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Passions - Page 567

  • Amoureux des chats

    On peut être académicien et aimer les chats. La preuve par Frédéric Vitoux, « de l’Académie française », auteur du Dictionnaire amoureux des chats (2008). Il n’y a pas là de quoi surprendre ceux qui se récitent de temps à autre du Baudelaire : « Les amoureux fervents et les savants austères / Aiment également, dans leur mûre saison, / Les chats puissants et doux, orgueil de la maison, / Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires. » (Les Chats)

     

    La collection « Dictionnaire amoureux » propose (je cite l’éditeur) « un voyage alphabétique au cours duquel chaque auteur alimente notre curiosité d’entrées parfois savantes, souvent vagabondes, historiques, personnelles et même flamboyantes. Un Dictionnaire amoureux, c’est la rencontre évidente d’un auteur avec un sujet. » Vitoux, l’auteur de Bébert, le chat de Louis-Ferdinand Céline et des Chats du Louvre, compagnon successivement de Mouchette, Fafnie, Nessie, Papageno et enfin Zelda, nous y comble d’anecdotes qui séduiront tous les amis des félins dits domestiques.

     

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    C’est à la radio, sur Musiq3, que je l’ai entendu raconter comment le secrétaire privé de Churchill, chargé de le faire descendre aux abris pendant les bombardements de Londres, « tomba sur Churchill à moitié habillé et à quatre pattes, glissant plus ou moins sa tête sous la commode » : il tentait de rassurer Nelson, son matou qui s’y réfugiait à la première alerte. Voir l’homme le plus puissant d’Angleterre « braver le ridicule » fait écrire à Vitoux : « C’est exactement cela. Il faut témoigner de beaucoup de bravoure en effet pour accepter de se ridiculiser. »

     

    Les chats remarquables occupent ici plus de place que les chats de race. L’auteur n'apprécie guère les pedigrees de luxe, à l’exception des chartreux et des siamois, à la rigueur. En vrac, citons Eponine, la chatte noire musicienne de Théophile Gautier ; Micetto, le chat gris du pape Léon XII qui restait sur ses genoux pendant ses audiences et qui fut confié après sa mort à un ambassadeur qui lui avait montré un réel intérêt, un certain François-René de Châteaubriand ; Murr, le chat d’Hoffmann ; Oscar, le petit chat tigré blanc d’un Service pour malades atteints d’Alzheimer, aux Etats-Unis, qui se blottissait près des mourants, pressentant leur fin, et les accompagnait jusqu’au bout.

     

    Vitoux, bien sûr, rend hommage aux chats anonymes, aux chats de gouttière
    rebaptisés chats européens, aux chats victimes des bûchers pour sorcellerie, aux chats gardiens de musée (la soixantaine de chats de l’Ermitage à qui la fille de Pierre le Grand, Elisabeth I, octroya un contrat de location en échange des services rendus), aux chats de Venise… Avec les chats dans la peinture (souvent dans un coin du tableau, sauf quand ils en sont le sujet, chez Steinlen en particulier, choisi pour la couverture) et dans la musique (Rossini), les chats des bandes dessinées ou du cinéma, le chat noir qui traversait sans s’arrêter la scène de la Huchette pendant les premières représentations de La Cantatrice chauve, au grand plaisir d’Ionesco, vraiment, on est en bonne compagnie.

     

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    Champions de la « convivence » - nouveau mot entré au Dictionnaire de l’Académie, à distinguer de « convivialité », nous apprend l’auteur - c’est-à-dire « l’art de vivre avec, en bonne intelligence, tolérance et respect », 47 % de chats partagent leur foyer avec des chiens, statistiques qui font mentir certains préjugés. Relevant les proverbes, locutions et superstitions – au Québec, on dit « avoir une mine de chat fâché » – Vitoux se fâche littéralement contre « pas de quoi fouetter un chat », expression « tout bonnement inadmissible » ! Un chat, c’est quelqu’un, réplique-t-il. Et même « Un chat, c’est l’étincelle du sacré à portée de main et de caresse. »

     

