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Passions - Page 582

  • Bouddha en Corée

    Si vous vous rendez au Palais des Beaux-Arts pour « Le sourire de Bouddha », exposition exceptionnelle consacrée aux seize cents ans d’art bouddhique en Corée, ne manquez pas de monter à l’étage : vous y verrez « Sacred Wood » de Bae Bien-U, qui photographie depuis 1981 les forêts de pins typiques de son pays. Le pin y symbolise la longévité et, pour le photographe coréen, l’arbre dans la forêt, comme l’homme parmi ses semblables, est à la fois pareil et unique. Ses grands paysages où
    la lumière joue un rôle essentiel veulent restituer « l’essence du réel ». C’est superbe.

     

    Mais commençons par le commencement, à savoir l’énorme Bouddha du VIIIe siècle, en granit, qui accueille les visiteurs en face du grand hall. Au pays du matin calme, le bouddhisme fut la seule invasion pacifique, au IVe siècle. Avant cela, les Coréens partageaient avec le peuple sibérien le culte de l’Ourse, la mère originelle. Dans la première salle d’un parcours chronologique, j’ai admiré un très fin petit Bouddha debout (Chine, VIe s.), plein de douceur. Il précède le trésor de tombes royales, dont une grande couronne et une ceinture en or massif sont les pièces maîtresses. Le motif de la couronne rappelle que l’arbre fait le lien entre les enfers et les cieux. Au mur,
    une vidéo reconstitue virtuellement les anciens palais et anime de belles fresques consacrées aux activités quotidiennes : musique, danse, arts martiaux et chasse.

     

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    Contemplative Bodhisattva, National Museum of Korea (Seoul)
    (d'après Bozarmagazine, novembre 2008)

     

    Des panneaux rappellent, entre autres caractéristiques de la représentation du Bouddha, la protubérance crânienne, les lobes d’oreilles étirés, les trois plis au cou.
    Le geste de la main droite rassure, celui de la main gauche donne. Les bodhisattvas sont ceux qui se sont strictement engagés dans la voie de la foi. Parmi eux, Avalokitesvara, figure de la compassion, est considéré comme le sauveur des âmes sensibles. Il y a aussi des Bouddhas médecins, un bol à la main. Au bout de la première aile apparaissent des Bouddhas méditants, conjuguant élégance et spiritualité : jambe droite repliée, pied sur le genou gauche, doigts de la main droite contre la joue, voici la merveilleuse sculpture en bronze doré, Contemplative Bodhisattva, qui sert d’affiche à l’exposition, image gracieuse de la méditation.

     

    On découvre ensuite l’art des pagodes : tuiles faîtières, pierres sculptées, urnes funéraires. Une première magnifique photographie de Bae Bien-U en noir et blanc montre dans un très grand format (135 x 260 cm) le site des tumuli funéraires abritant les tombes royales. Des vitrines exposent le contenu de reliquaires : petites statues de Bouddha, minuscules stupas votifs à base carrée. Cloches de bronze, encensoirs, coupes en céladon, toutes sortes d’objets rituels et usuels illustrent l’art bouddhique typiquement coréen. Puis de riches statues dorées : couvert de bijoux, un Avalokitesvara assis du XIVe siècle se déhanche, un coude sur le genou, décontracté. Il contraste avec un Vairocana en fonte du Xe siècle, assis traditionnellement en position du lotus, qui offre un extraordinaire sourire.

     

    Dans les peintures bouddhiques plus tardives, le rouge et le vert dominent. Les figures couvrent la toile et saturent l’espace. En contraste, les peintures sur soie privilégient la finesse, comme sur ces rouleaux où sont calligraphiés des textes sacrés, et les nuances subtiles, par exemple pour le Bouddha « lune - eau » représenté devant des bambous, les yeux baissés vers un lac où la lune se reflète. L’exposition se termine sur des œuvres contemporaines de Park Dae-Sung, un autodidacte inspiré par les temples anciens. Mais avant de passer dans cette dernière salle, n’oubliez surtout pas de prendre à droite l’escalier qui mène aux forêts magiques de Bae Bien-U.

