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  • Schwer

    ondaatje,ombres sur la tamise,roman,littérature anglaise,canada,londres,suffolk,après-guerre,famille,adolescence,secrets,clandestinité,culture« Dans ses partitions, Mahler donne parfois l’indication schwer. Pour « difficile », « pesant ». C’est le Papillon de nuit qui nous l’expliqua, comme pour nous mettre en garde. Nous devions nous préparer à de telles éventualités pour pouvoir les affronter efficacement, rassembler rapidement nos esprits. Nous connaissons tous de tels moments, répétait-il. De la même façon qu’aucune partition ne repose sur une seule note ou un seul mouvement de la part des musiciens. Il arrive qu’une partition privilégie le silence. Etrange mise en garde, en vérité. Admettre que plus rien n’est sûr… « Schwer », disait-il en traçant les guillemets dans l’air avec ses doigts. Nous articulions silencieusement le mot et sa traduction. Sinon, nous nous contentions de hocher la tête avec une reconnaissance empreinte de lassitude. Ma sœur et moi prîmes l’habitude de répéter le mot, comme des perroquets. « Schwer ».

    Michael Ondaatje, Ombres sur la Tamise

  • Sur la Tamise

    Michael Ondaatje doit sa célébrité à L’homme flambé (Le Patient anglais), Booker Prize 1992. Son dernier roman, Ombres sur la Tamise (Warlight, 2018, traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné), s’ouvre sur un abandon : « En 1945, nos parents partirent en nous laissant aux soins de deux hommes qui étaient peut-être des criminels. »

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    Nous ? Nathanael, quatorze ans, le narrateur, et sa sœur Rachel, seize ans. Ils habitent à Londres et sont stupéfaits quand leur père annonce en août que leur mère et lui vont s’installer à Singapour pour un an – une promotion. Un collègue, leur locataire, qu’entre eux les adolescents appellent le Papillon de Nuit, prendra soin d’eux. Un arrangement bizarre, leur semble-t-il, mais l’après-guerre est une période déroutante et ils acceptent la décision « ainsi que le font les enfants ».

    Après avoir emmené Nathanael avec lui au bureau une dernière fois, en haut d’un immeuble où il lui montre sur une carte immense les villes qu’il survolera, son père part seul finalement. Leur mère restera près d’eux jusqu’à la fin de l’été. Ils ne savent pas grand-chose de la vie de leurs parents, leur mère préfère leur raconter les histoires de chevaliers des légendes arthuriennes.

    « Quelqu’un est soumis à une épreuve. Personne ne sait qui possède la vérité. Les gens ne sont pas ce que nous pensons, ne se trouvent pas là où nous pensons. Et quelqu’un nous observe d’un lieu inconnu. » Voilà qui pourrait résumer Ombres sur la Tamise. Leur mère se met à leur parler de son enfance dans le Suffolk et de « la famille sur le toit ». Des couvreurs, un barbu et ses fils, étaient venus refaire leur toit de chaume, mais le benjamin était tombé du toit et s’était cassé la hanche. Il était resté chez eux sur un lit jusqu’à la fin des travaux et leur mère, huit ans, lui servait ses repas, lui apportait un livre.

    Le Papillon de nuit et leur mère ont des connaissances communes. Les enfants aimeraient savoir ce qu’il a fait pendant la guerre. La seule chose qu’ils apprennent, c’est que leur mère et lui ont travaillé comme « guetteurs d’incendie » sur le toit d’un hôtel. « Pendant qu’il parlait, ma mère était si attentive, si entièrement absorbée par son récit d’ombre qu’elle avait tenu le fer en suspens dans sa main droite par crainte de brûler un col. »

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    A certains détails, Rachel et son frère devinent qu’elle possède « des aptitudes cachées ». Ils sont enchantés de voir leur mère jusque-là « efficace, aux gestes vifs, qui se rendait au travail quand [ils partaient] à l’école », plus affectueuse, présente, joueuse même. Elle les surnomme « Stitch » et « Wren », prépare sa grande malle, puis soudain, plus tôt que prévu, sans explications, s’en va.

    Très vite après la rentrée, Rachel et Nathanael écrivent pour supplier leurs parents de les retirer du pensionnat. Leurs écoles sont peu éloignées, ils finissent par trouver le moyen de rentrer chez eux. A leur grande surprise, le Papillon de nuit n’y est pas seul, mais en compagnie d’un ancien boxeur, « Le Dard », qui les quitte rapidement. Le lendemain, leur tuteur les accompagne à l’école : ils seront dorénavant externes, sans que leurs parents aient été consultés.

