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Peinture - Page 84

  • Arrière-pensée

    L’exposition d’une collection privée belge au musée d’Ixelles ne se visite pas sans arrière-pensée : Bruxelles a perdu son Musée d’art moderne, fermé depuis février 2011. De nouveaux espaces avaient été aménagés pour les collections du XXe siècle des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique autour du grand puits de lumière de Roger Bastin en 1984. Pour moi, ce fut un pas décisif qui m’a ouvert les yeux sur l’art moderne. 

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    http://museesansmusee.wordpress.com/musee-sans-musee/

    Des travaux en cours dans ce bâtiment devrait émerger en mai prochain un Musée « Fin de siècle », dans l’esprit du Musée Magritte (ouvert à côté en juin 2009). La fin du XIXe siècle et son foisonnement artistique constituent une période richement représentée dans les collections des MRBAB. On se souvient de la belle exposition « Paris-Bruxelles / Bruxelles-Paris » en 1997 au Grand Palais à Paris puis au Musée des Beaux-Arts de Gand, qui avait montré les enjeux passionnants de cette époque de l’art. 

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    ©  Marie-Françoise Plissart pour MuséesansMusée

    Mais où verrons-nous, quand reverrons-nous les arts plastiques de 1914 à 2012 ? Combien de temps tout un siècle de création va-t-il demeurer dans l’ombre ? Aucun lieu n’a même encore été fixé. Le blog bilingue « Musée sans Musée / Museum zonder museum » suit l’actualité de ce scandale avec vigilance et inquiétude. Les Amis des Musées, les visiteurs bruxellois, belges et étrangers ne cessent de le réclamer : nous voulons revoir les collections publiques du XXe siècle, nous voulons un musée d’art moderne à Bruxelles.

     

  • Art belge, XXe

    « Il faut être absolument moderne. » La phrase de Rimbaud m’a trotté en tête pendant que je visitais au musée d’Ixelles l’exposition « Art belge. Un siècle moderne ». Près de deux cents peintures, sculptures et gravures d’une collection privée, celle de Caroline & Maurice Verbaet. Celui-ci l’a commencée en 1970, d’abord à Anvers  en salle des ventes ; l’art belge était alors moins cher et moins bien connu qu’aujourd’hui, c’était à sa portée et à la mesure de son « argent de poche ». Des achats instinctifs, pour le plaisir, par passion. 

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    Parcours atypique, indique le prospectus. En effet, l’accrochage ne suit pas la chronologie, les œuvres d’un même artiste sont rarement regroupées, « l’exposition privilégie des confrontations visuelles et des rapprochements plastiques inattendus. » Par exemple, un Paysage avec écriteau de Spilliaert (1904) voisine avec un grand Paysage nocturne de Jan Vanriet (2010) de même tonalité. On a rapproché Fabre d’Ensor, Dotremont de Michaux, Le Dirigeable de Spilliart (gouache) du Raven de Panamarenko, La notte de Serge Vandercam (bleus sombres) et un Soir à la mer de Permeke (bruns sombres)… Bref, la couleur, le thème, la manière ou la technique instaure une proximité. Au visiteur de chercher les rapports qui s’établissent.

    « Un siècle moderne » ? Le XXe siècle décline ici les différentes voies du modernisme. La sélection présente 79 artistes figuratifs ou abstraits – une grande huile de Luc Peire (Aleksandre, 1981) aux lignes verticales sur un bleu vibrant –, et se passe de fil conducteur. Un peu déroutée au départ, je me suis laissé guider par ma propre sensibilité, ce qui s’accorde avec la subjectivité inhérente à ce genre de collection. 

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    Marc Mendelson, Limites de la nuit, 1952 © SABAM, Belgium 2012 

    Les sculptures ont particulièrement retenu mon attention : pas les Plans mobiles de Pol Bury, malheureusement sous verre donc immobiles, mais de délicieuses figures d’Oscar Jespers (1887-1970) : au rez-de-chaussée, un Petit cavalier en céramique (dans un cadre en bois art déco) et un bronze noir intitulé Frieda. A l’étage, non loin d’une Tête de femme en pierre, ne manquez pas, si vous y allez, la bien nommée Perle fine : sculptée dans le marbre blanc, un visage aux traits délicats, un chignon très allongé vers l’arrière – elle aurait mérité d’être mieux placée, pour qu’on puisse en faire le tour. Cela rappelle un peu l’art d’un Brancusi, impossible de ne pas y penser devant une tête d’enfant, couchée, un petit plâtre présenté plus loin.

