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Belgique - Page 177

  • Espèces

    Le canard colvert, souvent croisé avec le canard domestique, est au nombre des cent deux espèces d’oiseaux répertoriées au Moeraske. Sur la liste proposée par la Commission de l’Environnement de Bruxelles et Environs, il est le premier cité des quarante « nicheurs certains ». Parmi les oiseaux classés « présents », l’alouette des champs voit son habitat menacé par de nouvelles constructions dans une zone non protégée. « Estivante », l’hirondelle de fenêtre qui niche en colonie sur une minoterie de Haren, un peu plus loin, trisse dans le ciel de notre îlot les soirs de beau temps.

    Je n’ai jamais compris que les noms d’oiseaux soient devenus des insultes, pour moi ils ont un charme singulier, quasi exotique. Que les ornithologues et autres passionnés des plumes pardonnent mon ignorance, mais j’aimerais faire connaissance avec le chevalier culblanc, le jaseur boréal et le traquet motteux. Et d’abord m’acheter des jumelles.

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  • Vert Moeraske

    2 juin 2011. Jeudi de l’Ascension, plein soleil. Du temps pour se promener le long des voies ferrées près de la gare de triage de Schaerbeek, et plonger dans la verdure du Moeraske. Il ne reste pas beaucoup de traces visibles de la Senne à Bruxelles, ce « petit marais » au fond de la vallée en est une. Cette fois, j’emporte l’appareil photo, il y a tant à voir en chemin.

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    Devant les maisons de maître schaerbeekoises, aujourd’hui de plus en plus souvent divisées en appartements, les jardinets vivent des fortunes variables. Certains offrent encore de beaux bouquets de roses, d’autres ont pris l'allure plus sauvage d'un fouillis végétal, et c’est mieux que ceux qu’on a fait disparaître sous les dalles, pour supprimer la corvée de jardinage. Cà et là, un agencement inédit, de subtiles alliances composent sur quelques mètres carrés un véritable jardin d’agrément.

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    Quand on descend vers cette bande verte qui flanque le chemin de fer, très vite, on oublie la ville. Le long des voies, des potagers bien tenus alignent salades et légumes, un cabanon se plaît sous des rosiers grimpants. Ensuite, plus de lignes, plus d’ordonnancement : nous voilà dans la réserve naturelle du Moeraske. Dans le marais, des roseaux en abondance. Il faut que l’œil s’habitue à tout ce vert qui habille même la surface des eaux – par ici coule le Kerkebeek – pour discerner canards et poules d’eau près des rives.

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    La lumière matinale joue dans les arbres, dessus, dessous. Enchevêtrement de feuillages, seuls les troncs balisent l’espace. Sur le chemin, l’un ou l’autre cycliste, quelques familles en promenade, des gens qui baladent leurs chiens. Un lapin traverse, aussitôt à l’abri dans les fourrés. Cris d’oiseaux : il faudrait apprendre à les reconnaître tous, plein d’espèces nichent dans ce biotope naturel. Une pie, tout un temps, sautille, nous devance de quelques mètres, pas farouche.

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    Sentier de droite ? de gauche ? Celui-ci mène dans les orties ; plutôt que de rebrousser chemin, nous grimpons sur le talus glissant, où les arbres offrent heureusement quelque appui plus solide. Changement de décor, un bosquet de bouleaux, puis une prairie fraîchement fauchée, des maisons : nous sommes à Evere, la commune voisine, et bientôt nous sortons de tout ce vert pour traverser la place en travaux près de la vieille et charmante église Saint Vincent. 

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    Un peu plus loin, sur le chemin du retour, un spectacle inattendu : comme chaque année à l’Ascension, c’est ici que se retrouvent les archers du pays pour leur championnat national. Du monde pour cette compétition, les sportifs, les équipes, et tout l’équipement : arcs et appareils photos sur des trépieds, jumelles, cibles au bout du terrain, intendance. Le geste est lent, sûr, précis. Envol de flèches… Pas facile de les suivre à l’œil nu ! Du beau monde, nous dit-on : la championne de Belgique, championne olympique de tir à l’arc est là, sur la gauche, en survêtement bleu. Fête du tir à l'arc.

