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Textes & prétextes - Page 678

  • A vous

    A vous, visiteurs fidèles, à vous, les irréguliers, voire les occasionnels, salut !
    Sept mois après la création de Textes & Prétextes, les statistiques de fréquentation du blog / blogue / bloc-notes (choisissez) ont joliment bondi en sens inverse des cours de bourse. Chaque mois, blogs.lalibre m’indique le nombre de visiteurs différents, je peux ainsi suivre son évolution. Aujourd’hui, pause.
    « Qu’as-tu lu de beau ces temps-ci ? Tu connais  ce bouquin ? Qu’en penses-tu ? » Désireuse de partager mes impressions, j’ai voulu prolonger mes plaisirs de lecture sur la Toile. Après tant de notes et de fiches, prendre le temps d’écrire. Elargir le cercle des échanges.

    Quel amoureux des livres ne s’est jamais laissé à penser qu’il y a dans le tête-à-tête avec un auteur plus d’idées ou de vibrations échangées que dans une journée ordinaire ou une réunion quelconque ? La lecture est une conversation de choix. « Fenêtre par laquelle on s’évade » (Julien Green), « clé qui m’ouvrait le monde » (Beauvoir), le livre « sème à foison les questions » (Cocteau).

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    Lire ne fait pas que nous divertir, lire ouvre à autrui, bouscule, inquiète, émeut, nourrit. « Passé le temps de celles qui sont imposées par l’enseignement – de moins en moins imposées d’ailleurs -, la lecture ne peut plus être que la pratique que nous avons adoptée avec le dessein de nous meubler l’esprit, dans l’ambition d’enrichir nos connaissances et notre mémoire, dans le désir d’entretenir les jardins de l’affectif et de découvrir le théâtre de nos émotions. » résume Hubert Nyssen dans Lira bien qui lira le dernier (Lettre libertine sur la lecture).

    La fréquentation des écrivains – de leurs textes - permet d’entendre d’autres sensibilités que la sienne, de mieux approcher les autres et la réalité du monde. « Réservons le terme de littérature, écrit Maurice Nadeau, à ces œuvres dont André Gide disait qu’elles ne laissent pas le lecteur dans l’état où elles l’ont trouvé. » Loin de moi l’idée de jouer les critiques littéraires ou les critiques d’art.
    Sans attache éditoriale ni journalistique, l’espace de liberté du blogue me permet de traiter de sujets délicieusement inactuels ou d’écrire sur le passionnant aujourd’hui, à mon gré, au hasard des mes lectures et de mes promenades. Je n’écris que sur ce qui me plaît ou m’intéresse, c’est un parti pris.

    Cette note serait incomplète sans un chaleureux merci à ceux qui me font l’amitié d’un commentaire. Ils sont peu nombreux, mais toujours appréciés. Merci à mon amie et sorcière de haut vol, Colo, qui s’est lancée avant moi sur la Toile. Merci à Doulidelle, facétieux pseudo d’un supporter enthousiaste. Merci aux autres commentateurs d’exprimer de temps en temps leur intérêt. A vous qui hésitez à signaler votre passage, je précise que celui-ci peut rester anonyme – un pseudo, des initiales suffisent – et que l’@dresse demandée ne sera pas mise en ligne ni communiquée, c’est un simple outil de sécurisation. Une fois le commentaire rédigé, vous pouvez en demander un aperçu et le modifier.

    A ceux qui seraient tentés de bloguer à leur tour, blogs.lalibre permet de se lancer avec beaucoup de facilité : on complète un formulaire pour s’inscrire, puis on choisit parmi différents modèles. On personnalise par la suite. Nul besoin d’être initié à l’informatique, quoique cela puisse aider. Certains mystères continuent à m’échapper, comme les raisons techniques qui m’empêchent de justifier le texte. Vous aurez remarqué, sans doute, la souris malicieuse cachée dans la marge de droite qui adore grignoter le dernier caractère et m’oblige à certains ajustements.

    Je voulais faire court, j’ai encore fait long.
    A vous.

