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Passions - Page 420

  • Inexplicable

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    « Une demi-heure plus tard, tandis que les deux policiers quittaient la maison de Walton Street, Morse songea aux paroles du Dr Hans Gross, ancien professeur de criminologie à l’université de Prague. Il les connaissait par cœur : « Nul acte humain ne survient par pur hasard, sans le moindre lien avec d’autres actes. Nul n’est inexplicable. » Morse avait toujours partagé cette opinion. Pourtant, en sortant dans la rue silencieuse, il commençait à se demander si elle était toujours valable. » 

    Colin Dexter, Les silences du professeur

  • L'inspecteur Morse

    Les enquêtes de l’inspecteur Morse, une de mes séries préférées à la télévision, ont cessé avec le décès soudain de son interprète John Thaw, en 2002. Barnaby ou, plus récemment, un nouveau Morse à ses débuts (série Endeavour, d’après le prénom secret de Morse) ne peuvent faire oublier cet inspecteur hors norme écoutant des airs d’opéra, évoluant dans les rues d’Oxford, au volant de sa Jaguar rouge ou buvant une bière… 

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    Colin Dexter entre les deux acteurs de la série, John Thaw (Morse) et Kevin Wathely (Lewis) (Photo DailyMail online)

    Pourquoi ne pas remonter à l’original, me suis-je dit en cherchant Colin Dexter à la bibliothèque ? J’ai ouvert Les silences du professeur (The Silent World of Nicholas Quinn, 1977, traduit de l’anglais par Elisabeth Luc) et assez vite, j’ai reconnu l’histoire ; je connaissais le coupable, mais peu importe.

    J’ai souvent confronté un film à l’œuvre littéraire dont il s’inspire – c’est souvent, pour les amoureux des lettres, une déception par rapport aux subtilités du texte et au vagabondage imaginaire de la lecture. Cette fois, allais-je retrouver des images dans ce roman policier ?

    Il débute en pleine réunion du Syndic des examens à l’étranger, pour choisir un nouveau membre. Bartlett, le secrétaire général, a examiné toutes les candidatures et présente les meilleures : en deuxième place, Quinn, « honnête, intelligent, décidé » mais handicapé par sa surdité (comme Colin Dexter lui-même), ce qui plaide à son avis pour Fielding, un historien aux références « exceptionnelles ».

    Le doyen croit l’affaire réglée quand un jeune professeur de chimie, Roope, prend la défense de Quinn, pour ses qualités personnelles et aussi parce que leurs statuts prévoient d’employer des personnes handicapées. Bien sûr, il y aura des problèmes au téléphone, mais Roope rappelle que lors des entretiens avec Quinn, celui-ci « a donné l’impression de (les) entendre parfaitement » (il lit parfaitement sur les lèvres). Au vote, Quinn l’emporte. 

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    Toute une page sur l’évolution d’Oxford et ses « imposantes demeures » (chapitre II) nous renvoie en imagination au somptueux décor de la série télévisée : vieilles pierres blondes, clochers, fenêtres à pignons, bâtiments, porches et cours de l’université…  Le chapitre III s’ouvre sur une phrase à l’ironie bien dexterienne : « Pendant tout le mois d’octobre, la santé de la livre sterling suscita un intérêt universel teinté de mélancolie. »

    Des professeurs s’affairent, d’autres entretiennent une liaison secrète, tandis que Bartlett se fait du souci et maudit cet « imbécile » de Roope à l’approche de la visite des « émissaires de l’émirat de Al Jamara » (l’université ne peut plus se passer des investisseurs étrangers). Enfin Morse apparaît, au chapitre V, en train d’étudier son reflet dans un petit miroir tenu derrière lui par le coiffeur, avant de prendre le bus pour rentrer dans son appartement de célibataire.

    Il en repart aussitôt, appelé au commissariat : « un dénommé Quinn » est mort. Un de ses collègues, inquiet de son absence, l’a trouvé au rez-de-chaussée de la maison où il vivait. Morse se met en route avec le sergent Lewis. Le premier dialogue entre les deux policiers révèle le petit jeu habituel d’escarmouches, Morse se servant de Lewis pour exciter son esprit d’analyse, essayer des hypothèses et à l’occasion, faire preuve d’érudition ou d’autorité, souvent à ses dépens. 

