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Bruxelles - Page 106

  • Côté rue

    Même là où nous sommes déjà souvent passés, un jour ou l’autre, question de lumière ou d’humeur, un détail attire soudain l’attention. Cela m’arrive régulièrement quand je flâne dans ma commune au hasard des rues. Et chaque fois, excusez-moi de le répéter, Schaerbeek me fait de l’œil : il y a tant à voir quand on a le temps de s’attarder. 

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    Une énigme, pour commencer : ce « door ons, voor ons » (par nous, pour nous) inscrit dans la pierre en haut d’un pilastre, rue d’Anethan, derrière l’église Sainte Elisabeth. Cette maison rénovée abrite aujourd’hui une asbl d’aide à l’enfant, gérée par la communauté flamande. Je serais curieuse de connaître l’ancienne affectation de ce bâtiment et son histoire. 

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    Dans une autre artère qui part de la Cage aux Ours (nom populaire mieux connu à Bruxelles que celui de la place Verboekhoven) – je vous parlerai une autre fois de sa métamorphose en cours, l’installation récente d’une passerelle métallique au-dessus du chemin de fer commence à faire jaser, pour des raisons esthétiques autant que budgétaires, le retard apporté aux finitions du site n’arrangeant rien –, la commune a placé sous la plaque de rue une brève notice sur l’artiste dont elle porte le nom, ici Jean-François Portaels, un peintre belge. Tout près, ce bel encadrement sculpté dans la pierre bleue, de style art nouveau, garde aussi son mystère qu’une photo trouvée sur Wikimedia n’éclaire pas. Tout renseignement vous vaudra ma gratitude.

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    Les Schaerbeekois qui passent par là – ne disons pas où, il ne faudrait pas attirer les coquins – ont déjà tous repéré ce nouveau membre de la Cité des Anes, qui décore joliment la cour d’une maison (la photo date de l'été dernier). Un clin d’œil à Camille et Gribouille, nos chères mascottes du parc Josaphat, qui ont de nouvelles attributions « au secours de l’environnement », ai-je lu dans Info Schaerbeek : les souffleuses de feuilles y ont été bannies, pour le confort des promeneurs et l’économie, je suppose.

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    De temps en temps, je photographie des arbres par-ci par-là. En automne, certains sont encore plus remarquables, mais ce sera pour un autre billet que je projette d’écrire. Voici tout de même un feuillage de saison, n’est-ce pas que la rue en est enchantée ?

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    Les portes et les fenêtres dessinent le visage d’une façade, j’aime les observer. Ici un splendide auvent de pierre surmonté d’un sgraffite, commande d’un franc-maçon, comme l’indiquent l’équerre et le compas. Là les courbes du fer forgé dessinent un panier fleuri au-dessus d’une porte ; les grilles décoratives qui protègent les vitrages ou entourent les cours et jardinets font parfois le cachet d’une rue.

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    Des campagnes de sensibilisation attirent de temps à autre l’attention sur ce petit patrimoine qui embellit un bâtiment, riche ou modeste. Bien l’entretenir est la meilleure façon de le préserver d’une restauration coûteuse ou pire, d’une disparition pure et simple. Certains propriétaires le négligent. Heureusement, d’autres bichonnent ces détails décoratifs. La Région bruxelloise offre une aide aux particuliers, qui l’ignorent trop souvent.

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    C’est parfois tout en haut que résident les plus beaux atours d’une façade. Que dites-vous de ces superbes sgraffites art nouveau, ces femmes des quatre saisons, sans doute de Paul Cauchie ? Si vous ne le connaissez pas, je vous conseille de visiter un jour la maison du plus célèbre des sgraffiteurs bruxellois, à Etterbeek.  

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    Enfin, à hauteur des passants, s’ils ne sont pas perdus dans leurs pensées ou trop pressés, de belles choses se présentent qui méritent un regard, un sourire, comme ces corbeilles de roses qui nous charment à toutes les saisons. Peut-être voulaient-elles signifier à l’origine que le commanditaire avait les moyens, ou du goût pour l’artisanat. Qu’importe aujourd’hui : ces fleurs de pierre nous offrent, à chaque passage, un certain parfum d’autrefois.

  • Planète bleue

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    Sphères © Russell Crotty / Dessins © Desmond Lazaro

    « Vue à grande distance, la Terre présente différentes couleurs mais le bleu y est largement dominant en raison de l’oxygénation de l’atmosphère qui l’entoure. D’où l’expression « planète bleue » devenue courante pour la désigner à partir des années 1960, c’est-à-dire à partir des premiers voyages dans l’espace. Mais les poètes avaient précédé les cosmonautes : dès 1929, Paul Eluard chantait dans un poème célèbre : « la Terre est bleue comme une orange ».

    Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d’une couleur, Seuil, 2000. 

    ***

    « La route bleue - Périples et beautés, de la Méditerranée à la Chine »
    Villa Empain, Bruxelles, 27 septembre 2013 – 9 février 2014. 

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    Lumière née de la lumière © Bang Hai Ja

     

     



     

     

  • La route bleue

    Une autre expo bruxelloise en cours, à la Villa Empain déjà présentée ici, porte ce beau titre : « La route bleue ». On pense à la route de la soie, et c’est bien des avatars du bleu entre Orient et Occident – « Périples et beautés, de la Méditerranée à la Chine » – que nous parle cette sélection d’objets d’hier et d’aujourd’hui, fidèle au principe de la Fondation Boghossian. Un voyage dans la couleur aujourd’hui préférée des Occidentaux, comme le rappelle souvent Michel Pastoureau qui lui a consacré un de ses beaux livres (son « Vert » sera publié bientôt). 

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    La Villa Empain vue du jardin 

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    Chaque jour © Betty de Paris 

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    © Betty de Paris

    A droite de l’entrée, un salon présente des variations de Betty de Paris sur l’indigo – ce bleu végétal venu d’Inde – dont elle décline les nuances dans une série d’œuvres textiles, comme ce grand damier bleu et blanc en guise de store ou cette pelote de fil de ramie intitulée « Chaque jour ». 

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    © Raed Yassin

    Le grand hall ne manque jamais son effet, avec la grande baie vitrée du salon d’honneur qui donne sur la piscine et le jardin, mais le regard monte aussitôt vers les nymphéas d’Isabelle de Borchgrave suspendus dans l’air, feuilles et tiges bleues portant des fleurs blanches qu’on appréciera mieux d’en haut, une belle installation de cette artiste belge connue surtout pour ses robes anciennes en papier. Devant soi, on croit voir de grands vases chinois classiques ; de près, ces porcelaines fabriquées en Chine par des artisans locaux révèlent des motifs surprenants : Raed Yassin, né à Beyrouth en 1979, les a ornés de scènes de la guerre au Liban. 

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    Sèvres et Limoges (Cité de la céramique)

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    Plat d'Iznik, faïence, 1550-1560

    De part et d’autre, de précieuses pièces de céramique ancienne sont présentées dans des vitrines – vase florentin du XVIe siècle, porcelaines de Limoges, de Sèvres ou de Nevers, plats d’Iznik, vases de Chine ou du Japon… – en compagnie d’œuvres contemporaines comme la barque dressée d’Andrey Zouari ou les cercles de papier du dessinateur portugais Rui Moreira. 

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    © Arlette Vermeiren 

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    Détail© Arlette Vermeiren

    J’ai retraversé le hall pour aller contempler de près une de mes préférées parmi les œuvres exposées, aussi lumineuse qu’un vitrail : des papiers noués d’Arlette Vermeiren, une artiste bruxelloise qui s’est inspirée des itinéraires de la route de la soie, de la Méditerranée vers la Chine. Devant une large fenêtre, ses papillons de papiers noués colorés en bleu, avec des reflets d’or et d’argent, parfois du vert ou du rouge, volent et voilent la lumière du monde – c’est somptueux. 

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    Nymphéas © Isabelle de Borchgrave

    A la fenêtre de l’escalier qui mène à l’étage, une œuvre sur verre commandée récemment par la Villa Empain à la Coréenne Bang Hai Ja s’intitule « Lumière née de la lumière ». En haut, deux beaux disques de céramique calligraphiés par Alechinsky se répondent de part et d’autre du vide où flottent les nymphéas. 

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    We are so lightly here, 2009 © Hale Tenger

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    Blue Coconut Palm Leaf, 2012 © Desmond Lazaro

    Dans les salles plus intimes disposées tout autour, il reste beaucoup à découvrir, autant d’approches du bleu que d’œuvres, spectaculaires ou discrètes comme ce minuscule parachutiste en bronze, acrylique et émail, que Hale Tenger a déposé au centre d’un coussin de soie blanc – l’image est forte et elle m’a émue, j’ai aussitôt pensé aux parachutistes belges dont l’avion s’est écrasé il y a peu. L’artiste turque y propose une réflexion « sur la fragilité de la vie, entre la naissance et la mort ». En effet. 

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    © Yoshiro Kimura

    Dans cette pièce, des pigments bleus et or de Desmond Lazaro, des sphères ornées de paysages et d’écritures de Russell Crotty inspiré par les astres. Parmi les céramiques montrées à l’étage, ne manquez pas les porcelaines de Yoshiro Kimura, avec des effets extraordinaires de vagues en surface. 

