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  • Billet de saison

    IMG_20231016_110033.jpgA la mi-octobre, il arrivait encore à la terrasse en bois de sécher – c’était tellement plus agréable pour sortir et faire le tour des plantes, ramasser les samares du sycomore voisin (ces ailettes qui se déposent partout en abondance), suivies des premières feuilles mortes.

     

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    Les asters fleurissaient gaiement en face de mon bureau.

    Mina la chatte en profitait pour s’installer près du pot où la clématite avait même refleuri sous un soleil caressant.

     

     

    Puis le ciel s’est couvert davantage, laissant passer encore assez de lumière pour aviver les couleurs des arbres de l’îlot avant la chute de leurs feuilles. Enfin le vent s’est mis à souffler davantage, renversant les pots trop légers, jusque dans les cimetières parés pour la Toussaint.

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    Ce sont les mésanges qui sont venues les premières aux nouvelles : quoi ? pas encore de graines ? On a raccroché le silo sous une plante en boule et le lendemain, elles y étaient, les charbonnières, les bleues, à picorer un coup tout en tournant la tête pour surveiller autour d’elles, toujours sur le qui-vive.

    saison,automne,nature,mésanges,geais,nourrissage,pluie,lumière,ciel,bruxellesPendant de longues semaines, la lumière du jour s’est ternie, la pluie s’est installée.  Jour après jour, les feuilles s’abandonnaient, s’envolaient sous les rafales, se posaient. Impossibles à photographier derrière les vitres perlées, les mésanges prennent leur temps pour manger quand il pleut, comme si elles se sentaient davantage en sécurité.

     

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    Bientôt un geai, puis un autre, sont venus voir si par hasard il n’y aurait pas quelque chose pour eux. Allons-y pour suspendre des boules de graisse, entre lesquelles insérer quelques arachides en coque.

    C’est le rituel du matin : il n’y a qu’à attendre en s’éloignant des fenêtres pour terminer le thé du petit déjeuner. Et d’un, et de deux, et de trois…

    Un geai glouton va jusqu’à s’enfoncer une coque entière dans le gosier pour en attraper une deuxième avant de s’envoler.

    Désormais, une fois les allées et venues des geais terminées, les mésanges viennent à deux, à trois ; nous leur offrons les graines, elles nous offrent leurs voltiges. Un ramier opportuniste ramasse aussitôt les miettes, surtout après que les geais, faute d’arachides, reviennent piquer dans les boules à graisse en attendant mieux.

    Après avoir revêtu de jour tous les gris de sa palette, il n’est pas encore cinq heures quand un ciel qui s’est déshabillé pour la nuit fait place aux couleurs du couchant. Le temps des nuits froides revient. La terrasse ne sèche plus.

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    Alors que je cherche quelques photos pour illustrer ce billet de saison, une merveille : un coin de ciel bleu s’élargit, les nuages s’écartent. Ce mardi midi, tout, l’îlot avec ses arbres et ses jardins, ses oiseaux, la terrasse et l’appartement prennent un fantastique bain de lumière qui réchauffe les yeux et réjouit le cœur. A seize heures, le soleil se cache derrière les nuages qui regagnent du terrain. C’est de saison.

  • Printemps

    gerald durrell,le jardin des dieux,la trilogie de corfou,récit,autobiographie,littérature anglaise,histoire naturelle,apprentissage,famille,grèce,humour,culture,animaux,printemps« Le printemps, à son heure, arriva telle une fièvre ; c’était comme si, après s’être tournée et retournée dans le lit chaud et humide de l’hiver, l’île était soudain parfaitement réveillée, vibrante de vie sous un ciel bleu jacinthe, dans lequel un soleil se levait, enveloppé d’une brume aussi fragile et d’un jaune aussi délicat qu’un cocon de ver à soie tout neuf. Pour moi, le printemps était plein d’espérance. Ce jour-là, peut-être, j’attraperais la plus grosse tortue d’eau douce que j’avais jamais vue ou je percerais le mystère du bébé tortue qui, froissé et ridé comme une noix au sortir de l’œuf, doublait de volume en une heure et perdait du même coup toutes ses rides. L’île entière s’agitait et résonnait de bruit. Je me réveillais de bonne heure, avalais en hâte mon petit déjeuner sous les mandariniers embaumant déjà la chaleur du soleil matinal, rassemblais mes filets et mes boîtes à spécimen, sifflais Roger, Widdle et Puke et partais explorer mon royaume. »

