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Pour son grand-père

Stefan Hertmans est un écrivain belge néerlandophone traduit en français depuis une vingtaine d’années. Bien au-delà d’un flirt, la lecture de Guerre et Térébenthine (2013, traduit par Isabelle Rosselin, 2015) m’a convaincue de ne pas en rester là avec cet écrivain. La belle photo d’une main tenant un pinceau sur la couverture du livre, primé en Flandre et aux Pays-Bas, en donne bien les couleurs, entre chaos et création.

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Ce roman s’ouvre sur un souvenir d’Ostende : le narrateur – l’auteur lui-même –  revoit son grand-père de soixante-six ans sur la plage, dans son costume bleu nuit, creusant dans le sable et toussant, avant de s’y asseoir avec sa femme. Ne portant ni chaussures ni chaussettes, mais bien le borsalino et la lavallière noirs habituels.

Un autre souvenir, c’est l’image de son grand-père pleurant discrètement à la petite table où il écrivait et peignait. Invalide de guerre à quarante-cinq ans, il avait appris à peindre pour son plaisir et était devenu « un copiste virtuose ». Son propre père, Franciscus, était « peintre d’église », il l’accompagnait souvent pour lui passer ce dont il avait besoin en peignant ou en restaurant des fresques dans des bâtiments religieux – pour son grand-père, « le paradis de sa jeunesse ».

Peu avant le centenaire de la première guerre mondiale, Stefan Hertmans décide d’ouvrir les deux cahiers de son grand-père qu’il  conserve depuis trente ans. Celui-ci, homme d’une profonde joie de vivre et « survivant coriace, quoique sensible et sentimental », s’était mis à écrire à partir de mai 1963, à plus de septante ans, sur son enfance et sur la guerre ; six cents pages en tout : la vie gantoise d’autrefois et le passé familial surtout. Gand est la ville de l’écrivain, qui se souvient d’avoir accompagné son grand-père au musée et d’y avoir vu « Enfants jouant sur la glace » d’Emile Claus, peint en 1891, l’année même où son grand-père était né. (Il est mort en 1981.)

Franciscus et Céline, issue d’une bonne famille qui ne voyait pas ce mariage d’un bon œil, ont mené une vie difficile. L’aîné de leurs cinq enfants, Urbain Martien (le grand-père de S. H.), commence à travailler dans une fonderie à quatorze ans, échappe au pire lors d’un accident. Comme son père, il adore la peinture et prend des cours de dessin, s’achète un bloc de papier et s’entraîne. Au retour de Liverpool où il a été engagé pour un an, son père Franciscus, vieilli, asthmatique, sanglote quand sa mère lui montre les dessins de son fils. Ils partagent la même passion pour la peinture.

La structure de Guerre et Térébenthine n’est pas strictement chronologique. Comme Nabokov dépliant son tapis magique, Stefan Hertmans construit son récit au fil de ses propres repères, souvenirs, découvertes – « Aujourd’hui, j’aimerais entendre de nouveau leurs histoires en prêtant attention aux moindres détails, car, à l’époque, je voyais sans voir et j’entendais sans entendre (…) ». Parfois, il y intègre des passages des cahiers de son grand-père.

La deuxième partie, « 1914-1918 », rapporte le saisissant vécu quotidien d’un caporal flamand de 23 ans monté sur le train menant à Termonde en août 1914. Les marches des soldats vers le front, parfois obligés de revenir sur leurs pas, les ordres incompréhensibles, les cris, les hurlements, les attaques… Des scènes de cauchemar. La grande guerre vécue à ras du sol, dans l’épuisement. La bataille de l’Yser. Les blessés, les morts, les cadavres.

Les officiers francophones ne cherchent pas à prononcer son nom correctement, bien qu’il signale chaque fois que « Martien » se prononce comme « Martine ». Certains reconnaissent son courage, son intelligence, et lui promettent de l’avancement. Plusieurs fois, il est grièvement blessé, soigné à l’écart, renvoyé au front. Il fait l’expérience terrible de la monotonie, de l’immobilisme, du fatalisme. Avec les vertus du soldat à l’ancienne, il témoigne d’« une espèce humaine d’un autre âge qui fut littéralement déchiquetée. »

Comment cet homme brisé par la guerre va fonder une famille, transmettre ses valeurs à son petit-fils qui retournera sur ses traces et découvrira des secrets dont il n’avait pas idée, notamment à travers les peintures qui lui ont survécu, voilà ce que raconte Stefan Hertmans dans Guerre et Térébenthine, une histoire forte traversée par des sentiments douloureux, de beaux portraits de femmes dont j’aurais dû vous parler, des tableaux célèbres... Un superbe hommage à un grand-père aimé mais méconnu, aimé et reconnu.

Commentaires

  • c'est peu dire que j'ai aimé ce livre, j'y ai fait des découvertes sur les liens entre Wallons et Flamands et j'ai été fortement touchée par ce récit magnifique

  • Oui, je me souvenais de ton enthousiasme (j'ai mis ton billet en lien).

  • Je n'en doute pas.

  • Cet autre titre est en attente dans ma pile.

  • J'avais aussi beaucoup aimé ce récit. La photographie en couverture est parfaite, très évocatrice de la lecture à suivre.

  • Couverture très bien choisie, je suis d'accord, pour ce très beau récit-roman.

  • Il semble faire l'unanimité et il le mérite.

  • Je ne connaissais pas, j'avoue.............
    Bisous d'Italie (Que cela fait du bien!)

  • Oh, j'imagine bien ! Bon séjour là-bas.

  • Je l'ai déjà repéré sur d'autres blogs, c'est un auteur que j'aimerais découvrir. Je crois que nous sommes nombreux à regretter de n'avoir pas mieux écouté ce que nous racontaient nos grands-parents. Question d'âge et de génération ..

  • Nous avions l'attention tournée vers autre chose, c'est vrai. Bonne lecture un jour ou l'autre, ce roman très riche vaut le voyage, entre passé et présent.

  • Merci, c'est surtout le roman qui est magnifique. Bon dimanche !

  • Je suis émerveillée par cette couverture : j'ai d'abord vu le mot GUERRE et imaginé une main armée, puis j'ai vu que l'arme en question était un pinceau, j'ai alors pensé que l'art était un "pansement" qui aidait à dépasser la folie d'un monde... Mais peut-être suis-je dans l'égarement, une seule solution, lire ce livre, merci Tania, doux week end. brigitte

  • Je te le recommande, Brigitte. Bonne fête de Pentecôte !

  • Cette lecture fut un vrai coup de coeur, un de mes livres belges préférés désormais.

  • C'est pourquoi j'ai mis ton beau billet en lien, Anne. Bon congé de Pentecôte.

  • C'est mérité. Merci pour ton passage, Claudie & bonne journée.

  • C'est un atout, contrairement à beaucoup de livres sur 14-18, le livre déborde de la période de guerre proprement dite.
    Il me semble que trop peu d'auteurs néerlandophones sont traduit en français, l'inverse doit être vrai.
    Je ne l'ai pas lu, je ne me rappelle pas très bien ce qui s'est passé, je l'avais pourtant emprunté en bibliothèque alors qu'il était fort demandé. L'évoquer à nouveau en refait un bon projet de lecture.

  • Ces croisements multiples entre le présent de l'auteur et la vie de son grand-père m'ont beaucoup plu. Un grand roman.

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