    Commence alors une tout autre vie. Le Papillon de nuit n’aime pas cuisiner, il les emmène manger dehors et les enfants découvrent un homme secret mais curieux de tout, très à l’aise en ville et aux activités incertaines (et en ce qui concerne le Dard, tout à fait douteuses). Un jour, Rachel découvre au sous-sol, sous une bâche, la malle de voyage de leur mère. Choquée, elle claque la porte et disparaît. A son frère, leur tuteur concède que leur mère n’est pas partie rejoindre leur père, mais dit ignorer où elle se trouve. Il lui promet de rester avec lui jusqu’à ce qu’elle revienne.

    Le Papillon de nuit qu’ils pensaient « rangé et timide » leur paraît désormais « dangereux, lourd de secrets ». Rachel change : « J’eus l’impression, pour ma part, qu’elle avait franchi une rivière et qu’elle était désormais loin de moi, ailleurs. » En compagnie du Dard, ils découvrent sur un bateau de pêche aux moules la navigation sur la Tamise et les trafics clandestins qui s’y déroulent à la faveur de la nuit.

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    Des femmes apparaissent dans cette vie-là, comme une chanteuse d’opéra et surtout Olive Lawrence, géographe et ethnographe, dont le garçon admire le calme, la curiosité, les connaissances. Bien que « passagères et brèves », ces amitiés remplacent la vie de famille et font découvrir à Nathanael « le plaisir singulier que procure la compagnie des femmes ».

    Le narrateur écrit « des années après les faits » dans la solitude de sa maison au jardin clos, « à l’abri du passé ». Livrés à la troublante révélation de l’incertitude, Nathanael et Rachel s’interrogent sur les gens qu’ils rencontrent et sur leur mère absente. Warlight, le titre original d’Ombres sur la Tamise, met la guerre au cœur de ce roman de l’obscurité, un récit d’apprentissage doublé d’un grand suspense. On n’oubliera pas ses étonnants personnages, ces jeunes quasi livrés à eux-mêmes ni leur mère, ni le Londres nocturne, inédit, ni les lévriers des paris clandestins qui s’appuient, tremblants, contre Nathanael en route vers on ne sait où.

    * * *

    P.-S. Pour info, je vous signale "Roues libres",
    un court métrage de Jacinthe Folon,
    ce soir à 22h57 sur La Trois (RTBF, 3 min.)

  • Frontière

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    « Le Rhin fut la première frontière qu’il m’ait été donné de connaître. Une frontière sans cesse présente. Elle m’aura enseigné l’ici et le là-bas. Elle opposait à « notre » rive, avec ses fabriques, ses baraquements, ses trains de marchandises et sa rusticité villageoise qui se désagrégeait inexorablement, un au-delà où le soleil se couchait. »

    Esther Kinsky, La rivière

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    Une expo, une lecture, ce seront les sujets suivants.
    En passe de franchir les frontières pour un séjour dans le Midi,
    je ne pourrai répondre à vos commentaires.
    Prenez bien soin de vous.

    Tania

     

  • A la rivière

    C’est un récit tout en descriptions, ses chapitres ont des lieux pour titres, parfois précédés d’une photographie. Lire La rivière d’Esther Kinsky (Am Fluss, 2014, traduit de l’allemand par Olivier Le Lay), c’est l’accompagner sur les berges, celles de la rivière Lea près de laquelle elle s’est installée, au nord de Londres, celles du Rhin de son enfance, du Saint-Laurent, du Gange même ou d’un ruisseau de Tel-Aviv, au cours de ses pérégrinations.

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    « La langue de ce livre est un phénomène », selon Die Zeit, cité en quatrième de couverture. Dans la traduction française aussi. Esther Kinsky déploie une vision, des paysages, le spectacle du monde dans un style éminemment visuel. Un peu chamane, la narratrice réussit en quelques pages – lisez l’incipit – à faire épouser son regard sur les choses, les gens, l’espace ; elle envoûte.

