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Passions - Page 488

  • L'eau des bisses

    « Bisse » : le mot m’était inconnu jusqu’à ce que je découvre, il y a quelques années, la région de Nendaz, près de Sion, dans le Valais, le « pays des bisses ». Si les Alpes offrent aux marcheurs des vues superbes, toutes ces fleurs sauvages que je me plais à nommer quand je les connais, à identifier quand j’ignore leur nom, c’est d’abord l’eau qui les fait vivre : neige et glaciers, torrents, cascades, lacs de haute montagne – et bisses.

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    Les paysans du Valais, pour échapper aux conséquences de la sécheresse, captent l’eau en altitude depuis des siècles, pour la dévier artificiellement sur les coteaux et arroser leurs cultures d’abricotiers, framboises ou vignes.  « Tous les bisses de Nendaz ont leur prise d’eau dans la rivière La Printse, qui prend sa source aux glaciers du Grand-Désert et de Tortin. Les promenades des bisses sont faciles et de faible déclivité, idéales pour les familles, les enfants et les personnes âgées. » (Brochure de Nendaz) 

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    C’est donc sur les chemins des bisses, le long de l’eau qui s’écoule doucement, silencieusement par endroits, court et cascade à d’autres, que les jambes des promeneurs se délient pour aller de Nendaz à Planchouet par le Bisse du Milieu, pour en revenir par le Bisse Vieux, ou bien, variante, de Planchouet à Veysonnaz par le Grand Bisse de Vex – il faut alors prendre le bus postal pour rentrer. Remis en eau pour les touristes après avoir été abandonné, ce Bisse de Vex est l’un des plus variés dans ses aménagements, la promenade y est très agréable, ouverte sur le paysage.

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    Un jour de beau temps, lorsque les muscles sont bien dégourdis – le chemin demande plus d’attention –, on accède à Siviez par télésiège au plus haut des canaux d’irrigation de Nendaz, le Bisse de Chervé : il n’est plus en activité, ce bisse « aérien et spectaculaire », mais il permet de splendides balades au-dessus des 2000 mètres, soit vers Thyon 2000, où l’on rencontre en chemin un restaurant apprécié des promeneurs, soit vers le lac de Cleuson (lac de barrage à 2186 m) puis, pour les plus sportifs, le lac du Grand-Désert (2642 m).

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    Six bisses de Nendaz sur huit – je vous les laisse découvrir sur le site de la commune – sont encore « en eau », grâce à un travail formidable et à une attention constante. Les promeneurs sont invités à ne rien y jeter et à ne pas abîmer leurs berges, les bisses sont fragiles. Ce qui me frappe, c’est l’ingéniosité et le travail nécessaires pour faire passer l’eau malgré les difficultés du relief, le plus souvent à ciel ouvert. L’eau circule par endroits protégée par un coffrage de bois ou de fer ; pour le promeneur, des passerelles permettent de contourner un rocher, traverser un torrent. Les gardiens des bisses n’ont pas oublié les bancs ni les tables de pique-nique.

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    Si l’eau fait le bisse, et l’eau des bisses un billet de vacances à partager avec vous, le pays des bisses, ce sont bien sûr mille autres choses dont je pourrais vous parler : arbres et fleurs, promeneurs et riverains, oiseaux et insectes, stations et villages, framboises et abricots, vieux chalets et constructions nouvelles qui sortent de terre comme des champignons  chaque été…

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    Sur les nouvelles bornes qui indiquent ici ou là le tracé du bisse, quand il croise une route ou un autre chemin, une ligne ondulante figure avec simplicité l’eau serpentine. Ce serpent de lumière au sympathique glouglou laisse à ceux qui l’ont suivi un goût de revenez-y.

