’ailleurs je ne l’aurais pas étonné en le lui avouant. Hutte répétait qu’au fond, nous sommes tous des « hommes de plages » et que « le sable – je cite ses propres termes – ne garde que quelques secondes l’empreinte de nos pas. »

    Patrick Modiano, Rue des boutiques obscures

     

  • L'homme sur la photo

    Rue des boutiques obscures (Prix Goncourt, 1978) de Patrick Modiano succède à Livret de famille (1977) dans Romans, un Quarto qui m’enchante. Première phrase : « Je ne suis rien. Rien qu’une silhouette claire, ce soir-là, à la terrasse d’un café. » Un soir, une terrasse, une silhouette, il n’en faut pas plus pour faire entrer les lecteurs dans une quête de soi et d’un passé dont on n’a pas les clefs.

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    1965. « – Eh bien, voilà, Guy… C’est fini…, a dit Hutte dans un soupir. » Le patron avec qui il travaille depuis huit ans ferme définitivement son agence parisienne de « police privée ». Il y laisse les Bottins et annuaires si utiles aux détectives, garde le bail de l’appartement et lui en laisse une clef. Hutte va s’installer à Nice pour sa retraite. Guy Roland, le narrateur, lui doit son « état civil » qu’il lui a procuré dix ans plus tôt, quand il a été « frappé d’amnésie », tout en lui conseillant de ne plus regarder en arrière mais de penser au présent et à l’avenir.

    Guy est sur une piste. Un certain Paul Sonachitzé, qu’il connaît à peine, l’emmène chez un ami qui tient un restaurant hors de Paris. L’ami le dévisage et se souvient d’un groupe de noctambules où Guy était accompagné d’un homme aussi grand que lui, Stioppa. Guy dit se rappeler « un peu » cet homme. Il reçoit alors deux éléments précieux : l’avis de décès d’une vieille dame dans le journal, où figure le nom de Stioppa de Djagoriew, et puis le nom de l’hôtel Castille, rue Cambon, dont Guy était peut-être client.

    Rue des boutiques obscures est un véritable jeu de piste : chaque chapitre introduit un indice que le suivant examine de plus près. S’il a bien connu Stioppa, Guy devrait le reconnaître. Le voilà donc posté sur le trottoir en face de l’église russe, dans le XVIe, pour observer ceux qui arrivent pour les funérailles. Un homme de haute taille en pardessus bleu marine le regarde – Stioppa ? Quand il s’en va après avoir salué les autres à la sortie de l’église, Guy demande à un chauffeur de taxi de suivre sa voiture.

    L’homme se gare puis entre dans une épicerie du boulevard Julien-Potin, Guy se décide à l’aborder : « – Monsieur Stioppa de Djagoriew ? » C’est bien lui. Guy prétend alors écrire sur l’Emigration et l’homme accepte de répondre à quelques questions chez lui, un peu plus loin. Il lui montre des photos avec les dates et les noms derrière, conservées dans une grande boîte rouge : les principales figures de l’Emigration y sont, « une litanie » de noms russes.

    Guy s’attarde sur une photo de groupe où l’on voit, « la main sur l’épaule de la jeune femme blonde, un homme très grand, en complet prince-de-galles, environ trente ans, les cheveux noirs, une moustache fine. » – « Je crois vraiment que c’était moi. » Rien n’est écrit au dos de cette photo. Stioppa ne reconnaît que Giorgiadzé, un vieil homme, et sa petite-fille Gay Orlow, restée longtemps en Amérique. L’homme très grand sur la photo, il ne le connaît pas et ne voit pas de ressemblance avec lui. Il lui offre toute la boîte.

    Grâce à Hutte, Guy reçoit de Jean-Pierre Bernardy, qui « a gardé des liens très étroits avec différents services », la fiche de Galina, dite Gay Orlow, née en 1914 à Moscou, mariée aux USA, divorcée, décédée en 1950 à Paris, « d’une dose trop forte de barbituriques ». La fiche, en plus de ses adresses successives à Paris, renseigne le nom de son ex-mari, pianiste de bar. Il finit par le retrouver à l’hôtel Hilton et le raccompagne jusque chez lui. L’homme est heureux de parler de Gay et lui donne le nom d’un Français qu’elle a connu en Amérique…

    De chapitre en chapitre, le narrateur suit la piste d’un nom, d’un lieu, d’un numéro de téléphone qui lui parle, guettant l’apparition d’un souvenir, d’une sensation familière. Il s’imagine être l’un ou l’autre, jouant au « Je » imaginaire qui est peut-être lui. L’enquête avance vraiment, grâce aux personnes qu’il rencontre et qui lui livrent des bribes d’un passé qui peut avoir croisé le sien.

    Désireux de « marcher sur ses anciens pas », il arpente Paris d’un quartier à l’autre. Il se déplacera à Megève, à l’étranger. Cette enquête sur une identité oubliée est troublante et même palpitante quand des indices se rejoignent, que des mystères sont éclaircis. Une foule de personnages prennent vie sous la plume de Modiano, ceux du passé, ceux du présent rencontrés en chair et en os. Qui donc peut être Guy Roland ?

    Rue des boutiques obscures n’est pas une adresse parisienne, mais romaine. C’est un titre magnifique pour ce roman dont on retient, en refermant le livre, qu’il est fait surtout de crépuscules et de nuits, de brouillard, de neige qui tombe, de lumière indécise. Cette reconstruction d’une mémoire qui cherche à combler ses failles est pleine de magie modianesque.

  • Vie privée

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    Avec le Journal d’Anne Frank, j’ai appris qu’on pouvait écrire et que ça faisait du bien et qu’on se sentait moins seul. Dès cette lecture, lecture et écriture allèrent d’amble dans ma vie. […]

    Tenir un journal fut mon premier geste pour sortir de l’enfermement dans lequel je vivais. Je n’en sortis pas tout de suite, évidemment. Mais quel premier pas ! Je pouvais écrire ce que je voulais, rêver comme je le voulais : je l’écrivais dans mon cahier et personne ne pouvait me demander des comptes. Ce fut le début de ma vie privée. »

    Marie Gillet, Ma vie était un fusil chargé. Comment les livres m’ont sauvé la vie