    Cette salle du musée d’Ixelles met particulièrement en valeur les œuvres disposées sur l’estrade du fond. Au pied de celle-ci, à gauche, voisinage incongru entre le Buste d’un débardeur signé Constantin Meunier et une sorte de robe du soir couverte des coléoptères fétiches de Jan Fabre, « Terre de la montée des anges (Mieux vaut un poisson sur la rive que dix en l’air) » – il y aurait une histoire de l’art à écrire d’après les titres, les « Sans titre » et « Composition » d’une part, de l’autre les énoncés déclaratifs, parfois prétentieux, parfois percutants comme « Si la vie était plus logique, elle serait encore moins vivable » (Dotremont). 

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    Fernand Khnopff, Portrait de Simone Héger (Source : Cultured)

    Sur l’estrade trône Passerelle I d’Alechinsky, ses cases en rouge sur fond écru entourées d’une bordure à l’encre noire inspirée des plaques d’égout dont les motifs l’ont inspiré tout un temps. Pour la regarder de près, montez les marches à droite près des deux superbes bronzes de Minne et arrêtez-vous en face de Dimanche des tourterelles, une grande toile de Marc Mendelson dont la matière blanc beige, presque un bas-relief de nacre, esquisse avec douceur un paysage.

    Le collectionneur Maurice Verbaet aime les arbres, ce qui lui a sans doute fait acquérir certaines toiles présentées ici, comme un beau fusain de Lismonde ou L’Arbre de Serge Vandercam, une photographie en noir et blanc qui pourrait passer de loin pour une gravure, gros plan sur un tronc aux branches dénudées. (Deux autres photos de lui à l’étage, La Remise et L’Escalier, aux beaux jeux de lumière.) 

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    Léon Spilliaert, La Rapace, 1902 © SABAM Belgium 2012
    Firmin Baes, La petite fille au chou, s.d. © SABAM Belgium 2012
    (Source :  
    http://www.agendamagazine.be)

    Les galeries du premier étage proposent des regroupements plus lisibles : des compositions géométriques, dont celle de Guy Vandenbranden reprise sur l’affiche, aux couleurs primaires, puis des natures mortes, des personnages. De  Jane Graverol, surréaliste belge, une nature morte avec canard empaillé, plante fleurie et globe terrestre, des livres sur une table ronde, juste à côté d’une autre table ronde, celle du petit déjeuner de Van de Woestijne avec le moulin à café et les pistolets du dimanche. 

    Vous serez peut-être ravi comme moi de rencontrer là une fillette en robe bleu ciel nouée sur les épaules, le Portrait de Simone Héger signé Khnopff ; une étonnante Fillette au chou de Firmin Baes, assise sur une chaise, un énorme chou vert sur les genoux ; Trois sœurs, de Léon Frédéric, en robes rouges, épluchant des pommes de terre ; un Jeune garçon de Louis Buisseret, vêtu de clair, délicat, posé sur un canapé. Cet ensemble figuratif va du réalisme social de Laermans (Les derniers croyants) au symbolisme de Montald ou Delville, Spilliaert surtout, très bien représenté avec des encres fantastiques. 

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    Jules Schmalzigaug, Volume + Lumière, 1914 © SABAM, Belgium 2012

    Beaucoup d’œuvres de Schmalzigaug, de René Guiette (un étonnant Saint-Tropez), d’Antoine Mortier. Plus que de Magritte ou Delvaux (à qui est consacrée une petite exposition que je n'ai pas vue dans une autre salle), mais vous l’avez compris, cette exposition ne résume pas l’art belge au XXe siècle, même si «  pratiquement toutes les « cases » des mouvements artistiques du XXe siècle belge sont remplies » (Estelle Spoto).  Elle emprunte des sentiers divers, confronte des créateurs de premier et de second plan, au plaisir de collectionner.

  • Ariane et Pénélope

    « Les peintures de Marie-Pierre Deltombe sont, pour nous, comme de petites fenêtres ouvertes sur nos mythes, invitant à la tâche, Ariane et Pénélope, ou encore Prométhée, l'étrange créature. Toiles mutilées et recousues du fil rouge, dans un désir d'infini, sans cadre, mais aux bords travaillés pour effacer les limites du corps à l'ouvrage... »

    Florence Marchal 

    Deltombe Petite toile carrée.JPG
    Sans titre © Marie-Pierre Deltombe


  • Du cousu peint

    A l’écart des grandes expositions, dans les académies, de jeunes artistes travaillent, cherchent, réinventent. C’est aussi là que bat le pouls de l’art d’aujourd’hui. Marie-Pierre Deltombe expose à Molenbeek-Saint-Jean, à la Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale, jusqu’au 21 décembre.

    deltombe,marie-pierre,exposition,bruxelles,molenbeek,maison des cultures,peinture,toiles cousues,cultureSans titre © Marie-Pierre Deltombe

    Cette architecte bruxelloise, née en 1971, dessine depuis toujours. Depuis le début des années 2000, elle peint régulièrement. Du travail sur papier, elle est passée à l’huile sur toile et montre ici un ensemble très original, du cousu peint, si j’ose dire. Ses toiles, souvent carrées, sont des assemblages de bandes et de morceaux découpés dans des toiles précédentes qu’elle ne trouvait pas abouties.  Elle les coud ensemble, à la machine, à la main, et parfois repeint, recoud – et ce « recyclage » ouvre d'autres perspectives. 

