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Belgique - Page 174

  • Frisson

    « Afin que l’œuvre naisse du frisson même qui soudain, à ces moments, électrise mon être, quelques larges coups de brosse, quelques plans me suffisent pour restituer l’architecture d’une émotion. »  Ferdinand Schirren 

    Schirren à l'Hôtel de Ville.jpg
    Souvenir d’une exposition

    (Serge Goyens de Heusch, L’impressionnisme et le fauvisme en Belgique, Fonds Mercator Albin Michel, 1988)

  • Schirren coloriste

    Chacun aime cultiver son jardin secret, dans l’intimité. Quelle fête quand un artiste nous invite à la promenade, à la découverte, quand il nous laisse franchir le seuil de son atelier ou expose – et s’expose. Parfois, le jardin secret d’un peintre est un véritable jardin, parfois c’est un rêve, l’exploration d’un monde intérieur. « Ferdinand Schirren en ses jardins imaginaires », ainsi s'intitule une petite exposition qu’on peut encore visiter à Bruxelles jusqu’au 4 mars 2012. 

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    "Au jardin" de Ferdinand Schirren (1906) MRBAB-KMSKB, Bruxelles © Sabam Belgium 2011
    (Un meilleur rendu des couleurs sur Arts et Lettres)

    Ferdinand Schirren (1872-1944) : ceux qui connaissent son nom reconnaissent aussi ses couleurs, qu’on retrouve de portrait en paysage, de nature morte en bouquet de fleurs. Riches de nouvelles acquisitions, les Musées Royaux des Beaux-Arts ont rassemblé dans deux salles du musée d’Art ancien toutes les œuvres du peintre et sculpteur  belge en leur possession. (Cela ne console pas de la fermeture du musée d’art moderne, actuellement en travaux pour se métamorphoser en musée « fin de siècle » dont l'ouverture est prévue pour le mois prochain. Michel Draguet, son directeur actuel, n’offre jusqu’à présent pas d’avenir aux autres collections du XXe siècle, retournées en réserve ou montrées çà et là, un scandale qui ne semble pas émouvoir nos pouvoirs politiques en ces temps de crise. Les vicissitudes de la culture à Bruxelles, une histoire belge.)

     

    Schirren a commencé par sculpter, vers 1900, mais une profonde dépression l’a poussé à détruire de nombreuses œuvres, avant de se mettre au dessin et à la peinture. Quelques plâtres sont exposés, dont un étonnant Buste de Mme Blavatsky, une tête plus grande que nature, très expressive, à l’entrée de la grande salle. Les sculptures présentées sont très variées, deux bronzes m’ont paru remarquables : La servante, aux contours lisses, comme stylisée, et une intéressante Eve à la pomme. Cette Eve sans pieds ni tête tient dans la main gauche, le bras replié sur la poitrine, une pomme qui évoque explicitement le sein que ce mouvement dissimule. Juste à côté de la sculpture, à une hauteur invraisemblable (pour dissuader les voleurs de s’en emparer ?), une petite toile, La cheminée, montre une version en plâtre de cette sculpture, posée sur une cheminée en marbre devant un miroir, entre des vases et des pots – de délicates couleurs nacrées.

     

    C’est dans l’aquarelle que Schirren est le plus réputé, c’est par là qu’il a commencé, mais ses huiles qui évoluent « d’un colorisme poussé à un animisme tempéré » enchantent aussi le regard de tous ceux qui aiment les couleurs des « fauves brabançons » dont il fut un précurseur. La figure féminine l’inspire – Maternité, Nus au divan ou devant la fenêtre – moins pour la représenter que pour magnifier le champ coloré de l’espace autour d’elle. Schirren ose ici toute la gamme du rose sans être mièvre, parcourt ailleurs tout le prisme de la lumière.

     

    D’une collection privée, voici L’atelier (huile sur papier) : quelques meubles définissent l’espace peint, une table, deux chaises, un guéridon occupent l’avant-plan, surfaces colorées sur lesquelles l’œil glisse pour se fixer enfin sur le peintre debout à son chevalet. Cette très belle œuvre respire par les blancs que Schirren a laissés entre les choses, entre les couleurs, comme le fera son ami Rik Wouters, de dix ans plus jeune que lui.

     

    Au fond de la grande salle, deux toiles impressionnantes : la plus connue de Schirren, La femme au piano, aux couleurs somptueuses, et La femme en bleu, scène d’intérieur parfaitement construite. Mais il a peint aussi des paysages où quelques troncs parmi des taches de couleur suffisent à évoquer un sous-bois, les lignes de deux maisons entre les arbres, un Paysage brabançon.

