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Belgique - Page 182

  • Günzig en Afrique

    Cadeau de Nouvel An à la librairie Tropismes, La circoncision des crocodiles de Thomas Günzig compte une trentaine de pages. Une plaquette publiée avec le soutien de la Coopération belge au développement et des Iles de paix. En 2001, le roman Mort d’un parfait bilingue a valu à l’écrivain belge (né en 1970) le prix Victor Rossel.

     

    Première partie « dans un style occidental angoissé » : voici l’autoportrait de Günzig en monstre, une « sensation profonde » ressentie dès l’enfance qu’il aurait tant souhaitée ordinaire au lieu de grandir « dans l’illusion d’être différent et d’appartenir à un monde qui valait mieux que tous les autres ». D’où l’impression d’un  simulacre. Devenu « quelqu’un d’amusant capable d’ouvrager des textes sombres », Günzig a trouvé son salut dans l’écriture bien qu’il n’ait jamais vraiment aimé ça – nous voilà aux antipodes d’En vivant, en écrivant. Le statut d’artiste, il en jouit mais en dégonfle l’aura : les animations scolaires et les ateliers d’écriture n’ont d’intérêt qu’alimentaire, les occasions de voyager l’excitent au début et puis, pour éviter la tristesse « de ces voyages inutiles, aussi longs et gris que des serpents d’eau, on ne part plus. »

     

    Partir au loin, très loin, il l’a essayé plusieurs fois sans succès, déçu de retrouver ailleurs les « mêmes avenues, mêmes panneaux publicitaires vantant les mêmes produits ». Mais un coup de téléphone au début d’un automne belge « comme l’entrée d’un long tunnel » sans lumière, déclenche un « oui ». Les Iles de Paix l’invitent à partir en mai au Burkina Faso, en Afrique noire, à Fada N’Gourma pour « y rester un peu et écrire un texte ». Tout l’étonne : le « héros normal » qui lui tient compagnie dans l’avion vers Ouagadougou, alors qu’il s’imaginait les gens des Iles de paix comme « des sortes de curés en civil » ; le souffle brûlant de « sèche-cheveux » qu’il prend en pleine figure à l’arrivée, avec « une incroyable odeur de fuel, de feu de bois, de sel et d’épices ».

     

    Deuxième partie « dans un style beaucoup plus relax », inspiré du « Fada N’Gourma way of life ». Le premier soir, il se sent « un peu KO » à l’idée de loger dix jours chez un type qu’il ne connaît pas. Heureusement, Gaël lui donne très vite la sensation que tout va bien se passer. Première nuit africaine « bizarre » : des bruits étranges, la moustiquaire qui bouge beaucoup, vigilance.

     

    Le lendemain, une route qui « ne semblait pas pouvoir, ni vouloir arrêter la force vitale des choses : des chèvres, des moutons, des ânes, des poules, des gens traversaient sans trop se soucier du danger que représentaient les camions et les camionnettes tellement surchargés que leur bas de caisse raclait le gravier. » La 4 x 4 de Fidèle, le chauffeur, passe partout et les amène à bon port, Gaël et lui, dans une maison simple mais confortable (excepté la porte des toilettes qui ne ferme pas). Gûnzig est présenté à tous ceux qui travaillent dans les bureaux d’Iles de Paix. Personne ne comprend vraiment ce qu’il fait là, lui non plus. Le lendemain, une employée lui apprend qu’il est un « Blanc Bonne Arrivée », « un peu comme un bébé découvrant le monde et ne sachant pas vraiment comment s’y prendre ».

     

    Il se sentait perdu, il se découvre heureux. Près des puits qu’on lui montre, des enfants jouent, un plus grand pompe avec énergie. « L’Energie », voilà ce qu’il voit. Des femmes qui entretiennent seules des retenues d’eau, un homme qui plie seul « à l’aide d’une pince et de deux clous, les tiges d’acier du béton armé d’une future école ». Si les Japonais sont réputés pour leur sens de l’effort, « sans doute que les Burkinabé sont les Japonais de l’Afrique. » Dans ce pays sans richesses, les habitants n’ont pas l’air « de s’en faire plus que ça », dépensent une énergie incroyable jour après jour au marché, dans les rues, la brousse, sur les chantiers. L’idée le traverse de s’installer là, à Fada N’Gourma et d’y vivre simplement, « comme tout le monde ». Mais il repart. Dans une petite boîte en plastique qu’on lui a donnée, il a désormais de quoi contrer le monstre, quand il fait mine de se réveiller en lui, et retrouver l’odeur, la magie, la fête. « On dit que les imaginaires ont un pays : si c’est vrai, j’ai trouvé le mien. »

     

    L’humoriste Thomas Günzig – voir le titre de la nouvelle (qui a porté d’abord le nom d’un médicament contre la malaria ) – signe ici un texte au ton personnel. La circoncision des crocodiles n’est ni un récit de voyage, ni un rapport sur le travail des Iles de Paix. C’est l’histoire d’une rencontre avec des gens qui lui ont rendu, « avec rien », le sens des choses de la vie.

