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Passions - Page 388

  • Héritage

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    « Oui, c’était une famille complexe, mêlant à parts égales colère et dévouement, pauvres d’esprit et individus entêtés ; c’étaient des bourgeois qui, lorsque j’entrai dans leur société, avaient déjà atteint le stade critique, voire dangereux de l’état bourgeois. Cependant, je leur dois tout ; et il m’est fort difficile d’oublier et d’anéantir en moi leur héritage.
    D’ailleurs, je n’y ai jamais vraiment réussi. »

    Sándor Márai, Les confessions d’un bourgeois

  • Márai le bourgeois

    Les confessions d’un bourgeois (Egy polgár vallomásai, 1934, traduit du hongrois par Georges Kassai et Zéno Bianu, 1993) permettent, en près de six cents pages, de découvrir le parcours personnel, jusque dans la trentaine, d’un écrivain qui ressemble fort à Sándor Márai, le grand romancier hongrois (Les braises, Métamorphoses d’un mariage, Le premier amour, La sœur).

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    C’est un roman qui paraît très autobiographique, le récit d’une éducation, d’un apprentissage, d’une quête. Un aller-retour Hongrie-Europe-Hongrie. Sándor Márai (né en 1900), ou son héros, raconte les lieux, les modes de vie, les expériences qui l’ont marqué, les choix qu’il a faits par rapport à son milieu familial – les ruptures qui l’ont mené à devenir écrivain.

    Il décrit sa ville natale sans la nommer (Kassa/Košice) et l’immeuble où il a grandi, dans un appartement donnant sur la grand-rue, où vivent aussi des Juifs – il parle souvent d’eux, distinguant les familles pauvres, pieuses, chaleureuses, des parvenus, ou notant les attitudes antisémites. Ils partagent le premier étage avec « la banque » dirigée par un oncle, tandis qu’au rez-de-chaussée, on tolère plus qu’on n’apprécie un café qui s’anime le soir, foyer d’alcooliques et de prostituées.

    Sa famille, très attachée à la patrie et au catholicisme, des Saxons d’origine, au service des Habsbourg, a des ancêtres qui ont pris parti pour l’indépendance de la Hongrie dès 1848 et « magyarisé » leur patronyme allemand. Si leur appartement offre des réceptions très soignées, les chambres des enfants « tenaient souvent du cagibi ».

    Son père, fier d’appartenir à la bourgeoisie, tenait à ce que le moindre de ses gestes soit empreint de dignité – un modèle d’élégance et de distinction. Les bibliothèques du séjour s’enrichissaient régulièrement des dernières parutions, de périodiques, qu’un « petit homme voûté » proposait à domicile : « nous l’attendions le cœur battant, puisqu’il apportait au fin fond de notre province la Littérature et la Culture. »

    Observant la vie dans l’immeuble et dans la rue, l’enfant apprend à voir le dessous des choses, les différences de classe, les sentiments réels derrière les convenances. Très vite, il se sent différent, et lorsqu’il se tourne le journalisme, il sait qu’il est « un homme perdu » pour la société bourgeoise, quelqu’un qu’on salue mais qu’on n’invite jamais.  

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    L’été, on le passe dans les villas construites près des forêts de Bankó et du Hradova, en famille. C’est l’occasion de constats sévères : « La plupart des mariages sont des mésalliances. »– « La famille apparaît toujours comme l’un des théâtres de la lutte des classes. » Les siens avaient honte des métiers manuels exercés par le grand-père de sa mère, meunier, et par son père menuisier, même si celui-ci avait terminé sa carrière en « industriel ».

    Le portrait de ce grand-père, mort avant sa naissance, était accroché dans la chambre du narrateur, il constate entre eux « une étonnante ressemblance ». S’il parle surtout de sa famille dans le premier tome, évoquant la réussite des uns, l’échec des autres, l’écrivain raconte ensuite ses études et ses loisirs, ses efforts pour être un enfant sage, puis sa dérive après la naissance de sa sœur qui va occuper la première place.

    En raison de « quelque vague disposition à l’anarchie », il se laisse embarquer dans une bande menée par un jeune vagabond fascinant jouant au roi avec ses esclaves, au mépris de toute pudeur ou morale. Il rêve de devenir l’ami du bel Elemér qui le dédaigne. Il se sent mal à l’aise entre son monde et « la masse informe des pauvres » à traiter « avec bienveillance ». Sa famille craint qu’il finisse mal, et c’est ce qui arrive : à quatorze ans, il fugue et la sanction tombe, on le met en pension à Budapest.

    A partir de là, l’adolescent ne peut plus compter que sur lui-même pour affronter la vie, les autres, les cruautés de la vie de « caserne ». Pas tout à fait : fils de « bourgeois », il sait que son père sera toujours prêt à le soutenir, à payer ses dettes, pour préserver l’honneur de la famille et sans doute aussi, il mettra du temps à le reconnaître, par amour pour son fils.

    Le tome II des Confessions d’un bourgeois raconte sa vie de jeune adulte en Occident : Allemagne, France, Angleterre, Suisse… Sans le sou, il vit plus ou moins de sa plume avec Lola, sa femme. Critique envers tous, et aussi envers lui-même, Sándor Márai retrace le sinueux parcours qui l’a conduit à mener une vie d’homme de lettres curieux de tout ce qui se présente à lui. Et quand il en aura assez de l’Europe, à reconnaître ses racines et à rentrer en Hongrie pour écrire.