  • Un fabuleux conteur

    Hrabal, « avec Milan Kundera, au premier rang des écrivains tchèques de sa génération » (notice de présentation), est décidément un fabuleux conteur ! Moi qui ai servi le roi d’Angleterre, monologue de près de trois cents pages, nous entraîne dans l’irrésistible ascension d’un petit groom apprenti dans un hôtel, A la Ville dorée de Prague. Il rêve de devenir millionnaire. Sa taille menue alimente son ambition fondamentale, celle d’être un jour traité d’égal à égal par les grands hôteliers de la capitale.

    Le culte de l’argent lui vient de la fréquentation des voyageurs de commerce – l’un deux tapisse le plancher de sa chambre des billets gagnés pendant la semaine pour les compter, les contempler - et de la découverte des femmes, les jolies hôtesses de l’Eden avec qui, dès qu’il le peut, il dépense ses économies comme un prince. M. Walden, le gros représentant qui  place partout ses balances de précision et sa trancheuse qui débite en une pyramide impressionnante de fines tranches de salami hongrois, lui procure bientôt une nouvelle place dans un hôtel féerique, le Relais du Silence, à la campagne. Son propriétaire aux allures de bonhomme Michelin y mène tous ses employés à la baguette en sifflant, assis dans sa voiturette. Peu de clients, mais des plus chic, pour qui l’on monte comme au théâtre un décor chaleureux. Les pourboires somptueux rendent très supportable le calme des longues journées d’attente, avant que l’arrivée des clients en soirée réveille l’hôtel comme la Belle au Bois dormant.

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    Mais c’est de retour à Prague, à l’Hôtel de Paris, que le groom va vraiment prendre du galon, formé par un maître d’hôtel hors pair, qui a servi un jour le roi d’Angleterre. A son contact, le garçon apprend à deviner la personnalité des clients et leurs goûts. Dans le « pavillon de visite » où s’attardent les libidineux, le voilà bientôt promu « roi de ces dames » que les agaceries de riches clients ont mises en appétit. S’ouvre alors une ère d’élégance. Il s’offre de fines chemises et arbore des cravates raffinées dérobées dans une penderie de l’hôtel. Monsieur parade en ville après s’être fait placer dans les règles de l’art au magasin une « pochette blanche, qui montrait des bouts d’oreille conquérants et pointus comme l’ourlet d’une feuille de tilleul ». Un extraordinaire banquet offert par l’empereur d’Ethiopie au président tchèque – il leur faut absolument des couverts en or pour trois cents personnes – fournit au héros l’occasion de s’illustrer et d’être décoré.

    Rien ne semble plus pouvoir l’arrêter, lorsqu’il tombe, lui, « le blond filasse aux grands yeux bleus de veau », amoureux d’une belle Allemande, Lisa, la première femme qu’il  trouve vraiment à sa taille. L’Allemagne vient d’annexer les Sudètes, les Tchèques s’en méfient. Mais fasciné par Lisa, heureux de se faire valoir en faisant ami-ami avec les nouveaux maîtres de Prague, le garçon d’hôtel si doué et aryen vérifié ne mesure pas encore où cela va le mener. Il est prêt à tout pour cesser d’être « le petit groom, le petit loufiat condamné à rester petit jusqu’à la fin de ses jours en se laissant traiter de nabot, de minus ou d’autres sobriquets du même genre ».

    Moi qui ai servi le roi d’Angleterre décrit les coulisses de l’hôtellerie, mais aussi l’occupation nazie, l’eugénisme, les soubresauts de l’histoire tchèque vue par les yeux naïfs et avides d’un petit homme qui veut réaliser son rêve coûte que coûte. Les scènes cocasses ne manquent pas, comme celle d’un Enfant Jésus de Prague en or que des Boliviens veulent absolument faire bénir par l’archevêque ou les cours de littérature française d’un vieux professeur devenu ouvrier forestier à une jeune ouvrière de chocolaterie. La faconde de Bohumil Hrabal surprend par les trouvailles de l’intrigue, les images inattendues, les leitmotivs ironiques, la profusion, l’humour.

    Lorsque l’ancien groom, qui a servi l’empereur d’Ethiopie, sort de ses rêves de grandeur et rencontre la vraie beauté du monde, le récit entre en résonance, comme cette espèce rare d’épicéa qu’on abat précautionneusement pour en faire des instruments à cordes – « il fallait conserver à tout prix cette musique des sphères vibrant dans ses fibres ». Dans la solitude, dans le dialogue avec soi-même et avec  la nature, une autre conception du bonheur se fait jour.

