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Belgique - Page 178

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    Une femme en marche. Un souffle l’amorce et la voici allante entre les haies, les hommes, les dieux. Regards dans son sillage. Des mains. Voudraient la retenir, la séduire, l’arrimer. Elle en flèche. Echappée, irritante. Ne veut plus se prêter ni leurrer ; donner prise aux ruses, aux démesures. Intrépide, elle court plus loin que ce lopin perclus. Pulvérise l’attente. Grand soleil des eaux.

     

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    Photos Nancy Vuylsteke de Laps, par courtoisie de l’artiste.
    Exposition à la Galerie Pascal Janssens (Gand) à partir du 28 janvier 2012.

     

     

  • Et plurielles

    Singulières et plurielles (1992), ce titre de Colette Nys-Mazure, avec qui bien des lecteurs ont fait connaissance à travers Célébration du quotidien, est le livre d’une femme sur les femmes – « peut-être parce que souvent ce sont les hommes qui ont écrit sur les femmes, en leur lieu et place » – mais Nys-Mazure n’y tient pas la plume pour polémiquer. « Ce n’est qu’une femme occupée à tailler une large tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours. » (La cuisine du poète) Une cinquantaine de textes courts, « suite de portraits en mouvement, d’instantanés », accompagnés de quelques photographies. En voici quelques-uns. 

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    Portrait par Wilhelm Balmer (1865-1922) 

    FIDELE

     

    Elle est de ce qui croit, persiste et tient. Elle s’obstine à brûler sous la neige, à s’enraciner au désert. Quand tous se taisent, elle muse encore. A l’aigu de la fatigue, paupières papillonnantes, elle vacille mais demeure debout. Elle repeint les meubles de jardin, recoud boutons et ourlets, pique dans ses cheveux un peigne d’aïeule. Fait ricocher l’amitié, recueille les mots d’enfants et les cris d’adieu. Arpenteuse chargée du poids léger de l’amour sans borne ni condition. Ils peuvent sourire, les oublieux qui baissent le front sous le feu des rosaces ; s’ils durent, c’est un peu parce qu’elle veille.

     

     

    MATINALE

     

    Elle marque son territoire aux parages du matin ; d’oiseaux précoces, elle balise la ténèbre. Entre les flaques de ciel cerné d’obscur, elle devine un jour à naître et s’y destine ; regard planté dans l’échancrure. On la croirait sœur des chouettes – les chevêches, les hulottes – mais elle guette l’alouette et devance de peu son tracé ivre. Lorsque celle-ci tarde à poindre, elle patiente et jalonne son espoir de blancs poèmes.

     

     

    IRREDUCTIBLE

     

    Elle, dure et nouée. Maigre noyau séché, dont l'arête écorche la paume de bonne foi. Elle ne se fendra pas, la cruelle, la sans-coeur. La rebelle. Le caillou cogne et entaille, meurtrit. L'impitoyable. Casserait plutôt que de se laisser arrondir. Elle rebondit sur le mur mauvais. Blesse irrévocablement. 

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    Van Rysselberghe, Jeune femme à contrejour

    RANDONNEUSE

     

    Elle s’en va parfois. Loin des autres, tous. Se donne congé, se livre à elle-même au ventre d’une maison très étrangère, le long d’une berge, au feuillu des forêts. Se retire pour éprouver si la vie la traverse encore. Faut-il émonder, greffer, tailler ? Table rase. Autour d’elle, murmures, soupçons. Elle n’en prend pas ombrage. Qui éclairerait-elle si elle n’y voyait plus ? Elle glisse en ses limbes. Elle remontera un fil ténu ou de bruissantes étoiles.

     

     

    SOURCIERE

     

    Silence sur l’oubli ; à l’affût de la fêlure. L’ébranlement. Une pluie sur la mer réveillerait le jardin roui de soleil. Le coquelicot contre la chaux aveuglante d’un muret excitera le sauvage bleuissement des jacinthes dans le bois d’enfance. Un plissement tendre des yeux épelle l’ombre du père. Un instant. Fugace connivence. Comme des copeaux épars invoquent la forêt. D’un simple attelage de syllabes, d’une cascade de voyelles, jouent les harmoniques. Ecart, grand écart entre l’objet et le poème. Moins reflet que recréation. Une sorcellerie.