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    Le vert Moeraske est un de ces poumons qui améliorent la vie en ville et préservent la biodiversité urbaine. Comme l’illustre le beau projet « sauvages de ma rue » en région parisienne, « les espaces verts tempèrent les canicules, participent à l’absorption des gaz à effet de serre, aident à la dépollution de l’eau et du sol et sont également essentiels au bien-être et à la santé des habitants. De plus, leurs rôles culturels et récréatifs participent au plaisir d’habiter les villes. » Et c’est en effet un plaisir particulier, très différent de celui qu’on ressent dans les parcs et jardins bruxellois, d’arpenter ce type de territoire où la nature a retrouvé sa liberté.

  • Scandale

    « Il y a tout simplement trop peu de syllabes bien sonnantes pour maudire le scandale de sa déchéance, de son combat inégal. De son destin. Et dans son destin, celui de tout un chacun.

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    C’est pourquoi ceci ne pouvait rien avoir de commun avec l’art littéraire mais en même temps il fallait que cela devienne une Bible en mieux, un immortel poème comme il n’en a jamais été composé. Un hymne belliqueux, enthousiaste et entraînant et impitoyable, comme pour l’été le plus fertile et le plus torride de tous les étés. Et pourtant, en même temps, je le soutiens mordicus : un témoignage sec, une addition de scènes et de tableaux dépouillés de toutes fioritures et prétentions, rien de plus : « la vie comme elle est », imparfaite, fragmentaire et chaotique. »

    Tom Lanoye, La Langue de ma mère

  • Langue maternelle

    Première œuvre de l’écrivain flamand Tom Lanoye traduite en français, La Langue de ma mère est un roman magistral, une des lectures les plus marquantes de cette année 2011 en ce qui me concerne. Je n’en suis pas encore sortie, je m’y suis plongée et replongée comme un poisson dans la Mer du Nord. « Digne successeur de Hugo Claus et de son célèbre Chagrin des Belges », peut-on lire en quatrième de couverture. Et comment !
     

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    Le sujet n’est pas facile, le récit est jubilatoire. Sprakeloos, le titre original, désigne le malheur qui frappe sa mère devenue aphasique à la suite d’une attaque cérébrale : « Elle a d’abord perdu la parole, ensuite la dignité, ensuite le battement de son cœur » - deux années infernales. A ceux qui n’aiment pas les écrits « qui reposent en grande partie sur la vérité et vous laissent imaginer les parties manquantes », à ceux qui refusent les incohérences, l’auteur lance un avertissement liminaire : « Alors le moment est déjà venu pour vous de fermer ce livre. Reposez-le sur la pile dans la librairie où vous vous trouvez, remettez-le entre les autres ouvrages sur l’étagère de votre club, de votre maison de retraite, de votre bibliothèque publique, du salon de vos amis ou de la maison que vous êtes venu cambrioler. Achetez autre chose, empruntez autre chose, volez autre chose. Et passez-vous de l’histoire de ma mère. »

     

    Elle était la plus jeune des douze enfants Verbeke, « on pouvait se demander d’où étaient sorties soudain tant de beauté et d’élégance. » La plus fine, elle avait suivi un an de français à Dinant, à l’âge de seize ans, puis appris l’anglais à Northampton. La Belgique était alors florissante grâce à la corne d’abondance congolaise, à la bière et aux armes à feu. « Ons Joséeke, notre petite Josée » rêvait d’être avocate, et tous savaient dans la famille que « quand notre Joséeke a quelque chose derrière la tête, il vaut mieux s’écarter de son chemin. »

     