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    © mounir fatmi

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    Veste de fonctionnaire civil, Musée Guimet

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    Sari Jamdani (détail), Musée Guimet

    Plus loin, un triptyque de mounir fatmi (la résistance de lartiste marocain aux traditions va jusqu’au refus des majuscules) a nécessité plus d’une centaine de tapis de prière, ainsi détournés vers la création artistique. En face de ce collage, en vitrine, une magnifique « veste de fonctionnaire civil » en satin de soie indigo (Chine, dynastie Qing, XIXe) a été prêtée par le Musée Guimet, de même qu’un « sari jamdani » en mousseline de coton brodée de fils blancs d’une extrême finesse. 

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    Des peintres sont présents sur « La route bleue » : d’Alechinsky encore, une belle toile, « Parole d’eau » ; « Le cheval de cirque » de Miró, du musée d’Ixelles ; un Yves Klein, pour les plus connus.  Dans une pièce consacrée aux parures anciennes, vous verrez d’extraordinaires bijoux réalisés avec des plumes de martin-pêcheur, très prisées dans l’aristocratie chinoise, emblèmes de fidélité conjugale : épingles à cheveux, broches, coiffes portées lors des grandes occasions. A côté, la sculpture « Indigo shadow » d’Abdulrahman Katanani évoque la cueillette de la plante à partir de laquelle se fabriquait la couleur. 

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    Pour ne pas être trop longue, je me contente de citer encore deux artistes en harmonieuse cohabitation (photo ci-dessus), Anne De Bodt avec les légères et subtiles embarcations de sa « Flottille » et Mahmoud Hojeij, « Re Palestina », une série de tirages photographiques déclinant les bleus du ciel et de la mer, du plus clair au plus sombre. D’autres photos et installations vous attendent dans l’escalier qui mène au sous-sol, je vous en laisse la surprise. 

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    © Tarek Al-Ghoussein - Courtesy of The Third Line, Dubaï

    Pour conclure, cette formule de Guy Duplat dans La Libre : « une exposition exquise de beauté et de finesse, mêlant art contemporain et ancien avec les arts décoratifs. Les yeux rivés sur l’Orient, proche et lointain. » Et cette phrase de Philippe Jaccottet citée dans son article : « Et le bleu n’est plus une matière, c’est un songe. »

  • Légèrement rasants

    « Ils avaient vingt ans, un ardent désir de me charmer les portait, ils seraient physicien, ingénieur et historien d’art, pas médecin car la faculté de médecine avait été transportée en banlieue, mais ils ne m’amusaient pas. Allons ! je vivais ce dont toute femme rêve et que j’avais vu cent fois dans les films, j’étais, enfin ! la petite merveille qui ravage, me voir était me vouloir, ils tendaient vers moi des mains avides et des cœurs palpitants, le choix m’appartenait : je les trouvais légèrement rasants. Il est certain que, quatre-vingts ans plus tôt, je flambais : là, je bâillais. Je n’avais plus l’âme adolescente, il ne me suffisait pas de les trouver beaux ou de sentir l’élan qui les portait vers mes charmes.

    Ou bien…

    Je me souvins de moi. Jeune fille, j’avais souvent trouvé mes contemporains ennuyeux. Ils manquaient de culture, ils étaient obsédés par leurs études, ils n’y pensaient pas assez, ils parlaient football et me trouvaient bizarre quand je parlais Racine. En fait, j’avais écouté ceux-ci avec l’intérêt bienveillant d’une centenaire attentive. Je n’y pouvais rien, je l’étais. »

    Jacqueline Harpman, Le temps est un rêve

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  • Vingt ans à nouveau

    Avez-vous un moment pour rêver avec Jacqueline Harpman ? Quand j’ai aperçu Le temps est un rêve, à la bibliothèque, ce titre m’a d’abord rappelé Ghelderode (La Flandre est un songe) et puis j’ai emporté chez moi cette pochade publiée en 2002, la même année que La dormition des amants – on verrait bien. 

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    La psychanalyste a laissé libre cours à son imagination pour présenter ce texte sous un « avertissement de l’éditeur » : signé Stéphane Lambert, celui-ci cite une lettre où l’auteure prétend avoir trouvé « une pile de feuilles » qu’elle n’a pas écrites mais qui semblent bien d’elle – qu’il en fasse ce qu’il veut ! « L’histoire était invraisemblable, mais c’était peut-être la vérité. » Allons-y.