    On lit de belles observations sur l’animal lui-même, son allure d’abord : « Le chat progresse comme au ralenti. Un côté et puis l’autre. Avec une incroyable souplesse. Prêt à bondir. » Son mystère : « Son silence est comme la signature de son intelligence. Et son regard, le miroir de son silence. La simple suggestion qu’il comprend tout et qu’il se tait. » Et puis ses oreilles, ses moustaches, ses yeux, son sommeil… « Chaque chat est un chef-d’œuvre. » (Léonard de Vinci)

     

    Je fais mien le vœu de Frédéric Vitoux : « Pour ma part, j’aimerais reposer dans
    un cimetière que des chats auraient l’habitude de hanter. (…) De toute façon, à l’ombre d’un cyprès ou d’un saule, et sous une pierre tombale consolée par la présence de chats assoupis, le sommeil de la mort serait sûrement moins dur. »

  • La passion Claudel

    Camille Claudel (1864 – 1943) est connue du grand public depuis les années ‘80, grâce à Une femme Camille Claudel d’Anne Delbée (1981), puis au livre de sa petite-nièce Reine-Marie Paris (1984), « avertie du destin de sa grand-tante non pas par son grand-père ni par sa mère, mais par un ami amateur d’art ». En 1989, Bruno Nuytten filme Adjani, superbe dans le rôle de l’artiste, face à Depardieu en Rodin, une rareté au cinéma peu tourné vers la sculpture.

     

    Dominique Bona renouvelle l’approche de cette destinée dans une biographie parallèle de la sœur et du frère, Camille et Paul - La passion Claudel (2006). Après son remarquable Berthe Morisot - Le secret de la femme en noir (2000), elle évoque ici l’affection entre deux fortes personnalités très tôt vouées à l’art, et puis le terrible éloignement qui va laisser Camille seule, à l’asile, pendant trente ans, sans personne
    de sa famille à sa mort ni à son enterrement. Même pas une tombe à la mémoire de la sculptrice, laissée à la fosse commune.

     

    Camille Claudel, Jeune Romain ou mon frère à seize ans.jpg

     

    Paul Claudel : « On était les Claudel, dans la conscience tranquille et indiscutable d’une espèce de supériorité mystique. » Camille est née en décembre, Paul en août quatre ans plus tard, Louise entre-temps. A la maison, l’ambiance est détestable. Beaucoup de disputes. La mère est sèche et sévère (sauf avec sa fille cadette), le père taciturne. « Ce qui manque au foyer des Claudel, c’est la joie. (…) Aucune espèce d’insouciance ne lève jamais la chape d’un monde où même les enfants sont graves. » Fonctionnaire à l’enregistrement, le père déménage régulièrement. C’est à treize ans que Camille suit ses premiers cours de sculpture, avec Alfred Boucher. Le petit Paul, comme elle l'appelle, adore marcher, et aussi lire : « Quand la lecture entre dans sa vie, elle ne le lâche plus. » Entre le frère et la sœur, qui s’aiment beaucoup, elle sera une passion partagée.

     

    La première oeuvre marquante de Camille, c’est un Paul Claudel à treize ans (1881). La famille vit alors à Paris : Paul va au lycée Louis-le-Grand, Camille à l’atelier Colarossi. Travail avec d'autres jeunes filles, visite des musées, liberté nouvelle, Paris exalte Camille. Paul, lui, déteste la ville. Rebelle au kantisme régnant,
    il préfère lire Baudelaire. La sœur et le frère, « les Claudel », se soutiennent l’un l’autre, passent leurs vacances ensemble, voyagent en tête à tête.

     

    Quand Camille entre à l’atelier de Rodin, elle n'a pas encore dix-huit ans, lui en a quarante-deux. On travaille beaucoup chez Rodin. Douée, Camille se voit confier des mains, des pieds, devient bientôt une praticienne du maître. Paul s’inscrit à Sciences-Po ; il veut voir du pays, traverser des mers – « Fuir ! Là-bas, fuir ! » (ensemble, ils fréquentent pendant des années les mardis de Mallarmé). 

