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Passions - Page 419

  • Une cartooniste

    Chaque jour, à la dernière page de La Libre Belgique, Cécile Bertrand signe de percutantes illustrations de l’actualité. Son nouveau site exploré récemment ma donné envie de vous présenter la cartooniste et son chat, qui joue de temps à autre le porte-parole de cette « dessinatrice éditoriale ». 

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    Etudes de peinture, illustrations pour enfants, je vous renvoie à sa biographie pour les détails de son parcours. Cécile Bertrand commence à dessiner pour la presse en 1990, d’abord dans Le Vif/L’Express, puis dans d’autres publications. L’album Les poux, en 2007, rassemble ses cartoons dans La Libre. Cette année-là, son chemin de croix pour illustrer la mort de Pinochet – « Pinochet conduit vers sa dernière demeure » – lui vaut le Grand Prix du Press Cartoon.

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    © Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)

    A l’approche des élections fédérales, régionales et européennes du 25 mai prochain, comment ne pas songer aux interminables tractations qui ont suivi celles de 2010 ? Je me souviens du dessin plein d’humour et de pertinence où elle montrait le roi songeur, à la recherche d’une solution : « Médiatrice ? Informatrice ? Formatrice ? Pacificatrice ? Créatrice ? Conciliatrice ? Exploratrice ? » (en écho aux innombrables « démineurs » qui se sont succédé avant la formation du gouvernement actuel). Son timbre 2011 évoquait aussi cette période de haut stress politique belge.  

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    Les dessins de presse de Cécile Bertrand sont souvent des diptyques, côté image et côté langage : « La Grèce / La grève » oppose aux caryatides classiques d’autres caryatides les bras croisés). « Ils mangent des produits éthiques – Ils mangent ? », un dialogue entre deux Africains pour illustrer la Journée mondiale du commerce équitable. 

    Cécile Bertrand aime juxtaposer, confronter – « J’aime souvent faire des parallèles : chez eux, chez nous, ou bien hier et aujourd’hui, c’est un peu mon truc de cartooniste. » (Arte). Par exemple, « Le temps se couvre pour la jeune génération ». Une mère en foulard interpelle sa fille devant la porte ouverte, prête à sortir. 1990 : « Tu ne vas pas sortir comme ça ? » (la fille est court vêtue, les cheveux longs). Même question en 2011 (la fille est entièrement dissimulée sous un tchador noir). Voyez plutôt. 

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    © Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)

    C’est parfois glaçant. Sous quatre croix, les prénoms de Julie, Mélissa, Ann et Eefje ; à côté une femme en prière en face d’un crucifix, Michèle Martin (« Dans un couvent ? ») Les scandales de pédophilie, les silences de l’Eglise, la mauvaise foi inspirent à la dessinatrice de presse, esprit très libre, des images si irrévérencieuses qu’elles sont parfois écartées : quelques-uns de ces « poux refusés » sont visibles sur son site. 

    « L’actualité vue par mon chat »  revient de temps en temps : qu’il dorme tranquillement en rond ou qu’il s’étire de tout son long, ce qu’il fait volontiers, ce chat philosophe, un vrai pacha, rappelle que la vie est aussi faite pour en jouir, tout simplement, ou pour se réjouir de ce qui va bien, « carpe diem ».  

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    © Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)

    Cécile Bertrand est également plasticienne, elle travaille « sur la trace que l’être humain laisse derrière lui ». Son autre site décrit une série photographique intitulée « Le fil bleu de ma vie ». En attendant l’occasion de découvrir cela de plus près, je serai à son prochain rendez-vous dans La Libre – ce matin, j’espère, inquiète de ce que je viens de lire sur le blog de Bado

    ***

    P.-S. Malheureusement, la mauvaise nouvelle est confirmée : Cécile Bertrand a été "virée" ! Nous ne trouverons plus ses dessins dans La Libre Belgique  un esprit trop libre ?

  • Bonne question

    bellow,une affinité véritable,roman,littérature anglaise,etats-unis,chicago,affaires,société,amour,culture« Je me vois prendre plaisir à cet assortiment de personnes, avec leurs motivations et leurs comportements. Seule l’une d’entre elles me tient réellement à cœur. Depuis des années maintenant, j’ai plusieurs fois par semaine des rencontres et des conversations imaginaires avec Amy. Au cours de ces discussions mentales, nous avons passé en revue toutes les erreurs que j’ai faites – par dizaines –, la plus grave étant mon incapacité à la briguer, à rivaliser pour elle.
    Elle aurait pu me dire : « Où diable étais-tu passé toute notre vie ? »
    Bonne question ! »
     

    Saul Bellow, Une affinité véritable

  • Bellow l’observateur

    De Saul Bellow, voici un court roman intitulé Une affinité véritable (The Actual, 1997, traduit de l’anglais par Rémy Lambrechts). En semi-retraite, bon observateur, l’air chinois, Harry Trellman a derrière lui une enfance à l’orphelinat (ses parents l’y ont placé), un don pour le commerce et de bonnes affaires en Birmanie qui l’ont « assuré d’un revenu jusqu’à (ses) vieux jours ». 