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    L’ironie de cet inspecteur « intelligent, fantasque, misanthrope, alcoolique, mélomane et libidineux, un caractériel autant qu'un caractère » (Le vent sombre) s’exerce aussi face au légiste, qui a du répondant : « – C’est moche, la mort, fit Morse. – Mors, mortis, genre féminin, marmonna le vieux médecin légiste. – Ne m’en parlez pas, répondit Morse en hochant tristement la tête. » Et me revoilà en manque d’images : j’aimerais voir leurs mimiques et les entendre – même si, je l’avoue, je suivais cette série en français où Morse avait la voix de William Sabatier.

    Le professeur Quinn définitivement silencieux, il reste bien d’autres silences dans cette affaire, et des mensonges, c’est la règle – à Morse et à Lewis de faire parler les morts et les cachottiers. Entre prologue et épilogue, Les silences du professeur comportent quatre parties : pourquoi ? quand ? comment ? qui ? 

    Diplômé d’Oxford en 1953, Colin Dexter a enseigné le grec et le latin pendant treize ans dans les Midlands, puis à l’université d’Oxford. Il a publié son premier « Morse » au début des années soixante, Le dernier bus pour Woodstock. Savez-vous que Colin Dexter fait une apparition à la Hitchcock dans chaque épisode de la série télévisée ? A présent, il ne nous reste pour regretter avec nous l’inspecteur Morse que son fidèle sergent, incarné par Kevin Whately, dans Inspecteur Lewis. Ou à suivre, dans un style très différent, le travail des « petites cellules grises » de David Suchet, alias Poirot.

  • Micromanagement

    « Je suis une adepte du micromanagement. Je commence avec la première phrase d’un roman, et je finis avec la dernière. L’idée ne me viendrait jamais de choisir entre trois dénouements différents, car je ne sais pas comment s’achève mon roman avant d’arriver à la fin – ce qui ne surprendra pas mes lecteurs. 

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    © Michaël Borremans The House of Opportunity (Im Rhönlandshaft) 2004
    Stedelijk Museum voor Actuele Kunst, Ghent Courtesy Zeno X Gallery Antwerp
     

    Les adeptes du macroplanning ont déjà pour ainsi dire achevé la construction de leur maison dès le premier jour ; ainsi, leur obsession est interne : ils changent sans cesse le mobilier de place. Ils mettront une chaise dans la chambre, dans le salon, dans la cuisine, puis à nouveau dans la chambre. Les adeptes du micromanagement construisent leur maison étage par étage, discrètement et dans sa globalité. Chaque étage doit être solide, entièrement décoré, avec tout le mobilier bien en place avant de procéder à l’étage suivant. Il y a du papier peint sur les murs du couloir, même si les escaliers ne mènent nulle part. » 

    Zadie Smith, Mille fois sur le métier (Changer d’avis)

  • Changer d'avis

    De Zadie Smith (De la beauté, vous vous souvenez de ce roman ?), le titre d’un recueil d’essais – des conférences, des chroniques – a piqué ma curiosité : Changer d’avis (Changing my mind, 2009, traduit de l’anglais par Philippe Aronson). Née en 1975 d’un père anglais et d’une mère jamaïcaine, l’auteure y a mis cette épigraphe en premier : « Je vais vous dire quand on peut porter un jugement définitif sur les gens : jamais ! » 

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    Dès l’avant-propos, Zadie Smith éclaire le titre choisi pour ces « essais ponctuels » où elle voit son opinion évoluer au fil des ans : « Lorsque vous publiez jeune, votre écriture grandit avec vous – et devant témoins. » Douée pour « le doute et l'interrogation » voire « l’incohérence idéologique », elle a rassemblé ses textes en cinq parties : « Lire », « Etre », « Voir », « Sentir » et « Se souvenir ».

    Quand elle a eu quatorze ans, sa mère lui a offert le roman de Zora Neale Hurston, Une femme noire (étrange traduction de Their Eyes Were Watching God), convaincue que le livre lui plairait. Mais Zadie résistait : devait-elle l’aimer parce qu’elle était noire ? Plutôt méfiante a priori, elle découvre en lisant ce roman ses qualités, la force de caractère de l’héroïne, et reconnaît à cette écrivaine une vertu à laquelle les blancs ont tendance à s’identifier, « l’universel ». 

