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versailles

  • Famille

    « La famille n’est pas très grande et tout le monde a répondu présent, tout le monde voulait faire la fête, personne ne voulait manquer l’anniversaire de Gustave ! Sont présents également et chantent tout aussi fort que les autres, les deux grands amis de Gustave, ses amis de toujours : Arthur le boucher et Simon le fermier du champ voisin ainsi que leurs femmes respectives.
    Seule Annette est absente. »

    Nicole Versailles, Les amis de Gustave (Les dessous de tables)

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    Festen (Thomas Vinterberg)Festen, Thomas Vinterberg

     

     

     

  • Tant d'histoires

    Nicole Versailles a ému bien des lecteurs avec L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers (2008), un récit autobiographique où elle revient sur l’histoire d’un amour manqué, entre sa mère et elle. Animatrice d’ateliers d’écriture, elle sait monter une histoire comme on monte une sauce, doser les ingrédients, accentuer ici ou là une saveur, une couleur, ménager le suspense. Les dessous de tables, un recueil de nouvelles qu’elle a publié l’an dernier, propose une vingtaine de nouvelles. 

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    Quoi de plus révélateur qu’une cuisine, qu’une table dressée, qu’un repas de famille ou entre amis sur les relations que nous nouons avec les autres, sur ce que nous montrons ou cachons de nos sentiments ? En Grèce ou en Palestine, à Bruxelles ou ailleurs, les femmes et les hommes se débrouillent comme ils peuvent avec leurs attentes, leurs craintes, leurs limites.

    La première nouvelle raconte l’histoire de Myrto, « un nom de premier matin du monde » mais « une fille de tous les soirs ». Les femmes du village, les « régulières », fatiguées du ménage et des enfants, ont fini par accepter la présence d’une prostituée « comme un mal nécessaire », à condition qu’elle reste à l’écart et ne reçoive pas leurs hommes en plein jour. Seule la femme de Yanis interdit à son mari de la fréquenter, lui seul parle de Myrto méchamment. Un jour, celle-ci rencontre un inconnu, quelqu’un d’étrange avec un bandana rouge dans ses cheveux noirs et qui « la regarde vraiment » : il est à la recherche de Yanis, mais il plaît tellement à Myrto qu’elle l’invite à passer chez elle avant. Nikos accepte un verre de retsina, elle lui prépare un mezze, ils bavardent tranquillement et l’homme finit par s’assoupir contre le grand coussin doré. A l’aube, quand elle se réveille, il n’est plus là. On découvrira pourquoi le bel étranger avec qui Myrto s’inventait déjà une nouvelle vie ne reviendra plus jamais (Juste un petit verre de retsina). 

    Ce qui lie et sépare les couples est un des thèmes récurrents des Dessous de tables : ici des convives observent le manège d’un homme devenu roi d’un jour grâce à la fève flirtant effrontément sous les yeux de sa femme avec une autre qu’il a couronnée de carton doré, comme au spectacle (Le roi et la reine de la fève). Un vieil homme se prépare une soupe et se rappelle les bons potages frais que sa femme, dont il ne supportait plus les jérémiades, lui préparait quand elle vivait encore. Le silence dont il rêvait alors le plonge dans d’étranges interrogations (Une bonne soupe en sachet).  

    La mère allemande d’un petit garçon français en 1955, la mère anéantie d’une petite fille gravement malade, une épouse enfermée dans la dépression, une mère qui a fleuri sa table d’une rose rouge pour fêter son anniversaire avec son fils qui tarde à arriver… Nicole Versailles décrit la solitude ordinaire, le plus souvent au féminin. Ou dévoile les déchirures masquées sous les apparences lisses de la vie sociale. Tant d’histoires…

    Agressions, viols, meurtres, la face cachée de certaines histoires est très noire. Des familles se déchirent. Le désespoir rend fou. Des retrouvailles anodines autour d’un verre, autour d’une table, se muent en drames profonds. C’est parfois violent, parfois drôle. Ainsi quand Charles-Henri se montre plus brillant et séduisant que jamais en ce soir d’anniversaire : son discours retient l’attention de tous, mais il en est deux qui portent ailleurs le regard. Marie-Solange, son élégante épouse, qui s’ennuie terriblement, remarque l’effet du décolleté subtil de sa robe haute couture sur ses voisins de table et commence à s’amuser (Dilemme).

    Natacha prépare avec soin un osso bucco pour un dîner où Christian et elle ont une grande nouvelle à annoncer. Tout est fin prêt à l’arrivée des invités, mais au moment où elle lève son verre pour prendre la parole, lui se lance tout excité dans l’éloge du dernier bijou technologique annoncé dans la presse, emmène tout le monde dans son bureau pour faire admirer ses dernières photos numériques, repousse constamment l’heure de manger. Jusqu’au coup d’éclat de sa femme qui va tous les planter là (Le jardin de la colère).

    Les nouvelles de Nicole Versailles dépassent rarement une dizaine de pages. Le style y est le plus souvent parlé, contemporain, et elle recourt de temps à autre aux italiques pour intercaler dans le récit des pensées intimes. Certaines phrases sont d’une précision sans faille : « Elle claque la porte d’un coup sec et tranchant comme sa vie coupée en deux par l’annonce guillotine. » (Cuisine intérieure) Les dessous de tables : un titre parfait pour ces tranches de vie déshabillées.