     

    Quelle déception de ne trouver qu’une douzaine de cartes postales à la fin d’une si beau parcours ! Et dans cette série, aucun des plus beaux Bouddhas. Bien sûr, le catalogue reprend toutes les œuvres, mais les acheteurs du catalogue aimeraient aussi envoyer à leurs amis des reproductions des plus fameuses, d’une part, et ceux qui n’emportent pas le catalogue seraient heureux de repartir avec quelques cartes postales, d’autre part. Dommage. Espère-t-on qu’ils se consolent avec les fanfreluches du Bozarshop ? Les « Joyaux de la Nation » coréenne sont exposés jusqu’au 18 janvier 2009.

  • La Pietà

    Elle penche le visage vers lui les yeux baissés, il repose les yeux clos dans ses bras largement ouverts. Tous deux sont d’une indicible sérénité. C’est une Pietà. C’est La Pietà de Michel-Ange. A l’Exposition Universelle de New York en 1964, le photographe Robert Hupka (1919 - 2001), chargé d’en prendre une photo pour un disque souvenir du Pavillon du Vatican, l’a photographiée sous tous les angles, dans différentes lumières, en couleurs, en noir et blanc, des milliers de fois. "Et ainsi, tandis que je consacrais d'innombrables heures à ce travail de photographie, la statue devint pour moi un mystère toujours plus grand de beauté et de foi et je fus frappé par l'idée que le chef-d’œuvre de Michel-Ange n'avait jamais été vu dans toute sa grandeur, si ce n'est par un petit nombre de privilégiés."

    Dans le Parc du Cinquantenaire, en face de l’entrée des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, un long pavillon blanc abrite La Pieta Michelangelo, jusqu’au 30 novembre. Ces photographies de Robert Hupka circulent dans le monde depuis 1979. Bruxelles 2008 est la vingt et unième étape de cette aventure, expliquée sur le site de l’exposition. A l’entrée, des panneaux didactiques rappellent en quoi consiste le nombre d’or et montrent, dessins à l’appui, les proportions parfaites de la célèbre sculpture, montrée d’abord dans son cadre, celui de la Basilique Saint-Pierre du Vatican.

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    D'après R. Hupka, photos visibles sur www.la-pieta.org  

    On découvre ensuite un espace étrange, aux parois tendues de noir, sur lesquelles les photos en noir et blanc rayonnent. Est-ce la musique, la pénombre ? Les visiteurs vont silencieusement de l’une à l’autre, ou quand ils se parlent, chuchotent. On se croirait dans une église, dont le chœur réserve une surprise. De part et d’autre d’une copie de la Pietà Rondanini, sculpture inachevée de Michel-Ange (conservée à Milan, au musée du château Sforza), sont exposés des agrandissements de cinq croquis au fusain, d’émouvantes esquisses du maître pour cerner la silhouette de la mère debout, soutenant le corps de son fils.

    Dans la Pietà, véritable sujet de l’exposition, le visage de la Vierge, étonnamment jeune, est d’une douceur infinie. Hupka a tourné autour pour capter tous ses profils ; chacun révèle subtilement l’expression. Le drapé de sa coiffe, les plis de ses vêtements, les détails nous sont montrés de plus près que ce que voient les visiteurs du Vatican depuis qu’une vitre de protection les garde à distance (en 1972, un déséquilibré avait mutilé la sculpture à coups de marteau). Mains, pieds, cheveux, tissus, le photographe a tout regardé, cadré, éclairé, pour nous montrer cette Pietà comme peu d’hommes ont pu la voir.

    La figure du Christ est extraordinairement sereine. Il s’abandonne sur les genoux et dans les bras de sa mère, en toute confiance. Comment Michel-Ange peut-il rendre à ce point dans le marbre cet amour silencieux ? L’unité fusionnelle du groupe sculpté dans un seul bloc apparaît sous tous les angles, y compris les plus surprenants, sur les photos prises d’en haut.