     

    Schirren explore les effets du flou, dans un Nu féminin ou dans une Nature morte au vase, toujours avec un agencement très particulier des couleurs – le bleu turquoise d’une coupe non loin d’un bleu outremer. Rêve d’une femme, en rose et bleu, est sans doute l’œuvre exposée ici qui va le plus loin dans cette voie.

     

    Dans la petite salle, les deux aquarelles intitulées Au jardin sont d’une légèreté incroyable. L’une sert d’affiche à l’exposition. Plus loin, La dame au samovar illustre parfaitement la manière dont Schirren sait suggérer sans montrer : la femme est à peine esquissée dans le fauteuil près de la table où trône un samovar, et cela suffit – c’est l’heure du thé.

     

    Cette salle réserve quelques surprises : d’abord, un pastel énigmatique, Intérieur symboliste, où l’on voit un rectangle dans un rectangle, une toile sans doute devant lequel un personnage assis nous tourne le dos – le peintre au travail ? Des objets quasi « art nouveau » signés Schirren : un encrier, un cache-pot. Trois grands fusains de toute beauté : Portrait de femme, Les couseuses, Femme au repos. Et enfin deux petites huiles très claires, Le port d’Ostende et, merveille de lumière, Sur le sable : de dos, un transat où quelqu’un est assis, de face, une femme en blouse blanche et jupe bleue – et nous voilà au cœur d’une conversation au soleil.

     

    P.S. Grâce à Gérard, ce lien vers l'excellent reportage-vidéo  de Stéphanie Triest et Anaïs Letiexhe pour TéléBruxelles (13/1/2012).

  • Mobile

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    Une femme en marche. Un souffle l’amorce et la voici allante entre les haies, les hommes, les dieux. Regards dans son sillage. Des mains. Voudraient la retenir, la séduire, l’arrimer. Elle en flèche. Echappée, irritante. Ne veut plus se prêter ni leurrer ; donner prise aux ruses, aux démesures. Intrépide, elle court plus loin que ce lopin perclus. Pulvérise l’attente. Grand soleil des eaux.

     

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    Photos Nancy Vuylsteke de Laps, par courtoisie de l’artiste.
    Exposition à la Galerie Pascal Janssens (Gand) à partir du 28 janvier 2012.

     

     

  • Et plurielles

    Singulières et plurielles (1992), ce titre de Colette Nys-Mazure, avec qui bien des lecteurs ont fait connaissance à travers Célébration du quotidien, est le livre d’une femme sur les femmes – « peut-être parce que souvent ce sont les hommes qui ont écrit sur les femmes, en leur lieu et place » – mais Nys-Mazure n’y tient pas la plume pour polémiquer. « Ce n’est qu’une femme occupée à tailler une large tranche de poésie dans le pain tout chaud des jours. » (La cuisine du poète) Une cinquantaine de textes courts, « suite de portraits en mouvement, d’instantanés », accompagnés de quelques photographies. En voici quelques-uns. 

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    Portrait par Wilhelm Balmer (1865-1922) 

    FIDELE

     

    Elle est de ce qui croit, persiste et tient. Elle s’obstine à brûler sous la neige, à s’enraciner au désert. Quand tous se taisent, elle muse encore. A l’aigu de la fatigue, paupières papillonnantes, elle vacille mais demeure debout. Elle repeint les meubles de jardin, recoud boutons et ourlets, pique dans ses cheveux un peigne d’aïeule. Fait ricocher l’amitié, recueille les mots d’enfants et les cris d’adieu. Arpenteuse chargée du poids léger de l’amour sans borne ni condition. Ils peuvent sourire, les oublieux qui baissent le front sous le feu des rosaces ; s’ils durent, c’est un peu parce qu’elle veille.

     

     

    MATINALE

     

    Elle marque son territoire aux parages du matin ; d’oiseaux précoces, elle balise la ténèbre. Entre les flaques de ciel cerné d’obscur, elle devine un jour à naître et s’y destine ; regard planté dans l’échancrure. On la croirait sœur des chouettes – les chevêches, les hulottes – mais elle guette l’alouette et devance de peu son tracé ivre. Lorsque celle-ci tarde à poindre, elle patiente et jalonne son espoir de blancs poèmes.