     

    1886. Paul est ébloui par les Illuminations de Rimbaud, qui devient « la référence absolue ». Cette même année, à Notre-Dame de Paris,  le Magnificat chanté par des voix d’enfants à la messe de Noël le submerge. Une inscription au sol de la cathédrale garde le souvenir de sa conversion. Foi et poésie pour l’un, Art et amour pour l’autre, leurs chemins se séparent. Quai d’Orsay,  Amérique, Chine, … Le poète-diplomate ne cesse d’être ailleurs et d’y nourrir son œuvre.

     

    Camille Claudel, Causeuses (onyx).jpg

     

    Camille quitte l’atelier de Rodin en 1892. Dans l’onyx, elle sculpte ses Causeuses, ne vit que pour son art, et un temps, dans l’amour de Rodin. Mais elle n’est pas partageuse et lui ne veut pas se séparer de Rose Beuret. C’est la rupture. L’âge mûr l'évoque, même si on ne peut réduire ce chef-d’oeuvre à l’anecdote : une jeune femme à genoux implore un homme entraîné par une vieillarde. Dominique Bona fait revivre les heures créatrices de Camille, ses difficultés, ses réussites, celles de Paul en alternance. L’éclairage biographique passe de l’un à l’autre avec la même attention. Lui aussi est déchiré par l’amour : Rosalie Vetch, mariée, l’a aimé puis quitté, bien qu’enceinte de lui, pour un autre. Partage de Midi. Vie, douleur et création.

     

    Puis viennent les années terribles. Délire de persécution. Camille voit partout la « bande à Rodin » qui cherche à lui nuire. Son père, qui l’a toujours aidée, meurt. Une semaine plus tard, à quarante-huit ans, Camille, souffrant de paranoïa, est enfermée à l’asile. Quand elle va mieux, sa mère refuse de l’accueillir. Elle paie sa pension mais ne veut plus la voir. Pire, elle interdit toute correspondance ou visite qui ne soit pas de sa famille proche. Sa sœur verra Camille une seule fois, Paul quatorze - en trente ans, dix-sept visites seulement !

     

    Il faut lire là-dessus La robe bleue, le beau roman de Michèle Desbordes (2004), qui s’inspire d’une photographie de Camille prise en 1929 à l’asile de Montdevergues par le mari de Jessie Lipscomb, son amie d’atelier. Jean Amrouche, à qui Paul Claudel accepte de se confier au début des années ’50 pour des Mémoires improvisés,
    insiste pour qu’il parle davantage de sa sœur : « échec complet », juge celui-ci, qui l'oppose à sa réussite. Comme l’avait prédit Eugène Blot, ami fidèle de Camille Claudel, le temps a remis tout en place. Paul Claudel a connu les honneurs de son vivant, il a sa place dans l’histoire littéraire. La rétrospective Camille Claudel organisée l’hiver dernier a attiré les foules au musée Rodin. Elle est devenue une légende. « Claudel, ce nom glorieux, a désormais deux visages. »

     

    Photos d'après le catalogue de l'exposition Camille Claudel, musée Rodin, 1991.

  • Enfer et paradis

    1938, gare de Reading. James Reid rencontre Donald qu’il a connu au lycée deux ans plus tôt. James a suivi depuis des cours de gestion et de comptabilité. Quant à Donald, il fait de la politique et il a vite fait d’arracher son ancien camarade à ses parents, à sa routine, pour l’emmener à l’université d’été des Jeunes socialistes. Aux débats sur le pacifisme, James prend conscience des silences de son père : « Le père de James, un rescapé des tranchées, blessé à la bataille de la Somme, était de ceux qui n’ouvraient jamais la bouche. » Doris Lessing a publié Un enfant de l’amour
    (A love Child)
    en 2003. Son père était lui-même un mutilé de la grande guerre.

     

    L’autre passion de Donald, c’est la littérature et surtout la poésie. « Donald lui prêtait des livres qu’il dévorait, comme si la littérature était de la nourriture, et qu’il fût affamé. » James découvre alors que contrairement à son père, qui ne lit que des livres de guerre, sa mère aime la poésie et comme lui, retient par cœur ses vers préférés. Au printemps 1939 survient la mobilisation. D’abord des semaines d’exercices, comme simple soldat puisqu’il refuse de devenir officier. Et puis arrive le moment d’embarquer pour une destination secrète, l’Inde probablement. Sur un ancien paquebot de luxe prévu pour quelque huit cents passagers et l’équipage, l’armée britannique entasse cinq mille soldats et leurs officiers pour un voyage
    jusqu’au Cap où ils feront escale.