    La Pietà de Michel-Ange éblouit et étonne. Chef-d’œuvre absolu de la Renaissance, sa beauté résiste aux siècles. Reste la question de la souffrance, ici évacuée. Et ces visages lisses. Pourquoi ces figures idéalisées ? Que signifient-elles ? Foi absolue ? Sublimation esthétique ? Cette perfection reste un mystère. Sœur Emmanuelle, vouée
    à la Vierge, attendait la mort comme un rendez-vous d’amour. "C'est passionnant de vivre en aimant", dit-elle dans son testament spirituel

    Pour apprécier une sculpture en ronde-bosse, pour la voir vibrer dans la lumière, il
    faut tourner autour, le dialogue frontal ne suffit pas. C'est une gageure de la photographier. Pour ma part, je retiens cette magnifique photo de Robert Hupka qui montre la Pietà vue de dos, les jeux de la lumière dans les plis du manteau de la Vierge, la tête et les épaules légèrement inclinées. Ses bras ouverts sont éloquents : le bras droit retient délicatement la tête du Christ dans le creux du coude, la main gauche s’ouvre, donne, offre, comme en prière.

  • Evere pittoresque

    Le 19 septembre 2008, le tout nouveau Musée bruxellois du Moulin et de l’Alimentation (MBMA) a ouvert ses portes à Evere, rue du Moulin à Vent. Les passants de la rue du Tilleul attirés par le tronc de cône blanc qu’on devine à l’arrière de maisons à rénover doivent faire le tour du bloc pour y entrer. La grille franchie, on se trouve dans un petit parc en face d’un ensemble en briques, le moulin et le bâtiment qui le jouxte (ils communiquent entre eux).

     

    La visite du Moulin d’Evere permet de découvrir son histoire – il a perdu ses ailes en devenant moulin à vapeur –, et plus largement, celle de la meunerie. Construit à partir de 1841, il a été classé en 1990. Il a fallu beaucoup de persévérance pour sauver ce vieux coin d’Evere et le dernier moulin ancien de la région bruxelloise: c’est l’œuvre de la C.E.B.E. (Commission de l’environnement de Bruxelles et environs asbl) qui cherche à protéger le patrimoine naturel et bâti. Elle organise également des visites guidées du Moeraske à Evere et Schaerbeek, du site de Hof ter Musschen à Woluwé-Saint-Lambert, et même une initiation au jardinage biologique, entre autres activités.

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    Le parcours commence avec une vidéo de présentation dans une salle des machines joliment éclairée. Photos d’époque, documents commerciaux, le montage est clair et instructif. On y découvre un tableau d’Elise Van Leeuw où le moulin à vent est représenté avec ses ailes en 1842 ainsi qu’un aperçu de l’évolution du quartier. Les escaliers et planchers en bois donnent une ambiance chaleureuse au musée, réparti sur plusieurs étages. Des panneaux présentent l’histoire et les techniques de la meunerie. En vitrine, des meules anciennes et des objets divers montrent comment en Europe et ailleurs, on s’y est pris pour moudre les céréales, base de l’alimentation. Le musée expose une centaine d’objets, bien mis en valeur, comme d’étonnantes petites meules à la main et des instruments africains anciens et actuels.

     

    Mais le Moulin d’Evere a abrité au cours de son histoire d’autres activités : culture du chicon, tannerie, fabrique de machines à bois, préparation de boyaux et surtout d’épices par Oscar Tausig, comme le réputé « hachis-sel » apprécié des bouchers-charcutiers. Le musée expose différentes maquettes du moulin et de belles réductions en cuivre et métal de différents types de machines à vapeur, issues d’une collection privée.

     

    Le site internet du MBMA est en construction. Des informations sont disponibles sur celui de la C.E.B.E., avec un historique illustré du moulin d’Evere et des photos de celui-ci en 2004, avant sa restauration. Les conditions de visite sont précisées sur le site de la commune. J’aurais aimé sortir sur la passerelle de bois qui cerne le moulin à hauteur du premier étage, mais les visiteurs n’y ont pas accès. Le projet de rénovation des maisons du côté de la rue du Tilleul en « très basse énergie » une fois réalisé, j’imagine qu’on rendra au parc sa splendeur d’antan, visible sur des photographies des années soixante.

