Belle affiche de printemps au Musée d’Art japonais : les Vues du Mont Fuji et autres paysages du Japon par Hokusai, une cinquantaine d’estampes dont le magnifique « Fuji rouge » de l’affiche ou plus exactement « Vent frais par matin clair », puisque c’est au petit matin, au début de l’automne, que le Mont Fuji prend, pour un bref moment, cette somptueuse couleur. Avec ses bandes nuageuses, l’œuvre paraît incroyablement moderne.
"Vent frais par temps clair" (détail)
Katsushika Hokusai (1760-1849) est réputé pour ses paysages, mais il a peint aussi d’autres sujets, je vous en avais parlé lors de la rétrospective du musée Guimet en 2008. Pour les artistes japonais de son temps, le paysage sert quasi toujours de cadre à une activité humaine, le plus souvent des gens simples, des paysans, des voyageurs.
En 1830, à soixante ans, Hokusai décide de peindre une suite de Trente-six vues du Mont Fuji. C’est nouveau, risqué pour son éditeur, c’est la première fois que ce type de sujet est présenté dans le format horizontal dit « ōban ». Le succès est tel qu’il se lancera dans d’autres séries, dont la dernière est aussi bien illustrée dans cette exposition, les Cinquante-trois relais du Tokaido, à savoir la route maritime orientale le long de l’Océan Pacifique, la voie principale qui reliait Edo (actuel Tokyo) à Kyoto, la ville impériale.
"Le relais de Kanaya" (détail)
Le « Livre illustré de la Sumida – les deux rives en un seul coup d’œil » est exposé ici pour la première fois. Réalisé en 1803, il représente une exception dans l’œuvre d’Hokusai. « A la place de paysages isolés, l’artiste dessina une vue panoramique en continu de la rivière Sumida, depuis la baie d’Edo jusque dans la capitale, en traversant les quatre saisons. » Cet album a gardé ses couleurs vives incroyablement bien préservées et fait l’objet d’une édition récente chez Hazan.
En principe (je ne l’ai découvert qu’après coup), la visite commence par cette petite salle (monter quelques marches en face de l’entrée). Au même niveau, on accède ensuite à l’entresol central où sont exposées les splendides Vues du Mont Fuji, celles du Tokaido sont en bas, la suite de l’exposition à l’étage. (Les œuvres les plus fragiles seront remplacées par d’autres à partir du 30 avril.)
Non loin du « Fuji rouge », la célèbre « Vague » d’Hokusai ou « Dans le creux d’une vague au large de Kanawaga ». Le Mont Fuji y est tout petit, au centre, enveloppé de brume noire, et il faut être attentif aux embarcations jaunes, juste sous la vague, où les rameurs s’efforcent d’échapper à cette masse bleue, tandis que l’écume réplique à l’avant-plan le sommet du Fuji.
Très différent, « Le Fuji vu depuis le relais de Kanaya sur le Tokaido », une estampe aux multiples personnages et d’une grande variété de couleurs. A cet endroit, deux relais se font face de part et d’autre du fleuve, les gens attendent pour traverser. Ailleurs, le Mont Fuji est bleu, on aperçoit au loin ses neiges éternelles alors que plusieurs personnes bien chargées, à l'avant-plan, circulent près d’un petit pont menant à un sanctuaire.
De la terrasse supérieure du « Pavillon Sazai du temple des cinq cents arhats » (ci-dessus), but de pèlerinage ou de promenade, la vue sur Edo est magnifique. Plusieurs personnages se sont accoudés à la rambarde en bois pour la contempler ; deux autres se reposent, assis près de leurs paquets.
Le volcan sacré apparaît tantôt proche, tantôt lointain, il change de couleur au fil des saisons, et c’est intéressant d’observer comment Hokusai l’a cadré, quels éléments le mettent en valeur, par exemple avec la voile blanche d'un petit bateau en écho, juste en dessous.