  • Disait l'autre

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    « Voyager disait l’autre voyager rajeunit

    En quittant Bucarest j’ai retrouvé mon nid

     

    tout neuf mes œufs rangés – poèmes en plan menus

    projets – et Pénélope avec un homme nu

     

    que je pris pour Ulysse et qui n’était   ô mère

    que moi sale et barbu comme on revient de mer

     

    bredouille ayant mangé sa faim d’air d’îles d’eau

    et juré ses grands dieux de vivre sur le dos

     

    les yeux rivés au ciel à brouter les nuages

    qui vous allègent seuls   et de l’âtre et de l’âge. »

     

    Guy Goffette, Blues du mur roumain – VII (Le pêcheur d’eau)

     

  • Pêche aux vers

    Pas encore repartie dans la lecture au long cours, j’ai pêché des vers chez Guy Goffette. Le pêcheur d’eau (Poésie/Gallimard, 2007), paru en 1995, recueille des textes assez mélancoliques de l’écrivain belge « brasseur de nuages » comme ses amis poètes. Il a étudié, enseigné, voyagé, vendu des livres, il vit à présent à Paris « comme passeur de livres en partance ».

     

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    « Que ce jour soit un jour simplement,

    un jour donné, un jour de passage encore

    Et qui traîne un peu les pieds dans ta vie 

    où rien ne bouge dangereusement »

     

    Cette strophe de Voilà (Tout un dimanche autour du cou) donne l’ambiance et le ton. Les poèmes de Goffette sont pleins d’herbe, de chiens, de vent, de lions et de chats, de bois, de filets d’eau, de roses et de pommiers, à toutes les saisons.

     

    « Mais revoici la cuisine et son train 

    d’ombres cassées par la fine lumière 

    de mars. Le chat dort sur le frigo,

    l’âme enfoncée jusqu’aux yeux

     

    dans le gant du soleil... » (9 heures en mars)

     

    Chantier de l’élégie se décline en six étapes, les vers deux par deux.


    « A tondre l’herbe d’octobre – la dernière

    avant la horde rousse et la poigne d’hiver,

     

    le désespoir (ou quoi d’autre si demain

    n’existe pas ?) vous prend à la gorge… »

     

    Une question de bleu s’ouvre sur l’azur : « Le ciel est le plus précieux des biens dans l’existence. Le seul qu’on puisse perdre le soir et retrouver au matin, à sa place exacte, et lavé de frais. » Bleus à l’âme – « Il y a tant à faire et tout va se défait. / Le fil bleu de ta vie, dans quelle cuisine d’ombres / l’as-tu laissé se perdre, lui qui te menait doux… »

     

    Poète du simple et des jours, du jour et des simples, Goffette rend hommage à d’autres passeurs de mots : Charles-Albert Cingria, Francis Jammes (Prière pour aller au paradis avec Jammes), Jules Supervielle, Claudel.
    Prenons un début –
    « S’il fait nuit noire et qu’on est en plein jour,
    ne vous retournez pas trop vite : un chat

     

    mal retourné peut devenir lion

    surtout surtout s’il n’est pas vraiment gris »

     – et une fin :

    « dans les jardins du rêve où nous avons

    fleuri, avant d’errer sur les chemins

     

    de l’homme, hagards et gris comme des chats

    en plein jour, des lions de mélancolie. » (Jules Supervielle, I)

     

    Mais assez de bouts rimés, pêchés çà et là toujours à tort. Un poème se livre en entier, je sais, que Goffette me pardonne. J’ai parlé ici de L’enfance lingère, je relirai son Elle, par bonheur et toujours nue sur Bonnard, son Verlaine d’ardoise et de pluie. Voici le premier temps d’une Fantaisie intitulée Blues du mur roumain.