    A Coumarine, fort éprouvée en ce moment, un salut amical et mes souhaits de prompt rétablissement.

     

  • Plus tard

    « L’enfant a attendu que l’orage passe. A la fois soulagée d’avoir retrouvé la maison et d’un seul coup replongée dans son atmosphère pesante, elle s’est d’emblée retranchée dans le silence. Ne rien dire, faire semblant de rien, encaisser sans broncher, se tisser une carapace d’indifférence… Il s’agissait de survivre. Quant à vivre, elle se disait que ce serait pour plus tard. Quand elle serait grande. Quand elle serait libre. »

     

    Nicole Versailles, L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers 

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  • Mal à l'enfance

    Nicole Versailles signe son blog Coumarine, elle en a fait le sujet de Tout d’un blog (2008). Ce sont les Petites paroles inutiles. La dernière épithète est à contre-emploi. L’animatrice d’ateliers d’écriture en Communauté française de Belgique écrit depuis toujours, comme on le découvre dans L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers (2008), un récit publié aux Editions Traces de vie. Et l’écriture permet de se décharger, souvent, de ce qui pèse trop.

     

    Lettre à Eugénie, le sous-titre, renvoie à sa grand-mère maternelle qu’elle n’a pas connue, mais dont une photo retrouvée au grenier la fait rêver. Un portrait comme on en faisait à l’époque, en grand chapeau, accoudée sur le dos d’une chaise, un mouchoir de percale à la main, d’une nonchalance très étudiée. « Grande, racée, élégante, fière ». Morte à quarante-deux ans. La narratrice cherche les mots pour le dire, et quand elle ne les trouve pas, reprend : « Je recommence… »

     

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    Bébé birman akha / Photo Annabelle Baumal

    http://escapade-asie.blogspot.com/

     

    Il n’est pas facile de trouver les mots quand on a si mal à son enfance. Flash-back. Pendant la première guerre mondiale, Eugénie a dû se séparer de ses deux enfants envoyés en Suisse dans des familles d’accueil. Comme Suzanne, cette fillette de trois ans, sa mère, « Elle » – le personnage qui incarne ici l’auteur – a été un temps une enfant séparée de ses parents et de ses frères.

     

    La grand-mère morte si jeune, avant qu’Elle ne soit née, a pressenti son destin tragique. Lors d’un dimanche en famille à la campagne, au moment de monter dans la carriole à chevaux, en retard, ce qui énerve son mari, elle trébuche au moment où les chevaux s’ébranlent, est traînée à terre sous les yeux terrifiés des enfants. « Cette chute causera ma mort », voilà ce qu’elle dit alors et qu’entend Suzanne, confiera celle-ci à sa fille peu avant de mourir elle-même.

     

    Le grand-père se remarie huit mois après. L’homme « bourru et solitaire » somme les enfants d’obéir en tout à « l’étrangère » et de l’appeler « maman », ce que Suzanne refuse obstinément. Pire, il interdit d’évoquer la mère disparue, fait disparaître toute trace de sa première épouse. Sa fille en souffre, et puis sa petite-fille qui n’a jamais perçu de lui la moindre trace d’affection.

     

    Gros plan ensuite sur la mère, une mère non idéale, accablée par de fréquents maux
    de tête – Elle cherche à la comprendre. Suzanne a échappé au père et à la belle-mère en épousant Louis, le deuxième fils d’un couple qui a engendré sept garçons et en a aiguillé quatre vers la prêtrise. Bourgeoisie très catholique. Suzanne et Louis ont d’abord un fils, qui restera l’enfant unique presque huit ans durant, avant la naissance d’une petite fille pendant la deuxième guerre, c’est Elle, puis très vite d’un petit garçon. Elle aurait dû s’appeler Christiane, mais en allant déclarer sa naissance, son père a choisi Nicole. Le changement de prénom répond à celui du nom, en 1913, Vidor devenu Versailles, un nom bien français qui lui plaît.

     

    Mais si le fils aîné a écrit dans un classeur bleu de belles pages sur une enfance heureuse, Elle et le petit frère – j’ai pensé à Marguerite Duras et à ses frères, une
    autre fratrie déchirée dans l’amour exclusif d’une mère – connaissent trop tôt le sentiment d’abandon et la solitude. En particulier Elle, laissée un jour sans avertissement à la campagne pour guérir son asthme « au grand air », « au grand taire » écrit l’auteur. Six mois de chagrin. Le retour au bercail n’est pas forcément le bonheur. La mère est autoritaire. Il y a l’heure de sieste obligatoire après le dîner. Les « non » décourageants, les interdits. Le cahier de brouillon où l’enfant exprime son désarroi trouvé et condamné. Alors la petite fille construit ses défenses, se réfugie
    dans l’imaginaire. Une petite sœur jumelle, des origines inconnues – « Je suis d’ailleurs ». Comment survivre en attendant de vivre, d’être libre, d’être heureuse ?

     

    Le récit de Nicole Versailles vibre encore intensément de blessures intérieures jamais refermées. Elle lui a donné un très beau titre, L’enfant à l’endroit, l’enfant à l’envers, dont on découvrira une des significations à la fin. On ne comprend pas pourquoi ce livre ne se trouve pas sur les tables des libraires, mais on peut le commander en ligne. Une recherche émouvante et courageuse.