     

    Entrée là par hasard, par curiosité plutôt, moi qui n’ai jamais rêvé d’être meunière, j’ai trouvé l’endroit charmant, le musée plein d’intérêt et sa présentation soignée, entre autres grâce à un éclairage très réussi. Sans doute les groupes scolaires vont-ils y défiler pour une découverte amusante des techniques d’autrefois, mais c’est un endroit pour tous, disons, de sept à septante-sept ans.

  • A vous

    A vous, visiteurs fidèles, à vous, les irréguliers, voire les occasionnels, salut !
    Sept mois après la création de Textes & Prétextes, les statistiques de fréquentation du blog / blogue / bloc-notes (choisissez) ont joliment bondi en sens inverse des cours de bourse. Chaque mois, blogs.lalibre m’indique le nombre de visiteurs différents, je peux ainsi suivre son évolution. Aujourd’hui, pause.
    « Qu’as-tu lu de beau ces temps-ci ? Tu connais  ce bouquin ? Qu’en penses-tu ? » Désireuse de partager mes impressions, j’ai voulu prolonger mes plaisirs de lecture sur la Toile. Après tant de notes et de fiches, prendre le temps d’écrire. Elargir le cercle des échanges.

    Quel amoureux des livres ne s’est jamais laissé à penser qu’il y a dans le tête-à-tête avec un auteur plus d’idées ou de vibrations échangées que dans une journée ordinaire ou une réunion quelconque ? La lecture est une conversation de choix. « Fenêtre par laquelle on s’évade » (Julien Green), « clé qui m’ouvrait le monde » (Beauvoir), le livre « sème à foison les questions » (Cocteau).

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    Lire ne fait pas que nous divertir, lire ouvre à autrui, bouscule, inquiète, émeut, nourrit. « Passé le temps de celles qui sont imposées par l’enseignement – de moins en moins imposées d’ailleurs -, la lecture ne peut plus être que la pratique que nous avons adoptée avec le dessein de nous meubler l’esprit, dans l’ambition d’enrichir nos connaissances et notre mémoire, dans le désir d’entretenir les jardins de l’affectif et de découvrir le théâtre de nos émotions. » résume Hubert Nyssen dans Lira bien qui lira le dernier (Lettre libertine sur la lecture).

    La fréquentation des écrivains – de leurs textes - permet d’entendre d’autres sensibilités que la sienne, de mieux approcher les autres et la réalité du monde. « Réservons le terme de littérature, écrit Maurice Nadeau, à ces œuvres dont André Gide disait qu’elles ne laissent pas le lecteur dans l’état où elles l’ont trouvé. » Loin de moi l’idée de jouer les critiques littéraires ou les critiques d’art.
    Sans attache éditoriale ni journalistique, l’espace de liberté du blogue me permet de traiter de sujets délicieusement inactuels ou d’écrire sur le passionnant aujourd’hui, à mon gré, au hasard des mes lectures et de mes promenades. Je n’écris que sur ce qui me plaît ou m’intéresse, c’est un parti pris.

    Cette note serait incomplète sans un chaleureux merci à ceux qui me font l’amitié d’un commentaire. Ils sont peu nombreux, mais toujours appréciés. Merci à mon amie et sorcière de haut vol, Colo, qui s’est lancée avant moi sur la Toile. Merci à Doulidelle, facétieux pseudo d’un supporter enthousiaste. Merci aux autres commentateurs d’exprimer de temps en temps leur intérêt. A vous qui hésitez à signaler votre passage, je précise que celui-ci peut rester anonyme – un pseudo, des initiales suffisent – et que l’@dresse demandée ne sera pas mise en ligne ni communiquée, c’est un simple outil de sécurisation. Une fois le commentaire rédigé, vous pouvez en demander un aperçu et le modifier.

