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Hopper à Lausanne

Sur la terrasse d’une maison blanche frappée de face par la lumière, les stores jaunes un peu moins baissés aux fenêtres du premier que du second pignon, identique, deux femmes prennent le soleil : celle aux cheveux gris, assise dans un fauteuil, tient un livre à la main ; la jeune femme blonde assise de biais sur la rambarde, en bikini bleu, bombe le torse. C’est l’affiche de l’exposition Edward Hopper (1882-1967) à la Fondation de l’Hermitage de Lausanne (jusqu’au 17 octobre), un détail de Soleil au balcon (1960).

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Soleil au balcon (détail d'après le catalogue) © Whitney Museum of American Art, New York


La pluie qui arrose le Valais depuis  la veille au soir n’a pas découragé grand monde : on se presse à l’entrée, le vestiaire déborde de vestes mouillées sur des cintres et de parapluies dans un grand bac, les agents de sécurité renvoient sans état d’âme vers les consignes les sacs à dos même de taille modeste – je fourre donc mes papiers dans mes poches, passe le contrôle, retourne dans mon casier chercher de quoi écrire en pestant un peu…

Le calme revient dès la première salle, consacrée aux autoportraits et à de belles études de mains (Les mains de l’artiste, plume et encre noire – « To my wife Jo », y a écrit Hopper, « His hand » a ajouté Jo ). Que ce soit sur un autoportrait en manteau noir et chemise blanche (repris dans La chambre de l’artiste où il est accroché au mur) ou dans un grand autoportrait à l’huile des années 1925-1930, Hopper a le regard en biais, l’iris au coin de l’œil. Sans complaisance, il se peint tel qu’il se voit, ordinaire.

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 Le pont des arts (détail) © Whitney Museum of American Art, New York

Le jeune étudiant de la New York School of Arts entreprend dès 1906 un voyage en Europe. La deuxième salle montre ses œuvres parisiennes, le Louvre sous un ciel d’orage, le Quai des Grands-Augustins. J’ai particulièrement admiré Le Pont des Arts, dont Hopper a peint la passerelle vue d’en contrebas ; il rend bien la lumière particulière de Paris et montre déjà son goût pour les angles de vue inhabituels. Les œuvres exposées proviennent principalement du Whitney Museum of American Art de New York, qui a bénéficié d’un legs de plus de trois mille œuvres après la mort du peintre. (Hopper, 1 m 95, et Joséphine Nivison Hopper, 1 m 53, se sont mariés en 1924, à 42 et 41 ans. Leur couple a tenu, même si Hopper dira un jour que « Vivre avec une femme, c’est comme vivre avec deux ou trois tigres ». Toutes les citations sont extraites du catalogue.)

Le bistro, une toile fascinante, peinte une fois de retour à New York, rappelle l’ambiance parisienne avec un couple attablé à l’angle d’une rue, non loin d’un pont (le Pont-Neuf ?) curieusement flanqué de quatre cyprès. Même inspiration pour Soir bleu où le peintre a rassemblé sous des lampions un proxénète (de face), un artiste en béret (de profil), un soldat (de dos) en face d'un Pierrot au masque de clown derrière lequel s'avance une prostituée outrageusement maquillée, qu'observe un couple bourgeois (cette toile étonnante a déplu quand Hopper l’a exposée et il ne l’a plus montrée par la suite). L’escalier du 48, rue de Lille – déjà le mystère des lieux clos –, des silhouettes de passants à l’aquarelle, Au théâtre, c’est encore Paris.