    Les couleurs – « un demi-jour turquoise », « un bleu profond et vaporeux », « un vert irisé de bleu » –, les mouvements – « surgi », « déployé », « effleuré » –, les détails d’une tenue, d’une coiffure, tout est nommé avec justesse. Où peut-on s’envelopper ainsi dans une écharpe de mots qui déroule la saison, le passage des heures, les arbres et les rues, les passants, les bruits d’un quartier qu’on traverse ? Oui, comme vous, je pense à Marcel Proust : Esther Kinsky, à sa propre manière, entremêle à sa vision du monde des émotions intimes.

    Sur les photographies, une dizaine de paysages en tout, personne – ce sont des lieux comme abandonnés, parfois des constructions humaines y apparaissent en arrière-plan ; sur une seule figure l’ombre tronquée de la photographe. Dans le récit, certains personnages sont parfois mis en avant, rarement elle-même. Le plus souvent, ils se fondent dans le décor.

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    Incipit à lire en ligne.

    Je m’attarde sur des impressions, au lieu de raconter. Reprenons. « J’ai rencontré le Roi dans les derniers temps de mon séjour à Londres. » Une femme solitaire vit dans un quartier de juifs pieux, en face d’une épicerie, installée « dans le provisoire, en un lieu où je ne connaissais personne dans le voisinage, où les noms des rues, les odeurs, les vues et les visages m’étaient inconnus, dans un appartement sommairement agencé où j’allais poser ma vie pour un temps. »

    « Quand je dormais, je rêvais des morts ; de mon père, de mes grands-parents, de certaines connaissances. » Au fil des saisons, elle observe tous les détails « dans la cour, dans le jardin, au sein de la petite portion de rue qui s’ouvrait entre deux maisons. Et j’apprenais la lumière. » Elle se promène dans les environs, découvre Springfield Park où des femmes africaines circulent dans leurs robes « chamarrées », puis par-delà ces espaces entretenus, au pied du versant, « des arbres, la rivière au cours étroit que bordaient lointainement des roseaux, des marais, des prairies, des saules. »

    La rivière Lea, sa source, sa course jusqu’à la Tamise : son regard s’attarde sur « un petit cours d’eau peuplé de cygnes ». Un village de péniches. Un bois d’aulnes « à demi sauvage où les brumes se concentraient, les jours de grand froid. » De petits territoires qui l’attirent, où écouter les oiseaux en revoyant sa grand-mère à sa fenêtre imitant leurs chants, où marcher et observer : « la marche et l’observation seules savaient puiser aux eaux résurgentes de la mémoire, parmi les alluvions d’images et de sons, dans la toile des mots anciens entremêlés. » Elle y emporte un vieil appareil polaroïd.

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    « Rhin », le chapitre trois, raconte le fleuve de son enfance : « Dans un monde épris d’ordre, le fleuve n’était que mouvement, surprise et chaos. » Son père y était très attaché, « ne manquait pas une occasion de prendre le bac ». Le Rhin coule à l’arrière-plan de certains portraits de famille, son père aimait photographier ses enfants « sur le bac ou au bord de la rive ». Les deux chapitres suivants s’intitulent « Marche » et « Chambre noire ».

    Puis ce seront les marécages de Walthamstow Marshes, l’unique visite de son père à Londres, leur promenade sur les quais de la Tamise, sa mort l’été suivant. Elle avait alors un emploi provisoire de traductrice (du russe, du serbo-croate) au sein du Jewish Refugee Committee. A Londres, elle a vécu d’abord dans un petit pavillon, une rue « bordée de maisonnettes semblables, érigées là un siècle plus tôt et si fragiles qu’il leur avait fallu apprendre à se serrer les coudes. » Elle marchait seule dans la ville, photographiant des riens, ou le long du fleuve.

    Esther Kinsky tisse les fils de ses promenades, de ses souvenirs, de ses observations dans un récit tout en mouvement. Elle voyage au Canada, mentionne son enfant avec qui elle dort dans le wigwam d’une amie décidée à vivre dans la forêt. Plus tard en Israël, en Inde. Elle se souvient de la Pologne, de l’Oder. Une blanchisserie à Londres, « le petit théâtre d’ombres nocturne » à une fenêtre, un incendie dans sa rue prennent place dans le récit aussi naturellement que le cours de la rivière Lea à laquelle elle revient toujours.