     

     

    IRREDUCTIBLE

     

    Elle, dure et nouée. Maigre noyau séché, dont l'arête écorche la paume de bonne foi. Elle ne se fendra pas, la cruelle, la sans-coeur. La rebelle. Le caillou cogne et entaille, meurtrit. L'impitoyable. Casserait plutôt que de se laisser arrondir. Elle rebondit sur le mur mauvais. Blesse irrévocablement. 

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    Van Rysselberghe, Jeune femme à contrejour

    RANDONNEUSE

     

    Elle s’en va parfois. Loin des autres, tous. Se donne congé, se livre à elle-même au ventre d’une maison très étrangère, le long d’une berge, au feuillu des forêts. Se retire pour éprouver si la vie la traverse encore. Faut-il émonder, greffer, tailler ? Table rase. Autour d’elle, murmures, soupçons. Elle n’en prend pas ombrage. Qui éclairerait-elle si elle n’y voyait plus ? Elle glisse en ses limbes. Elle remontera un fil ténu ou de bruissantes étoiles.

     

     

    SOURCIERE

     

    Silence sur l’oubli ; à l’affût de la fêlure. L’ébranlement. Une pluie sur la mer réveillerait le jardin roui de soleil. Le coquelicot contre la chaux aveuglante d’un muret excitera le sauvage bleuissement des jacinthes dans le bois d’enfance. Un plissement tendre des yeux épelle l’ombre du père. Un instant. Fugace connivence. Comme des copeaux épars invoquent la forêt. D’un simple attelage de syllabes, d’une cascade de voyelles, jouent les harmoniques. Ecart, grand écart entre l’objet et le poème. Moins reflet que recréation. Une sorcellerie.

  • Vieilles branches

    Puis-je pour une fois vous appeler ainsi, lectrices & lecteurs fidèles, vieilles branches ? Je vous écris au retour d’une promenade au parc, ce parc schaerbeekois dont je vous ai déjà parlé, le parc Josaphat, rendu à sa beauté et dorénavant mieux protégé : les tags ont disparu du kiosque à musique, les outrages des statues.

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    Honneur aux arbres aujourd’hui : l’automne exceptionnellement sec et peu venteux jusqu’ici ne les a pas encore tous mis à nu. J’aime au printemps la transparence des jeunes feuillages qui habillent peu à peu leur silhouette de vert tendre. A présent c’est l’inverse, les arbres laissent tomber leurs couleurs d’apparat en draperies sur l’herbe et dévoilent leur charpente.

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    Quand le ciel est au bleu, les arbres ne peuvent le cacher : ce sont des danseurs qui réinventent les courbes. Ils s'exercent à l'immobilité, mais c’est à force d’entraînements, de perpétuels ajustements que leurs bras dessinent la juste arabesque, l’élan gracieux, des figures inédites. Ils dansent ensemble, à se toucher, improvisent de nouvelles lignes de vie.

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    Se promener dans un parc, c’est regarder devant, autour de soi, tout près, plus loin, c’est avancer, s’arrêter, contempler. Les arbres ont différentes manières de signaler leur importance : les plus hauts, les plus larges, les plus colorés ont de la branche, forcément.

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    Créé il y a plus d’un siècle, le parc Josaphat préserve de vieux arbres remarquables. Le goût de l’époque l’a doté çà et là de passerelles dans le style rocaille, pâle mais charmante imitation des formes végétales. Plus inattendus dans ce genre, une table et de petits bancs pour une halte, un pique-nique.

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    L’Elagueur (Albert Desenfans) rappelle que l'espace n’est pas naturel dans un jardin public : on y a dessiné la nature, composé l’environnement, pensé les effets. Des arbres se déploient d’un seul côté pour libérer le passage aux promeneurs, d’autres forment là une voûte, ici une grotte. Entre végétaux aussi, il faut laisser de la place aux autres.
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    Le ciel est beau vu de la terre. Sous la ramure d’un arbre, quand on lève les yeux, on entre dans une lumière particulière et on découvre les autres dimensions de l’arbre, sa manière d’occuper l’espace à tous les étages. L’entrelacs des branches se révèle, et la texture intime du feuillage.

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    Les oiseaux y sont chez eux, y ramagent, mais que guette cette perruche sur ce tronc autour duquel pies et corneilles s’agitent sans que bronche le plumage émeraude ? Mystère. Camille et Gribouille ont des loisirs plus terre à terre. Quant à Cendrillon (Edmond Lefever), le regard baissé vers son soufflet depuis longtemps caché par la verdure, elle reste éternellement jeune au pays des vieilles branches. 

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