    Gerald Durrell, Le jardin des dieux

    gerald durrell,le jardin des dieux,la trilogie de corfou,récit,autobiographie,littérature anglaise,histoire naturelle,apprentissage,famille,grèce,humour,culture,animaux,printempsP.-S. A partir du 1er décembre, Arte.TV mettra en ligne les quatre saisons de la série britannique 
    The Durrells :
    une famille anglaise à Corfou 

    (Info ArtsLibre, 29/11/2023)

  • Gerald Durrell & co

    Le jardin des dieux de Gerald Durrell, dernier volet de La Trilogie de Corfou, est sans doute moins connu des lecteurs francophones que Ma famille et autres animaux et Oiseaux, bêtes et grandes personnes. Paru en Angleterre en 1978, ce récit longtemps inédit en français a été traduit par Cécile Arnaud en 2014. Fidèle à l’esprit des précédents, le naturaliste a choisi de raconter d’autres souvenirs de leur vie de famille à Corfou durant ces années (1935-1939) où chaque jour était « spécial » et pour lui, l’occasion de découvertes passionnantes.

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    « C’était un été particulièrement luxuriant… ». Grâce à l’ânesse Sally, Gerry peut s’éloigner davantage de la villa et partir en expédition en lui faisant porter le matériel nécessaire pour ses activités de collecte, en compagnie des chiens. Informé par un ami paysan de la présence de deux « immenses oiseaux » dans une vallée, il a très envie de compléter sa collection de rapaces, même s’il connaît la facture exorbitante de la viande pour ses animaux. A l’endroit indiqué, il trouve effectivement un nid de vautours fauves, mais inaccessible.

    En chemin, autre chose attire son attention au pied d’un mur écroulé : « un petit animal agile et aussi rouge qu’une feuille d’automne », une jeune belette. Sous ses yeux, elle échappe à un épervier puis se lance à la poursuite d’un lérot, un rongeur qu’il traque depuis longtemps. Les chiens font fuir la belette, mais Gerry capture le lérot qui, une fois installé dans une cage, révèle un ventre gros. Baptisé Esméralda, la femelle de lérot se laisse apprivoiser. Après avoir observé la croissance de ses huit petits, leurs déplacements amusants en file indienne, chacun accroché à la queue du précédent, Gerry relâchera toute la famille dans un champ d’oliviers.

    Il craque aussi devant les onze chiots de Lulu, la chienne de Mama Kondos, et voudrait offrir son préféré à sa mère. Mais celle-ci refuse d’avoir un cinquième chien. Espérant qu’elle changera d’avis en le voyant, il retourne chez la paysanne qui lui dit les avoir tous tués puis, devant son chagrin, les déterre ; elle les avait enterrés vivants ! Le garçon les récupère encore en vie et les ramène chez eux avec la chienne. Sa mère, devant ses pleurs, accepte qu’il les sauve, tandis que son frère aîné, Larry, est furieux qu’elle lui cède une fois de plus.

    Les animaux ne sont pas les seuls à mettre de l’animation chez les Durrell. Sa sœur Margo, de retour de vacances, a invité « des gens intéressants », bien que sa mère se plaigne de devoir sans cesse cuisiner pour tout le monde. Arrivent un vieux Turc et ses trois épouses, plus un petit bélier noir agressif.  Mustapha se dit enchanté de rencontrer la mère de sa « fleur d’amandier » (Margo). Larry comprend que le Turc n’aurait rien contre une nouvelle épouse. La situation tournera, on s’en doute, au chaos total. D’autres visiteurs, un couple d’amis de Larry, deux peintres charmants et naïfs, seront les victimes de Leslie qui leur jouera des farces de plus en plus féroces.