     

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    Très vite, c’est l’enfer à bord. Les sections sont installées dans des espaces terriblement limités, les ponts supérieurs réservés aux officiers. La houle les rend presque tous malades, les précipite aux toilettes et sur les ponts. « Le golfe de Gascogne se déchaînait. Du haut en bas du grand bâtiment, les hommes vomissaient ; une odeur fétide régnait partout, dans l’entrepont comme dans les cabines. » Plus personne n’obéit aux ordres, il faut survivre, c’est tout. Et s’efforcer de ne pas penser aux sous-marins ennemis. « Nous serions poursuivis si nous traitions ainsi des animaux, monsieur » proteste un sergent auprès d’un officier supérieur. Quand s’ajoutent les restrictions d’eau douce, qui commence à manquer, les uniformes lavés à l’eau de mer qui provoquent des irritations, des démangeaisons continuelles, certains hommes en deviennent fous. « Des centaines d’hommes dormaient sur les ponts, brûlants de fièvre, secoués de nausées et de haut-le-cœur ; ils avaient envie de vomir, mais leurs estomacs étaient vides. »

     

    « Jour après jour, nuit après nuit. Et puis ils s’aperçurent – quelqu’un s’aperçut, et la nouvelle fit le tour – qu’ils avaient mis le cap au sud-est. » La mer se calme, la section de James tâche de se refaire une apparence avant de débarquer. Au Cap, l’ambiance est à la fête. Deux jeunes femmes d’officiers, Daphne et Betty, préparent quelques jours de festivités pour le transport de troupes, pendant que leurs maris sont en mission. Betty a un bébé, Daphne pas encore et ça lui donne le cafard. Maîtresses de maison exemplaires, elles s’approvisionnent, organisent des repas, des soirées. « Les deux amies étaient connues des comités d’accueil, qui comptaient sur elles pour recevoir autant d’hommes que les lois de l’hospitalité le leur permettaient. » Les soldats, eux, ressemblent plutôt à des invalides. Ils veulent avant tout se laver et changer de vêtements.

     

    Daphne remarque parmi ceux qu’on lui amène un jeune homme particulièrement mal en point, c’est James Reid. Ebloui par cette femme ravissante dont les cheveux embaument, lui se croit dans un rêve, au paradis. James tombe amoureux de cette vision, passe toute la soirée avec Daphne, ne la lâche plus. Betty met son amie en garde, on les remarque, mais le coup de foudre est réciproque. Daphne en perd la tête. Pourtant, très bientôt, il repartira, le mari reviendra. James promet de revenir après la guerre. Sur l’océan Indien, il ne pense qu’à cela : « Car c’était un rêve, ce pays, avec sa montagne qui déversait ses nuées comme une bénédiction sur ses habitants fortunés. Un rêve de grandes maisons fraîches, entourées de jardins. »

     

    Le roman de Doris Lessing raconte cette folle rencontre dans un contexte délétère.
    La description des troupes livrées aux maux du corps et de l’esprit, aux incertitudes de l’attente, du danger, sonne terriblement juste. Quels lendemains pour une passion amoureuse en temps de guerre ? Entre espoir et désespoir, y aura-t-il une place, un jour, pour un enfant de l’amour ?

  • Bouddha en Corée

    Si vous vous rendez au Palais des Beaux-Arts pour « Le sourire de Bouddha », exposition exceptionnelle consacrée aux seize cents ans d’art bouddhique en Corée, ne manquez pas de monter à l’étage : vous y verrez « Sacred Wood » de Bae Bien-U, qui photographie depuis 1981 les forêts de pins typiques de son pays. Le pin y symbolise la longévité et, pour le photographe coréen, l’arbre dans la forêt, comme l’homme parmi ses semblables, est à la fois pareil et unique. Ses grands paysages où
    la lumière joue un rôle essentiel veulent restituer « l’essence du réel ». C’est superbe.

