« De mens* in beeld / L’homme en image » (*l’être humain, en néerlandais). C’est le thème de la troisième « biennale de la peinture » des Musées Dhondt-Dhaenens (Deurle) et Roger Raveel (Machelen-Zulte), dans la région des peintres de Laethem-Saint-Martin. Un parcours sur la figure humaine vue par des artistes contemporains, en dialogue avec quelques peintres de leurs collections permanentes. A visiter jusqu’au 30 septembre 2012.
Vue du Musée Dhont-Dhaenens
Qu’il est agréable de déambuler dans ces musées modernes à taille humaine où la lumière circule si bien ! Le premier, destiné d’abord à abriter la collection des époux Dhont-Dhaenens et à la rendre accessible – une manière aussi de valoriser cette belle région de la Lys en Flandre, se consacre à l’art du XXe siècle et contemporain. Depuis 1999, le musée Roger Raveel – quelle consécration pour un artiste d’avoir de son vivant, dans son village, son propre musée – présente un ensemble considérable d’œuvres de l’artiste et des expositions contemporaines.
Au musée DD entouré de verdure, dix artistes en dialogue avec Constant Permeke et Frits Van den Berghe. Surprenante entrée en matière, à gauche de l’entrée, avec les Autruches dansantes de la portugaise Paula Rego : en tutu noir, Lila Nunes, mannequin, a posé dans des attitudes grotesques inspirées du film Fantasia de Walt Disney.
Sans titre (Musical chair) © Francis Alÿs
Tout en finesse et légèreté, plus loin, des peintures et dessins sur calque de Francis Alÿs. Ce Belge de réputation internationale réside à Mexico City. Des œuvres de petit format sur le mouvement et la répétition attirent ici l’attention sur les pieds. Soulier ciré (études pour une animation sur DVD visible à l’exposition, Shoe Shine Blues) ; personnages en marche ; soulier soulevant un tapis rouge ; couple autour d’une chaise, en deux scènes inversées.
Dans le couloir central, une série de petits cadres révèlent un artiste qui m’a fait forte impression, avec ses bonshommes tristes – du bleu surtout, du noir, du doré. Trait acéré, dates incisives à l’encre de Chine qui sont à la fois titres et motifs, lames menaçantes, l’univers de Florin Mitroi (1938-2002) évoque l’impuissance, l’angoisse, le désespoir. « Only one trait, only one colour, only one truth » (un seul trait, une seule couleur, une seule vérité) écrit Erwin Kessler à propos de ce professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Bucarest. Sa peinture éloignée du réalisme social imposé par le régime communiste n’a guère exposée de son vivant. Après sa mort, des centaines d’œuvres sur toile, bois, verre et papier ont été retrouvées dans son atelier. C’est terrible et intense, inoubliable.
Technique mixte sur verre © Florin Mitroi
Les personnages d’Elizabeth Peyton, une Américaine née en 1965, appartiennent à un univers très différent, eux sont dans le monde, mondains même. Gens célèbres ou familiers, elle les représente dans leur solitude, rêveurs, fragiles, incertains. Parmi ses portraits, ceux de Martin Creed les yeux dans le vague, d’Elizabeth (Arden) et Georgia (O’Keeffe) en noir et blanc, ou d’une femme seule devant un verre de vin (belle aquarelle exposée au musée Raveel).
Le Rêve (La Création) de Frits Van den Berghe représente un homme couché, les yeux clos, la tête appuyée sur une main. De son corps émergent de petits personnages colorés – l’imaginaire prend possession de l’artiste. Les figures solides peintes par Van den Berghe (1883-1939) appartiennent à sa région, les formes sont généreuses, les couleurs chaudes. Les œuvres présentées ici font la part belle à l’imagination et certaines illustrent les fantasmes sexuels de l’artiste, non sans humour (La pédicure, Fertilité, L’impudique).
Le rêve (La Création) de Frits Van den Berghe
Après une pause en terrasse – plaisir d’une belle journée d’été – et quelques pas dans Laethem-Saint-Martin où les anciennes maisons restaurées et les belles résidences rivalisent de chic, et aussi leurs jardins, non loin des champs et de la Lys où les bateaux de plaisance défilent en ce chaud dimanche d’août, nous prenons la route en direction du musée Roger Raveel.
Vue du Musée Roger Raveel
Comment présenter cet artiste inclassable, né en 1921 ? Ce qui frappe dans ses toiles, c’est le jeu des structures, des couleurs. Beaucoup de blanc – sa devise est « Wit bewaar steeds je geheim » (Le blanc conserve toujours ton secret). Du jaune, du bleu, des couleurs vives, des rayures. Raveel ne dessine pas les visages en général, mais des silhouettes, des formes. Homme ou femme à ses occupations quotidiennes, de face, de dos, à une fenêtre ; parfois un paysage. Raveel mêle les motifs abstraits et figuratifs. Des miroirs sont intégrés dans de nombreuses toiles, et d’autres objets : grillage, tissu, cage à oiseau…
Les visiteurs sont invités à entrer dans L’illusion, un ensemble d’éléments placés en enfilade : à travers le torse découpé d’un personnage, il faut regarder plus loin, à travers un autre cadre. Tout au bout, sur une toile au mur, l’image d’un homme, de dos, à sa fenêtre – l’artiste à son chevalet ? A l’étage, pas loin d’un tapis mural représentant la procession des images, une étonnante Charrette à accrocher le ciel, soit un cube sur roues dont la face supérieure est un miroir ; toutes les faces sont peintes, il faut tourner autour de cet objet astucieux.
Par une passerelle, on accède à l’étage réservé à la biennale 2012 (on peut y aller un autre jour, si l’on veut, avec le billet combiné). De Jan Van Imschoot, une série de portraits peints en 2001 à l’occasion d’une exposition dans un hôpital psychiatrique – le regard de Felix ! Une autre peintre dont je retiendrai le nom, Ellen de Meutter : autour de ses personnages en mouvement, le paysage bouge, les couleurs tourbillonnent.
Don’t run away from life © Ellen de Meutter
Parmi les peintres « anciens », j’ai admiré Rachel par Spilliart, et aussi Seule : une petite fille sur le plancher d’un grenier – une scène de théâtre. Un hommage de Van Rysselberghe à la nuque d’Alice Sethe. Coquillages, croupes et mollusques du sarcastique Ensor. A voir aussi, dans une salle de photographies, l’album mural Genesis : des textes d’Hugo Claus illustrés par Raveel.
Si vous aimez flâner en peinture, ne ratez pas cette biennale. N’imaginez pas revoir en même temps la collection permanente du Dhont-Daenens, elle est en voyage, mais ce serait bien le diable si vous ne vous arrêtiez pas, complètement happé, devant l’une ou l’autre œuvre de ces artistes (plus de trente) qui, de façon parfois si déroutante, ou émouvante, parlent d’eux et de nous.