  • Hauteur

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    Habitant un cinquième étage, j’ai davantage l’occasion d’observer les toits que les jardins, c’est une bonne hauteur pour observer le vol de certains oiseaux comme les hérons. Toute une colonie niche dans le parc du domaine royal de Laeken (sans doute la plus grande héronnière de Belgique) et ils passent souvent devant nos fenêtres, sans dévier de leur ligne.

    Tandis que corneilles, pies et pigeons se disputent les toitures,  nous voyons depuis quatre ans de plus en plus de toits s’ouvrir dans les environs, se métamorphoser en duplex. De nouveaux logements qui trouveront certainement des amateurs, au rendez-vous de la lumière, du ciel et des oiseaux.

    Illustration : Le héron commun (Buffon) © Editions du Héron

     

     

     

  • Un peu de tout

    En attendant de vous parler de la dernière lecture en cours, des Confessions assez longues, un peu de tout pour ouvrir cette semaine. 

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    Tarier pâtre - Photo : René Dumoulin - http://www.natagora.be/

    Commençons par les oiseaux, même si les nouvelles ne sont pas bonnes de ce côté. Natagora a organisé pour la douzième fois à Bruxelles et en Wallonie le comptage annuel des oiseaux dans les jardins. Les résultats montrent que les dix espèces « les plus courantes » recensées sont de plus en plus présentes, par ordre décroissant : le merle noir, la mésange charbonnière, le rouge-gorge familier, la mésange bleue, la pie bavarde, le moineau domestique, le pinson des arbres, le pigeon ramier, la corneille noire, la tourterelle turque. Mais c’est au détriment des autres « qui régressent parfois de manière dramatique ». Cinq espèces « qui se raréfient » : l’étourneau,  le verdier, le moineau friquet, le bruant jaune, le bruant proyer.

    Au « Grand Charivari », samedi dernier, Philippe Van Parijs a défendu encore une fois son concept de l’allocation universelle, versée à chaque personne adulte, active ou non, à compléter d’un salaire ou d’une allocation selon les situations. A la fin de l’émission, Pascale Seys demande chaque fois à son invité s’il a une devise ou une maxime. Réponse de Van Parijs : « Optimist tot in de kist », optimiste jusque dans le cercueil ! Il faut du temps, au-delà d’une vie d’homme, pour que de bonnes idées deviennent réalité  – le philosophe rappelle la folle idée de John Stuart Mill d’étendre le suffrage universel aussi aux femmes. 

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    Philippe de Woot © Johanna de Tessieres (La Libre Belgique, 7/8/2/2015)

    La Libre de ce week-end donne la parole à Philippe de Woot, docteur en droit et en sciences économiques « pures ». En décalage avec les discours ambiants en Europe, cet économiste passionné (professeur émérite à l’UCL, membre de l’Académie royale de Belgique) pense que la recherche constante des « équilibres » n’est pas la panacée. Reprenant à Joseph Schumpeter le concept de « destruction créatrice » (comme quand Apple et Samsung ont mis au point des téléphones « intelligents » qui ont fait dégringoler Nokia), il explique qu’une entreprise progresse par « rupture » et « innovation ». Lui aussi se dit optimiste : « Je crois aussi en l’espérance qui, en termes économiques, consiste à transformer la créativité humaine en progrès. »

    En ce mois de février, le « mouvement citoyen Musée sans Musée/Museum zonder Museum » compte déjà quatre ans d’existence. « Il est né de l’indignation suscitée par la mise au placard arbitraire – en février 2011 – des collections d’art moderne et contemporain au sein des Musées royaux des Beaux-Arts à Bruxelles ». Effarant. Avec un optimisme qui me paraît cette fois déplacé, le promoteur de la haute tour résidentielle qui dépare à présent la vue de bien des Bruxellois cite dans sa publicité, entre autres avantages, « le futur musée MoMa » près du canal – ou comment gâcher l’espace public en se servant des projets publics.

    Un petit coup de pub, pour terminer gaiement : Ingrid De Houwer, une voisine, « vraie bruxelloise, parfaite bilingue »,  crée du « made in Belgium » fait main, dans des matières 100% naturelles, des collections à découvrir sur Ortensia.be : « Dans le monde actuel, où la mondialisation et la surconsommation sont rois, il faut redonner une place à l’intemporel, le naturel et le local. Dans un monde où tout le travail manuel est délocalisé vers des pays dont la main d’œuvre est moins chère, il est temps de privilégier à nouveau la main d’œuvre locale. »

    Bonne semaine & à bientôt.

  • Ensemble

    « Seuls ceux qui survivent à une mort se retrouvent véritablement seuls. Les liens qui constituaient leur existence – les plus profonds comme les plus insignifiants en apparence (jusqu’à ce qu’ils soient rompus) – ont tous disparu. didion,joan,l'année de la pensée magique,récit,autobiographie,littérature anglaise,etats-unis,mort,couple,famille,séparation,deuil,écriture,cultureJohn et moi avons été mariés pendant quarante ans. Tout ce temps, excepté les cinq premiers mois de notre mariage, quand John était encore au magazine Time, nous avons travaillé chez nous. Nous étions ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui inspira toujours un mélange de joie et d’inquiétude à ma mère et à mes tantes. « Présent pour le meilleur ou pour le pire, mais jamais pour le déjeuner », me disait souvent l’une ou l’autre, les premières années. Impossible de compter toutes les fois, au cours d’une journée ordinaire, où il se passait soudain quelque chose qu’il fallait que je lui raconte. Ce réflexe n’a pas disparu avec sa mort. Ce qui a disparu, c’est la possibilité d’une réponse. »

    Joan Didion, Lannée de la pensée magique

    Photo : L’année de la pensée magique, Booth Theater, mise en scène David Hare, Vanessa Redgrave dans le rôle de Joan Didion