    Et voilà Sint-Niklaas (Saint-Nicolas) en Flandre orientale, au moment de son lâcher annuel de montgolfières par-dessus le clocher de Notre-Dame, en langue populaire « Marie Dorée », puis l’antique prison devenue bibliothèque publique avant d’être transformée en lofts, ce qui réveille le souvenir de la brave bibliothécaire qui l’avait autorisé à lire des livres de la catégorie supérieure quand il n’en restait plus aucun en rapport avec son âge, à condition qu’il ne le dise à personne. La digression est longue, « mais c’est ainsi, c’est comme ça qu’on se rappelle les choses dans ma famille et dans ma région », continue Lanoye, et de nous parler des saules têtards (« kloefen » et non « klompen » comme en bon néerlandais), des canadas (peupliers), avant de revenir au potager où sa mère s’active en maillot noir à motifs blancs…

     

    C’est qu’il lui est très difficile d’écrire ce livre, de faire son deuil : « votre cas est terriblement ordinaire, inévitablement banal, mais aussi effroyablement unique et incomparable ». En plus, il y a la pression de sa mère qui comptait sur lui pour écrire un jour à son sujet et méprisait ceux qui disent du mal de leurs parents. Contre son goût, elle avait mené une vie de bouchère, tout en jouant dans une troupe de théâtre amateur. « Quoique je vous livre ici, de quel ordre ou de quelle tonalité que ce soit, cela restera un noble mensonge, un fragment, un éclat du prisme qu’était sa vie. »

     

    La première partie de La Langue de ma mèreLUI (ou : le récit du récit) – tourne autour de sa mère qui a fini sa vie en institution fermée, autour de sa propre enfance puis carrière en « paresseux farfelu » ou « acteur de théâtre manqué », du père installé tout près dans une maison de retraite et qui va y mourir paisiblement, en « polisson de quatre-vingt-huit ans » – « je suis foutu, je l’ai dans le baba, hu hu hu ! » Le fils comprend alors, c’est terrible à dire, que ce livre était impossible à écrire tant que son père, un homme magnifiquement généreux et patient, admirateur de Justine Henin, était en vie. Et aussi qu’écrire ce livre ne sera pas du tout un travail de conservation, mais au contraire de destruction, une manière de chasser le souvenir, de prendre congé de cette famille nombreuse installée dans une petite ville, dans une petite maison d’angle sans jardin où il avait sa chambre au-dessus du magasin loué à Dikke Liza, des voisins et des clients. Rien à faire des schémas préparés, se dit-il, mais être seulement « à l’affût du moment vif-argent », par exemple de ce dimanche de septembre ensoleillé où sa mère coupait les asperges au potager, tandis que son père dormait sous le parasol, la radio allumée à côté de lui.

     

    ELLE (ou : frappée d’aphasie), récit du soir fatal. C’est la deuxième partie, l’essentielle, trois cents pages pour raconter comment vivait sa mère, comment elle avait arrangé sa maison, avec son bric-à-brac acheté en salle des ventes et ses objets préférés, jusqu’au soir fatal où « le regard vide, méconnaissable », elle saute à la gorge de son mari avec un cri de rage. De sa bouche sortent alors des bruits rauques, incompréhensibles. Plus jamais on n’entendra « ce magnifique et ininterrompu flot de paroles baroque et précis de jadis ».

     

    A la retraite, les parents de Lanoye n’ont pas voulu déménager, préférant s’installer dans le logement exigu de leur ancienne propriétaire. Il se souvient d’y avoir tremblé d’impuissance sur les genoux de sa mère pourtant « forte en bec » en présence de la grosse Liza, harpie déplaisante avec ses locataires, même si Josée aidait la religieuse qui venait laver l’obèse de temps à autre. A sa mort, le père avait dû surenchérir contre les enfants de la propriétaire cherchant sans vergogne à tirer un maximum de leur héritage. Pour effacer le souvenir de Liza, la mère avait multiplié les aménagements, surchargé la décoration, obtenu contre l’avis de tous l’installation d’une salle de bain dans un réduit minuscule.