  • Connexions

    Traduit de l’espagnol, Un cœur si blanc de Javier Marías (1992) déroute au premier abord. L’épigraphe tirée de Macbeth« My hands are of your color ; but I shame to wear a heart so white.” – donne son titre au roman. Tout le récit se déroule sur le mode du ressassement, celui du narrateur, Juan, mal à l’aise depuis qu’il a « changé d’état », un an plus tôt, en épousant Luisa, à trente ans passés : « mon mariage vint suspendre mes habitudes et même mes convictions et, ce qui est plus décisif, mon appréciation du monde. »

    Tous deux travaillent comme interprètes auprès d’organisations internationales. C’est lors d’un entretien entre deux responsables politiques qu’ils ont fait connaissance. Juan se souvient de La Havane, où s’est terminé leur voyage de noces. Luisa ne se sentait pas bien, elle s’était allongée sur le lit, tandis que lui prenait le frais sur le balcon. Une femme sur le trottoir attendait visiblement quelqu’un, et quand elle l’avait aperçu, le prenant pour un autre, elle l’avait invectivé, avant de comprendre son erreur quand la fenêtre d’à côté s’était ouverte. Près de sa femme, Juan avait ensuite épié la conversation de l’autre côté du mur, témoin intéressé d’une scène entre un Espagnol et sa maîtresse cubaine qui s’impatientait, et à qui l’homme répondait chaque fois que sa femme allait bientôt mourir, que ce n’était qu’une question de temps. Ce dialogue l’obsède.

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    Comme la question inattendue de Ranz, son père, le jour de son mariage : « Et maintenant ? » En l’avertissant des « ressentiments inévitables d’une vie en commun prolongée, un ennui supportable auquel en tout cas on ne veut généralement pas renoncer », il incite ce jour-là son fils, la main sur son épaule, à garder ses secrets pour lui s’il veut être heureux. Juan ne sait pas grand-chose du passé sentimental de son père, ignore même le suicide de sa première épouse, Teresa. Ranz avait ensuite épousé Juana, la sœur cadette, sa mère. Pourtant, cet homme élégant raconte volontiers à ses amis - et maintenant à sa belle-fille - des anecdotes tirées de sa longue carrière d’expert auprès du musée du Prado, des histoires de vrais et de faux tableaux, d’originaux et de copies, au point que le fils doute même de la valeur réelle de la collection de son père.

    « Toute relation personnelle est toujours une accumulation de problèmes, de résistances, mais aussi d’offenses et d’humiliations. » Comme dans Macbeth, dans la vie, « la personne qui nous pousse à agir se trouve aussi derrière nous, et (…) nous chuchote aussi des mots à l’oreille peut-être sans que nous la voyions, la langue est son arme et c’est son instrument (…) » Juan, que perturbe son statut d’homme marié, s’interroge sur ce que fait sa femme pendant ses absences, sur cette vie secrète qu’ils ont l’un et l’autre, en particulier quand il s’absente pour deux mois, en mission à New York, où il loge chez une amie. Mais c’est ensemble, quand ils apprennent incidemment que Ranz, en réalité, était veuf pour la seconde fois quand il a épousé la mère de Juan, qu’ils vont aller à la recherche de réponses, quitte à s’y brûler. Leur cœur en sera moins blanc, et Juan qui se sentait  « comme un enfant paresseux ou malade qui regarde le monde depuis son oreiller ou sans franchir le seuil » va connaître le « silence de la vie adulte, ou peut-être masculine ». Il est vrai qu’à tout homme est secret le point de vue de la femme, et vice-versa.

    Dans le long monologue intérieur de Juan – il y a dans ce roman forcément bavard des passages très « nouveau roman », riches en descriptions, énumérations, répétitions obsessionnelles -, le récit lui-même est mis en question, voire le langage. « Raconter déforme », écrit Marías, et change les faits non en connaissance, mais en reconnaissance, « car la seule vérité est celle que l’on ne connaît ni ne transmet, celle que l’on ne traduit pas en mots ou en images, celle qui est cachée et non vérifiée (…) » Dans cette thématique du dit et du non-dit, au fur et à mesure que le narrateur rabâche, le lecteur, s’il est patient, découvre peu à peu les connexions entre les scènes clés du roman, dont la structure en spirale finit par toucher la cible.