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Le jeune garçon et la lune (détail) © Whitney Museum of American Art, New York

Hopper a gagné sa vie d’abord comme illustrateur, avec talent comme on peut le voir avec Le jeune garçon et la lune (1906-1907). Beaucoup d’études sont présentées dans cette exposition, notamment des détails observés chez Manet. Trois petits formats peints en bleu sombre annoncent l’univers type du peintre américain – « la façon dont le corps humain occupe l’espace » (Carter E. Foster) : une jeune femme à l’atelier, un homme assis sur un lit, une figure solitaire dans un théâtre. « Hopper nous invite à regarder impunément dans la vie d’autrui, sans nous fournir aucune information sur les situations qu’il met en scène » commente Carol Troyen. Toutes les femmes des tableaux de Hopper sont peintes d’après son épouse qui lui sert de modèle : scènes érotiques assez dures comme Une femme au soleil et Strip-tease ou plus tendres comme ce Nu allongé (aquarelle) où la jeune femme est montrée de dos, appuyée sur des coussins de couleur. De petites eaux-fortes frappent par leur atmosphère intense : La maison solitaire ; Ombres, la nuit (une vue de ville en plongée qui crée un effet dramatique) ; Le balcon.

L’auditorium en sous-sol, dont les murs de béton n’ont pas le charme des pièces de la Villa ouvertes sur le parc de l’Hermitage, propose de grandes toiles urbaines entourées d’études préparatoires – section intitulée « Du dessin à la peinture ». Il s’agit de grands paysages comme L’Ile de Blackwell (sa prison et son hôpital psychiatrique) et d’autres lieux new-yorkais, où le peintre exprime sa fascination pour les structures, extérieures ou intérieures. Ainsi, pour Le Cinéma Sheridan, il a dessiné dans son carnet plein de détails, mais a modifié ensuite le personnage au premier plan. Le jeu des ombres et de la lumière anime Soleil du matin, une femme assise sur un lit face à la fenêtre en plein soleil. Le plus souvent, mais pas ici, les études et les aquarelles vibrantes, contrastées, m’ont semblé plus vivantes que les peintures à l’huile, alors que le fini des toiles rend leur sujet plus plat, figé même. On peut feuilleter une double numérisé du Registre de l’artiste : sous l’esquisse de chaque œuvre, Hopper la décrit avec précision et indique le montant de la vente.

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Soleil du matin (détail) ©
Columbus Museum of art, Ohio

Dédaignant le pittoresque, Hopper excelle à envelopper de mystère les scènes les plus ordinaires, à dévoiler « la beauté cachée des lieux communs » (Virgil Barker). Au premier étage du musée, on admire d’abord sur le palier Sept heures du matin, la devanture blanche d’un magasin quasi vide au coin d’une rue près d’une forêt (on pense à Magritte). Puis viennent ces immeubles victoriens aux ombres singulières que le peintre aimait observer de nuit (Chambres pour touristes), ces carrefours vus en plongée (Village américain) comme les Tuileries peintes par Monet, ces maisons isolées, closes, mystérieuses. Dans le Coucher de soleil à Cape Cod, tous les jaunes sont convoqués : jaune pâle des stores, jaune paille de l’herbe sèche, jaune acide dans le ciel bleu virant au rouge orangé à l’horizon. Puis des études intéressantes pour La Colline au phare, Automobiles et rochers, Deux chalutiers, La maison Capron entourée de poteaux électriques (sans fils).

Sous la charpente de l'Hermitage, un film documentaire présente le peintre américain, inspiré d’abord par les impressionnistes, ensuite par le cinéma et ses effets réalistes, avant de devenir le représentant d’une certaine solitude des êtres, en ville ou à la campagne, seuls ou accompagnés. Sceptique devant la peinture non figurative de ses contemporains, Hopper croyait à l’emprise fondamentale de la nature sur les hommes, dans leur face à face avec la lumière, celle du jour ou celle du soir, qui accentue les lignes et dessine l’espace où nous vivons. « Ce que j’ai cherché à peindre, ce ne sont ni les grimaces, ni les gestes des gens ; ce que j’ai vraiment cherché à peindre, c’est la lumière du soleil sur la façade d’une maison. »

Commentaires

  • Merci pour votre reportage et l'ensemble de vos liens qui font de cet article un dossier passionnant sur cet artiste.