     

    Après sa première attaque, quand il la retrouve aux soins intensifs, son fils revenu du Cap se sent coupable et parce qu’à chaque départ, elle lui faisait une scène, et parce qu’il a osé supposer encore « une intrigue grotesque de notre petit tyran ». Et surtout parce qu’en assistant à la terrible fin de sa sœur, Maria l’artiste, sa mère lui avait demandé de faire quelque chose pour elle si ça lui arrivait : « Laissez partir ». Il se passera encore deux ans avant sa mort. Deux années où les rôles sont inversés : Joséeke l’infirmière pleine d’attentions pour l’enfant malade, la reine du plat froid, l’actrice du Théâtre Municipal, la femme qui avait pour principe qu’il faut faire soi-même ce qu’on peut faire soi-même, « un Kladdaradatsch de scènes et d’images », est dorénavant celle qu’on soigne, qu’on nourrit, qu’on visite.

     

    Revalidation, rechutes, souvenirs d’elle, du voisinage, de la kermesse sur la Chaussée d’Anvers, des courses cyclistes, tentatives de retour à la maison, mariage en pleine guerre, comptes, grand-père colombophile fier de la langue de Guido Gezelle et lecteur de La Libre Belgique en français… Lanoye nous saoule de ses souvenirs et de ceux de sa mère, qu’il dresse contre « l’inacceptable déchéance » de cette langue maternelle. Quand à vingt-deux ans, il décide d’enfin annoncer à ses parents qu’il est homosexuel (Quelle différence entre être pédé et être nègre ? – « Si vous êtes nègre, vous n’êtes pas obligé de le dire à vos parents »), la mort de son frère, le Plus Difficile et le Plus Populaire, change la donne. Sa mère est anéantie, sombre dans l’alcool et les tranquillisants. La scène de son « coming-out », des années plus tard, est à la fois comique et terrible, le fils et la mère s’y montrent impitoyables l’un envers l’autre.

     

    Tom Lanoye veut tout dire des derniers mois, décrit « la fin d’un monde ». Dans MOI (ou : et maintenant ?), après les funérailles et un dernier questionnement sur le livre qu’il est en train d’écrire, « avant tout un livre du temps et des choses qui passent », il termine sur le « véritable adieu », les derniers instants, et l’engagement qu’il prend alors : lutter contre le silence par sa voix, contester le vide par la parole. « Ne plus jamais se taire, toujours écrire, plus jamais sans parole. Je commence. » Ne manquez pas La Langue de ma mère, livre de tendresse et de sarcasme où les mots sont à la fête, « magnifique et bouleversant chant d’amour » (Guy Duplat).

  • Cité de verre

    « En marge de l’Art nouveau triomphant, l’éclectisme poursuit son chemin et trouve dans l’architecture de verre un de ses lieux d’intense réussite. En 1868, le roi avait pris la décision de faire construire à Laeken un jardin d’hiver dont Balat avait soumis les premiers plans en 1874. L’inauguration n’eut lieu qu’en mai 1880.

     

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    Confronté à un type de bâtiment propre au XIXe siècle, l’architecte utilise toutes les ressources de sa formation classique tout en s’appuyant sur les conceptions rationnelles prévalant dans l’architecture métallique : il fait reposer la corolle de fer et de verre, surmontée d’un lanterneau coiffé de la couronne royale, sur une colonnade dorique. Comme Viollet-le-Duc le recommandait, il emprunte l’ornementation des parties métalliques au style gothique, tout comme la structure d’arcs-boutants qui jaillissent de la coupole et prolongent à l’air libre l’arrondi des trente-six arcs la soutenant.

     

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    Au cours des ans, l’ensemble se développe pour faire des serres de Laeken un des édifices de verre les plus célèbres d’Europe : en 1880, Balat y construit la serre du Congo. Rappelant la silhouette d’une église byzantine, celle-ci est destinée à conserver des spécimens de ce territoire dont Léopold II était devenu le souverain l’année précédente. En 1902, Maquet, jouissant de l’appui du roi pour son projet du Mont des Arts, ajoute une serre au complexe : le parc est ainsi une véritable cité de verre que Girault embellira encore avec sa  nouvelle serre de palmiers. »

     

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    Bruxelles fin de siècle, sous la direction de Philippe Roberts-Jones, Flammarion, Paris, 1994.