  • Indéfinissable

    « Ils se départent avec moi de leur brutalité habituelle. Ils me parlent avec douceur et précaution, comme l’on fait avec les malades, les êtres faibles. Comme il pourrait arriver à une jeune femme, tout juste enceinte, d’une à deux semaines à peine, dont personne ne saurait déceler l’état qu’elle-même ignore encore. Pourtant elle en transporte la prescience cachée au fond d’elle-même, et le secret que recèle son corps insensiblement la change. Sans s’en rendre compte, elle a cambré légèrement les reins, modifié sa démarche. Et la foule de la rue, percevant cet indéfinissable mystère en elle malgré son ventre encore plat, la traite avec une bienveillance inaccoutumée qui la surprend, qu’elle ne sait expliquer.
    Ainsi font-ils également avec moi quand Vassia est au loin. Peut-être ont-ils raison. Je porte en moi chaque absence de Vassia, jusqu’à son terme, jusqu’à la délivrance, qui me vient de jour ou de nuit sans prévenir, annoncée par le gémissement d’une marche. »

    Virginie Deloffre, Léna

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    Ekaterina Serebriakova peinte par sa mère,
    Zinaïda Serebriakova (1884-1967)

     

    Belle saison à vous qui restez chez vous,    
    à vous qui partez ailleurs,    
    à vous qui passez par ici.    

    Quelques billets courts    
    pour vous tenir compagnie.    

    A bientôt, Tania    

     

     

     

  • Léna ou l'attente

    Premier roman de Virginie Deloffre, Léna (2011) est une histoire d’attente. Eléna vit dans le nord de la Sibérie au rythme des retours de Vassili Volianov, pilote dans l’armée russe, plus souvent absent que présent. Elle a sa manière à elle de l’attendre, en écrivant de longues lettres à Varia et Mitia, ses parents adoptifs, qui vivent à Ketylin, « une petite bourgade sibérienne agrippée à la rive gauche de l’Ob. »

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    La toundra près de Dudinka sur l’Ienisseï (Sibérie, Russie)
    Photo Dr. Andreas Hugentobler sur Wikimedia commons

    C’est sur une lettre de novembre 87 que s’ouvre le roman. Léna raconte son travail au combinat, les files devant les magasins d’alimentation, comment elle bannit toute image de son mari dans un avion et craint les informations à la radio : « J’ai fait de l’absence de Vassili un conte personnel, une légende intérieure que nulle aspérité de la réalité ne doit troubler. Je m’y suis enfermée,  dedans de hautes murailles, n’est-ce pas ? Et je m’applique, laborieusement, à y devenir aveugle et sourde. » Elle ne vit que pour ses retours.

    L’arrivée des lettres de Léna bouleverse chaque fois Varvara et Dimitri, inquiets de la savoir seule alors qu’elle pourrait loger à la base militaire et voir Vassili plus souvent. Varia, née en 1921, est fille de la Révolution qu’elle défend avec constance contre les accusations de Dimitri. Son mari Victor est mort à Kaliningrad pendant la seconde guerre mondiale. « Les années ont coulé. Varvara est devenue une vraie dondon, une bonne vieille volumineuse, recouverte de tant de tricots et de jupons qu’on ne sait plus distinguer dans cette ampleur ce qui lui appartient en propre et ce qui relève de la garniture. »

     

    Dimitri est le « correspondant permanent de la station de géographie de Ketylin ». Ce chercheur en géologie de l’Institut de Moscou a été envoyé là dans les années soixante, pour avoir « un peu trop déstalinisé sa grande bouche après le XXe Congrès ». On l’a logé chez Varvara pour le surveiller, mais il s’est montré un locataire exemplaire, travailleur, et sa logeuse a vite su qu’il n’avait rien d’un ennemi du peuple – « un bon gars qu’a eu du malheur ».  Silencieux autant qu’elle est bavarde, ils s’attachent l’un à l’autre malgré leurs désaccords politiques.