"Kajikazawa dans la province de Kai"
« La plus émouvante » estampe de cette suite, selon le commentaire mis à la disposition du public, est celle de « Kajikazawa dans la province de Kai ». D’une belle simplicité, en bleu et blanc (ce bleu de Prusse, alors une nouveauté importée de Hollande), elle montre un pêcheur qui tire ses filets, dont les lignes sont dans le même axe que le Fuji, au milieu des flots, et cette fois le célèbre Mont, tout petit, à l’horizon, est blanc avec son sommet noir.
Une salle annexe est consacrée aux élèves d’Hokusai : il leur enseignait des techniques occidentales comme la perspective linéaire, le clair-obscur, l’ombre portée. On y voit des dessins impromptus d’Hokusai « transmettant l’âme et éclairant la main ».
"Ne manquez pas, en fin de parcours, les petits livres noir et blanc avec les "Cent vues sur le Mont Fuji",
dont une grande vague avec les gouttelettes se transformant en oiseaux. Superbe."
(Guy Duplat, « Hokusai dessinait la beauté de la nature comme la beauté des femmes » (LLB, 27/3/2013)
A l’étage, d’autres œuvres des années 1830. Encouragé par le succès des premières Vues du Mont Fuji, Hokusai en peindra beaucoup plus que prévu, ainsi que d’autres suites de paysages japonais célèbres : des ponts, des cascades, des îles. Les motifs pittoresques ne manquent pas, pont en dos d’âne d’un sanctuaire réputé pour les « pluies bleues » de ses glycines, ancien ponton sur barges – rare paysage enneigé – ou encore ancien pont de Yatsuhashi qui enjambait les huit lits de la rivière, un pont disparu du temps d’Hokusai mais si ancré dans les mémoires qu’on continuait à le représenter avec sa passerelle en zigzag.
Quelle poésie chez ce peintre qui capture l’instant comme dans un haïku, « Le bruissement du vent dans les pins », « Le chant du lac »… Cette sélection d’estampes issues de la collection des Musées royaux d’Art et d’Histoire fera votre bonheur si vous aimez prendre le temps de regarder, de vous promener dans les détails de chaque peinture, d’en apprécier la composition et les couleurs. Et puis, vous flânerez bien un peu dans les jardins ?
Commentaires
Puis-je être du voyage ? !
Commencer la journée avec votre billet quel bonheur.
Merci Tania.
Amicalement
Je vous en prie, Sable.
Dans l'attente de vos impressions chinoises, bon voyage.
Quel plaisir que ce billet, un peintre dont on ne se lasse pas
je viens d'acheter à la librairie du musée de Lyon une biographie romancée de ce peintre et je me réjouis de la lire avec à côté de moi ses tableaux
Chouette, je serai heureuse de lire ton billet sur ce livre. Bonne après-midi, Dominique. Du froid mais du soleil ici, j'espère qu'à Lyon tu as un peu plus chaud.
à mon prochain programme de visites - mais après un si joli billet, je me demande si c'est bien nécessaire que je me déplace ;)
Absolument nécessaire. Merci, Niki.
Kajikazawa dans la province de Kai: On ne sait où finit la pointe escarpée et où commence la vague.
Portée par le mouvement des vagues, le bleu et le blanc, le calme de l'âme, le risque du pêcheur....quel superbe éveil tu offres ce matin!
À travers les images et tous les liens, c'est comme si, presque, presque, je l'avais vue, merci!
Bonne journée dame Tania.
@ La bacchante : Wikipedia en montre une version plus récente et multicolore (un tirage de 1930) où cet indécis se dissipe dans une version plus lisible mais moins poétique, non ? http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Kajikazawa_in_Kai_province.jpg
@ Colo : Heureuse que tu apprécies, merci & belle journée, dame Colo.
Tania, dans la "Libre Belgique" d'aujourd'hui, il y a une interview de Philippe Courard, le nouveau ministre en charge de la Politique Scientifique (en poste jusque 2014, donc un peu plus d'un an, c'est pas lui qui va lancer de grands chantiers culturels...mais c'est un autre débat), qui parle des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Ca devrait t'intéresser. Et sur http://ecrivainsbelges.blogspot.com , je parle de l'auteur belge Françoise Lison-Leroy. As-tu déjà lu quelque chose d'elle?
Bonne semaine Tania.