  • Vieilles branches

    Puis-je pour une fois vous appeler ainsi, lectrices & lecteurs fidèles, vieilles branches ? Je vous écris au retour d’une promenade au parc, ce parc schaerbeekois dont je vous ai déjà parlé, le parc Josaphat, rendu à sa beauté et dorénavant mieux protégé : les tags ont disparu du kiosque à musique, les outrages des statues.

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    Honneur aux arbres aujourd’hui : l’automne exceptionnellement sec et peu venteux jusqu’ici ne les a pas encore tous mis à nu. J’aime au printemps la transparence des jeunes feuillages qui habillent peu à peu leur silhouette de vert tendre. A présent c’est l’inverse, les arbres laissent tomber leurs couleurs d’apparat en draperies sur l’herbe et dévoilent leur charpente.

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    Quand le ciel est au bleu, les arbres ne peuvent le cacher : ce sont des danseurs qui réinventent les courbes. Ils s'exercent à l'immobilité, mais c’est à force d’entraînements, de perpétuels ajustements que leurs bras dessinent la juste arabesque, l’élan gracieux, des figures inédites. Ils dansent ensemble, à se toucher, improvisent de nouvelles lignes de vie.

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    Se promener dans un parc, c’est regarder devant, autour de soi, tout près, plus loin, c’est avancer, s’arrêter, contempler. Les arbres ont différentes manières de signaler leur importance : les plus hauts, les plus larges, les plus colorés ont de la branche, forcément.

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    Créé il y a plus d’un siècle, le parc Josaphat préserve de vieux arbres remarquables. Le goût de l’époque l’a doté çà et là de passerelles dans le style rocaille, pâle mais charmante imitation des formes végétales. Plus inattendus dans ce genre, une table et de petits bancs pour une halte, un pique-nique.

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    L’Elagueur (Albert Desenfans) rappelle que l'espace n’est pas naturel dans un jardin public : on y a dessiné la nature, composé l’environnement, pensé les effets. Des arbres se déploient d’un seul côté pour libérer le passage aux promeneurs, d’autres forment là une voûte, ici une grotte. Entre végétaux aussi, il faut laisser de la place aux autres.
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    Le ciel est beau vu de la terre. Sous la ramure d’un arbre, quand on lève les yeux, on entre dans une lumière particulière et on découvre les autres dimensions de l’arbre, sa manière d’occuper l’espace à tous les étages. L’entrelacs des branches se révèle, et la texture intime du feuillage.

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    Les oiseaux y sont chez eux, y ramagent, mais que guette cette perruche sur ce tronc autour duquel pies et corneilles s’agitent sans que bronche le plumage émeraude ? Mystère. Camille et Gribouille ont des loisirs plus terre à terre. Quant à Cendrillon (Edmond Lefever), le regard baissé vers son soufflet depuis longtemps caché par la verdure, elle reste éternellement jeune au pays des vieilles branches. 

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  • Le ravin (1913)

    Rik Wouters Le ravin KMSKA.jpg

    « Cher Simon,

    (…)

    J’ai même trouvé, grâce au beau temps, un très beau sujet. Sous-bois d’automne très mouvementé, grandes bosses de terre qui culbutent en formant un très profond ravin, reliées ensemble par un petit pont, genre arcade romaine, en brique rouge salies (sic) et sur ces bosses, encore des bosses. Bordées de mousses vertes noires avec des mouvements de serpent, des arbres qui ne sont pas plantés droit au fond du ravin. Et le soleil bougeant la-dessu (sic), rien ne reste à place et cela gueul (sic) en rouge et jaune, vert, gris tendre, noir et rose. Rot, rot, bien pourri et sentant le moisi humide. Tout cela vu d’en-haut (sic). Enfin la première chose qui m’emballe depuis ton départ. Je fais de mon mieux mais si le temps change, c’est foutu !...

     

    Tout à toi. »

     

    Rik Wouters

    (Guide du visiteur, Rik Wouters. Chefs-d'oeuvre, Schepenhuis, Malines)

  • Rik Wouters & Nel

    Malines (Mechelen), la ville natale de Rik Wouters (1882-1916), lui rend un très bel hommage au Musée Schepenhuis (Maison échevinale), une superbe demeure ancienne où les toiles et les sculptures du « fauve brabançon » ont trouvé et de la lumière et de l’espace, en dialogue avec l’architecture. Rik Wouters. Chefs-d’œuvre : ce sont les œuvres maîtresses de la collection du Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA) actuellement en rénovation et quelques œuvres des musées communaux. Une exposition « à taille humaine ». 