    A ceux qui seraient tentés de bloguer à leur tour, blogs.lalibre permet de se lancer avec beaucoup de facilité : on complète un formulaire pour s’inscrire, puis on choisit parmi différents modèles. On personnalise par la suite. Nul besoin d’être initié à l’informatique, quoique cela puisse aider. Certains mystères continuent à m’échapper, comme les raisons techniques qui m’empêchent de justifier le texte. Vous aurez remarqué, sans doute, la souris malicieuse cachée dans la marge de droite qui adore grignoter le dernier caractère et m’oblige à certains ajustements.

    Je voulais faire court, j’ai encore fait long.
    A vous.

  • Trois regards

    Retour à la littérature japonaise avec Le Fusil de chasse, de Yasushi Inoué (1949), une œuvre très originale, recommandée par une bonne conseillère. En quelques pages, le narrateur y explique d’abord dans quelles circonstances il a écrit pour une revue cynégétique un poème intitulé Le Fusil de chasse, lui qui n’est pourtant pas chasseur et n’a jamais tenu d’arme entre les mains. Quelques mois après la publication, une lettre lui arrive. Il s’attendait à une protestation quelconque, mais au contraire, un certain Josuke Misugi lui adresse ses remerciements et lui confie même trois lettres dont il n’a jamais eu le courage de se débarrasser, pour qu’il les lise avant de les détruire.

    Ce sont trois lettres de femmes, trois regards sur un homme qu’elles ont connu à divers titres. La première, la « Lettre de Shoko », lui a été envoyée par la fille d’une femme qu’il a aimée en secret.  Le jour où celle-ci est morte, en cachette, Shoko a lu le Journal que sa mère lui demandait de brûler. Elle espérait y trouver la raison du divorce de ses parents, sur lequel sa mère n’avait jamais voulu s’expliquer. La découverte de leur liaison la bouleverse. Que tout cela se soit passé à son insu, mais aussi à l’insu de Midori, la cousine et l’amie de sa mère, l’épouse de Josuke, la scandalise.

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    La « Lettre de Midori » éclaire tout autrement la situation. « Quand nous jetons un regard sur le passé, notre mariage, qui n’existe que de nom, semble avoir duré très longtemps, n’est-ce pas ? Alors, n’as-tu pas envie d’en finir une fois pour toutes ? Certes, il est assez triste d’en arriver là, mais, si tu n’y vois pas d’objection, prenons tous deux les mesures propres à recouvrer notre liberté. » Midori elle-même s’est entichée d’autres hommes, avec insouciance. Sans faux-fuyant, elle compose une lettre d’adieu et demande le divorce. Elle raconte à son mari sa dernière entrevue cruciale avec Saïko, sans rien épargner à l’homme qui se tint entre elles deux.

    Saïko est l’auteur de la troisième missive, « Lettre de Saïko », un message posthume. « Comme si tu entendais ma voix, cette lettre te dira mes pensées, mes sentiments, des choses que tu ignores. Ce sera comme si nous bavardions, comme si tu entendais ma voix. Tu vas être bien étonné, et sans doute affligé, et tu vas m’en vouloir. » La maîtresse de Josuke dit à quel point l'ont obsédée les mots « amour », « péché » et « mort ».

    La force du roman, dont l’intensité croît de lettre en lettre, réside dans le biais choisi pour raconter cette tragédie d’amour. Chacune des femmes y exprime ce qu’elle ressent mais pas seulement. Chaque lettre évoque des moments forts, des lieux précis, des vêtements particuliers, des gestes uniques, avec poésie bien que dans une langue économe. A travers ces confidences, le lecteur entre dans l’intimité des personnages, qu’ils aient choisi de vivre pleinement leurs sentiments ou d’y renoncer.

    Le titre, Le fusil de chasse, semble éloigné du sujet, mais ce fusil a sa place dans le récit, et on comprend finalement pourquoi Josuke Misugi, le destinataire des trois lettres, affirme dans le prologue sa conviction d’être le personnage du poème éponyme : « Que diriez-vous si je vous avouais que l’homme dont vous avez parlé dans votre poème n’est personne d’autre que moi ? »