  • Le don de l'Italie

    « L’Italie a fait don de la Renaissance au monde. J’ose lui rendre un simple livre (…) » : la modestie d’Edouard Pommier à la fin de son passionnant Comment l’art devient l’Art,  dans l’Italie de la Renaissance (2007) ne doit pas masquer la formidable entreprise de l’auteur qui nous raconte l’aventure des « trois arts du dessin », peinture, sculpture et architecture, au pays de Michel-Ange, du XIVe au XVIe siècle. Servi par sa « passion raisonnée pour l’Italie », l’essayiste montre comment les composantes essentielles de l’art sont nées à cette époque, en Toscane et à Rome : aussi bien le mot « artiste » que l’histoire de l’art, l’entrée des génies artistiques parmi les hommes illustres que l’invention des académies, des musées, du public même.

    Un objectif si vaste peut inquiéter le profane. Pommier le prend par la main et le guide vers la lumière. Au début, il y a Dante, premier à prophétiser la gloire ici-bas pour les peintres à l’instar des poètes. C’est lui l’inventeur absolu du personnage de l’artiste, de sa dignité nouvelle, de son dialogue avec les Anciens et avec la nature - à propos de Giotto. Celui-ci fait la gloire de Florence, reconnaît Boccace, et Pétrarque admire son art du portrait devenu  « l’image vivante de l’être humain ». Ces trois poètes ont l’intuition d’une étape décisive pour les arts vers 1430, le mythe de Florence est né.

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    http://www.toscane-toscana.org

    Si l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien a permis de connaître l’Antiquité, c’est aux Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes de Vasari que l’on doit les informations les plus précieuses sur ces personnes de basse condition, ni princes ni héros, jusque-là de simples artisans. Ils osent à présent se représenter : le peintre ou le sculpteur se glisse parmi les personnages secondaires d’un récit biblique ou historique, comme Botticelli dans L’Adoration des Mages. Ghiberti sculpte deux fois son portrait sur la porte du Baptistère de Florence. Quant au premier portrait d’artiste vraiment public, en reconnaissance envers celui qui a dessiné l’image de sa ville pour toujours avec la géniale coupole de la cathédrale florentine, il orne le tombeau de Brunelleschi. Au XVIe siècle, les galeries de portraits d’artistes, par exemple au Palais de la Seigneurie à Florence, les feront entrer définitivement dans l’Histoire.

    La découverte à Rome, en creusant des fondations, du Laocoon « dont parle Pline », a changé le regard sur les œuvres antiques. Images des dieux païens, elles avaient été rejetées parce qu’issues des empereurs ennemis de l’Eglise. Mais l’heure est venue de les mettre en vue sur les places. Même le pape considère qu’il faut garder la mémoire des « choses bonnes » et accorder l’ancienne et la nouvelle Rome. Toute une génération d’artistes ressuscite l’antiquité et s’en inspire. Ainsi naissent les « chefs-d’œuvre », ces œuvres anciennes qui méritent le voyage, et bientôt aussi les nouvelles, de Michel-Ange et de Raphaël en particulier. Peintres et sculpteurs affluent à Rome et à Florence pour s’initier à leur exemple.

    La figure de la femme idéale, Renommée, Victoire ou Vertu, se met à incarner les activités de l’esprit. Bramante, pour la première fois, représente l’Architecture, vers 1505, par une noble silhouette féminine tenant les instruments de son art. Sur le tombeau de Michel-Ange, la Peinture est une femme tenant une statuette à la main, peut-être pour rappeler sa primauté dans la sculpture. L’unité du « Disegno », des trois arts du dessin (peinture, sculpture et architecture), est essentielle à l’identité de Florence.

    « Ils ont une grande dette de reconnaissance envers le ciel et la nature, ceux qui enfantent sans peine des œuvres dotées d’une grâce que d’autres ne peuvent obtenir ni par le travail ni par l’imitation », écrit Vasari. Pour lui, l’idéal artistique se définit par une certaine liberté dans la règle, sans pour autant la transgresser. Pommier a d’autres belles formules :  « La grâce est un don reçu et se révèle dans le don aux autres » ou encore elle est « l’art de cacher l’art ».