    Rik-Wouters Femme lisant.png 

    Dès l’entrée, et en particulier par une de ces lumineuses journées que l’automne nous offre cette année, on est pris par l’atmosphère du lieu – haut plafond, hautes fenêtres à petits carreaux, poutres sculptées – où un escalier en colimaçon et des passerelles de fer et de verre permettent de circuler d’un étage, d’une pièce à l’autre. Chaque visiteur reçoit un petit guide (disponible en plusieurs langues) qui présente la vie et l’œuvre de Rik Wouters, des écrits du peintre, et reprend en petit format toutes les œuvres exposées.

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    Près du comptoir d’accueil, caressée par la lumière, une première sculpture en pied pour laquelle a posé Nel, l’épouse et le modèle du peintre. Plus loin, une Etude de nu où ses longs cheveux cachent son visage illustre d’emblée le refus du fini : Rik Wouters laisse apparaître par endroits la toile vierge, étend là du bleu, là du jaune, laisse l’air circuler, peint comme à l’aquarelle. Mais regardons d’abord ce magnifique buste intitulé Contemplation, ces torses où Nel est coiffée comme d’habitude d'un chignon. « Quand (sic) à moi, vivre c’est peindre, sculpter et dessiner aussi simplement que manger. Je n’ai qu’un modèle : la nature. » (1914)

     

    A l’étage, une première salle de peintures rappelle la vie du couple à Boitsfort, près de la Forêt de Soignes. Rik Wouters peint une rue, de simples maisons aux façades colorées, une maison rouge avec sa porte jaune à l’angle d’une rue enneigée, du linge qui sèche dans un jardin à l’arrière, les toits rouges sur lesquels s’ouvre une fenêtre. Ou encore la chapelle de Notre-Dame de Bonne Odeur, familière aux promeneurs de la forêt de Soignes, un ravin, une cavalière entre les hêtres.

     

    J’ai aimé Le vieux noyer dans un jardin où un homme se tient près d’un mur de ce rouge un peu brun qu’affectionne le peintre : à travers les frondaisons, on aperçoit les jeux du soleil sur une maison blanche, plus loin, un clocher, du ciel bleu. C’est simplement beau. Et j’ai vu deux toiles malinoises que je ne connaissais pas, qui montrent l’une, un peintre à son chevalet sur un pont de la ville, l’autre, la terrasse du jardin botanique, une promenade fleurie et animée.

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    Nel est au cœur de deux grandes toiles magistrales. D’abord La repasseuse (1912) : dos à la cheminée surmontée d’un miroir (ceux qui connaissent bien Rik Wouters reconnaîtront le décor familier), Nel lève un instant les yeux du linge qu’elle repasse sur la table. Corbeille de linge, cheminée, vase, lampe, tous les objets respirent avec elle, autour d’elle sur cette toile où il y a beaucoup de blanc, c’est magnifique. Et très différent d’Automne (1913) où Nel, une écharpe bleue autour du cou, se montre dehors à la fenêtre donnant sur le jardin, presque aussi statique que la plante verte près d’elle. Les couleurs automnales envahissent tout l’espace dans une fusion entre l’extérieur et l’intérieur, la végétation et la figure humaine. Wouters admirait Cézanne, on voit ici qu’il s’intéressait aussi à Matisse.

    Rik Wouters Affiche de l'exposition.jpg 

    Allez à Malines, vous y découvrirez ensuite d’autres portraits, principalement de Nel – une superbe Femme lisant en robe rayée rouge et blanche – et, parmi les autoportraits, le formidable Autoportrait au cigare de ce peintre arraché trop tôt à la vie, à trente-quatre ans. Ne manquez pas, dans la salle des natures mortes, la Table d’aquafortiste, ni, hors catégorie, L’éducation, où l’on voit Nel et une fillette à table, occupées à regarder des images, une de ces merveilleuses scènes d’intérieur qui inspiraient toujours Rik Wouters, le peintre de la vie quotidienne. « Alles is schoon als je het maar zien kan » (Tout est beau si seulement tu sais le voir), cette phrase de Rik Wouters figure sous un trompe-l’œil dans une rue du centre de Malines, une ville où il fait bon flâner.