    Ce ne sont là que quelques repères dans cette « errance poétique » où la narratrice se souvient de son enfance et de son père, où elle croise d’autres déracinés qui s’arrangent comme ils peuvent avec un monde où ils ne sont que de passage. Dans Télérama, Aurélien Ferenczi nous apprend qu’Esther Kinsky, née en 1956, a traduit entre autres « Thoreau, compagnon de route de la vie au grand air. » La rivière, vous l’avez compris, est un texte rare, sans intrigue, un récit où la précision n’enlève rien au mystère, une œuvre mobile et contemplative.

  • Jeune Epouse ou non

    D’une jeune épouse dont le mari s’écarte après les épousailles (Miniaturiste de Jessie Burton) à La Jeune Epouse d’Alessandro Baricco (2015, traduit de l’italien par Vincent Raynaud), il y a bien quelques ressemblances : au début du roman, celle-ci aussi, dix-huit ans, entre dans sa nouvelle et riche demeure sans mari pour l’y accueillir. Il est à l’étranger. Diverses livraisons inattendues sont ressenties comme des annonces.

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    Pour le reste, les romans sont très différents. Les personnages de Miniaturiste ont un nom, ceux de Baricco un rôle : « Le Père, la Mère, la Fille, l’Oncle. » « Temporairement à l’étranger, le Fils. Sur l’Ile. » Modesto porte un prénom (symbolique), lui qui « officie » dans cette grande maison depuis cinquante-neuf ans (Baricco aime les nombres premiers) et évalue chaque matin la couleur du jour avant d’ouvrir les portes de ses maîtres pour la leur annoncer : « Bonjour. Soleil voilé, brise légère. »

    Une grande tablée se rassemble au somptueux petit déjeuner (on est loin du petit déjeuner frugal des Brandt à Amsterdam, on y sert même du champagne) par lequel cette famille bourgeoise italienne fête chaque jour sa renaissance. Depuis cent treize ans, « tous dans notre famille sont morts nuitamment, faut-il préciser. »

    Alessandro Baricco aime les jeux du langage. Il passe de la troisième personne à la première, décrit et raconte, fait soudain intervenir un narrateur qui nous attire dans un autre temps : « Puisque j’ai désormais commencé à raconter cette histoire (et ce malgré la troublante suite de péripéties qui m’ont affecté et qui décourageraient quiconque de se lancer dans pareille entreprise) (…) ».

    On découvre peu à peu les us et coutumes de « la Maison », les façons d’être de chacun des membres de la famille. La jeune fille, « là où elle avait imaginé entrer comme épouse », se retrouve « sœur, fille, invitée, présence appréciée et objet décoratif ». Modesto l’initie aux règles des lieux, qui découragent la lecture : « Chacun dans la Famille se fie entièrement aux choses, aux personnes et à soi-même. Nul ne voit la nécessité de recourir à des palliatifs. »

    Un jeudi sur deux, le Père se rend à la ville, passe à la banque et chez ses fournisseurs, déjeune, s’offre « une promenade élégante » et conclut sa journée au bordel. La sensualité, le sexe, dans cet autre roman sans nuit de noces, s’imposent dans la vie de la jeune épouse ou non par l’intermédiaire des autres personnages, tour à tour. De façon obsessionnelle, comme le fait remarquer un jour au narrateur une visiteuse, L., effrayée de sa solitude, de l’ordre maniaque qui règne chez lui. A la lecture de son manuscrit, elle s’étonne : « Pourquoi tant de sexe ? / Que veux-tu dire ? / Il y en a presque toujours, du sexe, dans mes histoires. / Oui, mais là, c’est une obsession. / Tu trouves ? »

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    Alessandro Baricco n’atteint pas dans La Jeune Epouse, à mon avis, l’unité de ton et la justesse du tempo qui enchantent dans Novecento : pianiste, Soie ou Mr Gwyn. On reconnaît bien sa manière, son goût de surprendre, son écriture jouissive, mais j’ai l’impression que le récit lui a échappé, que lui-même s’en éloignait puis le reprenait, sans trouver vraiment la forme qu’il voulait lui donner. « Metaletteratura », commente un lecteur italien.

    * * *

    Nafissatou Thiam nous avait épatés l’an dernier
    en remportant l’or aux JO de Rio.

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    Photo La Libre.be

    Hier, à Londres, elle a de nouveau été la meilleure à l’heptathlon :
    la première Belge championne du monde d’athlétisme.

    Bravo, Nafi, tu es For-mi-da-ble !