  • « Ce que j’ai vraiment cherché à peindre, c’est la lumière du soleil sur la façade d’une maison » dit le peintre, sceptique devant la peinture non figurative de ses contemporains, préférant un face à face avec la lumière du jour ou du soir … dans des «ébats amoureux » avec les ciels, les murs et les fenêtres des maisons ….

  • mince... tu a été voir l'expo Hopper
    vais pas dire que je suis jalouse, mais c'est tout comme ;-))
    Merci Tania pour ce magnifique reportage!

  • Oui, peut-être qu'il a voulu peindre la lumière mais il a peint la solitude. Une sorte de solitude intérieure dont on ne sort pas par la seule force de la volonté. C'est à cela que me font penser les surfaces monotones des facades éclairées certes mais mortes. Edward Hopper me procure toujours un drôle de serrement de coeur...

  • Je l'ai vu, l'année dernière à Milan, près de la cathédrale. J'adore Hopper. J'y suis retourné en juin à Lausanne, il y avait trois tableaux de plus. Mais surtout beaucoup, beaucoup moins de monde.

  • Lumière, solitude, oui, certainement, mais une solitude qui provoque en moi beaucoup de tristesse, oui, c'est ça.
    Merci pour tout, les liens sont bien intéressants.

  • @ Claire : Merci de votre intérêt, Claire.

    @ Aifelle : J'adore quand nature et culture sont toutes deux au rendez-vous des vacances, oui.

    @ Doulidelle : Le soleil est de retour aujourd'hui - et pour ce week-end, espérons-le.

    @ Coumarine : Une prédilection pour Hopper, Coumarine ? Il y a tant à imaginer devant ses oeuvres.

    @ Euterpe : Mort ou éternité ? L'instant - un fragment de vie - éclairé à jamais ?

    @ Damien : En effet, cette exposition est passée par Milan et puis Rome avant Lausanne. Peu de monde, pour le visiteur d'une exposition, c'est tellement plus agréable que la cohue.

    @ Colo : L'impression de tristesse vient sans doute de l'absence de liens entre les personnages de ses tableaux, de la distance que le peintre garde par rapport à son sujet. Mais je n'ai pas ressenti de tristesse à l'exposition, j'étais surtout... intriguée.

    @ Lali : Partir, rêver, rêver de partir...

  • Hooper est un peintre que j'ai mis très longtemps a aimé, cela s'est fait doucement graduellement mon regard s'habituant
    La visite guidée de l'Hermitage est très sympa, c'est un lieu très agréable mais la rigueur suisse est terrible !

  • @ Dominique : Les artistes qui dérangent au premier regard deviennent parfois ceux qui nourrissent le plus profondément, si on prend le temps de regarder, si on se laisse apprivoiser, comme tu l'écris, Dominique.

  • Les personnages peints par Hopper sont figés, comme si un évènement dramatique les avaient supris, l'atmosphère est pesante, intrigante.
    Ce n'est pas de l'émotion que je ressens, ni de la tristesse c'est autre chose, difficilement explicable. Comme lorsque je prend un ascenseur.

  • @ Marie : Bienvenue sur ce blog, merci de partager cette impression. L'atmosphère intrigante naît-elle de quelque chose qui a eu lieu ou bien de l'attente d'un événement ? Ou encore de l'immobilité, si rare dans la vie ?

  • Ah si Lausanne n'était pas si loin! A quand une expo à Paris (je n'ose même pas penser à une petite ville...). Mon avatar prouve mon goût pour ce peintre, non?

  • Bravo pour votre excellent article très détaillé sur l'expo Hopper à Lausanne.A priori un tableau isolé d'Hopper parait triste mais l'exposition très bien faite nous emmène dans une vie colorée et sereine.
    A bientôt
    Jocelyne ARTIGUE

  • Merci pour votre reportage qui m'a beaucoup interessé, je suis allée hier à l'exposition, je suis encore sous le charme, bonne journée, ehaa.

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