Merci pour cette belle visite ! J'ai été très étonnée l'an dernier de découvrir au musée de Gap, des oeuvres d'Hokusai. J'espère les retrouver danq quelques temps, lorsque le musée, pour l'instant en travaux, réouvrira ses portes.
@ Un petit Belge : Oui, j'ai lu cet entretien et comme toi, je crains que pas grand-chose de neuf ne soit proposé pour les collections invisibles du Musée d'art moderne. Je me souviens que tu nous as déjà parlé de Françoise Lison-Leroy, mais je n'ai encore rien lu d'elle. Bonne semaine sous ce beau soleil !
P.S. L'entretien et un commentaire sur http://museesansmusee.wordpress.com/2013/04/02/philippe-courard-veut-un-musee-mobile/
@ Annie : Bonjour, Annie. Je ne connais pas le musée de Gap. Des oeuvres d'Hokusai dans ses collections ? une expo ?
Très intéressant billet, Tania ! Je possède le beau livre "Les cent vues du Mont Fuji" (Ed. Hazan). Passionnant !
Merci, Danièle. Un beau livre précieux, je l'imagine bien.
Je lis ceci sur le site de l'éditeur qui donne le ton : "Les lettres de Hokusai – qui ont été sauvées du temps et des incendies d’ateliers – révèlent l’attention qu’il portait non seulement à la gravure mais à l’impression : tout particulièrement aux passages de noir (seule couleur utilisée dans ces trois volumes) dont les dégradés – objets d’indications très précises du peintre – permettent de mieux comprendre la vie subtile qui se déroule de page en page."
C'est amusant, je tombe sur votre billet alors que je suis en train de lire "Les femmes" de TC Boyle. Un narrateur japonais y relate la vie (et les femmes...) de "Wrieto-San", soit l'architecte américain Frank Lloyd Wright, célèbre pour s'être inspiré du Japon dans son oeuvre. C'était aussi un collectionneur d'objets d'art et d'Ukiyo-e, surtout les œuvres d'Hiroshige, dont les estampes sur le Mont Fuji rivalisent avec celles de Hokushai.
J'irai certainement voir l'expo, m'imprégner de cet air japonais, après ma lecture et en attendant que les cerisiers du Japon devant la maison bravent ce froid interminable et déploient enfin leurs pétales roses...
Merci, D., pour ce rapprochement intéressant, j'ignorais que Frank Lloyd Wright collectionnait des estampes. Hokusai et Hiroshige ont plus d'un thème en commun (à tel point que je viens de supprimer le lien sur les 53 relais du Tokaido, qui renvoyait par erreur à Hiroshige et non à Hokusai !)
Dans sa préface à ses propres "Cent vues du mont Fuji", Hiroshige écrit : « Le maître Hokusai publia avant moi une série des Cent vues. Il y a transformé le mont Fuji et la nature pour y créer son monde à lui. Or moi je ne peux que copier la nature des choses. Ainsi mes œuvres sont comme des photographies. » De quoi nourrir le débat.
Bonne visite à l'exposition, j'y retournerai en mai. Et espérons qu'Hiroshige fasse lui aussi l'objet d'une rétrospective au musée d'art japonais.
superbe!
faudrait que j'y aille...
merci, Tania!
Avec plaisir, Adrienne.
C'est beau, c'est beau ! On ne s'en lasse pas.
C'est un bonheur de voir ces dessins Hokusai. Toujours. Merci.
@ Ariane : C'est peut-être bien à Giverny que j'ai vu pour la première fois ces fameuses estampes, Hokusai figure en bonne place dans la collection de Monet.
@ Bonheur du jour : Bonheur partagé - bonne journée.
J'ai eu la chance de voir une exposition Hokusaï en Suisse. J'avais été comblée.En effet cela accompagnait l'exposition Monet.
Etonnant, Maïté : votre commentaire me fait chercher le catalogue de cette exposition Monet à Martigny en 2011 (dont j'avais parlé ici) et j'y trouve le "Fuji rouge" reproduit de manière inversée (montagne à gauche, nuages à droite) - erreur d'impression sans doute.