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    Zadie Smith écrit sur « E. M. Forster ou la voie médiane » en présentant un recueil de ses chroniques à la BBC. C’est une véritable défense de cet écrivain britannique considéré comme « mineur ». Elle loue sa modestie et son empathie par rapport au grand public auquel il s’adressait à la radio. 

    Loin des réserves d’Henry James à l’égard de George Eliot, dans « Middlemarch et nous », elle analyse la composition de ce roman « prolixe » écrit à 55 ans, qualifie l’effet éliotien d’équivalent narratif du « son surround ». Le souci qu’a la romancière de rendre à chaque personnage son intégrité est une des raisons qui font de Middlemarch le roman préféré des Anglais. Zadie Smith aborde aussi Barthes, Nabokov, Kafka, entre autres. 

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    La deuxième partie, « Etre », porte d’abord sur sa propre pratique d’écrivain, qu’elle décrit très concrètement et avec une bonne dose d’autodérision dans une conférence donnée en 2008, « Mille fois sur le métier ». Dans « Glossolalie », lécrivaine métisse reconnaît que son ancienne voix a fini par disparaître sous sa voix actuelle, le ton de Cambridge, et rend hommage à Obama qui a su garder « une double voix ». Entre ces deux textes, « Une semaine au Liberia », pays où elle s’est rendue pour Oxfam en 2006, est une observation sans concession de la situation des habitants dans la désastreuse « république de Firestone ».

    Katharine Hepburn dans Indiscrétions (film de George Cukor) ! Zadie Smith admire entre toutes l’actrice « impérieuse, royale et rousse », son caractère et sa ténacité, son amour pour Spencer Tracy. (C’est elle, dans le rôle de Tracy Lord, qui prononce la phrase citée en épigraphe à propos du jugement.) « Hepburn et Garbo » ouvre magnifiquement la troisième série d’essais, « Voir ». Elle y fait également un beau portrait d’Anna Magnani dans Bellissima de Visconti et des observations désopilantes sur un week-end à la cérémonie des Oscars. 

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    Cary Grant et Katharine Hepburn dans Indiscrétions de G. Cukor (Allociné)

    Après une évocation de « Noël chez les Smith », fête dont sa mère était la gardienne des rituels incontournables, Zadie Smith consacre deux textes touchants à son père, Harvey Smith, à qui son recueil est dédié : « Héros accidentel » sur son engagement volontaire en 1943 – il a participé à la guerre avec « une bonne étoile au-dessus de sa tête » – et « Le dernier rire » sur son goût pour les comiques, si bien communiqué à ses enfants que Ben, le frère de Zadie, en fera sa profession. 

    Cet arrière-plan personnel de l’écrivaine, ses remarques sur l’écriture et la lecture, voilà ce qui m’a le plus intéressée dans Changer d’avis, mais lire les fines observations de Zadie Smith même sur des sujets qu’on ne connaît pas, comme Brefs entretiens avec des hommes hideux de David Foster Wallace, à la fin du recueil – elle lui emprunte sa seconde épigraphe : « C’est à vous de décider en quoi vous croyez » –, permet d’apprécier sa voix singulière dans la littérature anglaise contemporaine.

  • Une arène

    chalandon,sorj,le quatrième mur,roman,littérature française,théâtre,antigone,anouilh,lutte,guerre,liban,beyrouth,amitié,famille,culture« Je suis entré dans le bâtiment par l’ouest de la ligne. Tout était saccagé et superbe. Pas de porte. Un trou dans la façade, enfoncée par un tir de roquette. L’enseigne pendait au-dessus du sol, retenue par des fils électriques. Trois murs seulement. Le quatrième avait été soufflé. Une explosion avait arraché le toit. C’était une arène en plein ciel, un théâtre ouvert aux lions. Les balles pouvaient se frayer un chemin jusqu’au cœur des acteurs. Quatre rangées de fauteuils avaient été épargnées par le feu. Ils étaient de velours et de poussière grise. Les autres sièges étaient écrasés sous les poutres. L’écran avait été lacéré, mais le décor était là, comme promis par Sam, debout dans un angle mort de la scène. – Quand tu le verras, tu seras bouleversé, m’avait-il dit. »

    Sorj Chalandon, Le quatrième mur