     

    Dans l’appartement communautaire des Volianov, tout le monde s’entend bien. Ania, la petite fille des voisins, adore Vassili – Vassia est son héros, elle raffole des histoires qu’il raconte aux enfants dans la cuisine commune.  Léna décrit parfois aussi les retours de son bien-aimé, la petite qui se loge sur ses genoux, la façon qu’il a de la regarder, elle, sa femme. Elle se souvient de son enfance, quand elle accompagnait Dimitri (oncle Mitia) dans ses relevés topographiques, et qu’il lui apprenait « comment marcher dans l’hiver », comment se méfier du gel traître,  comment « économiser ses efforts, parler peu, inspirer doucement car l’air glacé brûle les poumons quand il les pénètre. »

     

    Varvara est toute la famille qui lui reste. Léna est la fille d’un cousin de Victor, sa mère était d’une tribu d’Esquimaux éleveurs de rennes, des Nénètses. Lors d’un printemps précoce, la banquise avait cédé sous le poids de ses parents qui pêchaient au trou, leurs corps avaient disparu à jamais, et la petite avait été confiée à cette lointaine parente. Est-ce d’être restée seule sur la berge pendant des heures qui a rendu Léna si accordée à l’immobilité ? « Elle voit bien que les humains s’agitent, et elle demeure en arrière. Elle est au bord de la vie mais elle n’entre pas. Elle est restée dans la salle d’attente. »

     

    Dans la deuxième partie, « L’azur », nous la découvrons sous le regard du lieutenant Volianov. En rentrant chez eux, le pilote se souvient de leurs premières rencontres. Comment Léna va-t-elle réagir à ce qu’il va lui annoncer ? Son rêve à lui vient de prendre forme : on l’a sélectionné pour la Cité des Etoiles, le futur cosmonaute va aller sur Mir où il restera six mois. Sa femme est terriblement bouleversée : « Vassia… Pourquoi ? »

     

    Virginie Deloffre, médecin à mi-temps dans un hôpital, donne vie à ce quatuor attachant en alternant lettres et récit, dans un style très simple. Elle n’a aucun lien d’origine avec la Russie, mais ce pays l’inspire, elle a appris le russe, y a voyagé. La vie au quotidien, le froid, les courts étés, les discussions sur l’URSS et la pérestroïka, la conquête spatiale, tout prend place peu à peu dans Léna (Prix Première de la RTBF, Prix des Libraires, entre autres). Mais c’est avant tout le portrait, sur une dizaine d’années, d’une jeune femme mystérieuse, sensible, qui retient son souffle sur la terre pour un homme épris d’elle, et du ciel.

  • Jeu de boules

    Le soleil se couche à l’ouest, oui, mais de saison en saison, sa course s’achève de plus en plus loin à l’horizon, vers le nord. Il était à la Basilique de Koekelberg, puis aux flèches de Notre-Dame de Laeken, et le voici presque à l’Atomium, qu’il ne dépassera pas. Depuis le solstice d’été, il rebrousse chemin. Jour après jour, les neuf sphères de l’Atomium et le soleil reprennent leurs distances. Jeu de boules, fin de partie.

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  • Soir d'été

    L’été s’est soudain montré jeudi dernier (28 juin) – pour un jour, comme souvent par ici. Plus de trente degrés à l’ombre dans l’après-midi, grand écart entre la fraîcheur de la veille et la chaleur, comme si juin s’excusait d’avoir déçu.

     

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    Cadeau royal d’un soir, le spectacle du ciel m’a requise toute, en compagnie de la chatte qui adore passer ces heures-là dehors. Tout yeux toutes oreilles. Jouant les invisibles.

     

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    Ballet des martinets noirs, très haut, plus bas, tout près, plus loin, très affairés au-dessus de l’îlot ces dernières semaines. Impossibles à photographier, rapides comme des flèches, criant à la ronde. Ils virent et revirent en bande, puis repartent vers le nord-est, où sans doute ils nichent, peut-être au Moeraske.

     

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    Sur la terrasse,  je suis au spectacle. Le ciel au couchant ne cesse de muer. Couleurs, nuages, lumières, tout se métamorphose. Mon livre refermé, je regarde, prends et reprends en photo ce qui m’émerveille.

     

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    Soir de juin comme une douce amitié qui s’échange. Heures paisibles, sans télévision ni lecture, à m’imprégner en silence des formes du temps. Réconciliée.

     

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