     

    Mais commençons par le commencement, à savoir l’énorme Bouddha du VIIIe siècle, en granit, qui accueille les visiteurs en face du grand hall. Au pays du matin calme, le bouddhisme fut la seule invasion pacifique, au IVe siècle. Avant cela, les Coréens partageaient avec le peuple sibérien le culte de l’Ourse, la mère originelle. Dans la première salle d’un parcours chronologique, j’ai admiré un très fin petit Bouddha debout (Chine, VIe s.), plein de douceur. Il précède le trésor de tombes royales, dont une grande couronne et une ceinture en or massif sont les pièces maîtresses. Le motif de la couronne rappelle que l’arbre fait le lien entre les enfers et les cieux. Au mur,
    une vidéo reconstitue virtuellement les anciens palais et anime de belles fresques consacrées aux activités quotidiennes : musique, danse, arts martiaux et chasse.

     

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    Contemplative Bodhisattva, National Museum of Korea (Seoul)
    (d'après Bozarmagazine, novembre 2008)

     

    Des panneaux rappellent, entre autres caractéristiques de la représentation du Bouddha, la protubérance crânienne, les lobes d’oreilles étirés, les trois plis au cou.
    Le geste de la main droite rassure, celui de la main gauche donne. Les bodhisattvas sont ceux qui se sont strictement engagés dans la voie de la foi. Parmi eux, Avalokitesvara, figure de la compassion, est considéré comme le sauveur des âmes sensibles. Il y a aussi des Bouddhas médecins, un bol à la main. Au bout de la première aile apparaissent des Bouddhas méditants, conjuguant élégance et spiritualité : jambe droite repliée, pied sur le genou gauche, doigts de la main droite contre la joue, voici la merveilleuse sculpture en bronze doré, Contemplative Bodhisattva, qui sert d’affiche à l’exposition, image gracieuse de la méditation.

     

    On découvre ensuite l’art des pagodes : tuiles faîtières, pierres sculptées, urnes funéraires. Une première magnifique photographie de Bae Bien-U en noir et blanc montre dans un très grand format (135 x 260 cm) le site des tumuli funéraires abritant les tombes royales. Des vitrines exposent le contenu de reliquaires : petites statues de Bouddha, minuscules stupas votifs à base carrée. Cloches de bronze, encensoirs, coupes en céladon, toutes sortes d’objets rituels et usuels illustrent l’art bouddhique typiquement coréen. Puis de riches statues dorées : couvert de bijoux, un Avalokitesvara assis du XIVe siècle se déhanche, un coude sur le genou, décontracté. Il contraste avec un Vairocana en fonte du Xe siècle, assis traditionnellement en position du lotus, qui offre un extraordinaire sourire.

     

    Dans les peintures bouddhiques plus tardives, le rouge et le vert dominent. Les figures couvrent la toile et saturent l’espace. En contraste, les peintures sur soie privilégient la finesse, comme sur ces rouleaux où sont calligraphiés des textes sacrés, et les nuances subtiles, par exemple pour le Bouddha « lune - eau » représenté devant des bambous, les yeux baissés vers un lac où la lune se reflète. L’exposition se termine sur des œuvres contemporaines de Park Dae-Sung, un autodidacte inspiré par les temples anciens. Mais avant de passer dans cette dernière salle, n’oubliez surtout pas de prendre à droite l’escalier qui mène aux forêts magiques de Bae Bien-U.

     

    Quelle déception de ne trouver qu’une douzaine de cartes postales à la fin d’une si beau parcours ! Et dans cette série, aucun des plus beaux Bouddhas. Bien sûr, le catalogue reprend toutes les œuvres, mais les acheteurs du catalogue aimeraient aussi envoyer à leurs amis des reproductions des plus fameuses, d’une part, et ceux qui n’emportent pas le catalogue seraient heureux de repartir avec quelques cartes postales, d’autre part. Dommage. Espère-t-on qu’ils se consolent avec les fanfreluches du Bozarshop ? Les « Joyaux de la Nation » coréenne sont exposés jusqu’au 18 janvier 2009.

