Œil ouvert et cœur battant de François Cheng invite à la contemplation. Merci à Colo qui l’a cité sur Espaces, instants et me l’a donné à lire. Deux textes : un discours prononcé en 2010 au Collège des Bernardins et un Discours sur la Vertu à l’Académie française en 2007. Vous avez peut-être entendu l’écrivain franco-chinois parler de la beauté et de l’âme à La Grande Librairie il y a peu.
« Comment envisager et dévisager la beauté ? » Dans le mystère de notre « présence au monde », deux extrêmes : « celui du mal et celui de la beauté ». Le mal que des hommes infligent à leurs semblables est le plus terrifiant. L’énigme de la beauté – « A côté du vrai, du bon, le beau apparaît comme un luxe, un surplus, voire un superflu » – vient de ce que « l’univers n’est pas obligé d’être beau ». Il pourrait être uniquement fonctionnel, mais ce ne serait plus « la Vie ». Chaque être, fleur ou arbre, est unique et « virtuellement habité par la capacité à la beauté, et surtout par le « désir de beauté » ».
Voilà pour François Cheng où commence la beauté, par la « présence » ; « entre les présences qui ne cessent d’échanger circule le souffle de l’infini ». Et de s’arrêter sur le mot « sens », « diamant du vocabulaire français », une seule syllabe et trois définitions : sensation, direction et signification, « les trois étapes, ou les trois étages, de notre existence ».
A propos de la beauté physique, Cheng mentionne ce qui contribue à celle du visage humain : « regard, sourire, voix, etc., tous attributs qui relèvent déjà de la conquête de l’esprit. » Quant à la beauté « du cœur, ou de l’âme », celle-ci est d’un autre ordre, éthique, spirituel. Ainsi rapproche-t-il beauté et bonté, les saints et les artistes qui « font profession de dévisager la beauté ». L’art exige une vision profonde, mobilise le corps et l’esprit. « Si l’esprit raisonne, l’âme, elle, résonne. »
Cheng parle de peintres, compositeurs, écrivains, et de nous : « tous nous avons part à la beauté ». Pas d’art de vivre sans émerveillement devant les beautés du monde, des plus humbles aux plus grandes. Et pour questionner la beauté, l’écrivain propose un détour par la peinture chinoise, ces rouleaux « représentant d’immenses paysages, dans lesquels toujours figurent un ou plusieurs petits personnages » (le texte est suivi de neuf illustrations).
De son Discours sur la Vertu (sur le site de l’Académie française), une phrase : « Car à une époque comme la nôtre, où règne souvent le cynisme, ou un hédonisme sans frein, celui qui se propose de chanter la vertu n’a pas forcément le beau rôle ; il court tout de même le risque de se montrer plus ou moins naïf. » Le beau et le bon y reviennent à travers « quatre excellences » célébrées en Chine : le bambou, l’orchidée, le prunus, le lotus (ou le chrysanthème, une variante).
« François Cheng : un cœur qui écoute, une voix qui peint, une main qui caresse, un visage qui contemple et même, à travers les larmes, sourit. » (Antoine Guggenheim, Avant-propos). Un sage qui communique avec les fleurs et les arbres – et les hommes.