    Pour qui a lu les deux récits précédents, Gerald Durrell réussit à se renouveler ici non seulement par les anecdotes mais aussi dans ses descriptions : l’île comme « un arc bandé » ; la vue, l’été, depuis la terrasse surmontée d’une treille où ils prennent leurs repas et lisent leur courrier au petit déjeuner, vers la mer « placide » comme une « prairie bleue ». C’est le royaume de Gerry depuis qu’il a reçu un petit bateau. Pour soulager sa famille de la présence du comte Rossignol, un Français efféminé, poseur et terriblement chauvin, le cadet l’emmène avec lui sur l’eau, une sortie qui tourne mal (mais très drôle) – le garçon y récolte une expression qu’il se plaira à répéter : « Espèce de con ! »

    L’homme aux scarabées lui vend trois bébés hiboux grands-ducs ; il faudra que son frère Leslie tire des hirondelles pour les nourrir, ce qui tombe très mal le jour où une dame rend visite à leur mère à propos de son projet d’action contre la cruauté des paysans envers les animaux ! En période de chasse, Gerry examine les gibecières et recueille des blessés, comme la huppe rose et noire qui recevra le nom de Hiawatha. En lisant Durrell, on s’émerveille des découvertes et des adoptions de Gerry, et on se demande ce qui subsiste de la faune de Corfou, presque un siècle plus tard.

    Autre visiteur extraordinaire, Prince Jeejeebuoy : en l’absence de Larry, tous s’étaient préparés à l’arrivée d’un prince indien, mais « Prince » est le prénom de ce petit Indien « aux yeux en amande, immenses et étincelants », qu’on appelle Jeejee. « Jamais aucun autre invité n’avait causé autant de chaos qu’il le fit durant son court séjour, et aucun ne nous devint jamais aussi cher. » Leur mère, qui a grandi en Inde, est particulièrement heureuse de parler avec lui de son cher pays natal. Des visites, des animaux, des fêtes, voilà le programme du Jardin des dieux. La Trilogie de Corfou offre trois lectures savoureuses et ensoleillées – à reprendre quand on a besoin d’humour et de soleil !

  • En sens inverse

    Boyd détail d'une mosaïque de ravenne.jpg« Ainsi Cashel refit tout son trajet en sens inverse : un paquebot de Marseille à Gênes, une diligence de Gênes à Bologne, un cabriolet de louage de Bologne à Ravenne. Alors qu’il traversait la plaine entourant la ville, il sentit croître ses appréhensions. Il avait quitté Raffaella à peine plus d’un an auparavant et se demandait comment elle réagirait à son retour. Peut-être aurait-il dû lui écrire, songea-t-il soudain. Trop tard. Et que lui dire si elle acceptait de le rencontrer, ce qui n’avait d’ailleurs rien de certain (il n’avait pas envisagé qu’elle refusât) ? Devrait-il s’excuser ? Mais c’était elle qui avait les torts ; lui n’avait fait que lui accorder son entière dévotion. »

    William Boyd, Le romantique

    Détail d'une mosaïque : deux colombes (Ravenne)

  • Aimer vs partir

    Le romantique ou la vraie vie de Cashel Greville Ross (traduit de l’anglais par Isabelle Perrin) est le dernier roman paru de William Boyd. Dans le prologue signé à Trieste en février 2022, W. B. parle de l’autobiographie inachevée de son personnage  « tombée en sa possession » avec d’autres souvenirs : « j’ai considéré que l’histoire de sa vie, de sa vraie vie, serait bien mieux servie si on l’écrivait ouvertement, sciemment, honnêtement sous la forme d’un roman. »

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    Cashel Greville (1799-1882) a pour premier souvenir d’enfance en Irlande, une rencontre avec un homme en noir sur un cheval noir, qu’il a pris pour la Mort ou « le diable en personne ». Le cavalier lui a parlé avec l’accent anglais de Stillwell Court, différent de celui de Glanmire Lane, le cottage où il vivait avec sa tante Elspeth, gouvernante qui faisait la classe aux deux filles de sir Guy et Lady Stillwell.

    Quand Cashel a eu cinq ans, elle lui a parlé de ses parents morts dans un naufrage en 1800. Bien éduqué, le garçon étudiait bien et son accent écossais, tenu de sa tante, s’était teinté d’irlandais. Quand le départ de ses élèves pour la France fut annoncé, Elspeth annonça leur déménagement à Oxford, en Angleterre, où il s’appellerait désormais Cashel Ross et elle, Mme Pelham Ross ; il devrait l’appeler « mère ». Enceinte, Elspeth comptait sur lui pour ne rien dire de leur vie d’avant, afin d’éviter des ennuis.