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    Une vue de Sheridan Road à Chicago (Photo Wikimedia)

    A Chicago, il possède un commerce d’antiquités et un appartement « en bordure de Lincoln Park ». Sa réputation « de bon connaisseur de l’Orient » lui vaut d’être invité dans de bonnes maisons et, à un dîner, il rencontre « le vieux Sigmund Adletsky et Mme » – l’homme est célèbre pour avoir fait bâtir des palaces sur la côte mexicaine et d’autres « palais de rêve pour plages subtropicales », avant de confier son empire à ses descendants.

    Frances Jellicoe, qui a hérité d’une fortune et de tableaux de grands maîtres, divorcée à la demande de Fritz Rourke, le père de ses deux enfants, continue à l’aimer et à le recevoir. Au dîner qu’elle donne ce soir-là, celui-ci s’enivre et perd à nouveau le contrôle de lui-même – « Le vieil Adlestky était assis à ma table et lui non plus n’en perdait pas une miette. » Quelques jours plus tard, Harry reçoit un mot d’Adletsky qui voudrait le rencontrer.

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    Quand ils se revoient au sommet d’un immeuble, Adletsky ne lui pose pas de questions personnelles : « Ma vie et mes œuvres avaient été passées au crible par ses collaborateurs. Manifestement, j’avais survécu au test préliminaire. » Le vieillard a été frappé par sa grande culture générale et lui qui est « riche au-delà de l’entendement de la majorité des gens » l’interroge sur ce qu’il a vu ce soir-là chez Frances Jellicoe, les autres invités, le manège des uns et des autres. Adletsky s’est très peu mêlé à la vie mondaine tant qu’il était actif, il souhaite à présent qu’Harry, « un observateur de première classe », fasse partie de son « brain-trust ».

    D’un tout autre milieu, Amy Wustrin est la seule personne qui compte pour Harry ; ils sont brièvement sortis ensemble au lycée puis se sont perdus de vue, mais elle est restée son « objet d’amour » : « Un demi-siècle de sentiment est investi en elle, de fantasmes, de spéculations et d’obsessions, de conversations imaginaires. » Devenue décoratrice d’intérieur, Amy a rendez-vous avec les Adletsky dans un grand duplex qu’ils achètent aux Heisinger sur Sheridan Road – ceux-ci voudraient qu’ils reprennent aussi leur mobilier et Amy doit en estimer la valeur. Mme Heisinger avait été la cliente de Jay, le mari d’Amy, décédé un an plus tôt (l’ami de Harry depuis l’orphelinat). 

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    Ajoutez à ces relations et tractations un problème de caveau de famille au cimetière, et vous aurez les ingrédients d’Une affinité véritable. L’intrigue, assez embrouillée, y importe moins que les liens noués, dénoués, renoués entre les uns et les autres, le tout rapporté à la première personne par Harry, acteur et témoin. « Je n’aurais jamais osé penser qu’Amy attendait son heure tandis que je me rapprochais d’elle. » Une centaine de pages pour vérifier s’il existe ou non, entre Amy et lui, une véritable affinité, voilà le sujet du roman de Saul Bellow, qui avait une grande expérience en la matière (mariages et divorces).

    Hasard de lecture, le Courrier international parle cette semaine des « nouveaux ghettos des milliardaires » – « Les ultrariches s’emparent des villes ». Dans One Hyde Park, « l’immeuble résidentiel le plus cher de tout Londres », 80% des appartements ont été « achetés par des sociétés basées dans les îles Vierges britanniques ». Alex Preston (The Guardian, 6/4/2014) en a fait le tour avec un agent immobilier. 

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    On lui fait visiter les parties communes : « Premier arrêt, la bibliothèque, où l’on a manifestement voulu reproduire l’atmosphère d’un club. Aucun livre en vue. Et même s’il y en avait, il ferait trop sombre pour lire. Tout est bois sombre et pierre noire, et les coins de la pièce sont plongés dans les ténèbres. Il n’y a aucun être humain. » En suivant le journaliste des salles obscures et silencieuses (cinéma, piscine) aux appartements luxueux dont si peu de fenêtres s’éclairent le soir, je pensais aux vieux richards de Chicago observés par Saul Bellow, curieux de la comédie sociale et humaine.