    A peine ses 104 ans célébrés dans la gériatrie (en 2033) où l’ont installée ses filles, « la fée » rend à Jacqueline Harpman le corps de ses vingt ans, amélioré selon ses désirs : une femme élancée, une somptueuse chevelure blond cendré, des yeux verts, « un teint d’ambre pâle, des mains à la Greco et des seins à la Botticelli ! »

    Jolie et en bonne santé, il n’est plus question pour elle de rester à l’hospice, et tant pis si elle n’a que du gris à porter pour se sauver en pleine nuit, se faisant passer pour la petite-fille de la centenaire qui se serait attardée pour veiller sur son sommeil. Après avoir marché un peu dans Bruxelles, elle trouve un taxi et se fait conduire au Hilton, où elle prétend s’être fait voler sac et valise à la gare. Sa bonne mine inspire confiance (elle réglera sa note le lendemain) et c’est devant le miroir d’un appartement au quinzième étage qu’elle fait le point.

    Comment vivre avec cette beauté parfaite dont elle a toujours rêvé, qui fait impression sur les autres, comme si elle était Oriane, la duchesse de Guermantes, ne fût-ce que sur le serveur du petit déjeuner qu’elle dévore avec appétit ? « Le premier repas d’une ressuscitée est admirable ». Très vite surgissent les questions pratiques : il lui faut du liquide pour ne pas se faire repérer, et au petit matin, elle file par l’escalier de service en quête d’un distributeur – heureusement, elle a emporté ses cartes de crédit.

    Elle a bientôt acheté un sac à bandoulière pour y ranger son argent. Il lui faut à présent une nouvelle identité et sans doute un gagne-pain : sa disparition a dû être signalée, ses filles (presque soixante-dix ans) averties. Et ensuite une nouvelle garde-robe. Boutiques, agences bancaires, la voilà pourvue du nécessaire pour quelque temps, un peu effrayée de se reconnaître aussi prévoyante et réfléchie qu’avant, alors que la jeunesse permet toutes les fantaisies !

    Aussi sourit-elle à un bel homme qui déjeune non loin d’elle, qui a l’air « surpris, mais content » et elle se retrouve quelques heures plus tard, par une après-midi de juillet ensoleillée, à pouffer de rire « dans un lit défait ».  La fée lui a rendu sa virginité avec sa jeunesse, à sa propre surprise et à la stupéfaction de son amant, Vincent Lefébure, à qui elle dit s’appeler Garance (Les enfants du paradis).

    Le lendemain, elle se laisse enfermer dans les toilettes de l’Hôtel de Ville et s’y crée à l’ordinateur une nouvelle identité et même un permis de conduire. La voilà bientôt à la une du Soir, une photo datant de ses 75 ans, « le regard vif, l’air intelligent, étonnamment bien conservée – l’horreur ! » Bien sûr, Jacqueline Harpman lit avec intérêt ce qu’on écrit sur elle et sur son œuvre. Mais elle est désormais Clotilde Santivas (Les bons sauvages) et déclare à la police le vol de ses papiers d’identité.

    « J’ai toujours aimé rêver d’autres histoires que la mienne, me donner des aventures, des amants, des métiers. » Se faire passer pour une provinciale nouvellement arrivée qui dit « zut ! » – et non pas « merde » comme elle le disait pour être « dans le ton de (son) siècle » – et respecte la grammaire. Recommencerait-elle à écrire ? Un personnage lui trotte déjà dans la tête, Henriette de Hauterage, quand les déclarations de l’infirmière de nuit et de ses filles aux journalistes la ramènent à la réalité : on surveille à présent son compte en banque.

    Mais elle a de quoi tenir six mois au Hilton, où elle va se réinstaller après être passée dans les boutiques de luxe pour remplir sa valise neuve et réclamer sa suite, qui n’est plus libre, s’empressant de régler la semaine dans une autre chambre au dix-neuvième. Le garçon d’étage manie si joliment la langue qu’elle l’interroge sur ses auteurs préférés : « Balzac et Stendhal, Madame. »

    Quelle vie va-t-elle s’inventer ? Vincent Lefébure ne répond pas au téléphone et elle déteste manger seule. Un chauffeur de taxi lui conseille le quartier de l’université, où elle sera vite entourée et conseillée sur la faculté idéale : sciences ? langues ? communication ? A deux heures du matin, elle sonne chez Vincent qui, cette fois, exige de savoir qui elle est vraiment, pas un « roman feuilleton ». Il a lu toutes les œuvres de Jacqueline Harpman, qu’il apprécie, plus question de se faire passer pour Clotilde – alors, Henriette de Hauterage ?

    Changer d’identité à nouveau, comment faire ? Si les élucubrations de Jacqueline-Clotilde-Henriette vous amusent, lisez Le temps est un rêve et vous découvrirez le nouvel avenir de cette si jeune centenaire. Juste pour vous divertir.