    Leur « nouvelle vie » est plus confortable à The Glebe, une maison cossue avec des domestiques, grâce à son nouveau « père », M. Pelham Ross, très souvent pour affaires en Afrique du Sud. En 1809 naissent deux faux jumeaux, Hogan et Buckley. Cashel devient un jeune homme, déniaisé par Daisy, la femme de chambre, bientôt renvoyée pour vol. Quand M. Ross revient, ses affaires africaines tout à coup terminées, Cashel,  intrigué, fouille dans son bureau.

    Une lettre commençant par « Cher sir Guy » lui fait découvrir le secret de leur double vie : Ross est le nom d’emprunt de sir Stillwell. Interrogée, Elspeth lui raconte leur liaison et sa véritable origine : il est leur premier fils. Furieux de tous ces mensonges, Cashel s’enfuit pour « se construire une nouvelle vie quelque part, n’importe où ». Sur une place de marché, le 99e régiment d’infanterie du Hampshire recrute. Cashel est engagé comme tambour sous le nom de Cashel Greville.

    En 1815, Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe. Le régiment s’attend à devoir passer à l’action. On leur fait traverser la Manche, puis marcher vers Hal, avant de prendre la direction de Waterloo. Cashel y perd son ami Croker, l’autre tambour, puis reçoit un coup de lance qui lui traverse la jambe. La blessure mettra du temps à guérir. Renvoyé en Angleterre sept mois plus tard, réformé, il y reçoit à l’hospice la médaille de Waterloo et une pension pendant deux ans.

    Avec le temps, Cashel a compris à quel point sa mère lui manque et il rentre à la maison. Son père propose alors de lui acheter une commission d’officier dans la Compagnie anglaise des Indes orientales, pour « voir le monde ». A Madras, il mène une vie de nabab avant de participer à la troisième guerre de Kandy, sur l’île de Ceylan. Choqué par un massacre ordonné par le commandement, Cashel refuse de tirer sur des hommes désarmés et est renvoyé en Angleterre.

    Sur le navire du retour chargé de thé, l’aumônier phtisique avec qui il s’était lié se suicide et laisse à Cashel les soixante-sept ouvrages de sa bibliothèque – de quoi lire sur l’océan Indien. C’est alors que naît son projet d’écrire lui-même sur ses voyages. Lors d’une escale, il embarque sur un navire hollandais qui le dépose à Ostende. Cashel retourne à Waterloo et entame un tour d’Europe.

    A Pise, venu en aide à deux Anglaises en arrêtant leur voleur, il est reçu chez Mme Williams et Mme Shelley, la femme du poète. Grâce aux Shelley, il va rencontrer leur ami, le fameux lord Byron, puis Claire Clairmont, la demi-sœur de Mary Shelley. De retour de Gênes, Cashel reçoit un billet de Shelley lui demandant d’apporter discrètement à Lerici, où ils passent l’été, le portefeuille qui contient des lettres intimes de Claire à Shelley. Cashel découvre des relations cachées, lui-même reçoit des avances.

    Aux péripéties militaires succèdent des parties mondaines et amoureuses qu’il observe avant d’y être mêlé, surtout après qu’on lui a présenté la « contessa » Raffaella Rezzo, mariée avec un homme riche, « pas exactement belle, mais puissante, unique » : elle sera l’amour de sa vie. Mais il quittera Ravenne où elle vit, « devenu aveugle à la beauté depuis qu’une beauté l’avait trahi ».

    Aimer vs partir : Cashel va vivre de nombreuses aventures, continuer à écrire, connaître le succès mais aussi la prison, voyager jusqu’à Zanzibar. Son histoire, c’est « toujours aller de l’avant, mais en laissant derrière lui des gens qu’il aimait ». Ecrit à la troisième personne, Le romantique tient du roman picaresque. Je me suis moins attachée à Cashel Greville Ross qu’à Brodie Moncur, dans L’amour est aveugle, mais sa traversée du monde au XIXe siècle ne manque pas de ressort.