    Le jardin de Saint Marc à Florence est-il le premier musée et la première académie des arts de l’Europe ? A cette question et à plein d’autres qui participent de cette Renaissance italienne, Comment l’art devient l’Art apporte des réponses nuancées, étayées, enrichies d'anecdotes et de commentaires, ainsi que d'une centaine d’illustrations. A qui s’intéresse aux beaux-arts, la remarquable synthèse d’Edouard Pommier offre une mine d’informations et de sujets de réflexion. Inutile de préciser qu’en lisant, on caresse le projet de partir illico pour l’Italie et de redécouvrir de visu tant de splendeurs, « belles antiques » et chefs-d’œuvre nourriciers.

  • Trois regards

    Retour à la littérature japonaise avec Le Fusil de chasse, de Yasushi Inoué (1949), une œuvre très originale, recommandée par une bonne conseillère. En quelques pages, le narrateur y explique d’abord dans quelles circonstances il a écrit pour une revue cynégétique un poème intitulé Le Fusil de chasse, lui qui n’est pourtant pas chasseur et n’a jamais tenu d’arme entre les mains. Quelques mois après la publication, une lettre lui arrive. Il s’attendait à une protestation quelconque, mais au contraire, un certain Josuke Misugi lui adresse ses remerciements et lui confie même trois lettres dont il n’a jamais eu le courage de se débarrasser, pour qu’il les lise avant de les détruire.

    Ce sont trois lettres de femmes, trois regards sur un homme qu’elles ont connu à divers titres. La première, la « Lettre de Shoko », lui a été envoyée par la fille d’une femme qu’il a aimée en secret.  Le jour où celle-ci est morte, en cachette, Shoko a lu le Journal que sa mère lui demandait de brûler. Elle espérait y trouver la raison du divorce de ses parents, sur lequel sa mère n’avait jamais voulu s’expliquer. La découverte de leur liaison la bouleverse. Que tout cela se soit passé à son insu, mais aussi à l’insu de Midori, la cousine et l’amie de sa mère, l’épouse de Josuke, la scandalise.

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    La « Lettre de Midori » éclaire tout autrement la situation. « Quand nous jetons un regard sur le passé, notre mariage, qui n’existe que de nom, semble avoir duré très longtemps, n’est-ce pas ? Alors, n’as-tu pas envie d’en finir une fois pour toutes ? Certes, il est assez triste d’en arriver là, mais, si tu n’y vois pas d’objection, prenons tous deux les mesures propres à recouvrer notre liberté. » Midori elle-même s’est entichée d’autres hommes, avec insouciance. Sans faux-fuyant, elle compose une lettre d’adieu et demande le divorce. Elle raconte à son mari sa dernière entrevue cruciale avec Saïko, sans rien épargner à l’homme qui se tint entre elles deux.

    Saïko est l’auteur de la troisième missive, « Lettre de Saïko », un message posthume. « Comme si tu entendais ma voix, cette lettre te dira mes pensées, mes sentiments, des choses que tu ignores. Ce sera comme si nous bavardions, comme si tu entendais ma voix. Tu vas être bien étonné, et sans doute affligé, et tu vas m’en vouloir. » La maîtresse de Josuke dit à quel point l'ont obsédée les mots « amour », « péché » et « mort ».

    La force du roman, dont l’intensité croît de lettre en lettre, réside dans le biais choisi pour raconter cette tragédie d’amour. Chacune des femmes y exprime ce qu’elle ressent mais pas seulement. Chaque lettre évoque des moments forts, des lieux précis, des vêtements particuliers, des gestes uniques, avec poésie bien que dans une langue économe. A travers ces confidences, le lecteur entre dans l’intimité des personnages, qu’ils aient choisi de vivre pleinement leurs sentiments ou d’y renoncer.

    Le titre, Le fusil de chasse, semble éloigné du sujet, mais ce fusil a sa place dans le récit, et on comprend finalement pourquoi Josuke Misugi, le destinataire des trois lettres, affirme dans le prologue sa conviction d’être le personnage du poème éponyme : « Que diriez-vous si je vous avouais que l’homme dont vous avez parlé dans votre poème n’est personne d’autre que moi ? »