  • La Pietà

    Elle penche le visage vers lui les yeux baissés, il repose les yeux clos dans ses bras largement ouverts. Tous deux sont d’une indicible sérénité. C’est une Pietà. C’est La Pietà de Michel-Ange. A l’Exposition Universelle de New York en 1964, le photographe Robert Hupka (1919 - 2001), chargé d’en prendre une photo pour un disque souvenir du Pavillon du Vatican, l’a photographiée sous tous les angles, dans différentes lumières, en couleurs, en noir et blanc, des milliers de fois. "Et ainsi, tandis que je consacrais d'innombrables heures à ce travail de photographie, la statue devint pour moi un mystère toujours plus grand de beauté et de foi et je fus frappé par l'idée que le chef-d’œuvre de Michel-Ange n'avait jamais été vu dans toute sa grandeur, si ce n'est par un petit nombre de privilégiés."

    Dans le Parc du Cinquantenaire, en face de l’entrée des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, un long pavillon blanc abrite La Pieta Michelangelo, jusqu’au 30 novembre. Ces photographies de Robert Hupka circulent dans le monde depuis 1979. Bruxelles 2008 est la vingt et unième étape de cette aventure, expliquée sur le site de l’exposition. A l’entrée, des panneaux didactiques rappellent en quoi consiste le nombre d’or et montrent, dessins à l’appui, les proportions parfaites de la célèbre sculpture, montrée d’abord dans son cadre, celui de la Basilique Saint-Pierre du Vatican.

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    D'après R. Hupka, photos visibles sur www.la-pieta.org  

    On découvre ensuite un espace étrange, aux parois tendues de noir, sur lesquelles les photos en noir et blanc rayonnent. Est-ce la musique, la pénombre ? Les visiteurs vont silencieusement de l’une à l’autre, ou quand ils se parlent, chuchotent. On se croirait dans une église, dont le chœur réserve une surprise. De part et d’autre d’une copie de la Pietà Rondanini, sculpture inachevée de Michel-Ange (conservée à Milan, au musée du château Sforza), sont exposés des agrandissements de cinq croquis au fusain, d’émouvantes esquisses du maître pour cerner la silhouette de la mère debout, soutenant le corps de son fils.

    Dans la Pietà, véritable sujet de l’exposition, le visage de la Vierge, étonnamment jeune, est d’une douceur infinie. Hupka a tourné autour pour capter tous ses profils ; chacun révèle subtilement l’expression. Le drapé de sa coiffe, les plis de ses vêtements, les détails nous sont montrés de plus près que ce que voient les visiteurs du Vatican depuis qu’une vitre de protection les garde à distance (en 1972, un déséquilibré avait mutilé la sculpture à coups de marteau). Mains, pieds, cheveux, tissus, le photographe a tout regardé, cadré, éclairé, pour nous montrer cette Pietà comme peu d’hommes ont pu la voir.

    La figure du Christ est extraordinairement sereine. Il s’abandonne sur les genoux et dans les bras de sa mère, en toute confiance. Comment Michel-Ange peut-il rendre à ce point dans le marbre cet amour silencieux ? L’unité fusionnelle du groupe sculpté dans un seul bloc apparaît sous tous les angles, y compris les plus surprenants, sur les photos prises d’en haut.

    La Pietà de Michel-Ange éblouit et étonne. Chef-d’œuvre absolu de la Renaissance, sa beauté résiste aux siècles. Reste la question de la souffrance, ici évacuée. Et ces visages lisses. Pourquoi ces figures idéalisées ? Que signifient-elles ? Foi absolue ? Sublimation esthétique ? Cette perfection reste un mystère. Sœur Emmanuelle, vouée
    à la Vierge, attendait la mort comme un rendez-vous d’amour. "C'est passionnant de vivre en aimant", dit-elle dans son testament spirituel

    Pour apprécier une sculpture en ronde-bosse, pour la voir vibrer dans la lumière, il
    faut tourner autour, le dialogue frontal ne suffit pas. C'est une gageure de la photographier. Pour ma part, je retiens cette magnifique photo de Robert Hupka qui montre la Pietà vue de dos, les jeux de la lumière dans les plis du manteau de la Vierge, la tête et les épaules légèrement inclinées. Ses bras ouverts sont éloquents : le bras droit retient délicatement la tête du Christ dans le creux du coude, la main gauche s’ouvre, donne, offre, comme en prière.