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Villes d'écrivains

« Nedim Gürsel est un djinn, un ogre délicat qui se nourrit de mondes engloutis : Venise, Istanbul, âges d’or conjugués au passé, errances au présent. Il semble avoir pris, avec les années, les plis de sa culture ottomane et européenne » écrivait Camille de Toledo dans Le monde des livres à propos des Filles d’Allah. Dans Les écrivains et leurs villes (traduit du turc par Jean Descat, 2014), Nedim Gürsel suit ceux-ci à Venise, à Moscou, en Allemagne et près de la Méditerranée, en y mêlant ses propres souvenirs.

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L’écrivain turc a séjourné plusieurs fois à Venise, entre autres pour écrire son roman Les Turbans de Venise. Le premier des « mal-aimés de Venise » qu’il évoque ici, c’est le jeune Louis Aragon, amoureux fou de Nancy Cunard, et si malheureux qu’il tente de s’y suicider. Peu après, il rencontrera Elsa Triolet qui sera sa muse et sa femme. (Dan Franck parle d’eux dans Libertad !)

Vers la cinquantaine, « papa Hemingway » est tombé amoureux à Venise d’Adriana, « une jolie Vénitienne de dix-neuf ans ». La vie aventureuse de l’Américain fascinait Gürsel dans sa jeunesse. Aussi le cherche-t-il sous les traits du colonel Cantwell dans Au-delà du fleuve et sous les arbres, car « il ne s’agit pas uniquement d’une œuvre portant sur la guerre, mais aussi d’un éloge de Venise » que le colonel compare à « la plus belle femme du monde ».

Puis il y a Proust, bien sûr, comme dans Venises de Paul Morand, et Thomas Mann dont Visconti a adapté au cinéma La Mort à Venise. L’évocation de l’écrivain allemand et du naufrage de Gustav von Aschenbach « vaincu par Eros » confirme un thème commun à toutes ces images littéraires de Venise, celui de la mort indissociable de la vie.

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« Venise-Istanbul, villes narcissiques » éclaire la quête de Kâmil Uzman, le héros des Turbans de Venise. Gürsel rappelle que « la ville fut mise à sac par des chrétiens exactement deux siècles et demi avant d’être pillée par les Turcs qui, après l’avoir conquise, dominèrent la Méditerranée orientale. » Il cherche dans la ville les traces visibles de cette conquête et chez les peintres vénitiens « les aventures des Ottomans enturbannés », en particulier le fameux portrait du sultan Mehmet II par Bellini.

A Moscou en 2011, Nedim Gürsel ne peut s’empêcher de voir ce qui a changé depuis ses précédents séjours en Russie – pas tout : il lui faudra le secours de l’ambassadeur turc pour être admis à entrer dans le pays, son passeport qui a beaucoup servi suscite la méfiance (« le communisme s’était effondré, mais la bureaucratie était toujours là »).

Invité à Iasnaïa Poliana pour le centenaire de la mort de Tolstoï, Gürsel profite de son séjour pour voir dans « Moscou la blanche » les statues d’Essenine et de Gogol, y observer la vie, la lumière, les bouleaux. Il rend hommage à Pouchkine, qui lui a inspiré La place Pouchkine, et au « monde bizarre » de Gogol, qui lui semble si familier.

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« Voyages d’hiver en Allemagne » rassemble des études sur Kafka à Berlin, la ville de L’ange rouge (Nazim Hikmet), sur les peintres Grösz et Kirchner. Puis viennent deux portraits très touchants : celui du poète Wolfgang Borchert, mort à 26 ans – son recueil Ce mardi-là, écrit Gürsel, a changé sa vie – et celui d’Else Lasker-Schüler, une des figures « les plus originales de la littérature berlinoise du début du XXe siècle ». Enfin deux articles sur Goethe.

La dernière partie, « Mare Nostrum », est consacrée à Cavafy à Alexandrie, à Durrell et la Justine du Quatuor. Puis c’est un séjour en Algérie dans « Oran, capitale de l’ennui » et un autre au Maroc avec « Asilah, Mahmoud Darwich et la mort ». Sur les traces des écrivains qui l’ont précédé, Nedim Gürsel, au début du XXIe siècle, se révèle à la fois un lecteur attentif des auteurs qu’il admire, un voyageur curieux de ce qui apparaît sur son chemin et un conteur qui nous entraîne à regarder avec eux, avec lui, le monde tel qu’il nous est donné, à travers les mots.

Commentaires

  • En consultant sa biographie, j’apprends que cet écrivain turque qui écrit en français et en turc, est directeur de recherche au CNRS (Centre national de recherches scientifiques). … Il se dit croyant musulman, ayant vécu sa prime jeunesse auprès d’un père très croyant et l’âge l’aurait apparemment renforcé dans sa foi. … Je suis étonné que ce scientifique ait une œuvre littéraire aussi abondante et aussi remarquable, une trentaine d’ouvrages littéraires (romans, nouvelles, récits, essais.

  • Un écrivain que je n'ai toujours pas lu ; je me promets de le faire chaque fois que je vois un billet chez toi. Le thème d'aujourd'hui est très tentant.

  • @ Doulidelle : Pour toi, ce passage de Mahmoud Darwich cité par Gürsel :
    "Notre mal incurable s'appelle espoir. Espoir de notre indépendance et de notre libération. Espoir d'une vie nomade où nous ne serons ni héros ni victimes. Espoir d'un jour où nos enfants pourront sans danger aller à l'école. Espoir qu'une femme, au lieu de voir mourir son nouveau-né à un poste de contrôle, le mettra au monde dans un hôpital. Espoir d'un jour où l'on verra la beauté du rouge non dans le sang répandu, mais dans les pétales de rose."

    @ Aifelle : Un jour peut-être, quand tes yeux seront reposés. Oui, c'est un essai intéressant, un recueil des trois ouvrages originaux mis en illustration.

  • Cet essai sur les villes littéraires est une bonne manière de faire connaissance, bon week-end !

  • tellement intéressant, merci!
    Je prendrai le temps de visiter les liens, tant de noms qui me sont inconnus...bon dimanche Tania.

  • @ Adrienne : Comment disait Colette encore ? "Le voyage n'est nécessaire qu'aux imaginations courtes."

    @ Colo : Merci, Colo, c'est gai de chercher des liens et plus encore qu'ils soient ouverts. Bon dimanche.

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