  • Ce que dit Confucius

    « Sans cette clé fondamentale, on ne saurait avoir accès à la civilisation chinoise », écrit Pierre Ryckmans dans son introduction aux Entretiens de Confucius (551-479 avant J.-C.), traduits et annotés par lui. Il s’agit en fait d’une compilation posthume, « des bribes, voire des miettes, de la conversation du Maître Confucius (…), sauvegardées un peu par hasard, au petit bonheur la chance par des disciples directs, ou plus probablement indirects. » (Anne Cheng, « Si c’était à refaire... ou : de la difficulté de traduire ce que Confucius n’a pas dit ».) 

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    Confucius, gouache sur papier (The Granger Collection, New York), vers 1770

    Avec une concision rare, ces Entretiens proposent, en vingt chapitres, un idéal nouveau à son époque, une voie morale, Confucius « substituant à l’ancienne notion d’élite héréditaire celle d’une élite qui serait déterminée par la vertu, le mérite, les compétences, le talent, indépendamment de la naissance et de la fortune. » (Ryckmans)

    « Ce n’est pas un malheur d’être méconnu des hommes, mais c’est un malheur de les méconnaître. » (I, 16) L’humanisme de Confucius apparaît d’emblée dans son éloge de l’étude, de l’amitié, de la dignité – qui implique de respecter ses parents et d’honorer les morts – et son incitation à un mode de vie sobre et harmonieux. 

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    Analectes de Confucius, couverture de 1533

    A notre époque souvent en perte de repères, certaines réflexions font mouche, sur l’art d’enseigner, sur le savoir (comment ne pas penser à la crise que traverse l’enseignement ?), sur les qualités nécessaires pour gouverner : « Promouvez les hommes intègres et placez-les au-dessus des gens retors – le peuple vous soutiendra. Mais si vous placez les gens retors au-dessus des hommes intègres, le peuple cessera de vous soutenir. » (II, 19)

    Pour devenir un « homme de qualité » selon Confucius, il faut le plus souvent emprunter la voie du milieu. « Quand le naturel l’emporte sur la culture, cela donne un sauvage ; quand la culture l’emporte sur le naturel, cela donne un pédant. L’exact équilibre du naturel et de la culture produit l’honnête homme. » (VI, 18) 

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    Confucius sous l'abricotier

    Le sel des commentaires du Maître sur des personnalités de son temps, ses allusions à la situation sociale et politique en Chine, même éclairés par les notes du traducteur, échappent au lecteur peu formé à l’histoire de la civilisation chinoise. Confucius n’est pourtant pas « une sorte de pédant formaliste et vétilleux », comme on pourrait l’imaginer d’après certains de ses jugements sur la vie de cour, note Pierre Ryckmans, c’est « un homme pour qui les valeurs de contemplation priment sur toutes les autres ».

    Quasi chaque chapitre offre ainsi l’une ou l’autre réflexion de portée universelle. Confucius balise la voie d’un développement personnel. A Fan Chi qui l’interroge sur la vertu suprême, il répond : « Etre digne dans la vie privée ; diligent dans la vie publique ; loyal dans les relations humaines. Ne pas se départir de cette attitude, même parmi les Barbares. » (XIII, 19) Un peu plus loin : « L’honnête homme cultive l’harmonie, mais pas la conformité. L’homme de peu cultive la conformité, mais pas l’harmonie. » (XIII, 23) 

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    Manuscrit des Entretiens de Confucius découvert à Dunhuang

    La dernière section des Entretiens, « fragments archaïques mal raccordés » (Ryckmans), revient sur l’art de gouverner, qui suppose selon Confucius de cultiver « cinq trésors » (qualités humaines) et d’éliminer « quatre fléaux » : « la Terreur qui cultive l’ignorance et pratique le massacre. La Tyrannie qui exige des récoltes sans avoir semé. Le Pillage qui se perpètre à coups d’ordres incohérents. La Bureaucratie qui dénie à chacun son dû. »

    Observations, réponses à ses disciples, questions, ces paroles d’un sage qui a vécu si loin de nous, il y a si longtemps, continuent à éclairer. « Zigong demanda : « Y a-t-il un seul mot qui puisse guider l’action d’une vie entière ? » Le Maître dit : « Ne serait-ce pas considération : ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. » (XV, 24)