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    Photo Yvan Eygenraam 

    Il faut les regarder de près pour entrer dans ces microcosmes, labyrinthes où le temps est à l’œuvre : après celui de la créatrice qui a patiemment découpé, composé, accordé, l’œil du spectateur peut à son tour parcourir les allées et les impasses, s’arrêter aux reprises, toucher les reliefs. « Chaque bout de toiles découpées est la capture d'un instant déjà passé, un moment dépassé qui n'a plus lieu d'être, prêt à devenir le commencement d'autre chose. » (Florence Marchal) Coutures mécaniques ou effilochées, petites pièces superposées, fils apparents, la main est partout à l’œuvre. 

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    Sans titre (zoom sur un détail) © Marie-Pierre Deltombe 

    Paul Klee compte-t-il parmi les influences de Marie-Pierre Deltombe ?  De loin, son sens de la couleur et du rythme m’a parfois fait penser à certaines compositions du peintre allemand. « De la musique avant toute chose… » Mais ces créations jouent aussi les paysages vus du ciel, rues et canaux parallèles, villes imaginaires avec leurs pleins et leurs vides, leurs zones de lumière et d’ombre. 

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    Sans titre (détail) © Marie-Pierre Deltombe

    C’est graphique dans une série de toiles où les verticales dominent, c’est parfois lumineux comme un vitrail (Sans titre numéro 10, ci-dessous) grâce à l’intensité des couleurs qui se glissent entre les noirs et les blancs, grâce aux courbures, aux formes qui s’interpénètrent avec leurs coutures sombres comme des plombs.  

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    Sans titre (diptyque) © Marie-Pierre Deltombe / Photo Yvan Eygenraam

    Une petite série de toiles montées sur un cadre plus épais comportent une ou plusieurs ouvertures surjetées, troublant l’effet linéaire. Les couleurs chaudes, organiques, y dominent, de l’orange, du brun. Dans la plus grande, des gris et des bleus se croisent, carrefour aux teintes minérales, atmosphère nocturne. Dans l’obscurité, des cratères, des lignes fines captent la lumière : fils et points forment des lueurs intersidérales. 

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    Sans titre (140 x 140) © Marie-Pierre Deltombe / Photo Yvan Eygenraam

    Un diptyque : des feuillages, comme aperçus entre les bois d’une palissade. Des verts plus sombres pour « Une forêt », à l’entrée de la cafétéria (CAFET’ARTS à repérer sur le plan de la maison). Les tables-vitrines montrent la manière dont procède Marie-Pierre Deltombe ; elle y a posé des tubes de couleurs et des bobines de fil, des montages, les pièces du puzzle. C’est là qu’est accrochée en face du comptoir la plus grande toile (140 x 140).  De larges bandes blanches, horizontales, y alternent avec des espaces finement compartimentés et très travaillés : harmonie sereine et joyeuse à la fois, superbe.

  • Prose pour Permeke

    « Il ferait beau voir que la couleur ne suive pas l’altération de la forme. Elle n’y échappe pas. Après avoir resplendi comme jamais aux toiles du siècle précédent, elle semble frappée d’anémie, inspirer du dégoût. Ce sont les teintes de la boue, du crépuscule, de l’hiver, de la misère, du deuil qui l’emportent, et, jetées avec ça, sans soin, sans souci du rendu, comme si le dépit, le désespoir des hommes de ce temps devant un monde en proie au désastre s’étendaient à la peinture. 

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    Constant Permeke, Le pain quotidien, 1950 Collection MuZEE © SABAM 2012 

    Mais l’art est représentation, mise à distance, compréhension, intelligence. Ses faiblesses, son insuffisance, sa pauvreté, sa tristesse, à la différence de celles qu’on éprouve en première instance, dans la vie, sont réfléchies, voulues, hautement élaborées. Elles transfèrent l’expérience dans le plan de l’expression, subliment les affects, les passions douloureuses qui sont notre contribution à l’existence, lorsqu’elle s’assombrit. Et par le fait – c’est la magie artistique –, elles l’allègent, l’éclairent. »

    Pierre Bergounioux, Permeke (extrait) in Prose pour Constant Permeke * 

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    * Cinq écrivains étrangers ont été invités « à se laisser inspirer par une peinture de l’artiste flamand Constant Permeke ». Leurs textes figurent dans le Guide du visiteur et sur les audioguides. Lecture publique le 20 novembre à 20 heures (nocturne). Parcours découverte avec Bozar Studios.

    Deux articles pour compléter : Permeke grandeur nature (Roger Pierre Turine) et Rencontre avec Thierry De Cordier (Guy Duplat)