     

    « Avec l’âge nous viennent toutes sortes de choses

    des maîtresses des varices ou la furonculose

     

    qu’on prend sans rechigner et sans dire merci

    n’ayant rien demandé  quand notre seul souci

     

    est de pouvoir encore gravir un escalier

    derrière une inconnue aux jambes déliées

     

    et frémir doucement tout en serrant la rampe 
    de ce reste d’été qui nous chauffe les tempes

     

    comme à l’heure des amours qui n’en finissaient pas

    de rallonger la route en dispersant nos pas »

  • Chambre avec vue

    Les lumières en ligne d’un boulevard, au loin. Le dôme éclairé de la basilique du Sacré-Cœur (Koekelberg) à l’horizon. Plus près, des fenêtres qui sortent de l’ombre, l’une après l’autre, hublots dispersés d’un paquebot de nuit. Pour la première fois, je pianote sur le clavier dans ma chambre à moi, ma chambre avec vue, à côté d’un mur de livres qui m’a coûté toute une semaine de rangement. Cela valait la peine.

     

    P1060147.JPG

    17.X.2010

     

    Déménager une bibliothèque, c’est une expérience déjà vécue deux fois, à l’école, avec une sympathique ribambelle d’élèves pour se charger du transport et du classement selon les consignes. Déménager ma bibliothèque, trente-cinq ans de lecture, c’est autre chose. Les livres avaient trouvé leur rayon petit à petit, jusqu’au moment où certains s’étaient garés en double file, faute de place. Mais j’étais loin d’imaginer le volume de caisses que cela représentait, une fois les étagères quittées. J’avais en tête un nouvel agencement : la culture générale, les livres d’art et de voyage dans le séjour ; la littérature, la langue française dans mon bureau. Encore fallait-il ajuster les rangées de livres et les espaces disponibles, concilier l’ordre thématique et les formats divers, caser tout cela au mieux.

     

    Vous comprenez de quoi je parle. Plusieurs l’ont laissé entendre dans leurs commentaires : les livres représentent la plus grosse part d’un déménagement pour celles et ceux que les bibliothèques font saliver, même si l’on ne possède pas, comme Alberto Manguel, une grange de presbytère vouée exclusivement à leur accueil. Les bibliothèques privées, en général, donnent aux amis de papier la compagnie d’objets – photos, cartes reçues d’êtres chers, souvenirs. Ceux-ci ne s’installent pas non plus au hasard, leur place répond à des affinités secrètes. Il y a des choses que l’on veut au plus près du bureau, d’emblée sous le regard, il y a un oiseau près du plafond – voler de ses propres ailes – et ces pantoufles de paille tressée achetées sur le bord de la route à une vieille paysanne russe – garder les pieds sur terre.

    Il reste quelques cartons à vider et bien des choses à installer, avant Noël, disons. Mais il est temps de revenir aux textes et aux prétextes, de rouvrir un journal, de revisiter les blogs, de retrouver un rythme de vie plus paisible, ce qui signifie pour moi, en particulier, de vous proposer à nouveau quatre rendez-vous par semaine à partir de lundi prochain. Même si cela ne change rien pour vous, sachez que ces billets coulent à présent d’une source renouvelée, par la grâce d’une chambre à soi où Virginia Woolf, Colette, Anaïs Nin, Elsa Morante, Simone de Beauvoir, Hella H. Haasse, Doris Lessing, Anita Brookner – dans le désordre d’un hommage aux femmes de lettres – jouissent avec moi, en quelque sorte, du bonheur d’une chambre avec vue.

  • En te traduisant

    « En te traduisant, j’ai appris à écrire, à trouver ma langue. Car la phrase lamposienne, c’était quelque chose ! Longue, sinueuse, chantournée, rythmée d’incidentes, parfois paresseuse et s’en excusant, prompte à se commenter elle-même et se prendre pour objet de raillerie. Une phrase de conteur qui, somme toute, te ressemblait, proprement impossible à traduire et difficile à transposer. Jamais je n’ai autant senti les limites du français qu’en essayant de donner à tes textes un écho à peine satisfaisant. Il m’en est resté cette modestie têtue des traducteurs, cette détestation de la prétention si commune aux gens de lettres, sans cesse tentés de jouer les démiurges. On sert toujours un imaginaire, fût-ce le sien propre. Cela demande humilité. Cette humilité, tu me l’as apprise. »

     

    Xavier Hanotte, Ce cher Hubert (Hubert Lampo) in Le Carnet et les Instants,
    n° 163, Bruxelles, octobre 2010.