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paysages animés

  • Vie aux figures

    Marie Sizun, dans Les petits personnages, a eu la belle idée d’imaginer l’histoire de ces figures secondaires, parfois minuscules, que les peintres insèrent dans un paysage pour « donner vie à un décor figé ou [d’] exprimer par le contraste marqué entre leur petitesse et la vastitude du lieu où ils se trouvent, une idée ou un sentiment qui frappera le regardeur. » En fréquentant quelque temps les salles de vente,  j’ai appris que ces paysages « animés » ont plus de valeur que ceux où ne figure aucun personnage.

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    Son livre propose une trentaine de textes illustrés par autant de tableaux en regard (surtout des XIXe et XXe siècles). A chaque spectateur d’imaginer qui sont, où vont ces silhouettes « à peine ébauchées ». Marie Sizun donne vie aux figures. Les paysages en sont donc doublement animés, grâce à ces histoires imaginaires racontées « en une lointaine complicité avec le peintre qui les lui a suggérées. »

    En ouverture du recueil, une « Fantaisie sur Février, les Très Riches Heures du duc de Berry, frères de Limbourg, XIVe siècle » s’intitule « La dame en bleu ». (Un titre qui me rappelle une toile de Rik Wouters que j’aime beaucoup.) Le bleu de la carte astrologique de ce mois d’hiver est aussi celui de la robe que porte la maîtresse de maison, au premier plan, et celui de la veste de son jeune amant en train d’abattre un arbre – dans la version romanesque de la romancière.

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    Au plaisir de découvrir ces historiettes s’ajoute celui de découvrir des peintures moins connues. « La plage blanche » commente et prolonge La grève blanche, Vasouy, de Félix Vallotton. Le peintre suisse est le seul à être présenté trois fois, avec Route à Saint-Paul pour « Une pause » et Sables au bord de Loire pour « Le pêcheur », en couverture des deux éditions. Trois beaux textes.

    Ixelles, matinée pluvieuse de Guillaume Vogels, artiste belge connu pour ces paysages « d’atmosphère », est d’abord décrit par Marie Sizun, comme elle le fait pour chacun des tableaux qu’elle a choisis, avant de s’attarder sur « La fille au parapluie », un personnage au dessin « plus fouillé » que les autres silhouettes sombres, « des ombres sous la pluie ». Elle l’imagine en « jeune bonne qui revient du marché », fatiguée, espérant qu’il fasse beau le lendemain pour son jour de congé, etc.

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    Personnage seul, couple, enfants au bord du canal (Emile Claus, Le Bateau qui passe), fillette à l’écart de deux dames en conversation (Berthe Morisot, Vue de Paris des hauteurs du Trocadéro), certaines figures bien visibles, d’autres ont été dénichées par l’œil de la romancière. J’ai souvent admiré Le nuage blanc de James Ensor, une marine où ce nuage capte l’attention, sans m’arrêter, « sur la bande de terre improbable, à peine distincte de la mer », aux deux « minuscules silhouettes sombres » : peut-être une vieille dame et sa gouvernante, dans une « semi-obscurité » (agrandir le fichier original pour les deviner). Wolfgangsee, horizon surélevé de Koloman Moser ne montre qu’un « petit voilier qui file au loin », si loin déjà que l’homme à bord est une toute petite figure : celle d’un homme qui « s’en va », raconte-t-elle.

    Les petits personnages de Marie Sizun offrent une succession de peintures où des silhouettes humaines  plus ou moins dessinées (un chien aussi) se muent de simples figurants en véritables personnages qui vivent quelque chose que le peintre a immortalisé sans le vouloir, tout au rendu du paysage. Elle nomme « fantaisie » chacune de ces nouvelles et c’est le mot juste : elle a imaginé leur vie, comme dans un jeu d’improvisation, et c’est à nous, en regardant les tableaux de plus près, de la suivre, voire d’entrer nous-mêmes dans le jeu en imaginant à notre tour.